La famille de « sacré » : analyses formelles et sémantiques

 

Romain Vaissermann

Ancien élève de l’École normale supérieure

Chargé de cours à l’Université de Nice

 

Près de 150 mots en français dérivent du latin « sacer » et composent une très grande famille de mots dans laquelle l’étymologie, l’observation des formes et le souci de la sémantique permettent au locuteur de se constituer des outils de pensée. L’étymon « sacer », du latin archaïque « sacros »[1], vient lui-même – par dérivation en « -ro » – d’une racine indoeuropéenne « sac- » (Grandsaignes d’Hauterive) ou « sak- » (Ém. Benvéniste) qui signifie soit « saint, révéré » soit même « sanctifier, établir un contrat » (J. Pokorny), qui n’est sans doute pas en rapport avec les grecs « ἅγιος » et « ἁγνός » (« consacré, exempt de souillure ») < « ἅζομαι » (« craindre »)[2], comme on l’avait cru un temps (Ernout et Meillet, Chantraine ont douté puis tranché contre le rapprochement). Ailleurs que dans le groupe roman de l’indoeuropéen, on trouve des mots proches de « sacros », à tel point que Stuart Mann considère même que « sakros » est de l’indoeuropéen (« revered, dedicated »), au contraire de Benvéniste qui disait le terme absent de l’indoeuropéen commun. Sans remonter si loin, contentons-nous d’analyser la famille française des mots qui font corps autour de « sacré », en ignorant donc la variante à infixe nasal présente en français dans « saint, sanction, sanctifier »[3] et dès le latin dans « sanctus » et « sancio »[4] – tout comme les noms propres[5].

 

 

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Il est de bonne méthode de commencer l’approche du sens d’un mot par opposition si faire se peut ; or, à l’intérieur même de la famille de « sacré » se proposent plusieurs termes : d’abord ce qui logiquement n’est pas sacré, le « non(-)sacré », ensemble de choses et de mots à opposer au « sacré » lui même, frontalement. Cet ensemble est le plus grand mais contient des sous-ensembles : l’« antisacré », le « pseudo(-)sacré ». Le face-à-face géographique exrimé par « ἀντι- » ne reste pas statique mais suscite un affrontement notionnel virulent ; entre « sacré » et « antisacré » l’équilibre est instable, le combat jamais fini. Ce sous-ensemble est dans l’ensemble « non-sacré » aux antipodes du « sacré ». Tel n’est pas le cas du « pseudo(-)sacré » qui, lui, ment : à première vue, c’est du sacré ; à bien y regarder, c’est du « non-sacré ». Ce « pseudo(-)sacré » est donc le sous-ensemble du « non-sacré » le plus proche du « sacré », sous-ensemble qui multiplie d’ailleurs les mots inventés pour mieux tromper son monde : « pseudo-sacral, pseudo-sacralisation ».

Mais l’analyse en termes d’ensembles ne permet pas de comprendre le passage de l’un à l’autre. La « consécration » rend sacré(e)(s) en dédiant aux Dieux quelque chose ou quelqu’un, ou plutôt elle reconnaît le caractère sacré de cet être. La distinction est de poids : dans le 1er cas, c’est l’homme qui « (con)sacre », dans le second c’est la divinité qui « (con)sacre » et l’homme ne fait qu’attester ce « sacré », qu’il y a du « sacré ». Dans les deux cas, l’action de l’homme (consécration véritable ou reconnaissance du sacré) est déterminante, de même que dans la sortie du sacré, même si « exécrer » a vu son sens fort, « maudire » ou « abominer », peu à peu affaibli pour signifier « ne pas aimer du tout » voire « ne pas supporter » (quelque chose ou quelqu’un d’« exécrable » : de mauvais). Le sentiment linguistique d’un français cultivé ne reconnaît plus guère deux actions inverses dans la « consécration » et l’« exécration », paire d’antonyme qui se souvient pourtant du « cum » de l’alliance (anc. fr. « cunsecrer », 1121) et de l’« ex » de l’exclusion (le Dictionnaire de Trévoux en 1752 définit encore l’exécration comme le « retour d’un objet consacré à l’état profane »). Mais quand celui que vous priez ne vous aime pas et menace de vous « exécrer », alors vous devez le prier instamment, le supplier. Tel est bien le sens de l’« obsécration ». Est attesté en latin « ob vos sacro » : « je prie pour vous », c’est-à-dire « à cause de vous » ou plutôt, au sens local plus ancien de « ob », « je prie devant vous », soit « à vos genoux ». Le français considère qu’« obsécrer » et « exécrer » vont à un tel point ensemble qu’il leur a laissé la trace de l’évolution latine du « a » fermé en « e » : « sacro » > « exsecro » / « consacro » alors que « consecrer » a été refait sur « sacrer ».

