Juifs et catholiques en France : 1892-1973, une chronologie

 

Nous ne connaissons pas d’équivalent de cette chronologie, que nous espérons donc utile, quoique très sélective : nous avons voulu qu’en règle générale elle ne donne qu’une date par année. Grandes dates et petits faits se croiseront au probable étonnement du lecteur ; mais n’est-ce pas la curiosité même de l’Histoire que d’entremêler ainsi des faits hétérogènes ?

 

R. Vaissermann

 

1892 ● Le 20 février, Léon XIII publie l’encyclique « Au milieu des sollicitudes », dans laquelle il appelle les catholiques français à se rallier à la République. Le 20 avril, Édouard Drumont, l’auteur de La France juive (1886), lance La Libre Parole, journal antisémite qui ne rencontre pas grand succès, mais où collaborent des catholiques : Léon Daudet, Raphaël Viau, l’abbé Cantenot…. Le 12 septembre, parution du Salut par les Juifs de Léon Bloy.

7 juin 1893 ● Maurice Blondel dans sa thèse L’Action. Essai d’une critique de la vie et d’une science de la pratique (Alcan) essaie de transcender l’incompatibilité apparente entre raison et foi.

1er novembre 1894 ● Gaston Méry commence une longue campagne contre Dreyfus dans La Croix, qui en 1890 se proclamait « le journal catholique le plus anti-juif de France ».

5 janvier 1895 ● Le capitaine Alfred Dreyfus est dégradé publiquement dans la cour de l’École Militaire de Paris, aux cris de « À mort les Juifs ! », puis emprisonné.

7 novembre 1896 ● La Libre parole, après avoir mis au concours l’étude suivante : « Des moyens pratiques d’arriver à l’anéantissement de la puissance juive en France, le danger juif étant considéré au point de vue de la race et non au point de vue religieux », déclare avoir reçu plus de 150 manuscrits (dans le jury : Maurice Barrès, Urbain Gohier, Ernest Rouyer…).

27 février 1897 ● Conférence houleuse d’Anatole Leroy-Beaulieu dans la Salle des Actes de la Catho, sur les causes de l’antisémitisme, « contraire à l’Évangile, à la charité chrétienne, à l’esprit chrétien. »

4 février 1898 ● Huysmans dans La Libre parole condamne le J’accuse d’Émile Zola : « Zola s’est mis du côté des Juifs par haine de l’Église et par amour pour le veau d’or » ; une quinzaine de jours après, le 22 février 1898, il décrit les juifs de Hambourg avec un racisme féroce dans L’Écho de Paris, que reprend La Libre parole du lendemain.

15 janvier 1899 ● Dernière des 18 listes de souscription destinées depuis le 14 décembre 1898 à aider la veuve du colonel Henry – répertoire de la haine antisémite (parmi les souscripteurs : Maurice Barrès, François Coppée, Paul Valéry…).

4 janvier 1900 ● Après l’affaire dite de Fort-Chabrol (siège du « Grand Occident de France » fondé en 1899), André Buffet, Paul Déroulède, Eugène de Lur-Saluces reçoivent des peines de cinq à dix ans de bannissement. Jules Guérin est condamné à dix ans de détention. Tous les autres accusés, membres de la « Ligue de la patrie française » (1898), sont acquittés.

19 décembre 1901 ● Samuel Lattès écrit à l’abbé Georges Frémont, philosémite : « J’ai des frères que de légitimes scrupules de conscience empêchent de franchir le seuil de vos églises ; ils croient que les prêtres excitent contre eux la haine des chrétiens. Je vais leur dire, moi dont le témoignage n’est pas suspect, que j’ai entendu un mot d’amour tomber de la chaire catholique. Ah ! pour Dieu, dites souvent ces mots-là ! »

4 septembre 1902 ● Eugène Michaud, membre de l’Église vieille-catholique, écrit dans son Journal : « Mon âme habite des régions si hautes que je puis me sentir à la fois catholique et protestant, juif et même musulman. Ces diverses formes religieuses sont diversement belles, aucune n’est absolument vraie : sous leurs noms différents, je retrouve, uniquement, la foi en un Dieu personnel et vivant. »

Janvier 1903 ● Léon Chaine publie chez Storck la suite de sa Lettre d’un catholique lyonnais à un évêque sur l’affaire Dreyfus : Les Catholiques français et leurs difficultés actuelles, gros succès de librairie.

30 mars 1904 ● Léon Sentupéry souligne dans Lyon républicain le grand silence catholique qui entoure les œuvres philosémites de l’abbé Joseph Brugerette (dont L’Affaire Dreyfus et la mentalité catholique en France, Stock, 1904).

