La Création du Verbe et la création verbale chez Péguy
Romain Vaissermann, élève de l’École normale
supérieure
L’on trouve parfois cités des écrivains célèbres qui se sont plu à créer beaucoup de néologismes ; ce sont toujours les noms de Rabelais, de Ronsard, de Hugo, des Goncourt, de Céline, de Michaux qui reviennent. Jamais Péguy. Or les relevés lexicométriques portant sur l’œuvre complète de Péguy montrent clairement que ce dernier néologise, à sa façon certes, mais au moins autant que les Goncourt et bien plus que Hugo ou Ronsard. Est-ce dû au faut que jamais Péguy n’écrivit de manifeste littéraire, d’art poétique ? Sa néologie a pu passer inaperçue. Mieux : les quelques passages où Péguy traite du problème des néologismes expriment, dans leur grande majorité, une sévère critique de l’invention lexicale. Le hiatus manifeste qui sépare ces déclarations théoriques antinéologiques et la pratique d’écriture de Péguy explique aussi que l’on oublie son inventivité lexicale : tout se passe comme si, pour ce qui concerne le lexique, les critiques s’étaient laissés convaincre par l’image d’écrivain classique que Péguy voulait donner de lui-même. On méconnaît la création lexicale péguyenne, alors qu’elle est colossale en quantité et riche qualitativement.
Des néologismes
péguyens, nous pourrions dégager diverses fonctions stylistiques :
comique, polémique, sans compter qu’ils constituent souvent un moyen spécifique
de dire la réalité, dans une optique bergsonienne. Mais pour l’heure nous
intéresse seulement un certain enjeu de la néologie péguyenne, surprenant à
première vue : Péguy attribue une valeur théologique à la création
lexicale. Entendons-nous bien : parmi ses néologismes, certains expriment
des concepts religieux ; ce n’est point là notre sujet. Quelle est la
valeur théologique des néologismes péguyens en général ? Le rapprochement
de termes de notre titre propose déjà une thèse : la signification
théologique de la néologie péguyenne dépend surtout du rapport que Péguy
établit entre le spirituel et le littéraire. A priori, rien qu’à prêter attention à la typographie, les deux
expressions sont différentes : l’une s’écrit avec majuscules et montre par
là sa trancendance, l’autre semble n’être qu’une métaphore. Justifions donc
d’abord notre rapprochement en montrant qu’il n’est pas « forcé »,
parce que les deux termes sont proches. Mais il n’y a qu’un pas de la proximité
à la comparaison ; et comment comparer sans mettre peu ou prou sur un pied
d’égalité ? Nous devrons essayer d’analyser « la Création du Verbe et
la création verbale chez Péguy » sous l’aspect de la concurrence. Il
faudra alors prendre un parti entre deux positions : le néologue
ressemble-t-il au Créateur en tant qu’il lui fait concurrence ? ou bien en
tant qu’il lui reste inférieur ?
Portrait de l’écrivain en démiurge à travers Victor-Marie,
comte Hugo
Péguy entreprend
de pénétrer quelques secrets de l’œuvre et de la personnalité d’Hugo (à propos
de « Booz endormi », dans La Légende des siècles) :
Comme il n’avait
aucun sentiment chrétien, lui la contre partie il n’avait point de contre
partie. Aussi l’orgueil païen, l’orgueil d’une domination victorieuse
coulait-il ce jour là dans un lit de plénitude, dans un lit d’aisance, dans un
lit de facilité. Qu’il ait senti ce jour là qu’il balançait tout un monde, lui
Hugo, (il n’était pas si bête, quand il s’agissait de sa carrière, de ses
réussites, de son talent, de sa gloire, et surtout quand il y allait de son
génie), que ce jour là était pour lui un jour d’élection certainement unique,
qu’il s’était produit ce jour là, ce jour unique, pour lui Hugo, à l’avantage
de lui Hugo, (on ne sait pas pourquoi, mais c’est toujours ainsi), on ne sait
quelle contamination entre le royaume du génie et le royaume de la grâce, on ne
sait quel écoulement, quel épanchement (charnel spirituel), quelle dérivation,
quel déversement du royaume de la grâce dans le royaume du génie ; qu’il
s’était passé ce jour là dans sa tête quelque chose d’extraordinaire ;
[...] je n’en veux pour signature que ce Jérimadeth
même, cette blague énorme, cette insolence admirable ; cette signification
faite à tous, présents et à venir,
que cette fois il était entré dans la plénitude et dans les droits de la
création. Jusqu’à ce qu’on m’ait montré Jérimadeth
sur une carte dans un atlas authentique de la Terre sainte, je vois dans la
forgerie de ce nom une de ces insolences, une de ces significations, une de ces
audaces qui dépassent tout. [...] Marquons, signifions notre volonté
souveraine. Nous ne sommes pas seulement les maîtres de cette heure. Nous
sommes les maîtres de ce mot. Jouissons en plein, donnons en plein de cette
fortune qu’aujourd’hui nous avons. Ne nous laissons pas faire par la
géographie, qui n’a pas les noms qu’on veut. Aujourd’hui nous commandons, nous
dominons, (puisque nous produisons), la réalité même. [...] Puisque ça y était,
dans cet inespéré coup de fortune, si longtemps espéré, si longtemps attendu,
(si âprement peut-être, si anxieusement dans le secret du cœur, du cœur païen,