Analysons dans le détail les trois sous-familles de « consécration, obsécration, exécration », qui préfixent le sacré. Curieusement, l’exécration a perdu le « s- » du « sacré », signe que l’exécration exclut alors que la consécration fait entrer dans le sacré et que l’obsécration voudrait garder dans le sacré. Les deux termes qui affrontent l’anti-sacré, à savoir obsécration et exécration, ont des sous-familles plus petites que celle de consécration. Que penser des dictionnaires qui, synchroniquement, classent souvent au verbe le nom « correspondant » ? Ils enfreignent la chronologie sans hésiter mais surtout trompent le lecteur en écrivant par exemple « Obsécration » (XIIIe s.) « de obsécrer » (1355). Les dates sont là pour contredire la provenance. De même, peut-on sereinement affirmer que « exécration » (XIIIe s.) et « exécrable » (1355) « exécrer » (1495), même s’il est acceptable qu’« exécrablement » (XVe s.) et « exécrabilité » (XVe s.) proviennent d’« exécrable », ou qu’« exécratoire » (1682) et « exécrateur » (à qui l’invention revient de droit à Léon Bloy, en 1886) viennent « d’exécration » ? Faut-il considérer comme isatisfaisantes nos attestations ? Faut-il brûler les schémas de dérivation affixale ? Ni l’un ni l’autre : les attestations montrent d’abord que notre système de pensée du sacré s’est constitué de façon non systématique ; ensuite, le système valable en synchronie montre l’état de la langue dont dispose un français cultivé du XXIe siècle pour penser le sacré sous l’aspect de l’entrée et de la sortie. Encore n’avons-nous pour l’heure affronter que les formes et les dates… Passons décidément au sens.

Les mots de la famille de sacré se partagent sémantiquement en deux grands domaines : l’un concret, anatomique, l’autre abstrait, religieux. Ou plutôt, les deux domaines sont religieux, quand l’un est concret (anatomique) et l’autre abstrait (tout court).

Lors des sacrifices d’animaux, le « sacrum » était cet os porteur des entrailles qui était abandonné aux Dieux, chez les Romains et surtout dès les Grecs. Le « sacrum », ce mot français directement emprunté au latin grâce à l’hospitalité du domaine médical envers les latinismes, n’est en fait que l’« os sacrum »[6], dont l’équivalent latin « os sacrum » est un calque du grec ancien « τὸ ἱερὸν ὀστέον » (Galien ; les victimes se disant « τὰ ἱερά »). Les progrès de la science médicale ont multiplié les termes de cette famille, sous étudiés par les dictionnaires notamment en ce qui concerne les attestations (trace regrettable de l’ancien privilège dont bénéficiait la langue littéraire dans les études linguistiques). Aussi formulera-t-on cinq remarques générales :

- le vocabulaire médical hésite constamment entre latin et français (parlera-t-on de « sacro-iléite », du latin « ileum », ou bien de « sacro-iliite », de la « région sacro-iliaque » datée de 1836 ?), à l’exception de « (lombo)-sacralisation » (1912) – qui a été peut-être repris à l’anglais « sacralization » (mais « sacral » est bien plus fréquent que « sacralization », et seul attesté avant 1912) et désigne une anomalie de la cinquième vertèbre lombaire qui se soude au sacrum (l’« hémi-sacralisation » est caractérisée par une néo-articulation entre un processus transverse hypertrophique et l'aileron sacré) – et de « sacrectomie » (excision chirurgicale du sommet du sacrum ; d’« ἐκτομή », « ablation »), composé gréco-latin hybride (l’anglais a créé aussi « sacrotomy », de « τομή », « incision »),

- le vocabulaire médical préfère le trait d’union à la formation de mots nouveaux liés (« sacrodynie », du grec « ὀδύνη », la douleur ; et « sacralgie », XXe s.), sans doute par souci d’analyse et description,

- les compositions sont parfois indifférentes du point de vue sémantique : quand un ligament ou un système ou une douleur relie A à B et (aussi bien) B à A (« système crânio-sacré / sacro-crânial ou sacro-crânien », « sacro-lombalgie / lombo-sacralgie » de l’ancien « sacro-lombaire », 1560), quand il s’agit d’un axe ou d’un équilibre que l’on peut décrire, au choix, dans les deux sens : « axe occipito-sacré / sacro-occipital »,

- quelques hésitations : « sacro-fémoral » ou « sacro-fémorien » (1805), « sacro-crânial » ou « sacro-crânien », « sacro-épineux » (Littré) ou « sacro-spinal » (Larousse),

- la composition à droite est bien plus nombreuses que la composition à gauche moins parce que l’on décrirait le corps humain à partir des os et du centre qu’à cause d’une loi phonétique qui veut qu’un mot composé de plus de quatre syllabes soit préférentiellement (« sacro-tubéral » = 23, « sacro-trochantérien » = 24, « sacro-cotyloïdien » = 25 ; une exception ici pour confirmer la règle : l’axe « occipito-sacré » en 42, d’ailleurs parfois abrégé en « OS ») accentué en cadence majeure – que son contre-accent ou que ses contre-accents suive(nt) un nombre de syllabes inférieur à celui des syllabes qui précèdent l’accent principal (final) du mot ; le préfixe « sacro- » est ainsi devenu courant en médecine, d’autant plus qu’il était simple phonétiquement et graphiquement (ligaments « sacro-sciatiques » en 1765 et « sacro-ischiatique »), et qu’il permettait d’éviter la possible ambiguïté de domaines entre le « sacré » abstrait et concret (« nerf pré-sacré », bien que les adjonctions à gauche (« tronc lombo-sacré »), parfois lourdes (« corset dorso-lombo-sacré »), toujours spécialisées (« plan pubo-sacré »), désambiguïsent largement le « sacré » dont il s’agit.

