Juifs et catholiques en France :
1892-1973, une chronologie
Nous ne
connaissons pas d’équivalent de cette chronologie, que nous espérons donc
utile, quoique très sélective : nous avons voulu qu’en règle générale elle
ne donne qu’une date par année. Grandes dates et petits faits se croiseront au
probable étonnement du lecteur ; mais n’est-ce pas la curiosité même de
l’Histoire que d’entremêler ainsi des faits hétérogènes ?
R. Vaissermann
1892 ● Le 20 février, Léon XIII
publie l’encyclique « Au milieu des sollicitudes », dans laquelle il
appelle les catholiques français à se rallier à la République. Le 20 avril,
Édouard Drumont, l’auteur de La France juive (1886), lance La
Libre Parole, journal
antisémite qui ne rencontre pas grand succès, mais où collaborent des
catholiques : Léon Daudet, Raphaël Viau, l’abbé Cantenot…. Le 12 septembre, parution du Salut par les Juifs de Léon Bloy.
7 juin 1893 ● Maurice Blondel
dans sa thèse L’Action. Essai d’une critique de la vie et d’une
science de la pratique (Alcan) essaie de transcender l’incompatibilité
apparente entre raison et foi.
1er novembre 1894 ●
Gaston Méry commence une longue campagne contre Dreyfus dans La Croix, qui en 1890 se proclamait
« le journal catholique le plus anti-juif de France ».
5 janvier 1895 ● Le capitaine Alfred Dreyfus est dégradé publiquement dans la
cour de l’École Militaire de Paris, aux cris de « À mort les Juifs
! », puis emprisonné.
7 novembre 1896 ● La Libre parole, après avoir mis au
concours l’étude suivante : « Des moyens pratiques d’arriver à
l’anéantissement de la puissance juive en France, le danger juif étant
considéré au point de vue de la race et non au point de vue religieux »,
déclare avoir reçu plus de 150 manuscrits (dans le jury : Maurice Barrès,
Urbain Gohier, Ernest Rouyer…).
27 février 1897 ● Conférence houleuse d’Anatole
Leroy-Beaulieu dans la Salle des Actes de la Catho, sur les causes de l’antisémitisme,
« contraire à l’Évangile, à la charité chrétienne, à l’esprit
chrétien. »
4 février 1898 ●
Huysmans dans La Libre parole
condamne le J’accuse d’Émile
Zola : « Zola s’est mis du côté des Juifs par haine de l’Église et
par amour pour le veau d’or » ; une quinzaine de jours après, le 22
février 1898, il décrit les juifs de Hambourg avec un racisme féroce dans L’Écho de Paris, que reprend La Libre parole du lendemain.
15 janvier 1899 ● Dernière des
18 listes de souscription destinées depuis le 14 décembre 1898 à aider la veuve
du colonel Henry – répertoire de la haine antisémite (parmi les
souscripteurs : Maurice Barrès, François Coppée, Paul Valéry…).
4 janvier 1900 ● Après
l’affaire dite de Fort-Chabrol (siège du « Grand Occident de France »
fondé en 1899), André Buffet, Paul Déroulède, Eugène
de Lur-Saluces
reçoivent des peines de cinq à dix ans de
bannissement. Jules Guérin est condamné à dix ans de détention. Tous les autres
accusés, membres de la « Ligue de la patrie française » (1898), sont
acquittés.
19 décembre 1901 ● Samuel
Lattès écrit à l’abbé Georges Frémont, philosémite : « J’ai des
frères que de légitimes scrupules de conscience empêchent de franchir le seuil
de vos églises ; ils croient que les prêtres excitent contre eux la haine
des chrétiens. Je vais leur dire, moi dont le témoignage n’est pas suspect, que
j’ai entendu un mot d’amour tomber de la chaire catholique. Ah ! pour Dieu,
dites souvent ces mots-là ! »
4 septembre 1902 ● Eugène
Michaud, membre de l’Église vieille-catholique, écrit dans son Journal : « Mon âme habite des
régions si hautes que je puis me sentir à la fois catholique et protestant,
juif et même musulman. Ces diverses formes religieuses sont diversement belles,
aucune n’est absolument vraie : sous leurs noms différents, je retrouve,
uniquement, la foi en un Dieu personnel et vivant. »
Janvier 1903 ● Léon Chaine
publie chez Storck la suite de sa Lettre d’un catholique lyonnais à un
évêque sur l’affaire Dreyfus :
Les Catholiques français et leurs
difficultés actuelles, gros succès de librairie.
30 mars 1904 ● Léon Sentupéry
souligne dans Lyon républicain le
grand silence catholique qui entoure les œuvres philosémites de l’abbé Joseph Brugerette
(dont L’Affaire Dreyfus et la mentalité
catholique en France, Stock, 1904).