du cœur charnel, du cœur ambitieux), puisque cette fois enfin on ne manquait
pas eh bien on en prendrait, pour toutes les autres fois, pour toute la vie, et
on ferait voir au monde, par le ministère de ce Jérimadeth, par la plus grande licence qu’un poète se soit jamais
donnée, par cette souveraine, par cette inouïe insolence, par la signification,
par la déclaration, par la proclamation de ce Jérimadeth on ferait savoir au monde qu’aujourd’hui en effet on
s’en payerait et que l’on dominait, que l’on tenait le monde. Qu’on en
prendrait et qu’on s’en donnerait.[1]
Hugo est, au positif, unique (voir l’expression récurrente : « lui Hugo » et les possessifs) ; de façon complémentaire, il est différent de tous les autres (« tous, présents et à venir »). Pourtant cette singularité ne concerne guère que le poète (malgré la première parenthèse, qui évacue en quelque sorte la personnalité) : Hugo, de vrai, constitue aux yeux de Péguy le poète par excellence. En un sens il représente donc tous les poètes dans ce texte. Mais l’intrusion du je, pour brusque qu’elle se fasse, n’en dénote pas moins la participation de Péguy à son interprétation : « le lisant et le lu » collaborent plus que jamais. Ce texte pratique une critique interactive. La symbiose se fait progressive : d’abord apparaît Hugo, désigné à la troisième personne ; ensuite vient l’indéfini « on », dans une incidente (« on ne sait pas pourquoi ») avant d’être figé dans une locution indéfinie (« on ne sait quel ») ; arrive sur ce la première personne, du singulier (« je n’en veux pour signature [...] ») puis du pluriel (indiquée par l’impératif : « marquons » avant le pronom correspondant : « Nous ne sommes pas seulement [...] ») ; enfin réapparaît l’indéfini « on ». Les instances de l’énonciation sont en va-et-vient dans le texte. Péguy développe ici sa critique personnelle, voire personnaliste, qui l’engage en même temps qu’elle donne voix à l’autre. Cela signifie que l’exemple de Hugo concerne tout écrivain. La littérature ressemble en effet à une « coopérative de production » ; car Péguy indique entre des parenthèses, par inversion de la valeur habituelle qui leur est conférée, le fond de sa pensée : l’auteur est producteur. La causale « puisque nous produisons » suppose une telle définition comme connue ; le « nous » est bien pluriel (cf. « nous sommes les maîtres »), même si ces mots peuvent s’entendre comme la confession d’une ambition de l’auteur. Hugo, tout poète et Péguy sont sujets de ce passage. De quoi s’agit-il maintenant ?
D’un calembour
hugolien qui joue sur un allographe exact : « Jérimadeth » =
« j’ai rime à -dait » Le
mot est poétique : forgé pour la rime ; mais il se moque en
l’occurrence de la contrainte de la rime. Le mot est un nom propre :
pseudo-hébreu et transcrit en français, il désigne une localité de Terre
sainte ; mais il peut s’entendre comme phrastique. Bref, ce mot est un
néologisme riche. Quel rapport s’instaure entre le poète par excellence et le
mot qui est sien et néologique par excellence ? La jouissance[2], d’après l’aveu indirect de Péguy. Un
« demi-silence » continue de régner sur le rôle de défoulement sexuel
de l’écriture chez Péguy et de son invention lexicale en particulier[3] ; Péguy pourtant se confie lui-même à son
lecteur. D’où vient cette jubilation ? De l’assouvissement d’une volonté
(« volonté souveraine » lit-on, puis « les mots qu’on
veut »), qui est volonté de puissance (le nom « maîtres », les
verbes « commander » et « dominer »).
À ce point
s’ajoute l’hubris définie comme
l’homme qui défie Dieu en prétendant juger de tout comme s’il était lui-même
Dieu. L’hubris se lit d’abord dans le
sentiment d’orgueil, premier des sept péchés capitaux en tant que refus
fondamental de reconnaître ses limites et ce que l’on doit à Dieu et aux
autres. Or Péguy prouve sans difficulté que Hugo a « senti ce jour là
qu’il balançait tout un monde ». Hugo montre ensuite son
indépendance : « il n’avait point de contre partie ». D’où sa
victoire sur Dieu : une « domination victorieuse » le comble.
Hugo représente aussi, en tant que contre partie, l’ordre païen. Il décide du
monde (tout, « tout un monde » et tous, « présents et à
venir », s’y trouvent inclus) ; il saisit une occasion (ὁ καιρός, l’heure présente, et chaque instant du futur à l’infini –
l’intemporalité de l’œuvre valant « pour toutes les autres
fois ») ; il est supérieur à la réalité, géographique terrestre (il
conteste d’un bloc la géographie des géographes) et locale (il s’agit de la
Terre sainte, d’où l’audace impie). Ce monde païen est plénitude[4] puisqu’il se suffit à lui-même, gonflé de vanité
dans sa conscience (« il n’était pas si bête ») satisfaite (bien
différente du « il vit que cela était bon ») comme l’homme sans
Dieu : sa plénitude est surtout une solitude. Hugo impose sa puissance aux
choses[5] : son pouvoir s’étend aux choses données et
à l’avenir. Ce pouvoir enfin passe par la parole[6] avec une évidente facilité donnée à sentir dans l’image de
l’inspiration qui « coule » dans un « lit » d’«aisance».