26 décembre 1905 ● Dans ses Cahiers de la quinzaine, Charles Péguy publie Et vous riez, recueil poétique d’André Spire, grand poète juif de langue française.

15 décembre 1906 ● Charles Maurras écrit dans Le Dilemme de Marc Sangnier (IV) : « En s’éloignant de Rome, nos clercs évolueront, de de plus en plus, comme ont évolué les clercs d’Angleterre, d’Allemagne et de Suisse, même de Russie et de Grèce. Devenus, de prêtres, pasteurs et ministres de l’Évangile, ils tourneront, de de plus en plus, au rabbinisme, et vous feront cingler peu à peu vers Jérusalem. »

15 mai 1907 ● Le marquis réactionnaire La Tour du Pin développe les raisons de son antisémitisme dans son ouvrage capital Vers un ordre social chrétien. Jalons de route. 1882-1907 (Nouvelle Librairie nationale).

7 mars 1908 ● Le pape Pie X excommunie Alfred Loisy après avoir, en 1907, interdit le « modernisme » par le décret Lamentabili et l’encyclique Pascendi ; les deux « petits livres » rouges de Loisy, insistant sur le caractère juif de la mentalité de Jésus, s’étaient démarqués des passions soulevées au même moment par l’affaire Dreyfus et Loisy offrait une lecture originale et positive du judaïsme sacerdotal d’après l’exil babylonien.

17 juin 1909 ● Mort à Lyon (5e arrondissement) d’Augustin Lémann [Achille-Isaac-Lémann Lévy], frère de Joseph Lémann [Édouard-Isaac-Lémann Lévy] : les deux jumeaux, d’origine juive ashkénaze, se sont convertis au catholicisme en 1854, sont entrés dans les ordres en 1860 et ont ensuite écrit une bonne cinquantaine d’ouvrages, notamment sur les rapports entre catholicisme et judaïsme, et sur le destin spirituel du peuple juif.

1910 ● Péguy révèle sa conversion en publiant le Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc le 16 janvier dans ses Cahiers de la quinzaine : « Quel peuple mon Dieu ne se fût estimé heureux, quel peuple parmi tant de peuples, quel peuple parmi les innombrables peuples, d’être votre peuple ; quel peuple n’eût voulu être à leur place ; peuple élu ; race élue, quelle race n’eût voulu être la race élue ; votre race ; élue parmi tant d’autres ; parmi toutes les races ; parmi les innombrables autres ; au dessus des autres ; par dessus les têtes de toutes les innombrables autres ; quel peuple n’eût demandé à être votre peuple ; quel peuple n’eût joui d’être votre peuple ; élu, de quelle élection ; à n’importe quel prix, mon Dieu, à n’importe quel prix temporel, fût-ce au prix de cette dispersion. » ; la même année, le 20 novembre, il publie en Notre Jeunesse une grande apologie de son ami défunt Bernard-Lazare : « Les antisémites parlent des Juifs. Je préviens que je vais dire une énormité : Les antisémites ne connaissent point les Juifs. Ils en parlent, mais ils ne les connaissent point. Ils en souffrent, évidemment beaucoup, mais ils ne les connaissent point. Les antisémites riches connaissent peut-être les Juifs riches. Les antisémites capitalistes connaissent peut-être les capitalistes. Les antisémites d’affaires connaissent peut-être les Juifs d’affaires. Pour la même raison, je ne connais guère que des Juifs pauvres et des Juifs misérables. Il y en a. Il y en a tant que l’on n’en sait pas le nombre. J’en vois partout. / Il ne sera pas dit qu’un chrétien n’aura pas porté témoignage pour eux. Il ne sera pas dit que je n’aurai pas témoigné pour eux. Comme il ne sera pas dit qu’un chrétien ne témoignera pas pour Bernard-Lazare. »

1911 ● Mgr Henri Delassus reprend dans La Question juive (DDB) des pages de la Conjuration antichrétienne (DDB, 1910) : « Le Juif a, depuis longtemps, répudié la loi de Moïse comme il a repoussé l’Évangile. Mais ce n’est pas dans la Bible qu’il puise sa foi et sa loi, c’est clans le Talmud que l’on peut définir le code de la haine la plus violente, la plus perfide, la plus implacable. Le Talmud est à l’Évangile ce que l’enfer est au ciel, ce que Satan est à Notre-Seigneur Jésus-Christ. »

4 décembre 1912 ● Un roman de Julien Benda, L’Ordination, se retrouve finaliste pour le Prix Goncourt 1912 mais sans l’obtenir finalement : son auteur attribuera cet échec à ses propres origines juives, à son activité passée de dreyfusard et à la présidence de Léon Daudet, son ancien condisciple du lycée Charlemagne.