- les mots formés sont plus souvent des adjectifs (« complexe sacro-fémoral », « appui sacro-fessier », « centre de masse sacro-pelvien », « angle sacro-vertébral ») que des noms (exception : « kyste sacro-coccygien » en 1765 face à « sacro-coxalgie » en 1876 et « sacro-coxite »), y compris dans des formes complexes (« diamètre sous-sacro-rétro-pubien », « lames sacro-(recto)-génito-(vésico)-pubiennes ».

Ultime avatar du mot « sacré » aux mains des médecins, gens pratiques et pressés (mais les abréviations françaises sont plus longues que les anglo-américaines ; et plus ambigües…), diverses réductions à l’initiale rendent compte des diverses positions fœtales qui se peuvent rencontrer :

 

SIDA / SIGA = Sacro-iliaque droite / gauche antérieure (angl. RSA / LSA = right / left sacroanterior [fetal position])

SIDL / SIGL = Sacro-iliaque droite / gauche latérale (angl. RSL / LSL pour sacrolateral)

SIDP / SIGP = Sacro-iliaque droite / gauche postérieure (angl. RSP / LSP pour sacroposterior)

SIDT / SIGT = Sacro-iliaque droite / gauche transverse (angl. RST / LST pour sacrotransverse)

 

Mais cet « os sacrum » ne vaut pour nous que par la consécration qui en est faite ; et « consécration » possède une sous-famille assez large. Comment la structurer ? Tous les classements sont possibles en fonction de la théorie linguistique choisie ; nous en avons sélectionné éclectiquement trois qui s’ignorent totalement les uns les autres (à peine sont-ils d’accord pour reléguer à part les deux préfixations existantes) :

- une approche formelle attentive aux affixes séparera suffixation et préfixation en écrivant :

consacr-er (consacr-ant, consacr-é, consacr-able, consacr-eur, consacr-ement?) > consécr-at-eur (consécr-at-oire, consécr-at-ion)

> (1) dé-consacrer (dé-consacré) > dé-consécration

> (2) re-consacrer (re-consacré) > re-consécration

- une approche sémantico-logique écrira pour sa part :

consacrable > consacrant (consacreur, consécrateur, consécratoire) > consacrer (consécration) > consacrement? (consacré) > déconsacrer > déconsécration > déconsacré > reconsacrer > reconsécration > reconsacré

- une approche grammaticale sensible aux parties du discours écrira différemment (proche de la chronologie) :

consacrer [V], 1119 > consacrant [N], 1690 (consacreur, consacré, consacrable) > consacrement? (consécration, 1160) [N] > consécrateur [N], 1568 (consécratoire, XIVe s.) > déconsacrer [V] (déconsacré) > déconsécration [N] > reconsacrer [V] (reconsacré) > reconsécration [N]

Il est temps de recentrer notre propos sur le sacré ou plutôt sur son double, sans accent diacritique : le « sacre ». Je pense que, malgré des connotations politiques tôt venues, le « sacre » est d’abord sacré : on parla d’abord du « sacre d’un évêque » (1172, Garnier ; auj. vieilli) puis du « sacre d’un roi » (1175, Chrétien de Troyes). Mais cela s’est joué à trois ans près, et certains lexicographes inversent l’ordre d’apparition des deux sens. Cinq siècles plus tard apparaît le mot dans un juron (qui curieusement s’applique d’ailleurs au domaine politique : 1649, « et sacre du Gouvernement ! » dans lequel on peut voir une symploque lexicale pour « par le sacrement », juron attesté dès 1250). Presque deux siècles plus tard, le mot connaît son emploi figuré : « sacre d’un poète » (1816, Chateaubriand). Mais cette belle entrée de dictionnaire cache la complexité des évolutions de la langue. Si l’on parle de « sacre québécois », c’est seulement parce que le sens de « juron » (et non plus l’utilisation du mot dans un juron) est un canadianisme daté de 1894. C’est au Québec que pour la 1re fois on désigna par le mot employé l’emploi du mot : la créativité des Québecois en matière de jurons est connue, et explicable par l’emprise de l’Église sur la société civile (on peut invoquer qu’ils ont davantage conservé le sens du sacré et le sens complémentaire ou correspondant du juron).

Voici la situation actuelle en français contemporain :

·          « sacer » > « sacré » (adj.)

·          « sacrare » > « sacrer » (P3 : il/elle/on « sacre ») > un « sacre » (déverbal)

·          (ar.) « çaqr » > (fr.) un « sacre » – cf. (esp.) « sacre », (ital.) « sagro »

Voici la situation au XVIe siècle :

·          « sacer » > « sacré » (adj.) > « sacre »

·          « sacrare » > « sacrer » (P3 : il/elle/on « sacre ») > un « sacre » (déverbal)

·          (ar.) « çaqr » > un « sacre »[7] > un sacre (« brigand »)[8]

Et notre hypothèse pour expliquer le sens de « juron » :

(grec) « ἱέραξ » > (lat.) « sacer » >

·          (lat.) « sacrare » > (fr.) « sacrer » (P3 : il/elle/on « sacre ») > (fr.) un « sacre » (déverbal)

·          (ar.) « çaqr » (« oiseau de proie ») > (fr.) un « sacre », fin XIIIe s. > un « sacre », fin XVe s., en plusieurs sens : « brigand » (sens[9] disparu malgré sa mention dans Acad., 1935) ; « canon » (cf. « fauconneau », « sacret »)