Reste à définir la contamination qui se produit et permet a priori ou vient justifier l’orgueil païen : le terme figuré
de « royaume » tente de traduire ce mystère. Les mots de Péguy pour
le dire relèvent du vocabulaire de l’hydraulique et de la médecine
principalement : « contamination » (religieuse[7], médicale), « écoulement » (hydraulique
et médical), « épanchement » (médical, physique ou psychologique),
« dérivation » (hydraulique, médicale, linguistique),
« déversement » (hydraulique, physique). Bref, un mystère entoure
cette jonction païenne-chrétienne ; le champ lexical de la chance, à la
fois attendue dans le secret et inespérée (non formulée comme telle, par
superstition), vient suppléer l’explication. Le registre païen des mots de
« réussite » et « fortune » – felicitas et fortuna – ne
fait aucun doute : tous deux appartiennent aux catégories de pensée de
l’Antiquité romaine classique. Subsiste pourtant un doute ultime : le
païen est-il promu par la grâce, alors même qu’il fait semblant d’être seul au
monde ? ou bien est-il promu par hasard, se promeut-il lui-même à la place
de Dieu, étant réellement autonome ?
Pour répondre à
cette question, il faut analyser maintenant la néologie de la « contre
partie ». Pour voir quelle influence a pu se produire, il faut encore
savoir ce qu’était ce qui aurait produit une influence.
Portrait du Christ en néologue d’après le Mystère
de la charité de Jeanne d’Arc
Madame Gervaise
s’adresse à Jeanne :
Il
[Simon] reçut son nom des mains mêmes de Jésus-Christ. Ce fut un beau baptême
de nom, mon enfant. Jésus-Christ fut son parrain et sa marraine. Cet homme,
dont vous parlez si légèrement, ce chrétien, ce saint, primus, le premier de tous, il n’eut pas seulement ce que nous
n’avons pas : le baptême du sang. Il eut aussi, par un surcroît, le
baptême du nom. Ce fut Jésus-Christ qui lui donna son nom. Quel nom. Son nom
éternel pour l’éternité de l’Église. Il reçut son nom, son nouveau nom, son
vrai nom, son seul nom, des propres mains, des mains mêmes de Jésus.
Le
premier pontife. Le Premier Romain.
Le
détenteur des Clefs. Le premier évêque de Rome.
Son
nom inventé ; son nom nouveau ; son nom créé.
[.............................................................................]
Tu es petrus, lui seul reçut son nom ainsi,
directement, des propres mains de Dieu depuis Jésus. Et Jésus le tutoyait.[8]
Partons de
l’expression « des mains de quelqu’un ». La langue correcte continue
de réserver l’emploi de ce complément de manière à une action manuelle. Or dans
le texte des Évangiles cité, il n’est nullement dit que Jésus fasse un
geste. Péguy imagine donc une mise en scène du discours néotestamentaire.
S’agit-il d’une imposition des mains, de l’élévation des bras ? Peut-être,
à moins que « Tu es Petrus »
s’accompagne d’un don de la main à la main. La scène des Évangiles ressemble
à un baptême ; comme si se correspondaient celui de Jésus par Jean le
Baptiste, celui de Pierre par Jésus puis celui de tous les chrétiens par leurs
prêtres. Elle en est véritablement un chez Péguy, même si la théologie ne parle
jamais de « baptême de/du nom »[9]. Péguy renverse en quelque sorte l’expression de
« nom de baptême », alors que techniquement il ne s’agit pas du
sacrement qui lave du péché originel et fait chrétienne une personne. De plus,
il n’y pas eu l’«immersion» qu’est le baptême, originellement. Cependant Péguy
emploie des verbes qui se disent du baptême, tels « donner » et
« recevoir ». Jésus apparaît comme un néologue dans le baptême (que
l’on pense également au nom de religion) : Dieu donne un nom nouveau à
Pierre comme aux Chrétiens. Cette nouveauté se dit par la parole dans l’Évangile
mais ici elle s’exprime par les mains. Le mot revient avec insistance :
« des propres mains, des mains mêmes ». Ce trait rapproche le
néologue divin de l’écrivain, paradoxalement : alors que le baptême semble
oral avant tout, même si l’acte de baptême certifie le nom nouveau. Le contact
manuel médiatise l’invention du nom. Qui se rencontre dans ce main à
main ? Jésus en personne, aux deux sens : Jésus le personnage
historique de chair et d’os, Jésus personne de la Trinité. Le tour est osé qui
encourt le reproche d’anthropomorphisme : « des propres mains de Dieu
depuis Jésus » – voilà abordée la difficile question dogmatique des
relations du Père avec le Fils. Or c’est vraiment la notion de Verbe divin qui
permet de dénouer la complexité des rapports du Père avec le Fils et qui
éclaire la dernière formulation de Péguy.
Comment analyser
linguistiquement la création dans la phrase : « Tu es Petrus et super hanc petram [...] » ? L’homme
s’appelait Simon. « Pierre » n’a rien de commun avec l’ancien
nom ; de plus, il n’existait même pas de prénom romain tel que
« Petrus ». Le mot est donc néologique stricto sensu et par néologie de forme. C’est de plus un nom
propre, même s’il est formé à partir d’un nom commun. C’est précisément une
création formelle « prænominale »[10]. Allons plus loin : l’étymon du néologisme
est explicite. Néologies formelle et sémantique se trouvent liées : κηφᾶς en araméen équivaut à πέτρος / Petrus
qui vient de πέτρα / petra
(« la pierre »). Le même être prend un nouveau nom et la même forme
acquiert un sens nouveau. La forgerie s’explicite a posteriori par le déictique et anaphorique « hanc » qui montre que le nom propre
est pris au figuré, au sens du nom commun. Péguy nous invite à la précision
encore : la phrase nominale « Quel nom. » commence par un
adjectif interrogatif mais finit sur un point seulement – ce qui laisse au
lecteur le choix entre deux lectures possibles de la phrase, comme
interrogation ou comme exclamation.