25 septembre – 28 octobre 1913 ● Procès à Kiev d’un juif nommé Beilis et accusé du meurtre rituel d’un jeune écolier, à l’origine de l’« Affaire Beilis », qui soulève l’indignation de nombreuses personnalités en France (Mgr Duchesne, Anatole France, Alfred Loisy…) ; mais l’abbé Jouin ou Léon Daudet dans L’Action française s’en prennent à elles.

27 janvier 1914 ● Léon Daudet dans L’Action française mène campagne contre la candidature d’Henri Bergson à l’Académie française : « Bergson est un juif militant, dreyfusard de la première heure et d’autant plus dangereux qu’il est plus sournois. C’est le juif d’endormement idéologique. » ; le 1er juin de la même année, trois livres de Bergson sont mis à l’Index : Essai sur les données immédiates de la conscience (1889) ; Matière et mémoire (1896) ; L’Évolution créatrice (1907).

18 février 1915 ● Max Jacob, né une famille juive non pratiquante et voltairienne, a une vision qui le déterminera à se convertir au catholicisme et à suivre la vie monacale d’un oblat séculier rattaché à l’abbaye de Fleury (Saint-Benoît-sur-Loire), à partir de 1936.

9 février 1916 ● En réponse à l’American Jewish committee, le cardinal Pietro Gasparri dans une lettre témoigne de la sollicitude de Benoît XV en faveur des juifs de Pologne, menacés par des pogroms : « Le pontife suprême ressent, en ce moment, dans son cœur paternel [...] qu’il est nécessaire pour tous les hommes de se souvenir qu’ils sont frères, et que leur salut réside dans le retour à la loi d’amour qui est la loi de l’Évangile. » (New York Times du 17 avril 1916 ; Civilta Cattolica, 28 avril 1916) : « The Supreme Pontiff at this moment feels in his fatherly heart [...] the necessity of all men remembering that they are brothers and that their salvation lies in return to the law of love which is the law of the Gospel. »

28 avril 1917 ● Maurice Barrès écrit dans Les diverses familles spirituelles de la France (Émile-Paul) : « Une grande affaire d’Israël dans son éternelle pérégrination, c’est de se choisir une patrie. Il ne la tient pas toujours de ses aïeux ; il l’acquiert alors par un acte de volonté, et sa nationalité est sur lui comme une qualité dont il se préoccupe de prouver qu’il est digne. » (prépublication du chapitre sur les Israélites : L’Écho de Paris, 11 et 13 décembre 1916).

29 avril 1918 ● Mort au champ d’honneur, près du mont Kemmel, de Marc Boasson, israélite converti entre 1906 et 1910 au catholicisme ; on lit parmi ses Lettres de guerre, préfacées par Gabriel Marcel (Plon, 1926) : « J’estime que même après la guerre, même après avoir payé l’impôt du sang, il reste au Juif français, un grand devoir à remplir : il faut qu’il rompe délibérément avec son passé juif qui le rend solidaire de toutes sortes de judaïsmes étrangers et le distrait de sa patrie, qu’il soit religieusement ce qu’il veut : il faut qu’il se déjudaïse, qu’il cesse d’être juif, que sa pensée ne connaisse plus ce judaïsme, barrière encore entre les Français de France et lui, Français avant tout… Et s’il lui faut pour cela sacrifier quelque chose de lui-même, l’hésitation n’est pas permise : qu’il ne soit pas catholique, qu’il soit païen s’il le veut, la France de la Renaissance l’était bien. Qu’il ne soit plus juif, frère comme tout le répète, comme tout le crie, du Juif allemand, du Juif russe, du Juif polonais. Le judaïsme n’est pas une religion, c’est une nation, on est Juif ou Français. »

3 janvier 1919Participant dès 1916 aux négociations franco-britanniques de partage de l’Empire ottoman, Louis Massignon est ensuite l’un des artisans de l’accord Fayçal-Weizmann qui prévoit, conformément à la déclaration Balfour, la création d’un Foyer national juif à l’intérieur d’un Royaume promis aux Arabes en récompense de leur rébellion contre les Ottomans ; sous l’influence d’Aaron Aaronsohn, l’islamologue éprouve d’abord pour les pionniers d’Eretz Israel une sympathie enthousiaste qui lui fait souhaiter la réussite de l’établissement du Foyer national juif en Palestine.