26 décembre 1905 ● Dans ses Cahiers de la quinzaine, Charles Péguy
publie Et vous riez, recueil poétique
d’André Spire, grand poète juif de
langue française.
15 décembre 1906 ● Charles
Maurras écrit dans Le Dilemme de Marc
Sangnier (IV) : « En s’éloignant de Rome, nos clercs évolueront,
de de plus en plus, comme ont évolué les clercs d’Angleterre, d’Allemagne et de
Suisse, même de Russie et de Grèce. Devenus, de prêtres, pasteurs et ministres de
l’Évangile, ils tourneront, de de plus en plus, au rabbinisme, et vous
feront cingler peu à peu vers Jérusalem. »
15 mai 1907 ● Le marquis
réactionnaire La Tour du Pin développe les raisons de son antisémitisme dans
son ouvrage capital Vers un ordre social
chrétien. Jalons de route. 1882-1907 (Nouvelle Librairie nationale).
7 mars 1908 ● Le pape Pie X excommunie Alfred Loisy après avoir, en 1907, interdit le « modernisme » par le
décret Lamentabili et l’encyclique Pascendi ; les deux
« petits livres » rouges de Loisy, insistant sur le caractère juif de
la mentalité de Jésus, s’étaient démarqués des passions soulevées au même
moment par l’affaire Dreyfus et Loisy offrait une lecture originale et positive
du judaïsme sacerdotal d’après l’exil babylonien.
17 juin 1909 ● Mort à Lyon (5e
arrondissement) d’Augustin Lémann [Achille-Isaac-Lémann Lévy], frère de Joseph
Lémann [Édouard-Isaac-Lémann Lévy] : les deux jumeaux, d’origine juive
ashkénaze, se sont convertis au catholicisme en 1854, sont entrés dans les ordres en 1860 et ont ensuite écrit une
bonne cinquantaine d’ouvrages, notamment sur les rapports entre catholicisme et judaïsme, et sur
le destin spirituel du peuple juif.
1910 ● Péguy révèle sa conversion en publiant le
Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc le 16
janvier dans ses Cahiers de la
quinzaine : « Quel peuple mon Dieu ne se fût estimé heureux, quel
peuple parmi tant de peuples, quel peuple parmi les innombrables peuples,
d’être votre peuple ; quel peuple n’eût voulu être à leur place ; peuple
élu ; race élue, quelle race n’eût voulu être la race élue ; votre race ; élue
parmi tant d’autres ; parmi toutes les races ; parmi les innombrables autres ;
au dessus des autres ; par dessus les têtes de toutes les innombrables autres ;
quel peuple n’eût demandé à être votre peuple ; quel peuple n’eût joui d’être
votre peuple ; élu, de quelle élection ; à n’importe quel prix, mon Dieu,
à n’importe quel prix temporel, fût-ce au prix de cette dispersion. » ; la même année, le 20 novembre,
il publie en Notre Jeunesse une grande apologie de
son ami défunt Bernard-Lazare : « Les
antisémites parlent des Juifs. Je préviens que je vais dire une énormité :
Les antisémites ne connaissent point
les Juifs. Ils en parlent, mais ils ne les connaissent point. Ils en
souffrent, évidemment beaucoup, mais ils ne les connaissent point. Les
antisémites riches connaissent peut-être les Juifs riches. Les antisémites
capitalistes connaissent peut-être les capitalistes. Les antisémites d’affaires
connaissent peut-être les Juifs d’affaires. Pour la même raison, je ne connais
guère que des Juifs pauvres et des Juifs misérables. Il y en a. Il y en a tant
que l’on n’en sait pas le nombre. J’en vois partout. / Il ne sera pas dit qu’un
chrétien n’aura pas porté témoignage pour eux. Il ne sera pas dit que je
n’aurai pas témoigné pour eux. Comme il ne sera pas dit qu’un chrétien ne
témoignera pas pour Bernard-Lazare. »
1911 ●
Mgr Henri Delassus
reprend dans La Question juive (DDB)
des pages de la Conjuration antichrétienne
(DDB, 1910) : « Le Juif a, depuis longtemps, répudié la loi de Moïse comme
il a repoussé l’Évangile. Mais ce n’est pas dans la Bible qu’il puise sa foi et
sa loi, c’est clans le Talmud que l’on peut définir le code de la haine la plus
violente, la plus perfide, la plus implacable. Le Talmud est à l’Évangile ce
que l’enfer est au ciel, ce que Satan est à Notre-Seigneur Jésus-Christ. »
4
décembre 1912 ● Un roman de Julien Benda, L’Ordination, se
retrouve finaliste pour le Prix Goncourt 1912 mais sans l’obtenir finalement : son auteur attribuera cet
échec à ses propres origines juives, à son activité passée de dreyfusard et à
la présidence de Léon Daudet, son ancien condisciple du lycée Charlemagne.