Comment en tous
les cas ce nom est-il qualifié par madame Gervaise, alias Péguy (dans la double énonciation de ce passage) ? Le
nom créé possède les caractères de l’éternité et de la nouveauté, selon le plan
où l’on se place : sub specie
æternitatis ou bien du point de vue chronologique – historique et
biographique. Les deux aspects sont conjoints si l’on songe qu’inscrit dans
l’Histoire (nouveau) ce nom ne doit plus cesser de s’appliquer (éternel) à
l’homme. Le nom est donc immortel, à l’image de l’Église fondée pour les
siècles. Le nom est aussi personnel, cela se voit dans le possessif
« son » répété, dans la familiarité avec Jésus (« parrain et
marraine »), dans la relation directe entre Jésus et Pierre – d’homme à
homme, et par le tutoiement – dans la citation et comme argument subsidiaire.
Mais le Verbe crée-t-il des néologismes pour tout baptême ? Car la
personne de Pierre et le chrétien diffèrent sur nombre de points ; Pierre
est :
– chrétien, premier en date et unique
puisque « lui seul » a entendu l’appel de ce baptême
(« premièreté » et primauté, premier et Premier, primus)
– saint, martyr par le baptême du sang
– évêque « romain » en tant
qu’habitant de Rome : « Romain »
– pape, « pontife » ;
« détenteur des Clefs » désignant plutôt le pape que seulement un
évêque, à qui les Clefs sont confiées comme à tout prêtre.
En réalité,
chaque baptême tient autant du faire que du dire : « donner » et
« recevoir » s’entendent en un sens concret. Le Verbe fait-il don,
« par surcroît » ? Non ; dans un autre ordre, Pierre est
« son seul nom » ; « Simon » devient caduc comme
prénom temporel et passé, malgré l’expression courante de
« Simon-Pierre ». Le néologisme fonctionne comme une découverte du
vrai nom. Le Christ va au rebours de l’idée de facticité et de fiction qu’il y
a dans le mot forgé : son néologisme est vrai, alors que le mot ancien
« Simon » renfermait moins de réalité. Enfin il apparaît que le
Christ néologise au sens exact du terme si l’on examine les trois synonymes
qu’utilise Péguy ; leur apposition[11] ne fait pas office d’insistance par redondance
mais explicite la similitude entre la parole de Dieu et un néologisme :
l’invention (qui rappelle la notion rhétorique), la nouveauté
(philosophiquement distincte du récent), la création théologique et littéraire.
On a très peu
souligné l’arrière-plan théologique dans la réflexion de Péguy sur le langage
après son retour à la foi[12]. Péguy est donc conscient que la littérature
communique de facto avec le
divin ; particulièrement par la fonction du néologisme. Mais cette
communication, si elle naît d’une ressemblance entre un artiste, qui agit en
maître des choses au travers des mots, et le Christ, qui nomme un homme d’un
seul mot, ressemble aussi à une compétition : puisque Péguy parlait de
l’orgueil païen et de son insolence (certes « admirable »), ne
peut-on pas considérer cet « écoulement », cette
« dérivation » comme un abus et détournement ? En réalité,
l’affrontement concerne moins le génie et la grâce que le niveau plus humble de
la littérature talentueuse. Celle-ci est près de mal tourner, de se retourner
contre Dieu – d’où notre terme de « pessimisme ». La communication ne
peut-elle se lire sous un jour sombre ? Non que Péguy déprécie toute
création artistique par référence à la néologie baptismale – auquel cas il
aurait cessé d’écrire ; mais Péguy a tendance à juger vaines les
entreprises littéraires autres que géniales, d’où l’usage encore du mot
« pessimisme ».
II. – Une concurrence ?
Qu’il y a un « pessimisme poétique »
péguyen. Exemple de Brunetière
Le sujet de ce
troisième texte est d’abord Brunetière, choisi comme symbole du talent et
critiqué par Péguy d’un point de vue onto-théologique Brunetière avait pour son
malheur émis, seulement en passant, l’hypothèse d’un autre Balzac que le vrai.
[...]
la création, et même avec un grand C
la Création, car en ce sens elle est unique, est assez infinie, participe assez
de l’infinité de son Créateur pour que nous n’allions pas nous amuser et perdre
notre temps, perdre notre vie, et, qui sait, nous perdre, nous-même, à
imaginer, à feindre, à faire, à forger, à fabriquer des mondes, d’autres
mondes, des mondes tout factices et tout imaginaires.
Et
même à les créer. Car il faut dire le
mot. [...] Il y a même là, pour un chrétien, une usurpation singulière, singulièrement
impertinente, une usurpation sans doute criminelle sur les droits, éminents,
antérieurs, éternels, du Créateur, sur son privilège le plus essentiel et pour
ainsi dire sur son privilège de définition, une usurpation opératoire propre
sur le Créateur fonctionnant, comme tel, sur le Créateur usurpé, pour ainsi
dire, dans l’exercice, normal, de ses fonctions, métaphysiquement naturelles.