27 décembre 1920 ● Mort de Joseph Esquirol, fondateur du Bloc catholique de Toulouse le 1er novembre 1902 ; mais continuation de sa revue de catholicisme intégral – qui voulait contrer le bloc « judéo-maçonnique » –, où publièrent Théodore Botrel, Ferdinand Brunetière, l’abbé Jules-Gervais Contensou, François Coppée, Mgr Henri Delassus…

1921 ● Publication d’un livre d’or : Les Israélites dans l’armée française, par les soins d’une commission d’historiens et de rabbins chargée dès 1915 par le Consistoire central israélite de France d’établir le nombre de Juifs mobilisés dans les armées, les décorés, les blessés et les morts au champ d’honneur.

1922 ● Le père Ernest Jouin donne une traduction des Protocoles des Sages de Sion (1903-1905) dans la Revue internationale des sociétés secrètes qu’il a fondée en 1912, sous le titre : Les Protocols de 1901 ; une première traduction due à madame Eugène de Pavlov de Tannenberg, née Claudine Funk Brentano, avait paru dans La Libre Parole sous le titre « Le péril juif », du 27 juillet au 21 août 1920.

28 août 1923 ● Le père Léon Merklen devient directeur de la Documentation catholique et le sort de l’antisémitisme ; il en fera de même avec La Croix, quand il sera nommé corédacteur en chef du quotidien, le 16 décembre 1927.

1924 ● Cessent de paraître La Franc-Maçonnerie démasquée de l’abbé Joseph Tourmentin (mars) et La Libre parole, alors dirigée par Joseph Denais et Jean Lerolle (21 juin).

7 mars 1925 ● Jean-Pierre Altermann, issu d’une famille juive russe, est ordonné prêtre, et deviendra le guide spirituel de nombreux intellectuels catholiques, dont Charles du Bos et François Mauriac.

29 décembre 1926 ● Décret de la Suprême congrégation du Saint-Office condamnant certaines œuvres de Charles Maurras et le journal L’Action Française.

9 décembre 1927 ● Pendant la semaine des écrivains catholiques (5-11 décembre), la question juive est au programme de débats sous la présidence de Stanislas Fumet : Maurice Vaussard y insiste sur la liberté qu’il fallait laisser aux juifs de s’établir en Palestine ; Joseph Wilbois démontre que l’émulation est possible entre la religion aînée et la cadette ; le père Marcel Jousse pense qu’écrivains juifs et catholiques peuvent collaborer à l’étude des textes sacrés, qui n’est pas sans annoncer le Foyer judéo-catholique lancé en février 1936…

25 mars 1928 ● La Congrégation pour la doctrine de la foi dissout l’Opus sacerdotale Amici Israel, association internationale fondée le 24 février 1926 et ayant pour objet la prière et l’apostolat en vue de la conversion des Juifs. Mais le Saint-Office, par décret du 25 septembre 1928, « condamne tout particulièrement la haine contre le peuple jadis élu de Dieu et notamment cette haine qu’on a l’habitude de désigner par le mot antisémitisme. »

5 octobre – 7 novembre 1929 ● Albert Londres publie dans Le Petit Parisien la série de 27 articles « Le drame de la race juive : des ghettos d’Europe à la Terre promise » rédigée à Évian en août (elle sortira en volume séparé chez Albin-Michel en janvier 1930) : « Oui, ils attendent encore le Messie et c’est pourquoi le reste leur est égal. Riez-leur au nez, parquez-les dans des wagons spéciaux, refusez-leur la possession de la terre, mais ne touchez ni au Shabbat ni à la Torah, ni à leurs boucles… » À la fin, il lance au juif errant : « Tu as créé des colonies, construit des villes, acheté et cultivé la terre de Palestine. Mais attention ! Car c’est alors que tu commences à faire des bêtises. Ton vieux bâton de chemineau devient orgueilleux comme une hallebarde. Tu le laissais froidement choir sur les pieds des Arabes. Ton mouvant et émouvant esprit balaya vingt siècles d’un revers de pensée. Tu rentrais chez toi comme les ci-devants derrière Louis XVIII sans demander à connaître celui qui, depuis ton départ, avait acheté ta maison… Écoutez, Arabes, disais-tu, vous voulez savoir quel est mon but ? Le voici : c’est la création d’une majorité juive. L’Agence juive, chers Arabes, que le congrès vient de créer, va me permettre d’intéresser les juifs non errants à l’achat de ce beau pays. Dans dix ans, il sera le mien. Dans vingt ans, cinq cent mille de mes frères seront venus me rejoindre… Je serai le sixième dominion. Fanfare ! Et, là-dessus, tu faisais jouer Hatikhvah. »

22 septembre 1930 ● Jean de Menasce, qui avait envisagé en 1926 – l’année de son baptême – de s’installer en Palestine, entre au noviciat des dominicains ; en novembre de l’année suivante, il publie Quand Israël aime Dieu : introduction au hassidisme (Plon), preuve qu’un juif pouvait se convertir sans abandonner tout intérêt pour Israël et même pour le sionisme.