25
septembre – 28 octobre 1913 ● Procès à Kiev d’un juif nommé Beilis et
accusé du meurtre rituel d’un jeune écolier, à l’origine de l’« Affaire
Beilis », qui soulève l’indignation de nombreuses personnalités en France
(Mgr Duchesne, Anatole France, Alfred Loisy…) ; mais l’abbé Jouin ou Léon
Daudet dans L’Action française s’en
prennent à elles.
27 janvier 1914 ● Léon Daudet
dans L’Action française mène campagne
contre la candidature d’Henri Bergson à l’Académie française :
« Bergson est un juif militant, dreyfusard de la première heure et
d’autant plus dangereux qu’il est plus sournois. C’est le juif d’endormement
idéologique. » ; le 1er juin de la même année, trois
livres de Bergson sont mis à l’Index : Essai
sur les données immédiates de la conscience (1889) ; Matière et mémoire (1896) ; L’Évolution créatrice (1907).
18 février 1915 ● Max Jacob, né une famille juive non pratiquante et
voltairienne, a une vision qui le déterminera à se convertir au catholicisme et
à suivre la vie monacale d’un oblat séculier rattaché à l’abbaye de Fleury
(Saint-Benoît-sur-Loire), à partir de 1936.
9 février 1916 ● En réponse à
l’American Jewish committee, le
cardinal Pietro Gasparri dans une lettre témoigne de la sollicitude de Benoît
XV en faveur des juifs de Pologne, menacés par des pogroms : « Le
pontife suprême ressent, en ce moment,
dans son cœur paternel [...]
qu’il est nécessaire pour tous les hommes de se souvenir qu’ils sont frères, et
que leur salut réside dans le retour à la loi d’amour qui est la loi de
l’Évangile. » (New York Times du
17 avril 1916 ; Civilta Cattolica,
28 avril 1916) : « The Supreme Pontiff at this moment feels in his fatherly heart [...] the
necessity of all men remembering that they are brothers and that their
salvation lies in return to the law of love which is the law of the Gospel. »
28 avril 1917 ● Maurice Barrès écrit dans Les
diverses familles spirituelles de la France (Émile-Paul) :
« Une grande affaire d’Israël dans son éternelle pérégrination, c’est de
se choisir une patrie. Il ne la tient pas toujours de ses aïeux ; il l’acquiert
alors par un acte de volonté, et sa nationalité est sur lui comme une qualité
dont il se préoccupe de prouver qu’il est digne. » (prépublication du
chapitre sur les Israélites : L’Écho
de Paris, 11 et 13 décembre 1916).
29 avril 1918 ● Mort au champ d’honneur, près du mont
Kemmel, de Marc Boasson,
israélite converti entre 1906 et 1910 au catholicisme ; on lit parmi ses Lettres de guerre, préfacées par Gabriel
Marcel (Plon, 1926) : « J’estime que même après la guerre, même après avoir
payé l’impôt du sang, il reste au Juif français, un grand devoir à
remplir : il faut qu’il rompe délibérément avec son passé juif qui le rend
solidaire de toutes sortes de judaïsmes étrangers et le distrait de sa patrie,
qu’il soit religieusement ce qu’il veut : il faut qu’il se déjudaïse,
qu’il cesse d’être juif, que sa pensée ne connaisse plus ce judaïsme, barrière
encore entre les Français de France et lui, Français avant tout… Et s’il lui
faut pour cela sacrifier quelque chose de lui-même, l’hésitation n’est pas
permise : qu’il ne soit pas catholique, qu’il soit païen s’il le veut, la
France de la Renaissance l’était bien. Qu’il ne soit plus juif, frère comme
tout le répète, comme tout le crie, du Juif allemand, du Juif russe, du Juif
polonais. Le judaïsme n’est pas une religion, c’est une nation, on est Juif ou Français. »
3 janvier 1919 ● Participant dès 1916 aux
négociations franco-britanniques de partage de l’Empire ottoman, Louis
Massignon est ensuite l’un des artisans de l’accord Fayçal-Weizmann qui
prévoit, conformément à la déclaration Balfour, la création d’un Foyer national
juif à l’intérieur d’un Royaume promis aux Arabes en récompense de leur
rébellion contre les Ottomans ; sous l’influence d’Aaron Aaronsohn,
l’islamologue éprouve d’abord pour les pionniers d’Eretz Israel une
sympathie enthousiaste qui lui fait souhaiter la réussite de l’établissement du
Foyer national juif en Palestine.