·          (fr.) « sacré » (adj.) > (fr.) « sacre » (adj. disparu)

La forme de sacre comme nom a été associée au sème « brigand », d’autant que certains jurons utilisaient la forme sacré, qui avait donné naissance à sacre adjectif…

Comment expliquer l’emprunt arabe au latin, et surtout le latin « sacer » a-t-il existé ? Malgré divers rapprochemebts troublants[10], il semble que oui d’après Servius dans ses Commentaires sur l’Énéide. Virgile utilisait dans l’Énéide (ch. XI, v. 721) une curieuse apposition : « accipiter [...] sacer ales », que Servius glose ainsi : « accipiter ἱέραξ dicitur, hoc est sacer » (« l’épervier est appelé en grec ἱέραξ, c’est-à-dire sacré », où nous comprenons : « c’est-à-dire en latin sacré »[11]). L’épervier, « oiseau sacré » (parce qu’on prédisait l’avenir et la volonté des Dieux d’après son vol) se trouve donc rattaché au sacré, mais la famille de « sacré » se trouve en compagnie beaucoup plus incertaine que ce grand faucon redoutable rapace : elle abrite en son sein la dissidence, l’antisacré, l’exécré, à savoir la parodie de sacré qu’est le juron.

Les jurons, parfois burlesques, parfois sérieux, sont un creuset de mutations linguistiques accélérées[12] où se mêlent altérations (consonantique : « sacré » > « sapré » [XIXe siècle] ou « satré » [Québec] ; vocalique : « sacrement », l’un des sept principaux sacres québécois > « sacrament »), aphérèses (progressive : « sacré » > « acré » [1837, Vidocq] > « cré » [1832] > « ré » > « é » [Québec] ; rapide : « sacristi » > « cristi » 1883, Maupassant), syncopes (consonantique : « sacré Dieu » > « sacidoux » ; vocalique : « sacré nom… » > « scro- »), métathèses (« sacré nom ! » > « saguernon ! » [1790] ou « sacrelotte » > « saquerlotte » ou encore « sarpejeu » [XIXe s.], de « sapredieu »), apocopes (« sacristie > « sacristi » même si une telle distinction pour un mot essentiellement oral sent son lexicographe soigneux !) et un peu tout ensemble (« sacré nom de Dieu » > « sacrégnongnieu » [1884] > « scrongneugneu » [1884] > « scrogneugneu » [1884 ; nom en 1933, à pluriel en « -x »] > « grogneugneu » > « rogneugneu » ; moins régulièrement : « sacristie » > « sacristi » [1790] > « sapristi » [1841]). Parfois, de savants choix sont faits par les locuteurs pour altérer les jurons :

« sacré nom de Dieu » > « sacré nom de nom » >

« sacrenom » XVIIIe s. > « saguernon » 1790

« crénom de nom » > « crénom » > « cré »

« sacré Dieu » >

« sacidoux »

« sacrédié », 1757 (fém. par altération) > « acré gué » > « crégué » > « créyé »

« sacredieu », XIV e s. > « sacrebleu » 1642 (fém. par altération) >

« crebleu »[13]

« sacreblotte », 1914 > « sacrelot(t)e », 1750

> « saprelotte »

> « saquerlotte » > « saperlotte », mil. XIXe s. > « saperlipopette » resuffixation > « saperlipouille » > « saperlipouillotte » (tous deux chez Rimbaud !)

Une productivité qui concerne aussi le verbe « sacrer », au sens propre de « déclarer sacré » (emploi actif qui a cédé beaucoup de terrain devant « consacrer ») ou figuré sous la forme transitive mais au sens de « jurer » (son hyperonyme) sous la forme intransitive (1726 ; « sacrer comme un charretier » ; on a dit un temps « sacredire », à partir de 1834) ou ses dérivés, l’adjectif « sacrable » (d’où les jurons québécois « crape de chien » et « crabe de yab »), le verbe « désacramentiser » (Québec, « dé- » signifiant « faire le contraire de »).

Productivité qui déteint même sur l’adverbe familier « sacrément » (1929, Giono ; doit dater régionalement du XIXe s. ; au Québec, existe aussi « sacrégué » en emploi adverbial) et sur la remotivation populaire « sacri-pan » (adoptée par Cendrars dans Bourlinguer, par contamination de « chenapan »), qui ne s’est cependant pas trop éloignée du « faux brave » qu’est à l’origine « sacripant » (1600), d’après le personnage du Roland amoureux de Boiardo (Orlando innamorato, lib. I, cap. 11 : « Che fa il re Sacripante in sul destriero » ; repris par Berni et par l’Arioste dans l’Orlando furioso), avant la désémantisation en « vaurien ».

Aux antipodes des jurons, le « Sacré-Cœur » (de Jésus) et le « sacré-collège » (des cardinaux) font exceptions à la règle qui veut que, placé avant le nom, « sacré »[14] se contente de renforcer pathétiquement son sens (injurieux : « sacré tricheur » ; admiratif : « sacré bonhomme » ; étonné : « sacré toupet ») et « sacro(-)saint »[15] (1491) s’appliquait anciennement aux tribuns de la plèbe romains rendus inviolables par un sacrifice.

