Mon âme a son secret, ma vie
a son mystère,
Un amour éternel en un moment conçu :
Le mal est sans
espoir, aussi j'ai dû le taire,
Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien
su.
Hélas ! j'aurai passé près d'elle
inaperçu,
Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire.
Et j'aurai jusqu'au
bout fait mon temps sur la terre,
N'osant rien demander et n'ayant rien
reçu.
Pour elle, quoique Dieu l'ait
faite douce et tendre,
Elle suit son chemin, distraite et sans entendre
Ce
murmure d'amour élevé sur ses pas.
À l'austère devoir,
pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis
d'elle :
« Quelle est donc cette femme ? » et ne
comprendra pas.
Sainte-Beuve (1804-1869)
Le Livre
d’amour (1843)
Quand l'avenir pour moi n'a
pas une espérance,
Quand pour moi le passé n'a pas un souvenir,
Où
puisse, dans son vol qu'elle a peine à finir,
Un instant se poser mon âme en
défaillance ;
Quand un jour pur jamais n'a
lui sur mon enfance,
Et qu'à vingt ans ont fui, pour ne plus
revenir,
L'Amour aux ailes d'or, que je croyais tenir,
Et la Gloire
emportant les hymnes de la France ;
Quand ma Pauvreté seule, au
sortir du berceau,
M'a pour toujours marqué de son terrible sceau,
Qu'elle a brisé mes vœux, enchaîné ma jeunesse,
Pourquoi ne pas mourir ?
De ce monde trompeur
Pourquoi ne pas sortir sans colère et sans
peur,
Comme on laisse un ami qui tient mal sa
promesse ?
« Une femme est
l’amour »
Une femme est l’amour, la
gloire et l’espérance ;
Aux enfants qu’elle guide, à l’homme
consolé,
Elle élève le cœur et calme la souffrance,
Comme un esprit des
cieux sur la terre exilé.
Courbé par le travail ou par
la destinée,
L’homme à sa voix s’élève et son front
s’éclaircit ;
Toujours impatient dans sa course bornée,
Un sourire le
dompte et son cœur s’adoucit.
Dans ce siècle de fer la
gloire est incertaine :
Bien longtemps à l’attendre il faut se
résigner.
Mais qui n’aimerait pas, dans sa grâce sereine,
La beauté qui la
donne ou qui la fait gagner ?