27
décembre 1920 ● Mort de Joseph
Esquirol, fondateur du Bloc catholique
de Toulouse le 1er novembre 1902 ; mais continuation de sa
revue de catholicisme intégral – qui voulait contrer le bloc
« judéo-maçonnique » –, où publièrent Théodore Botrel, Ferdinand
Brunetière, l’abbé Jules-Gervais Contensou, François Coppée, Mgr Henri
Delassus…
1921 ● Publication d’un livre d’or : Les Israélites dans
l’armée française, par les soins d’une commission d’historiens et de
rabbins chargée dès 1915 par le Consistoire central israélite de France
d’établir le nombre de Juifs mobilisés dans les armées, les décorés, les blessés
et les morts au champ d’honneur.
1922 ●
Le père Ernest Jouin donne une traduction des Protocoles des Sages de Sion (1903-1905) dans la Revue
internationale des sociétés secrètes qu’il a fondée en 1912, sous le titre : Les
Protocols de 1901 ;
une première traduction
due à madame Eugène de Pavlov de Tannenberg, née Claudine
Funk Brentano, avait paru dans La
Libre Parole sous le titre « Le péril juif », du 27 juillet au 21
août 1920.
28 août
1923 ● Le père Léon Merklen devient directeur de la Documentation catholique
et le sort de l’antisémitisme ; il en fera de même avec La Croix,
quand il sera nommé corédacteur en chef du quotidien, le 16 décembre 1927.
1924 ●
Cessent de paraître La Franc-Maçonnerie démasquée de l’abbé Joseph
Tourmentin (mars) et La Libre parole, alors dirigée par Joseph Denais et
Jean Lerolle (21 juin).
7 mars
1925 ● Jean-Pierre Altermann, issu d’une famille juive russe, est ordonné
prêtre, et deviendra le guide spirituel de nombreux intellectuels catholiques,
dont Charles du Bos et François Mauriac.
29 décembre 1926
● Décret de la Suprême congrégation du Saint-Office
condamnant certaines œuvres de Charles Maurras et le journal L’Action
Française.
9 décembre 1927 ● Pendant la
semaine des écrivains catholiques (5-11 décembre), la question juive est au
programme de débats sous la présidence de Stanislas Fumet : Maurice
Vaussard y insiste sur la liberté qu’il fallait laisser aux juifs de s’établir
en Palestine ; Joseph Wilbois démontre que l’émulation est possible entre
la religion aînée et la cadette ; le père Marcel Jousse pense qu’écrivains
juifs et catholiques peuvent collaborer à l’étude des textes sacrés, qui n’est
pas sans annoncer le Foyer judéo-catholique lancé en février 1936…
25 mars 1928 ● La Congrégation
pour la doctrine de la foi dissout l’Opus
sacerdotale Amici Israel, association internationale fondée le 24 février
1926 et ayant pour objet la prière et l’apostolat en vue de la conversion des
Juifs. Mais le Saint-Office, par décret du 25 septembre 1928, « condamne tout
particulièrement la haine contre le peuple jadis élu de Dieu et notamment cette
haine qu’on a l’habitude de désigner par le mot antisémitisme. »
5 octobre – 7 novembre 1929 ● Albert Londres
publie dans Le Petit Parisien la
série de 27 articles « Le drame de la race juive : des ghettos d’Europe à
la Terre promise » rédigée à Évian en août (elle sortira en volume séparé
chez Albin-Michel en janvier 1930) :
« Oui, ils attendent encore le Messie et c’est pourquoi le reste leur est
égal. Riez-leur au nez, parquez-les dans des wagons spéciaux, refusez-leur la
possession de la terre, mais ne touchez ni au Shabbat ni à la Torah, ni à leurs
boucles… » À la fin, il lance au juif errant : « Tu as créé des
colonies, construit des villes, acheté et cultivé la terre de Palestine. Mais
attention ! Car c’est alors que tu commences à faire des bêtises. Ton
vieux bâton de chemineau devient orgueilleux comme une hallebarde. Tu le
laissais froidement choir sur les pieds des Arabes. Ton mouvant et émouvant
esprit balaya vingt siècles d’un revers de pensée. Tu rentrais chez toi comme
les ci-devants derrière Louis XVIII sans demander à connaître celui qui, depuis
ton départ, avait acheté ta maison… Écoutez, Arabes, disais-tu, vous voulez
savoir quel est mon but ? Le voici : c’est la création d’une majorité
juive. L’Agence juive, chers Arabes, que le congrès vient de créer, va me
permettre d’intéresser les juifs non errants à l’achat de ce beau pays. Dans
dix ans, il sera le mien. Dans vingt ans, cinq cent mille de mes frères seront
venus me rejoindre… Je serai le sixième dominion. Fanfare ! Et, là-dessus,
tu faisais jouer Hatikhvah. »
22 septembre 1930 ● Jean de
Menasce, qui avait envisagé en 1926 – l’année de son baptême – de s’installer
en Palestine, entre au noviciat des dominicains ; en novembre de l’année
suivante, il publie Quand Israël aime
Dieu : introduction au hassidisme (Plon), preuve qu’un juif pouvait se
convertir sans abandonner tout intérêt pour Israël et même pour le sionisme.