Passons donc aux dérivés savants de « sacre » : « sacrement », « sacramental » et « sacramentalement », « sacramentel » et « sacramentellement », plus fréquent que le « sacramentaire »[16] aux faux airs de « sacraire » (1606, Nicot ; du latin « sacrarium » parfois importé tel quel en français[17]) et plus recommendable que les récents « sacrologie » et « sacrologue ». Le « sacramentage » (droit que paie celui qui prête « serment » ; du Cange sous « sacramentagium », mot du XIe s.) que Sainte-Palaye recense encore est oublié. « Sacrement » vient de « sacramentum », « offrande aux dieux pour garantir sa bonne foi et accompagnée d’un serment » . Or le doublet populaire de « sacrement », c’est-à-dire « serment »[18], a fait justement oublier « jusjurandum » dans son sens de « serment », qu’il a capté. De « serment » découlent « sermenter » / « sermenté » (XIIIe s.) / « assermentable » (1876) et par préfixation : « assermenter » (XIIe s.) / « assermenté » (adj. en 1356) / « assermentation » (XXe s.), « réassermenté » (XXe s.).

Je ne trouve en revanche aucune trace primaire[19] de cette « sermentaire » pour laquelle le Dictionnaire de l’Académie lui-même, de la 4e édition de 1762 à la 5e de 1798, renvoie à « ache de montagne » et « livèche ». Serait-ce une confusion pour « serpentaire », oiseau rapace diurne, falco serpentarius dont d’autres noms français sont d’ailleurs proches (« secrétaire »[20] et « sagittaire ») selon l’analogie « sermentaire » < « serment » et « serpentaire » < « serpent », ainsi que par parasitage du latin « sagmen », vieux terme de rituel (désignant une plante qui poussait sur le Capitole et que possédaient les féciaux lors de leurs ambassades en signe d’immunité), nom générique des plantes lustrales[21] désignant particulièrement la « sacra herba » – qui n’est autre que le calque de « ἱερὰ βοτάνη », qu’on trouve aussi transcrit en latin « hiera (botane) » (Verbena officinalis L.) ? Peut-être ; « sermentaire » a désigné un temps, plus justement, l’opposé du prêtre réfractaire, pour sa part « insermentaire » mais c’est le plus simple couple « sermenté » (Acad., 1798-1878) / « insermenté » qui l’emporta (divers autres essais infructueux : « inassermenté », « non sermenté »).

Le rôle mineur de l’adjectif par rapport au nom se constate particulièrement dans la situation faite en français par les catholiques à « sacramental » par rapport au nom « sacrement » : au nom le rite fondamental du christianisme, au sacramental les funérailles (non l’onction des malades), la bénédiction sur l’eau ou les récoltes, l’exorcisme ou la consécration d’église. Ce peut être pour se distinguer phonétiquement de « sacramentaire » que l’adjectif le plus fréquemment utilisé a été « sacramental », ensuite substantivé. Curieuse répartition en tous les cas entre le vocalisme « a » spécialisé dans l’adjectif (« sacramental » [1382] >> « sacramentalement » [1450], malgré Calvin, qui utilise ce dernier malgré l’ambiguïté phonétique majoritaire avec « mentalement ») et le vocalisme « e » spécialisé dans l’adverbe (« sacramentellement » [XVe s.] >> « sacramentel » [1327]) ; avant que le nom prenne la terminaison en « -al » (1904 ; alors que le latin ecclésiastique avait élaboré « sacramentalia » dès le XIIe s.), l’adjectif en « -al » perdait de sa vitalité (au cours du XVIIIe s.) au profit d’une résurgence de l’adjectif en « -el », « sacramentaire » entrant en désuétude. Dès lors que le nom en « -al » se propageait, devenait nécessaire de créer (cela fut fait au cours du XXe s.) « sacramentalité » pour que les « sacramentalistes » en définissent l’essence en élaborant leur « sacramentalisme » (à qui le trouvera monstrueux, objectons le « sacramentarianism » anglo-américain) à même de « sacramentaliser » ce qui mérite d’être « sacramentalisé ».

Il est temps de revenir au latin. L’espace délimité comme sacré par opposition au profane, le temple, « sacrum », a survécu sous la forme il est vrai moins grandiose de la « sacristie » (subst. fém., 1339 : il a vaincu au fil du temps aussi bien le latin médiéval « sacristania » que l’ancien français « sacristerie » mentionnée par Godefroy formé sur « sacriste » (XIIIe s.), emprunt direct au latin médiéval « sacrista »), ce local annexe d’une église où l’on garde les objets du culte et les ornements sacerdotaux ; qui a donné le bedeau ou suisse dit « sacristain »[22] (1375 ; « segretain » en 1190 avant relatinisation) ou « sacristie », subst. masc., du milieu du XIIIe s. à Huysmans, en 1898), son adjoint « sous-sacristain » (1680) aujourd’hui disparu, et la moniale (elle-même emprunt au XVIe s. du latin tardif « monialis » [VII], abréviation du bas latin « sanctimonialis virgo » [V]) chargée de la sacristie « sacrist(a)ine »[23]. Il était presque normal que l’on s’attaque de préférence à ce lieu anodin, sinon commun du moins utilitaire, pour détourner de la grande église et a fortiori du saint-sacrement la foudre des critiques : des jurons comme « sacristi ! » portent peu à conséquence. Le mot « sacristie » est donc devenu (1862) le symbole péjoratif de la religion catholique, avec le goupillon ou le pauvre bénitier (« punaise de sacristie » = « punaise de bénitier »).

