Hégésippe Moreau (1810-1838)

« Si vous m'aimiez »

 


Ménestrel qui vais par le monde,
N'ayant rien que mon gai savoir,
Si vous m'aimiez, ô belle blonde !
Je me croirais un riche avoir ;
Comme Pétrarque aux pieds de son idole,
À vos genoux courbé bien bas, bien bas,
J'oublîrais tout, voire le Capitole,
Si vous m'aimiez... mais vous ne m'aimez pas.

Si vous m'aimiez, ô belle blonde !
De vos baisers seuls j'aurais faim,
Et, sourd à son voisin qui gronde,
Mon cœur s'enivrerait enfin ;
Cœur mendiant, il va, de femme en femme,
Criant misère, et sans secours, hélas !
Le pauvret meurt – il renaîtrait, madame,
Si vous m'aimiez... mais vous ne m'aimez pas.

Et mes chansons fraîches écloses,
Au vent du matin et du soir,
Iraient à vous, comme les roses
Qui pleuvent devant l'ostensoir.
Purifiant l'air de Paris, madame,
Où vous iriez j'irais, et, sur vos pas,
Comme un parfum je brûlerais mon âme,
Si vous m'aimiez... mais vous ne m'aimez pas.

Sur vous, grand'dame que l'on flatte,
Un lorgnon d'or s'est promené,
Et par le nœud d'une cravate
Voilà votre cœur enchaîné.
D'un plus heureux que l'hommage vous plaise !
Souriez-lui, marchez fière à son bras :
Son bras ! demain je saurais ce qu'il pèse,
Si vous m'aimiez... mais vous ne m'aimez pas.


 

Félix Arvers (1806-1850)

 

Mes Heures perdues

 

« Sonnet »

 


Mon âme a son secret, ma vie a son mystère,
Un amour éternel en un moment conçu :
Le mal est sans espoir, aussi j'ai dû le taire,
Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.

Hélas ! j'aurai passé près d'elle inaperçu,
Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire.
Et j'aurai jusqu'au bout fait mon temps sur la terre,
N'osant rien demander et n'ayant rien reçu.

Pour elle, quoique Dieu l'ait faite douce et tendre,
Elle suit son chemin, distraite et sans entendre
Ce murmure d'amour élevé sur ses pas.

À l'austère devoir, pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle :
« Quelle est donc cette femme ? » et ne comprendra pas.


1833

 

Sainte-Beuve (1804-1869)

 

Le Livre d’amour (1843)

 

« Sonnet »

 


Quand l'avenir pour moi n'a pas une espérance,
Quand pour moi le passé n'a pas un souvenir,
Où puisse, dans son vol qu'elle a peine à finir,
Un instant se poser mon âme en défaillance ;

Quand un jour pur jamais n'a lui sur mon enfance,
Et qu'à vingt ans ont fui, pour ne plus revenir,
L'Amour aux ailes d'or, que je croyais tenir,
Et la Gloire emportant les hymnes de la France ;

Quand ma Pauvreté seule, au sortir du berceau,
M'a pour toujours marqué de son terrible sceau,
Qu'elle a brisé mes vœux, enchaîné ma jeunesse,

Pourquoi ne pas mourir ? De ce monde trompeur
Pourquoi ne pas sortir sans colère et sans peur,
Comme on laisse un ami qui tient mal sa promesse ?


 

Gérard de Nerval (1808-1855)

 

Poésies diverses

 

« Une femme est l’amour »

 


Une femme est l’amour, la gloire et l’espérance ;
Aux enfants qu’elle guide, à l’homme consolé,
Elle élève le cœur et calme la souffrance,
Comme un esprit des cieux sur la terre exilé.

Courbé par le travail ou par la destinée,
L’homme à sa voix s’élève et son front s’éclaircit ;
Toujours impatient dans sa course bornée,
Un sourire le dompte et son cœur s’adoucit.

Dans ce siècle de fer la gloire est incertaine :
Bien longtemps à l’attendre il faut se résigner.
Mais qui n’aimerait pas, dans sa grâce sereine,
La beauté qui la donne ou qui la fait gagner ?