[...] [Ayant parlé d’incommunication de la métaphysique religieuse à la
physique,] nous avons au moins reconnu qu’elle était compatible et comme
familière avec le talent, et qu’elle était rigoureusement incompatible au
contraire avec le génie.[13]
De même qu’il
s’engageait dans son commentaire de Hugo, de même Péguy fait-il ici irruption
dans le discours. Le « nous-même » au singulier correspond bien au
« nous » d’auteur mais combien alambiquée se fait cette tournure (en
C 606) : « [...] pour parler un langage que M. Brunetière ne
peut pas ne pas parler [...] » et que seul Péguy en l’occurrence utilise !
N’y a-t-il pas précaution oratoire dans cette position voulue neutre, dans ce
désir de combattre l’adversaire dans son propre jeu ? La notion de
création est au centre de l’attention – les mots de la famille de
« créer », récurrents, souvent marqués typographiquement (le nom et
le verbe en italiques) sont l’objet de réflexions métalinguistiques, qui
constituent autant de précautions d’emploi et fonctionnent semblablement :
renchérissement pour préciser (« et même ») puis justifications
(« car »). L’exactitude technique (« en ce sens »,
« il faut dire le mot ») se veut un combat d’honneur, sur un même
terrain : la théologie ; et à armes égales : avec les mots de la
théologie. Est-il question de néologie ? Les termes sont éloquents :
« imaginer » (d’où « imaginaire » ; cf. C 599),
« feindre » (cf. C 198), « faire » (d’où
« factice » ; cf. B 891), « forger » (le terme le plus
adéquat à la terminologie linguistique du « mot forgé » à la Belle
Époque ; cf. C 238), « fabriquer » (cf. C 53). Tous ces mots ou
leurs dérivés, sous la plume de Péguy, viennent de façon récurrente désigner la
création lexicale, avec diverses connotations. On touche à l’idiolecte. Il
s’agit donc de la création parallèle du monde à travers la parole (aspect
explicite) et des mots à travers le monde (création cachée). Nous retrouvons
ici le caractère indirect des réflexions théoriques de Péguy sur son écriture.
La Création,
infinie et unique, se traduit dans le vocabulaire païen par « le
monde » ; et « d’autres mondes », indéfinis et singuliers,
l’usurpent en se faisant passer pour des créations, en usurpant aussi le
vocabulaire chrétien. Car Dieu est Créateur selon son droit éternel (toujours
antérieur), selon sa définition essentielle (ontologique) et dans sa fonction
« opératoire »[14] (métaphysique et naturelle – de la Nature). Créer
en concurrence avec Lui relèverait dès lors soit de l’amusement enfantin,
puéril (au niveau du calembour d’un Jérimadeth,
mais on ne joue pas avec les mots ; cf. C 158), soit d’une motivation plus
sombre. Le premier verbe de la consécutive de la première phrase dit en réalité
le terme auquel aboutit la conclusion de proche en proche : l’ordre n’est
pas logique. Quittons l’ordre du texte pour rétablir ce qui semble le
cheminement de la pensée de Péguy : créer des mots, c’est...
– « perdre son temps », expression banale (on dirait aussi bien : « c’est peine perdue »)
– « perdre sa vie », une
extension de la première expression, dont le ton change radicalement pour
devenir sérieux, grave (créer des mots au lieu de vivre ; créer des mots et
mourir).
Mais l’incidente « qui sait », apparemment anodine, introduit le point de vue omniscient sous couvert d’interrogation : « Dieu seul le sait ». D’autres torts sont désormais imputables à la création verbale en tant que :
– impertinence relevant de la
psychologie de l’auteur (Péguy considère souvent que la néologie lance ses mots
à la face de l’autre)
– usurpation, terme de droit (dans notre extrait, le nom et son verbe sont récurrents ; les deux adjectifs « impertinente » et « criminelle » indiquent le basculement de la notion, de la psychologie au domaine juridique)
– crime, mot qui nous fait hésiter
entre le sens latin de crimen
(« grief ») et le sens courant de « meurtre » (le
néologisme tuerait le père ; Dieu serait mort, mourrait de nos mots)
– enfin péché ; car « se
perdre » réfère à des catégories de pensée judéo-chrétiennes.
Péguy relativise ce qu’il dit de Brunetière en réduisant cet écrivain au type du talent : relativisation doublée d’une généralisation. Brunetière va à l’encontre de la physique du monde réel en supposant un Balzac tel qu’il serait « si Balzac au lieu de naître à Tours, fût né par exemple à Castelnaudary, et qu’au lieu de faire son droit, il eût étudié la médecine » (C 603 ; cf. A 1104-5 même opposition aux hypothèses oratoires irréelles). Où l’on voit que le génie sait reconnaître que les deux mondes réel et créé sont identiques. Péguy fait cependant preuve de nuance : selon le talent, mondes réel et créé sont séparés ; selon le génie ils communiquent. Apparemment, les mots de la Création s’écoulent dans le génie, alors que le talent veut en vain les imiter. Le talent et le génie sont imperméables. Tout le tragique réside dès lors dans l’absence d’entre-deux. La condition de la littérature fait qu’elle usurpe la Création ou bien (il y a alternative) qu’elle lui ressemble, d’une ressemblance dont on ne sait ce qui l’empêche de concurrencer la Création. Entre la stérilité littéraire du talent et la possibilité d’un sacrilège génial, la marge de manœuvre de la littérature se voit restreinte.