17 février 1931 ● Georges Bernanos publie La Grande Peur des bien-pensants chez Grasset, hommage à Drumont et occasion de fréquentes associations des Juifs à la finance.

Décembre 1932 ● Alfred Poizat publie Le Miracle juif (Albin Michel ; l’expression vient de L’Histoire du peuple d’Israël de Renan), « appel à l’union des âmes religieuses, prélude indispensable à l’établissement de la paix, dont le monde a tant besoin », dédié à Bergson et où il affirme : « Le christianisme est judaïsme dans son fond. »

8 avril 1933 ● Après les humiliations subies par les Juifs dans les rues de Munich, le cardinal Jean Verdier demande, dans La Croix et La Semaine religieuse de Paris, de « prier pour que cessent les maux dont souffrent actuellement les Juifs. Ces prières pour des frères malheureux seront une protestation vraiment chrétienne contre des procédés inhumains si opposés à la vraie civilisation. »

Février 1934 ● Traduction française intégrale de Mein Kampf [1925-1926] d’Adolf Hitler, aux Nouvelles éditions latines, par Jean Gaudefroy-Demombynes et André Calmettes.

1935 ● Oscar de Férenzy publie chez Flammarion Les Juifs et nous chrétiens, ouvrage philosémite préfacé par le supérieur général des prêtres-missionnaires des de Notre-Dame de Sion et généralement salué dans la presse juive et chrétienne ; le 1er juillet de l’année suivante, Férenzy lancera avec succès La Juste parole, patronnée par Jacques Maritain, François Mauriac et les pères Joseph Bonsirven, Théomir Devaux et Marie-André Dieux.

8 octobre 1936 ● Marcel Jouhandeau, auteur du Péril juif (Sorlot, 1936), publie « Comment je suis devenu antisémite » dans L’Action française, article qui provoque sa rupture avec Max Jacob ; cette même année, avant d’évoluer vers un antisémitisme féroce qui survivra à la Seconde Guerre mondiale, Paul Morand a ce mot : « La différence entre 1900 et 1936, c’est qu’en 1900 la France était antisémite, tandis qu’en 1936 elle ne l’est heureusement plus. »

28 décembre 1937 ● Louis-Ferdinand Céline publie chez Denoël le pamphlet Bagatelles pour un massacre, véritable appel aux pogroms, à la fin de l’année où Plon avait publié Les Juifs, recueil contenant un texte remarqué de Paul Claudel : « La législation abominable et stupide dirigée contre vos coreligionnaires en Allemagne me remplit d’indignation et d’horreur… » L’Osservatore romano, rendant compte de ce dernier ouvrage, évoquera le 4 mars 1938 les « chapitres IX à XI de l’épître aux Romains, que nous devrions connaître et ferions bien de méditer. »

4 mai 1938 ● Lors d’une conférence à la Ligue Franc-Catholique, perturbée par la LICA, Hermann de Vries, auteur d’Israël, son passé, son avenir (Perrin, 1937), déclare : « Au lieu de parler d’une civilisation judéo-chrétienne qui n’a jamais existé et n’existera jamais, il faut défendre la civilisation chrétienne tout court. Les mauvais bergers qui nous parlent de civilisation judéo-chrétienne, ces Maritain et ces Mauriac, sont peut-être des lumières dans leurs domaines respectifs : ils font une œuvre néfaste lorsqu’ils s’occupent de la question juive. » Six mois plus tard, le 24 novembre 1938, Céline publie chez Denoël le pamphlet L’École des cadavres, pacifiste et antisémite.

Septembre 1939 ● Fondation à Paris de la Maison d’Ananie, par l’abbé Jean-Pierre Altermann et des laïcs, dont Jacques Maritain et son entourage ; cette association catholique a pour mission l’accueil des catéchumènes, dont fit partie l’abbé Altermann.

28 février 1940 ● Mise à l’Index de deux livres d’Edmond Fleg : L’Enfant prophète, NRF, 1926 ; Jésus raconté par le Juif errant, Gallimard, 1933.