17
février 1931 ● Georges Bernanos
publie La Grande Peur des bien-pensants chez Grasset, hommage à Drumont
et occasion de fréquentes associations des
Juifs à la finance.
Décembre 1932 ● Alfred
Poizat publie Le Miracle juif (Albin
Michel ; l’expression vient de L’Histoire
du peuple d’Israël de Renan), « appel à
l’union des âmes religieuses, prélude indispensable à l’établissement de la
paix, dont le monde a tant besoin », dédié à Bergson et où il
affirme : « Le christianisme est judaïsme dans son fond. »
8
avril 1933 ● Après les humiliations subies par les Juifs dans les rues de
Munich, le cardinal Jean Verdier demande, dans La Croix et La Semaine
religieuse de Paris, de « prier pour que cessent les maux dont souffrent
actuellement les Juifs. Ces prières pour des frères malheureux seront une
protestation vraiment chrétienne contre des procédés inhumains si opposés à la
vraie civilisation. »
Février 1934 ● Traduction
française intégrale de Mein Kampf [1925-1926]
d’Adolf Hitler, aux Nouvelles éditions latines, par Jean Gaudefroy-Demombynes
et André Calmettes.
1935 ● Oscar de Férenzy publie chez Flammarion Les Juifs et nous chrétiens, ouvrage
philosémite préfacé par le supérieur général des prêtres-missionnaires des de
Notre-Dame de Sion et généralement salué dans la presse juive et
chrétienne ; le 1er juillet de l’année suivante, Férenzy
lancera avec succès La Juste parole,
patronnée par Jacques Maritain, François Mauriac et les pères Joseph Bonsirven,
Théomir Devaux et Marie-André Dieux.
8 octobre 1936 ● Marcel Jouhandeau, auteur du Péril juif
(Sorlot, 1936), publie « Comment je suis devenu antisémite »
dans L’Action française, article qui
provoque sa rupture avec Max Jacob ; cette même année, avant d’évoluer vers
un antisémitisme féroce qui survivra à la Seconde Guerre mondiale, Paul Morand
a ce mot : « La différence entre 1900 et 1936, c’est qu’en 1900 la
France était antisémite, tandis qu’en 1936 elle ne l’est heureusement
plus. »
28 décembre 1937 ● Louis-Ferdinand Céline publie
chez Denoël le pamphlet Bagatelles pour un
massacre, véritable appel aux pogroms, à la fin de l’année où Plon avait
publié Les Juifs, recueil contenant
un texte remarqué de Paul Claudel : « La législation abominable et stupide
dirigée contre vos coreligionnaires en Allemagne me remplit d’indignation et
d’horreur… » L’Osservatore
romano, rendant compte de ce dernier ouvrage, évoquera le 4 mars 1938 les «
chapitres IX à XI de l’épître aux Romains, que nous devrions connaître et
ferions bien de méditer. »
4 mai 1938 ● Lors d’une conférence à
la Ligue Franc-Catholique, perturbée par la LICA, Hermann de Vries,
auteur d’Israël, son passé, son avenir (Perrin, 1937), déclare :
« Au lieu de parler d’une civilisation judéo-chrétienne qui n’a jamais existé et n’existera jamais, il faut
défendre la civilisation chrétienne tout court. Les mauvais bergers qui nous parlent de civilisation judéo-chrétienne, ces Maritain et ces
Mauriac, sont peut-être des lumières dans leurs domaines respectifs : ils font
une œuvre néfaste lorsqu’ils s’occupent de la question juive. » Six mois plus tard, le 24 novembre 1938, Céline publie chez Denoël le pamphlet L’École des cadavres, pacifiste et
antisémite.
Septembre 1939 ● Fondation
à
Paris de la Maison d’Ananie,
par l’abbé Jean-Pierre Altermann et des laïcs,
dont
Jacques Maritain et son
entourage ; cette association catholique a pour
mission l’accueil des catéchumènes, dont fit partie l’abbé
Altermann.
28 février 1940 ● Mise à l’Index de deux livres
d’Edmond Fleg : L’Enfant prophète,
NRF, 1926 ; Jésus raconté par le
Juif errant, Gallimard, 1933.