Un essai polémique. Roger Secrétain interprète
Péguy
Roger Secrétain
fut un remarquable spécialiste de Péguy ; avec Romain Rolland, il
incarnait le courant agnostique du péguysme. « Encore Péguy » est un
article méconnu, du fait de son accès difficile et parce qu’il date pour
certains aspects. Il aborde directement notre sujet :
Il
faut bien que, dans l’œuvre de Péguy<,> « l’immense poète » se
sépare du « merveilleux apologiste ». Il faut bien que le second
porte un léger tort au premier, par le scrupule que nous aurions tous d’avoir
fait inconsciemment bénéficier le verbe humain de la réputation du divin verbe.
[...] Voit-on pas alors que l’oraison la plus efficace, la plus agréable à Dieu
est celle qui se priverait de tout art (de tout artifice) et qui craindrait que
le génie verbal ne vînt faire écran entre le Créateur et la créature ?
[...] Il est permis (il est nécessaire) de se demander en face de l’œuvre,
quelle part revient à Dieu et quelle part à la poésie. Je m’interroge parfois
sur le point de savoir si Péguy ne se prenait pas à son propre jeu, si, par des
déclics secrets, selon des complexes qui justifieraient une psychanalyse, il
n’était pas dupe de sa terrible volonté, si, enfin (lâchons le mot), il ne jouait
pas le jeu du christianisme [...] même inconsciemment, par pure vocation
littéraire [...]. Au moins peut-on affirmer que [...] le génie poétique guidait
la conversion de Péguy : une conversion par conviction en son propre verbe
[...]. Il devient impossible maintenant de savoir en quoi ces grandes paroles
[de Péguy] ont usurpé le prestige des dogmes et en quoi les dogmes usurpent le
prestige des grands poèmes. [...] Pour un grand créateur, il existe toujours un
point où sa création est plus importante que sa foi, son œuvre plus importante
que Dieu, même si l’humilité suinte de tous les mots, même si l’ouvrage est
dédié à la gloire de Dieu. Toute poésie est supérieure à ses propres thèmes.[15]
Cette lecture interprétative était hétérodoxe à son époque, où voir en Péguy un protestataire inclassable s’opposait à l’image pieuse du chantre de la patrie et de la foi. Secrétain distingue deux aspects de l’œuvre de Péguy : elle est littéraire et religieuse ; c’est une première contestation. Secrétain s’oppose de plus à cette tendance qui amoindrissait alors et oubliait l’écrivain au profit du penseur et poète catholique. Pour un croyant, le style de Péguy n’est pas primordial ; pour un athée, par simple probité de pensée, tous les mérites d’apologiste ne doivent pas compter dans l’estimation de l’art de Péguy. Dans les deux cas, reste peu au crédit de « Péguy écrivain ». Seuls des critères stylistiques peuvent en toute honnêteté intellectuelle évaluer l’écrivain.
Mais Secrétain
pousse sa critique au-delà : le génie de Péguy ferait obstacle à l’idée
d’un Péguy chrétien. La perspective qui considérait l’écriture comme un moyen
d’exprimer sa foi désormais est inversée : l’art ressortirait à une fin
chez Péguy ; dès lors – hypothèse que se permet le critique – le catholicisme
de Péguy ne se réduit-il pas à un moyen ? Même la position sur laquelle se
retranche Secrétain et qu’éclaire en partie une polémique personnelle qui
opposait alors Secrétain à Albert Béguin[16] semble sujette à caution. Le « génie poétique »[17] ne suffirait pas, à lui seul,
à expliquer la conversion de Péguy mais il l’aurait tout de même
« guidée ». Remarquons que Secrétain remploie le terme de
Péguy : « usurper », mais il l’applique au dogme et non plus à
la faculté de créer. Il tranche avec parti pris le problème de la concurrence
entre littérature et expression de la foi : le « grand
créateur » – équivalent du génie chez Péguy – dépasserait non seulement le
thème qu’il choisit de développer (ainsi Hugo dans « Booz endormi »,
poème à sujet biblique) mais aussi son dédicataire (ainsi Péguy qui place ses
vers « sous l’invocation de » ses saintes préférées). À ce compte-là,
même Brunetière écrirait en désaccord avec ses convictions personnelles de
catholique.
Cet essai de
solution aboutit à un contresens : selon Péguy le talent d’un Brunetière
usurpe les droits du Créateur, le génie ne le peut pas. Secrétain méconnaît la
distinction essentielle chez Péguy entre les deux hommes[18]. Il introduit une division trop générale entre la
foi et l’art : il se souvient bien de la tension entre Dieu et l’écrivain
mais il oublie que cette tension ne vaut que pour le talent, puisque le génie,
sensible à la grâce, ne peut certes pas être dit s’y opposer! Au moins
Secrétain a-t-il le mérite de revenir sur une idée de Péguy oubliée. Son
interprétation seulement ne satisfait guère ; l’avant-dernière phrase
rejoint même, paradoxalement, l’opinion du jeune Maritain[19] qui voulait faire admettre à Péguy que le souci
de son âme primait sur le « tremblement d’écrire ».
Comment alors
rendre raison des catégories de pensée de Péguy sur le point précis de la
compétition entre Création et création ? L’influence pascalienne – qui ne
dépendit nullement de la position religieuse de Péguy et qui joue donc dans
toute son œuvre – permet de découvrir une gradation, une double disproportion
de la littérature à la Création : existent trois ordres incommensurables.