Le latin médiéval avait depuis longtemps inventé « sacralis » et reconnu son utilité lorsque les grandes langues européennes osèrent se l’assimiler : l’anglais en 1882 comme « sacral », l’allemand au début du XXe siècle comme « sakral », le français en 1930 comme « sacral » sous la plume de Jacques Maritain. Logos propose un sens technique étonnant « devenu sacré » mais en réalité l’adjectif a été simplement créé pour pallier la substantivation de « sacré » créatrice d’ambiguïté dans l’interprétation du mot « sacré ». Aussi, pour doubler la famille de « sacré » mais au mépris de l’ordre chronologique des attestations, « sacral » a servi à former « sacraliser » (1899), « sacralisation » (1922, Larousse). La France devenant « terre de mission » entre les deux guerres, « désacralisation » y apparaît (1934) et « désacraliser » (1949), ce qui amène les « sacralistes » à repenser (c’est proprement le « sacralisme ») ce qu’est le sacré, à savoir la « sacralité » (Dictionnaire philosophique de Voltaire, 1764) – invention prouvant la quête incessante du sens, procédant par substantivation –, et à lutter contre la perte du sens du sacré : « resacraliser » et « resacralisation » participe de cette reconquête (de même que l’on avait observé les préfixations « désacrer » et « resacrer »).

N’est-ce pas faute de le faire, ce sacré, que le sens en est perdu ? « Sacra facere » : faire un sacrifice (ce qui oublie quelque peu le verbe latin sous-jacent, mais n’a-t-on pas dit « sacrifier un sacrifice » du XIIIe au XVIe s. ?), « sacrifier » (1119, année de naissance de « consacrer »), de longue date compris au figuré (1636), se spécialise : « ici vous trouverez des articles (à prix) sacrifiés » (cf. « il faudra faire quelque sacrifice »). Du coup, on crée « sacrificier » par relatinisation ! Le nom de l’action régnait en maître quasi absolu depuis 1119 (Godefroy relevait qu’on avait un temps essayé « sacrificement » ; le diminutif « sacrificule » fut essayé au XVIe s.) ; le nom de l’acteur et de sa fonction sont de même inchangés (« sacrificateur », 1500 ; « sacrificature », 1535) ; l’adjectif allait poser problème (outre « sacrifiable », sans histoire) : sera-ce « sacrificial » (1510), « sacrifical » (1581), « sacrificatoire » (1597 ; auj. vieilli), « sacrificiel » (1931) ? Les termes se remplacent plus ou moins les uns les autres au fil du temps.

La forme « sacrilège » a une double origine latine et correspond à deux sens si voisins qu’il est plus simple de n’y voir qu’un mot. De « sacrilegium » (lat. impér.) découle le sens de « profanation » (subst. masc., 1190, saint Bernard), de « sacrilegus » (lat. class.) découle le sens « qui a commis un sacrilège » (nom épicène en 1283, puis adjectif en 1529) ; c’est bien sûr cette dernière nature, adjectivale, qui explique l’adverbe « sacrilègement » (Nicot, 1606).

Curieusement donc, faire un acte sacré équivaut à abandonner (y compris à la destruction) réellement ou symboliquement (je ne sais pas ce qui est le pire !) une chose, un être offert à la divinité, ce qui est finalement à peine meilleur que le « vol d’objets sacrés » qu’était à l’origine, en latin, le « sacrilegium », de « sacri-lego », non le « lēgo » signifiant « envoyer en ambassade », mais le « lĕgo » signifiant bonnement « cueillir » ; le sacrilège, c’est même le fait de ramasser par inadvertance ou ignorance un objet sacré sur son passage. A fortiori est sacrilège le vol prémédité et celui effectué dans un temple. Pourquoi ramasser est-il fautif ? Parce que l’objet sacré est tabou : qui porte la main sur lui franchit l’espace sacré, la barrière invisible qui sépare le profane du sacré, définie par le « sacerdos ».

Le « sacerdos » latin est habituellement traduit par « prêtre » ; de fait, il ne « pose » pas (comme on le croyait naguère) mais « donne » le sacré, en rendant sacré quelque chose ou quelqu’un qui ne l’était pas. Le « sacerdoce » français (XVe s., dont il est curieux qu’il soit homéotéleute pour l’oreille de son étymon latin) désigne lui « l’état, la fonction du ministre de Dieu » mais sans définir précisément cette fonction ; le sacré qu’il donne est comme simple, alors que le sacro-saint, le « sacré-et-saint » ou plutôt « (rendu) saint par le sacré » (« sacrosanctus »), est deux fois saint ; c’est le « saint des saints » qui nécessite à la fois toute une tradition « sacerdotale » (1325) et une présence spécifique de la divinité. Mais la crise du sacerdoce n’est pas sans affecter aussi le lexique, d’où pléthore de composés : « sacerdotalement », « sacerdotalité » pour essayer de redéfinir le sacerdoce, « sacerdotalisation » et « resacerdotalisation » pour essayer de parer à la crise des vocations.