4 janvier 1941 ● Mort d’Henri Bergson, qui
confiait dans son
« testament » écrit le 8
février 1937 : « Mes réflexions m’ont
amené de plus en plus près du catholicisme, où je vois l’achèvement complet du
judaïsme. Je me serais converti, si je n’avais vu se préparer depuis des années
(en grande partie, hélas ! par la faute d’un certain nombre de Juifs
entièrement dépourvus de sens moral) la formidable vague d’antisémitisme qui va
déferler sur le monde. »
8 octobre 1942 ● Robert Brasillach, dans Au Pilori, crie haro sur Mgr Pierre
Gerlier : « Du
fait de son autorité sacerdotale qu’il prostitue, cet homme est un danger public
et il est un de ceux qui méritent immédiatement le poteau. Au nom de la France,
au nom de ma Patrie chérie, de la chrétienté tout entière, je réclame la tête
de Gerlier, cardinal, talmudiste délirant, traître à sa foi, à son pays, à sa
race – Gerlier, je vous hais. »
10 mai 1943 ● Troisième
édition de la « Liste Otto »
(en référence à Otto Abetz)
des « ouvrages littéraires français non désirables », interdits de
publications et retirés de la vente, complétée par une liste de 739
« écrivains juifs de langue française ».
28 juin 1944 ● Des résistants tuent
Philippe Henriot, catholique virulent et antisémite notoire, voix du
« Radio-Journal de France » et adversaire acharné de Maurice Schumann
à Londres.
15 mars 1945 ●
Suicide de Pierre Drieu la Rochelle, dont voici le testament en date du
15 septembre 1939 : « Je meurs dans la religion catholique, héritière
beaucoup plus que la religion juive de la religion antique, grecque et aryenne.
Je meurs antisémite (respectueux des Juifs sionistes). Je meurs maurrassien,
avec le regret de n’avoir pas mieux servi Maurras et l’Action française.
Que ne me suis-je rendu digne d’être le successeur de Maurras. Je crache sur le
radicalisme et la franc-maçonnerie qui ont perdu la France. » Drieu la Rochelle avait écrit en 1934, dans La Comédie de Charleroi :
« Ils s’en sont donné du mal pour les Patries dans cette guerre-là [14-18],
les Juifs ! »
Juillet 1946 ● Jules Isaac dans
Comment on écrit l’histoire, tiré d’Europe, s’insurge contre Daniel-Rops et
son interprétation de la phrase : « Que son sang retombe sur nous et sur nos
enfants. »
30 juillet – 5 août 1947 ● Conférence de Seelisberg étudiant les causes de l’antisémitisme des chrétiens (présents :
Jules Isaac, Jacob Kaplan, Alexandre Safran, Paul Démann, Charles Journet,
Marie-Benoît Péteul…).
26
février 1948 ● Un
groupe de protestants (le pasteur Jacques Martin), de catholiques (Jean
Daniélou, Jacques Madaule, Henri-Irénée Marrou), d’orthodoxes (Georges
Florovski, Léon Zander) et de juifs (Edmond Fleg, Jules Isaac, Jacob Kaplan)
créent l’Amitié judéo-chrétienne à Paris ; le 14 mai 1948 est proclamée l’indépendance de l’État
d’Israël.
1949 ● Année d’une déception et d’une joie pour
Jules Isaac : en juin, Henri-Irénée Marrou écrit dans Esprit (« Trois apostilles ») : « S’il y a une
racine religieuse, chrétienne, à l’antisémitisme moderne, elle ne réside pas dans une confusion au sein de la hiérarchie des
causes de la Crucifixion, mais bien, et proprement, dans la Perfidia Judaica,
dans l’infidélité d’Israël, dans son refus persistant, obstiné, de
reconnaître, dans le juif Yeschoua, le Messie Fils Unique de Dieu, incarné pour
nous et pour notre salut. C’est en cela qu’aux yeux du chrétien le juif a
tort ; et c’est à partir de ce reproche qu’un christianisme brutal et
mal éclairé a pu développer, a, de fait, hélas, développé une haine du
juif. » ; le 16 octobre, Jules Isaac est reçu par le pape Pie
XII, à qui il expose les « Dix points » de Seelisberg et suggère de
réviser la prière du Vendredi saint.
8 décembre 1950 ● Maurice Bardèche exprime
des thèses négationnistes dans Nuremberg II ou Les Faux-Monnayeurs (Les
Sept Couleurs), suite de Nuremberg ou la Terre promise (Les
Sept Couleurs, octobre 1948).
11 avril 1951 ● François Mauriac dans la préface au livre de
Léon Poliakov, Bréviaire de la haine (Calmann-Lévy) :
« À nous chrétiens, héritiers d’une tradition de haine contre la race déicide il appartient d’y
substituer une tradition nouvelle fondée sur l’Histoire : la première Église,
celle de Jérusalem, était Juive, Juifs les premiers martyrs et cet Étienne dont
le visage était pareil à celui d’un ange, Juives, la mère du Seigneur, et cette
Madeleine qui préfigure à jamais toutes les grandes âmes à qui il sera beaucoup
pardonné parce qu’elles ont beaucoup aimé, Juifs, les deux disciples au
crépuscule sur le chemin d’Emmaüs écoutant cet Inconnu qui leur expliquait les
Écritures. »
3 avril 1952 ● Après avoir
publié Une voix sur Israël et L’Évangile d’Isaïe, Paul Claudel livre
au Monde un entretien avec André
Chouraqui intitulé « Le mystère d’Israël » ; à propos de l’État
d’Israël, il affirme : « La main de Dieu a conduit les Juifs comme
autrefois pour les faire sortir d’Égypte. Comment ne pas voir une intention
providentielle et un accomplissement des prophètes de l’Ancien Testament dans
ce retour miraculeux ? »
7 février 1953 ● Le grand rabbin Jacob Kaplan déclare dans Combat que « la conscience du pays » n’accepterait pas,
au sujet de l’affaire Finaly, une « nouvelle affaire Mortara » ; les deux enfants Finaly ne retrouvent leur
famille qu’en juin 1953.