4 janvier 1941 ● Mort d’Henri Bergson, qui confiait dans son « testament » écrit le 8 février 1937 : « Mes réflexions m’ont amené de plus en plus près du catholicisme, où je vois l’achèvement complet du judaïsme. Je me serais converti, si je n’avais vu se préparer depuis des années (en grande partie, hélas ! par la faute d’un certain nombre de Juifs entièrement dépourvus de sens moral) la formidable vague d’antisémitisme qui va déferler sur le monde. »

8 octobre 1942 ● Robert Brasillach, dans Au Pilori, crie haro sur Mgr Pierre Gerlier : « Du fait de son autorité sacerdotale qu’il prostitue, cet homme est un danger public et il est un de ceux qui méritent immédiatement le poteau. Au nom de la France, au nom de ma Patrie chérie, de la chrétienté tout entière, je réclame la tête de Gerlier, cardinal, talmudiste délirant, traître à sa foi, à son pays, à sa race – Gerlier, je vous hais. »

10 mai 1943 ● Troisième édition de la « Liste Otto » (en référence à Otto Abetz) des « ouvrages littéraires français non désirables », interdits de publications et retirés de la vente, complétée par une liste de 739 « écrivains juifs de langue française ».

28 juin 1944 ● Des résistants tuent Philippe Henriot, catholique virulent et antisémite notoire, voix du « Radio-Journal de France » et adversaire acharné de Maurice Schumann à Londres.

15 mars 1945 ● Suicide de Pierre Drieu la Rochelle, dont voici le testament en date du 15 septembre 1939 : « Je meurs dans la religion catholique, héritière beaucoup plus que la religion juive de la religion antique, grecque et aryenne. Je meurs antisémite (respectueux des Juifs sionistes). Je meurs maurrassien, avec le regret de n’avoir pas mieux servi Maurras et l’Action française. Que ne me suis-je rendu digne d’être le successeur de Maurras. Je crache sur le radicalisme et la franc-maçonnerie qui ont perdu la France. » Drieu la Rochelle avait écrit en 1934, dans La Comédie de Charleroi : « Ils s’en sont donné du mal pour les Patries dans cette guerre-là [14-18], les Juifs ! »

Juillet 1946 ● Jules Isaac dans Comment on écrit l’histoire, tiré d’Europe, s’insurge contre Daniel-Rops et son interprétation de la phrase : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants. »

30 juillet – 5 août 1947 ● Conférence de Seelisberg étudiant les causes de l’antisémitisme des chrétiens (présents : Jules Isaac, Jacob Kaplan, Alexandre Safran, Paul Démann, Charles Journet, Marie-Benoît Péteul…).

26 février 1948 ● Un groupe de protestants (le pasteur Jacques Martin), de catholiques (Jean Daniélou, Jacques Madaule, Henri-Irénée Marrou), d’orthodoxes (Georges Florovski, Léon Zander) et de juifs (Edmond Fleg, Jules Isaac, Jacob Kaplan) créent l’Amitié judéo-chrétienne à Paris ; le 14 mai 1948 est proclamée l’indépendance de l’État d’Israël.

1949 ● Année d’une déception et d’une joie pour Jules Isaac : en juin, Henri-Irénée Marrou écrit dans Esprit (« Trois apostilles ») : « S’il y a une racine religieuse, chrétienne, à l’antisémitisme moderne, elle ne réside pas dans une confusion au sein de la hiérarchie des causes de la Crucifixion, mais bien, et proprement, dans la Perfidia Judaica, dans l’infidélité d’Israël, dans son refus persistant, obstiné, de reconnaître, dans le juif Yeschoua, le Messie Fils Unique de Dieu, incarné pour nous et pour notre salut. C’est en cela qu’aux yeux du chrétien le juif a tort ; et c’est à partir de ce reproche qu’un christianisme brutal et mal éclairé a pu développer, a, de fait, hélas, développé une haine du juif. » ; le 16 octobre, Jules Isaac est reçu par le pape Pie XII, à qui il expose les « Dix points » de Seelisberg et suggère de réviser la prière du Vendredi saint.

8 décembre 1950 ● Maurice Bardèche exprime des thèses négationnistes dans Nuremberg II ou Les Faux-Monnayeurs (Les Sept Couleurs), suite de Nuremberg ou la Terre promise (Les Sept Couleurs, octobre 1948).

11 avril 1951 ● François Mauriac dans la préface au livre de Léon Poliakov, Bréviaire de la haine (Calmann-Lévy) : « À nous chrétiens, héritiers d’une tradition de haine contre la race déicide il appartient d’y substituer une tradition nouvelle fondée sur l’Histoire : la première Église, celle de Jérusalem, était Juive, Juifs les premiers martyrs et cet Étienne dont le visage était pareil à celui d’un ange, Juives, la mère du Seigneur, et cette Madeleine qui préfigure à jamais toutes les grandes âmes à qui il sera beaucoup pardonné parce qu’elles ont beaucoup aimé, Juifs, les deux disciples au crépuscule sur le chemin d’Emmaüs écoutant cet Inconnu qui leur expliquait les Écritures. »