 

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Revenons sur notre exclusion de l’infixe nasal. « Saint » et « sanctifier » jouent le rôle de quasi-synonymes de « sacré » et « consacrer ». Cette synonymie partielle permet de mieux définir les notions de « sacré » et de « saint » distinguées formellement dès le latin (cf. « sacrarium, sanctuarium » et « sacrificare, sanctificare ») : le « saint » est devenu du fait du christianisme une notion spécifiquement chrétienne, dont le contraire est le pécheur, le damné. Au damné est promise la « sanction » par retournement de sens, au saint la sanctification. Ou plutôt : la sanction est une sanctification qui tourne mal et la sanctification une sanction qui tourne bien. Le « saint » (« sanctus », participe passé passif de « sancio ») résulte bien d’un acte alors que « sacré » dit un état comme « sacer », ou le résultat d’une action de pure reconnaissance (consécration) comme « sacratus », participe passé passif de « sacro ». Selon l’étymologie voulue par Pokorny (« heiligen, einen Vertrag machen »), ce trait chrétien retourne aux origines indoeuropéennes : « sak- » exprime l’établissement d’un contrat, rempli ou non par l’homme, de même que le saint est pris par Dieu mais ôté à l’homme et que le sacré est touché par Dieu mais intouchable[24].

Une même difficulté entoure le passage du sacré au sacre qui jure. Comme les dites sciences religieuses[25] ne sont pas une science, leurs mots se multiplient dans un certain désordre ; nous avons cité quelque 150 mots, d’autres nous manquent et d’autres encore seront bientôt créés. La famille de « sacré » est bien vivante, même si certains termes du latin chrétien (le spécialiste de chant sacré « sacricantor », le marguiller « sacriscriniarius », le reliquaire « sacellus ») ne sont toujours pas repris par le français, qui a développé pour sa part à l’extrême la famille de « sacerdoce » et celle de « consécration », alors que l’anglais, par exemple, a creusé « sacrilege » en « sacrilegist », « sacrilegious », « sacrilegiousness », hésité à partir de « sacrosanct » entre « sacrosanctity » et « sacrosanctness » et opposé « consecration » à « desecration ». Qui néologise en matière de sacré semble en oublier l’essentiel ; mais rien ne nous dit que l’essentiel est forcément simple. Le sens de la racine indoeuropéenne, que les uns et les autres veulent déterminer à tout coup, je ne vois pas pourquoi il serait moins complexe qu’aujourd’hui. On hypostasierait l’Un à y réduire le sacré. Aussi faut-il passer à d’autres disciplines que la lexicologie pour sacrer non l’Un dans le langage mais ce qui dépasse le langage.

 



[1] L’adjectif italique « sakri- » a donné pour sa part le vieux latin « sacrēs ».

[2] Cf. sanskrit « yájati » (« honorer par prière et sacrifice »).

[3] Famille bien plus modeste que celle de « sacré », qui a donné lieu à de nombreuses réfections en « sanct- », d’après le latin ecclésiastique, de mots ayant adopté la base « saint- » (ex. « sanctificator » > « saintefieur » au XIIIe s. avant réfection en « sanctificateur » au XVIe s. renaissant), de sorte que trois bases la caractérisent : « saint » (p. ex. « sainteté ») / sant- (lat. « sanctus » > prov. « sant » > dimin. prov. « santoun » > fr. « santon ») / sanct- (« sanction »).

[4] Complexité qui n’apparaît, dans cette famille de mots, que dans le groupe italique mais dont le lituanien « jug » / « jungiu » donne l’exemple.

[5] Les toponymes tirés de « sacré » sont rares ; « Surcamps » (Somme) vient ainsi de « sacrum campum » (« champ sacré ») et devait désigner un cimetière (Ernest Nègre, Toponymie générale de la France, Droz, 1990, t. I, p. 404). Au contraire, de nombreux patronymes existent ont part au sacré : « Sacre » et « Sacré » (« Sacret », « Sacrez », « Sacray », « Sacrat », « Sacrati », arabe « Sak(e)r » du nom du faucon), « Sacrement » (« Sacramento », « Sacram »), « Sacripante » (italien, parfois au pluriel : « Sacripanti »). La fonction de sacristain surtout a inspiré de nombreux noms : « Sacreste », « Sacriste », « Sacrista » (catalan), « Sacristan » (occitan), « Segrétier », « Segrétin », « Secrét(a)in », « Siegrist » (alsacien, du vieux-haut-allemand « sigristo », du lat. « sacrista »)… Restent de rares patronymes difficiles à expliquer : « Sacratal » (toponyme du Tyrol), « Sacrepaye », « Sacrispeyre » (Aveyron), « Sacrelaire » (Champagne), « Sacramanant ».

[6] Selon mes sources, 1363 (s. n.) ou 1478 (Chauliac) ou encore 1560 (Paré) en français ; abrégé en 1793 seulement. Comment savoir qu’« os sacrum », à la fois « os » et « sacrum » sont du français et non du latin ? Dès 1575 (Paré), l’adjectif « sacré » de formation typiquement française (« canal sacré », « trou sacré », « crête sacrée ») montre que le nom était déjà francisé. Il faut se fier autrement aux déclarations métalinguistiques des locuteurs.