26 mars 1954 ● L’Amitié
judéo-chrétienne de France déclare en épilogue à l’affaire Finaly : « Un
baptême contre la volonté des parents est condamnable, que les complicités pour
soustraire les enfants à leur famille sont scandaleuses et que tout doit être
fait pour empêcher la répétition d’une telle situation. »
4 décembre 1955 ● Fin de la
parution des Cahiers sioniens fondés
en 1947 et dont Paul Démann avait pourtant récemment, en 1954, défini les
« Orientations » : « recherche
et […] réflexion sérieuses, basées sur un contact direct avec les
sources de la tradition juive. » C’est notamment la mort de sa
collaboratrice, Renée Bloch, dans un accident d’avion en route vers Israël, qui
mit fin à la publication de cette revue.
9 janvier 1956 ●
Le philosophe existentialiste Gabriel Marcel, juif converti en 1929 au
catholicisme (baptisé le 23 mars 1929 ; parrain : François Mauriac),
écrit à Daniel Halévy sur Rachel Bespaloff : « Comme vous — mais
moins bien que vous sans doute —, je l’ai connue et je l’ai profondément
admirée. C’est même trop peu dire, car ce mot implique une distance qui
n’existait pas entre nous : je me suis senti lié à elle et les lettres qu’elle
m’a écrites suffisent à montrer qu’elle a compris mon œuvre du dedans, sans
pour autant me suivre jusqu’au bout,
ce qui eût impliqué une conversion. […] L’importance presque certainement
disproportionnée qu’elle attachait un moment donné à un Albert Camus est ici tout
à fait significative : il faut à propos d’elle beaucoup moins parler de foi que d’une sorte de contestation passionnée
[…]. Mais, dans notre perspective, si différente de celle des générations
antérieures à Nietzsche, cette contestation elle-même revêt la plus haute
valeur religieuse. »
7 juin 1957 ● Lettre en anglais de Louis
Massignon à Martin Buber : « Among several papers written
by intelligent Jewish political thinkers
now about an "association", "Jewish-Arab", in "Peace
and Equality," yours alone dares to point at the Refugee-problem, the only
necessary "Prealable", — as we say in French — , for the so longed –
for Peace. Today, my monthly Day of Fasting for that peace (and I Should
propose that our common our Kippur Fasting, the next one, should be shared in
solemnly, not only between Jews and Christians, but with Moslem guests. I know
still some noble Moslems who could share in them). »
Mai 1958 ● La revue dominicaine Lumière et Vie livre tout un dossier
favorable aux Juifs, où contribuent les pères Paul Démann et Yves-Bernard
Trémel en théologie.
19 novembre 1959 ● Lettre de Jacques Chardonne à
l’antisémite Paul Morand : « La persécution juive à travers les âges,
c’est pour moi la honte de l’humanité. Bien plus, ce cancer, et cela seulement,
me donne la honte d’être un homme. Le pire, peut-être, dans ce crime permanent,
c’est la stupidité. »
13 juin 1960 ● Militant pour
mettre la fin de « l’enseignement du mépris » au programme du futur
concile, Jules Isaac est reçu en audience privée par le pape Jean XXIII, qui lui déclare : « Vous avez le droit à plus que de
l’espoir. »
1er avril 1961 (veille de Pâques) ●
Sur son lit d’agonie (il mourra le 21 avril), le père Paul Doncœur confie au
père Pie Duployé qu’il a « de la chance d’habiter une ville où enseigne
Neher », qu’« il faut lire les théologiens juifs » et que
« Buber a beaucoup à nous apprendre. »
Juin
1962 ● Le projet Decretum de Judaeis du Secrétariat pour la
promotion de l’unité des chrétiens, commandé le 18 septembre 1960 par le
pape Jean XXIII au cardinal Augustin Bea, est retiré suite
aux rumeurs d’agitation dans les pays arabes ; le concile Vatican II
ouvrira le 11 octobre 1962.