Nous serions tentés de séparer radicalement, en termes d’extériorité, génie et
talent. Mais y a-t-il une définitive solution de continuité entre talent et
génie ? Un passage de notre premier texte, où il est parlé du
« talent » d’Hugo, semble nous indiquer que non. Il faut donc
considérer que les ordres sont distincts mais qu’une même personne peut cumuler
plusieurs situations ; ainsi Hugo. L’écrivain chrétien reste donc dans la
crainte de n’avoir que du talent, sans être habilité, sans être appelé à
rejoindre l’ordre de la Création. L’écrivain risque de jouer contre Dieu dans
le jeu de Satan. S’il a du génie au contraire, son art s’accorde avec la foi,
la grâce aidant ; et cela vaut pour tous les écrivains sans distinction de
foi parce que le chrétien opère jusque dans le païen. Le génie seul a
conscience de cette relation mystérieuse, sachant bien que la métaphysique
religieuse – dont relève le Verbe et dont participe le verbe poétique –
communique à la physique (où agit le Verbe incarné et sur laquelle agit le
verbe poétique).
Quant aux
relations entre les trois ordres, il n’y en a guère que deux. D’abord,
l’usurpation des droits de la Création par le talent, vouée à l’échec, à la
vanité. Mauvaise habitude « familière » au talent. Ensuite,
l’épanchement de la grâce dans l’ordre du génie, interprétable inversement
comme promotion de l’ordre du génie dans l’ordre de la grâce. Mais cette grâce,
gratuite et efficace, est inhabituelle : « extraordinaire ».
C’est pourquoi la relation ne fonctionne pas véritablement à double sens. Péguy
préserve d’ailleurs – et ne peut que préserver – le mystère qui entoure cette
opération, d’où le contresens de Secrétain. Parfois les termes de Péguy
flottent ; ainsi, le champ lexical du texte de Victor-Marie, comte Hugo
et celui de Brunetière sont proches : « amusement »,
« amuser » et « insolence » d’un côté, « amuser »
et « impertinence » de l’autre. Seulement le génie est autorisé dans
son péché d’orgueil par un « décret nominatif »[20], tandis que le talent usurpe le privilège du
génie, par orgueil envers ses traits et méconnaissance de la métaphysique
religieuse.
***
Nous avons vu
combien Péguy admire la réussite, dans l’ordre païen, du poète par excellence
qu’est Hugo. Péguy admire en lui l’expression d’un juste combat entre la
littérature et l’écriture sacrée. Le poète crée ses propres mots de la même
façon que Dieu : ce sont les mêmes mots dont Péguy qualifie la création
verbale et les paroles de Jésus, parce que la création verbale et le pouvoir
qu’a le Verbe divin de créer sont eux-mêmes analogiques. Péguy prend très au
sérieux cette analogie et en tire des conclusions théologiques et littéraires.
Le verbe et le Verbe créent tous deux. S’agit-il de deux privilèges ou d’un
seul privilège en partage ? Quoi qu’il en soit, le temporel et l’éternel
sont de facto placés en position de
concurrence. Or le charnel et le spirituel luttent – c’est là l’important – sur
un pied d’égalité dans les faits, que le droit du poète soit fondé ou non.
C’est-à-dire que Dieu n’utilise pas d’autres moyens que la néologie quand il
nomme les choses dans la Genèse et son disciple Pierre dans les Évangiles.
Si Dieu ne
triche donc pas face à l’inchrétien, reste que l’écrivain chrétien doit pour sa
part redouter d’usurper le privilège de Néologie, privilège divin qui n’existe
que pour le croyant mais qui semble lui empêcher radicalement toute pratique
néologique. Or Péguy a choisi d’écrire et d’y aller de ses mots nouveaux. De
plus, l’écriture ne constitue jamais qu’une néologie (au sens étymologique de
« nouveau discours ») et la néologie n’est jamais qu’une modalité de
l’écriture. Comment Péguy a-t-il donc résolu la contradiction entre sa pratique
et sa pensée intime ? Sur ce point précis, Secrétain reste court dans son
argumentation. Nous pourrions penser que Péguy fit avec la vanité de son
écriture et celle qui caractérise a
fortiori celle de sa néologie : il n’aurait pas cessé de consacrer son
temps à la littérature, mais en avouant toujours, dans le même temps, le péché
qu’il commettait là. Péguy aurait-il même résolu ses contradictions ? Il
faut plutôt réaffirmer que le fond de la pensée de Péguy était que certains
auteurs avaient pour tâche de continuer le combat contre
« l’inchristianisme » et sa littérature : leur écriture relève
d’un don, don de Néologie venu de Dieu au génie par grâce. Péguy faisait-il
partie lui-même de ces auteurs élus ?
Deux citations
illustreront comme épilogue la persistance de ce doute chez Péguy ; la
première est extraite des strophes inédites de La tapisserie de sainte
Geneviève (octobre 1912) :
il fallut qu’il advînt le jour du
reportage
que Satan fit des mots dans son
mauvais journal
mais Jésus dit un mot et l’apôtre
vénal
apparut dans la nuit pour
embrasser l’otage [21]
La dernière est extraite de La
Tapisserie de Sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc, poème VIII :
Les armes de Satan
c’est quelque forgerie [...][22]
·
Catholicisme :
hier, aujourd’hui, demain,
article « Logos », tome 7, Letouzey, 1975
·
Dictionnaire de
théologie catholique, article
« Verbe » », tome 15, Letouzey, 1950
Gérald Antoine, « La joie des mots chez Péguy », pp. 327-335 dans la Revue d’histoire littéraire de la France, mars-juin 1973
[1] Pages 143-147 dans les Cahiers de la quinzaine,
XII-1, 1910. – Pour « ce jour là », figurait « bien ainsi »
sur le bon à tirer.