3 avril 1952 ● Après avoir publié Une voix sur Israël et L’Évangile d’Isaïe, Paul Claudel livre au Monde un entretien avec André Chouraqui intitulé « Le mystère d’Israël » ; à propos de l’État d’Israël, il affirme : « La main de Dieu a conduit les Juifs comme autrefois pour les faire sortir d’Égypte. Comment ne pas voir une intention providentielle et un accomplissement des prophètes de l’Ancien Testament dans ce retour miraculeux ? » 

7 février 1953 ● Le grand rabbin Jacob Kaplan déclare dans Combat que « la conscience du pays » n’accepterait pas, au sujet de l’affaire Finaly, une « nouvelle affaire Mortara » ; les deux enfants Finaly ne retrouvent leur famille qu’en juin 1953.

26 mars 1954 ● L’Amitié judéo-chrétienne de France déclare en épilogue à l’affaire Finaly : « Un baptême contre la volonté des parents est condamnable, que les complicités pour soustraire les enfants à leur famille sont scandaleuses et que tout doit être fait pour empêcher la répétition d’une telle situation. »

4 décembre 1955 ● Fin de la parution des Cahiers sioniens fondés en 1947 et dont Paul Démann avait pourtant récemment, en 1954, défini les « Orientations » : « recherche et […] réflexion sérieuses, basées sur un contact direct avec les sources de la tradition juive. » C’est notamment la mort de sa collaboratrice, Renée Bloch, dans un accident d’avion en route vers Israël, qui mit fin à la publication de cette revue.

9 janvier 1956 ● Le philosophe existentialiste Gabriel Marcel, juif converti en 1929 au catholicisme (baptisé le 23 mars 1929 ; parrain : François Mauriac), écrit à Daniel Halévy sur Rachel Bespaloff : « Comme vous — mais moins bien que vous sans doute —, je l’ai connue et je l’ai profondément admirée. C’est même trop peu dire, car ce mot implique une distance qui n’existait pas entre nous : je me suis senti lié à elle et les lettres qu’elle m’a écrites suffisent à montrer qu’elle a compris mon œuvre du dedans, sans pour autant me suivre jusqu’au bout, ce qui eût impliqué une conversion. […] L’importance presque certainement disproportionnée qu’elle attachait un moment donné à un Albert Camus est ici tout à fait significative : il faut à propos d’elle beaucoup moins parler de foi que d’une sorte de contestation passionnée […]. Mais, dans notre perspective, si différente de celle des générations antérieures à Nietzsche, cette contestation elle-même revêt la plus haute valeur religieuse. »

7 juin 1957 ● Lettre en anglais de Louis Massignon à Martin Buber : « Among several papers written by intelligent Jewish political thinkers now about an "association", "Jewish-Arab", in "Peace and Equality," yours alone dares to point at the Refugee-problem, the only necessary "Prealable", — as we say in French — , for the so longed – for Peace. Today, my monthly Day of Fasting for that peace (and I Should propose that our common our Kippur Fasting, the next one, should be shared in solemnly, not only between Jews and Christians, but with Moslem guests. I know still some noble Moslems who could share in them). »

Mai 1958 ● La revue dominicaine Lumière et Vie livre tout un dossier favorable aux Juifs, où contribuent les pères Paul Démann et Yves-Bernard Trémel en théologie.

19 novembre 1959 ● Lettre de Jacques Chardonne à l’antisémite Paul Morand : « La persécution juive à travers les âges, c’est pour moi la honte de l’humanité. Bien plus, ce cancer, et cela seulement, me donne la honte d’être un homme. Le pire, peut-être, dans ce crime permanent, c’est la stupidité. »

13 juin 1960 ● Militant pour mettre la fin de « l’enseignement du mépris » au programme du futur concile, Jules Isaac est reçu en audience privée par le pape Jean XXIII, qui lui déclare : « Vous avez le droit à plus que de l’espoir. »

1er avril 1961 (veille de Pâques) ● Sur son lit d’agonie (il mourra le 21 avril), le père Paul Doncœur confie au père Pie Duployé qu’il a « de la chance d’habiter une ville où enseigne Neher », qu’« il faut lire les théologiens juifs » et que « Buber a beaucoup à nous apprendre. »

Juin 1962 ● Le projet Decretum de Judaeis du Secrétariat pour la promotion de l’unité des chrétiens, commandé le 18 septembre 1960 par le pape Jean XXIII au cardinal Augustin Bea, est retiré suite aux rumeurs d’agitation dans les pays arabes ; le concile Vatican II ouvrira le 11 octobre 1962.