[7] 1298, Le Livre de Marco Polo. Le nom spécifique du sacre mâle, « sacret », date de 1373 ; alors que « sacre », qui en termes de fauconnerie « ne se dit que de la femelle » (Acad., 1935) est de genre masculin. « Sacrellet » reste hapax (XIIIe s.). Il est pourtant juste que le diminutif désigne le mâle : chez les sacres, le mâle est plus petit d’un tiers que la femelle.

[8] Gougenheim y voit l’influence de « sac » au sens de pillage ; cf. les jurons « sac à papier / à malice ».

[9] Cf. l’expression « un rapace ». Gougenheim veut rattacher ce sens à la famille de « sac », au sens de « pillage » (« Sacre, sacré, sacripant », Bulletin de la société de linguistique de Paris, t. LIV, n° 1, 1959, p. V-VI).

[10] Persan « shakrah » (« faucon »), bengali « sokun » (« vautour »), vieux-slave « соколъ » (« grand oiseau »), irlandais « seigh » (« faucon »)…

[11] Pourtant, « sacer » est absent de Filipo Capponi, Ornithologia latina, Gênes, Istituto di Filologia classica e medievale, 1979 (qui en reste à l’équivalence « accipiter = ἱέραξ = falco »).

[12] Lire Gilles Charest, Le Livre des sacres et blasphèmes québécois, Montréal, L’Aurore, 1974 et surtout : André Bougaïeff et Clément Légaré, L’Empire du sacre québécois : étude sémiolinguistique d’un intensif populaire, Sillery, Presses de l’Univ. du Québec, 1984.

[13] Charles Toubin, Dictionnaire étymologique et explicatif de la langue française et spécialement du langage populaire, Leroux, 1886.

[14] Forme superlative rare : « sacrissime » inventé par Céline. La troncature « cré » est renforcé en québécois par nombre de sacres déguisés : « cré bateau » (de « baptême »), « cré boire » (de « ciboire »), « cré tac » (de « tabernacle »)…

[15] « Sacersanctus » se trouve chez Tertullien, au lieu de l’ablatif attendu « sacro ». de fait, est « sacro-saint » ce qui est « à la fois saint et sacré ». « Sacrosanctitas » a été adapté au français en « sacro(-)sainteté ».

[16] Qui a deux sens comme nom : recueil de prières de la messe et du rituel des sacrements destiné aux prêtres ; nom de ceux qui au XVIe s. niaient la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie (1535), constituant le « sacramentarisme ». Se trouve aussi comme adjectif (1660).

[17] Autre latinisme remarquable : « être in sacris de quelqu’un », c’est-à-dire être de la même religion que lui ; cf. un « sanctus », prière de l’ordinaire de la messe (Isaïe, VI-3).

[18] Son histoire orthographique en est bien tracée : « sagrament » (842), « sairement » (IXe s.), « serement » (1120), , « serment » (1444) pendant la réfection elle-même soumise à évolution phonétique : « saccrament » (980), « sacrement » (1160).

[19] Partant notamment des dictionnaires spécialisés antérieurs, dont le Dictionnaire botanique et pharmaceutique contenant les principales propriétés des minéraux, des végétaux et des animaux de dom Nicolas Alexandre (qui donne pourtant « ache d’eau » et « de montagne », « berle », « céleri », « levêche » et « livèche », « persil »…).

[20] Le latin « secretarius » et l’ancien français « secrestain » (1145) ont d’ailleurs été au Moyen-Âge évincés par « sacristanus » et l’ancien français « sacrestain » (1375 ; bientôt relatinisé en « sacristain », en 1552) pour désigner celui qui garde le trésor de l’église.

[21] Jacques André, Les Noms de plantes dans la Rome antique, Les Belles-Lettres, 1985, p. 223. Cf. « hieri bulbum / hieros bulbus » (litt. « l’oignon sacré », du grec « ἱερός βολϐός »), « hieranthemis » emprunté au grec « ἱέρανθεμίς » (Matricaria chamomilla L.) et enfin « hieracion », emprunté au grec « ἱεράκιον » – chicoracée indéterminée, dite « herbe des faucons » parce que les oiseaux s’éclairciraient la vue avec son suc (Pline, Naturalis historia, lib. XX, § XXVI, 60 ; l’épervier est l’oiseau d’Horus-Hélios-Apollon ; Élien, De historia animalium, lib. X, 14). – Il y aurait une belle étude (complémentaire de la nôtre) à faire sur les mots français exprimant le sacré et d’origine grecque, en « hiér(o)- »…

[22] Le nom de « sacristain » a été donné par la suite à un petit gâteau de pâte feuilletée aux amandes grillées (1962). Sa forme de rouleau a pu rappeler le linge plié que portent souvent les sacristains (cf. la « religieuse »).

[23] « Sacristaine » est comme de juste la première attestée, en 1636 ; « sacristine » apparaît en 1671.

[24] Benvéniste parle d’une notion « à double face » (Le Vocabulaire des institutions indoeuropéennes, t. II : « Pouvoir, droit, religion », éditions de Minuit, 1969) : « sacer » désignant un état, « sanctus » résultant d’une opération, de même que le grec distingue « ἱερός » (signe d’une intervention divine) et « ἅγιος » (défendu contre toute violation).

[25] « Sacré » s’oppose à « profane », mais tous deux s’opposant au « religieux ».