[2] Voir sur ce point l’article
lucide de Daniel Halévy, « Les Cahiers de Charles Péguy »,
page 3 du Temps, 12 décembre 1909.
[3] Les expressions « s’en
payer » et « s’en donner », contractant « se payer/donner
une tranche de bon temps », sont d’habitude considérées comme
familières ; mais il n’est pas exclu que dans l’idiolecte péguyen elles
signifient « se payer/donner du plaisir ». Toute l’ambiguïté porte
sur le sens de « bon temps » ou de « joie » si l’on
considère la formule synonymique : « s’en donner à cœur
joie » ; est-ce amusement ou plaisir ? Notons également la
proximité de l’expression : « (se) payer une femme ».
[4] Cf. Genèse I,2 dans la
traduction œcuménique de la Bible : « La terre était déserte et vide,
et la ténèbre à la surface de l’abîme »
[5] Comme en Gn I,2 :
« le souffle de Dieu planait à la surface des eaux »
[6] Ainsi qu’en Gn I,3 :
« Et Dieu dit : « Que la lumière soit ! » et la lumière fut »
[7] Le sens antique et biblique du
mot ne pouvait être indifférent à Péguy qui voulait écrire un Homère, essai
sur la pureté antique (C 1155). Nos abréviations renvoient aux Œuvres en
prose complètes, Gallimard, « Pléiade », ; et sont à
comprendre comme suit :
- A x = page x du volume I, 1987
- B y = page y du volume II, 1988
- C z = page z du volume III, 1992.
[8] Pages 210-212 dans les Cahiers
de la quinzaine, XI-6, 1910. – « Tu es petrus » vient de Mt
XVI-18.
[9] Une nuance sépare « un
baptême de nom » (dont les deux indéfinis signifient « une sorte de
baptême par un nom » mais qui est considéré comme présupposé dans
l’avant-texte par le qualificatif « beau ») et l’expression qui
apparaît en second lieu : « le baptême du nom » – dont les
définis signifient « le baptême dont nous avons parlé et qui se fait par
le nom dont nous avons parlé, baptême différent du dit baptême du sang ».
[10] Dans « prænomen » il y a « nomen »
– nom attribué à une personne et terme désignant une chose ou une
personne ; de même, « nom » peut prendre ces deux sens.
« Prænominal » est forgé par Péguy (page 247 des Alexandrins inédits et poèmes posthumes de Charles Péguy (1903-1913),
éd. Julie Sabiani, s. l. n. d.)
[11] Harmonieuse :
« inventé » et « osé » sont homéotéleutes,
« nouveau » et « osé » sont homosyllabiques,
« inventé » et « nouveau » ont le phonème [v] en commun.
[12] Soit : après l’année 1907
ou la période 1906-1908, selon la définition exacte que l’on donne de ce
renouement qu’il serait impropre de qualifier de « conversion ».
[13] Texte posthume de 1906, pp.
606-607 dans les Œuvres en
prose complètes, vol. II, la Pléiade, Gallimard, 1988.
[14] À l’époque de Péguy, l’adjectif
désigne tout ce qui concerne une « opération », au sens large ou bien
au sens médical.
[15] Dans « Encore Péguy »,
écrit en 1942 et paru pp. 38-55 dans
les Cahiers du Sud, n° 259,
août-septembre 1943.
[16] Péguy soldat de la vérité,
œuvre majeure de Secrétain, avait paru début 1941 ; une sélection de trois
chapitres par les soins d’Emmanuel Mounier avait été publiée dans Esprit,
en juin 1940 ; à laquelle Béguin proteste, en avril 1942, dans un de ses Cahiers
du Rhône consacré à « la prière de Péguy » ; auquel répond
Secrétain dans notre article, tout en égratignant au passage le numéro de juin
1942 de la revue Fontaine (Alger), dans lequel Jacques Maritain,
Daniel-Rops, André Rousseaux et... Béguin traitaient « de la Poésie comme
exercice spirituel ».
[17] Expression à laquelle restera
fidèle Secrétain ; cf « Péguy, génie poétique de la pensée »,
pp. 29-34 dans Péguy vivant, Lecce (Italie), Milella,
1977.
[18] Distinction que Péguy suppose en
passant dans cette formulation contournée : l’incommunication de la métaphysique
à la physique « [...] dont nous n’avons peut-être pas dit qu’elle était la
distinction la plus caractéristique, et comme essentielle, entre le génie et le
talent [...] » (B 607).
[19] Voir les pages 39-60 dans Péguy au porche de l’Église, Desclée de
Brouwer, 1997. – Maritain pensait que, de se consacrer à son œuvre, Péguy
retardait forcément sa pleine conversion ou déguisait même un nouvel
éloignement de Dieu, parce que la foi « littérarisée » ne vaut rien
auprès de la foi. Pourtant, au plan des buts de Péguy, il est clair que la
sincérité passe l’apologie ; et le style, le désir de célébrité.
[20] Expression empruntée par Péguy à
Renan : « Il semble qu’il [Victor Hugo] fût créé par un décret
spécial et nominatif de l’Éternel » (p. 1100 dans Renan, Œuvres
complètes, t. II, Calmann-Lévy, 1948).
[21] Page 229 de Julie Sabiani, Alexandrins
inédits et poèmes posthumes de Charles Péguy (1903-1913), déjà cité.
[22] Page 72 in Cahiers de la quinzaine, XIV-5, 1912.