30 novembre 1963 ● Première représentation du Vicaire (Der Stellvertreter) de Rolf Hochhuth au Théâtre de l’Athénée, qui
provoquera des heurts à Paris en décembre de la même année ; elle suscite
en effet le débat sur l’attitude de l’Église catholique et de Pie XII pendant
la Seconde Guerre mondiale.
26 mars 1964 ● Paul Rassinier,
sous le pseudonyme de Jean-Pierre Bermont, nie dans Rivarol l’existence
des chambres à gaz ; attaqué pour diffamation, le négationniste est jugé
et condamné en octobre 1965 ; mais Edmond Michelet, rescapé de Dachau qui
sera nommé Juste parmi les Nations le 10 septembre 1995, a des ménagements
étonnants pour « ce Mensonge
d’Ulysse que je viens de relire et qui comporte encore quelques erreurs
indiscutables, mais qui n’en paraît pas moins inspiré des sentiments que je
trouve quant à moi honorables. » (lettre à Rassinier en date du 16 novembre
1964).
28 octobre 1965 ● Proclamation
de Nostra Ætate, quelques jours avant la parution, en novembre du mystère d’Israël et autres essais de
Jacques Maritain.
Janvier
1966 ● André Chouraqui et le père Jean Daniélou publient leur
dialogue Les Juifs (Beauchesne).
5-10 juin 1967 ● Guerre des
Six-Jours, point de départ d’un certain antisionisme chrétien et d’un
changement d’esprit des Juifs de France, selon Jean-Marie Domenach (Esprit, avril 1968) : « Nous
avons eu le sentiment, l’été dernier, que la manière d’être juif en France
changeait. » Eugène Ionesco écrit ainsi dans Preuves (juillet-décembre 1967) : « Bref, je suis pour
les Juifs… J’ai finalement choisi le peuple qui a su parler avec nous, même si
ce peuple est à peine moins mauvais que les autres. »
24 juin 1968 ● Marcel
Jouhandeau écrit : « Je ne suis plus du tout antisémite ni raciste.
En 1936-1937, la France était gouvernée par une majorité d’israélites, dont
Blum et Jean Zay et Cie : je m’étais senti hostile à une telle
mainmise sur notre pays. »
9 décembre 1969 ● Dans une interview à
« Europe 1 », le grand rabbin Jacob Kaplan dénonce l’ambiance
antisémite sur les campus universitaires.
26 avril – 25 mai 1970 ●
Propos de Romain Gary recueillis par Richard Liscia
pour « L’Arche » : « Q. De
Gaulle a dit un jour des Juifs que c’était un peuple d’élite, sûr de lui et
dominateur. Comment avez-vous réagi ? — R.
J’ai réagi très bien. J’ai été extrêmement flatté dans la mesure où ma mère
était juive. C’était la première fois dans leur histoire que les Juifs étaient traités
de peuple d’élite. J’ai fait une expérience : ces propos ont été tenus au
mois de novembre de cette année-là et au mois de décembre, les écrivains et les
artistes faisaient leurs vœux à la France par l’intermédiaire de l’O.R.T.F. Et
j’ai souhaité une excellente année au peuple français, ce peuple d’élite, sûr
de lui et dominateur. Il n’y a pas eu une seule protestation, les auditeurs
français ne se sont pas du tout vexés ; il n’y avait que les Juifs qui
s’étaient vexés des propos Gaulle. Et pourquoi ? Parce que, malheureusement,
les Juifs sont contaminés par l’antisémitisme. »
Décembre
1971 ● Jean Guitton dans Ce que je
crois (Grasset) écrit : « Il m’arrive de considérer la vérité religieuse sous la forme d’une pyramide comportant des
niveaux successifs. […] Sur cette base, je vois les juifs, les musulmans, les chrétiens, c’est-à-dire tous ceux
qui admettent ce que nous appelons de nos jours la transcendance. Plus étroite est la base qui rassemble
tous ceux qui croient au Christ. Plus étroit encore est le niveau des chrétiens
qui admettent une Église épiscopale et visible, comme sont les orthodoxes ou
les anglicans. Enfin, à l’extrême pointe de ma pyramide, c’est la plateforme supérieure, où ne se
retrouvent que les seuls
catholiques. Dans cette pyramide comme dans les ordres de Pascal, le niveau inférieur ne peut admettre le niveau
supérieur, dans lequel il voit erreur, songe, illusion, mais la réciproque
n’est pas vraie. »
22
juin 1972 ● Après plus de 20 ans de lutte, le Mouvement contre le
racisme, l’antisémitisme et pour la paix (MRAP)
obtient une loi contre le racisme, dite « loi Pleven ».
28 avril 1973 ● Mort de Jacques Maritain, six
mois avant la guerre israélo-arabe (dite « du Kippour »), qui
opposera, du 6 au 24 octobre, Israël à une coalition menée par l’Égypte et la
Syrie.