30 novembre 1963 ● Première représentation du Vicaire (Der Stellvertreter) de Rolf Hochhuth au Théâtre de l’Athénée, qui provoquera des heurts à Paris en décembre de la même année ; elle suscite en effet le débat sur l’attitude de l’Église catholique et de Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale.

26 mars 1964 ● Paul Rassinier, sous le pseudonyme de Jean-Pierre Bermont, nie dans Rivarol l’existence des chambres à gaz ; attaqué pour diffamation, le négationniste est jugé et condamné en octobre 1965 ; mais Edmond Michelet, rescapé de Dachau qui sera nommé Juste parmi les Nations le 10 septembre 1995, a des ménagements étonnants pour « ce Mensonge d’Ulysse que je viens de relire et qui comporte encore quelques erreurs indiscutables, mais qui n’en paraît pas moins inspiré des sentiments que je trouve quant à moi honorables. » (lettre à Rassinier en date du 16 novembre 1964).

28 octobre 1965 ● Proclamation de Nostra Ætate, quelques jours avant la parution, en novembre du mystère d’Israël et autres essais de Jacques Maritain.

Janvier 1966André Chouraqui et le père Jean Daniélou publient leur dialogue Les Juifs (Beauchesne).

5-10 juin 1967 ● Guerre des Six-Jours, point de départ d’un certain antisionisme chrétien et d’un changement d’esprit des Juifs de France, selon Jean-Marie Domenach (Esprit, avril 1968) : « Nous avons eu le sentiment, l’été dernier, que la manière d’être juif en France changeait. » Eugène Ionesco écrit ainsi dans Preuves (juillet-décembre 1967) : « Bref, je suis pour les Juifs… J’ai finalement choisi le peuple qui a su parler avec nous, même si ce peuple est à peine moins mauvais que les autres. »

24 juin 1968 ● Marcel Jouhandeau écrit : « Je ne suis plus du tout antisémite ni raciste. En 1936-1937, la France était gouvernée par une majorité d’israélites, dont Blum et Jean Zay et Cie : je m’étais senti hostile à une telle mainmise sur notre pays. »

9 décembre 1969 ● Dans une interview à « Europe 1 », le grand rabbin Jacob Kaplan dénonce l’ambiance antisémite sur les campus universitaires.

26 avril – 25 mai 1970 ● Propos de Romain Gary recueillis par Richard Liscia pour « L’Arche » : « Q. De Gaulle a dit un jour des Juifs que c’était un peuple d’élite, sûr de lui et dominateur. Comment avez-vous réagi ? — R. J’ai réagi très bien. J’ai été extrêmement flatté dans la mesure où ma mère était juive. C’était la première fois dans leur histoire que les Juifs étaient traités de peuple d’élite. J’ai fait une expérience : ces propos ont été tenus au mois de novembre de cette année-là et au mois de décembre, les écrivains et les artistes faisaient leurs vœux à la France par l’intermédiaire de l’O.R.T.F. Et j’ai souhaité une excellente année au peuple français, ce peuple d’élite, sûr de lui et dominateur. Il n’y a pas eu une seule protestation, les auditeurs français ne se sont pas du tout vexés ; il n’y avait que les Juifs qui s’étaient vexés des propos Gaulle. Et pourquoi ? Parce que, malheureusement, les Juifs sont contaminés par l’antisémitisme. »

Décembre 1971 ● Jean Guitton dans Ce que je crois (Grasset) écrit : « Il m’arrive de considérer la vérité religieuse sous la forme d’une pyramide comportant des niveaux successifs. […] Sur cette base, je vois les juifs, les musulmans, les chrétiens, c’est-à-dire tous ceux qui admettent ce que nous appelons de nos jours la transcendance. Plus étroite est la base qui rassemble tous ceux qui croient au Christ. Plus étroit encore est le niveau des chrétiens qui admettent une Église épiscopale et visible, comme sont les orthodoxes ou les anglicans. Enfin, à l’extrême pointe de ma pyramide, c’est la plateforme supérieure, où ne se retrouvent que les seuls catholiques. Dans cette pyramide comme dans les ordres de Pascal, le niveau inférieur ne peut admettre le niveau supérieur, dans lequel il voit erreur, songe, illusion, mais la réciproque n’est pas vraie. »

22 juin 1972 ● Après plus de 20 ans de lutte, le Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et pour la paix (MRAP) obtient une loi contre le racisme, dite « loi Pleven ».

28 avril 1973 ● Mort de Jacques Maritain, six mois avant la guerre israélo-arabe (dite « du Kippour »), qui opposera, du 6 au 24 octobre, Israël à une coalition menée par l’Égypte et la Syrie.