Errata et corrigenda

 

Nous sommes en mesure aujourd'hui de préciser et d'amender nos quelques hypothèses concernant l'imprimerie Beresniak [1], ce grâce à des sources bibliographiques que nous avons récemment découvertes [2] et surtout grâce à l'aimable concours d'un membre de la famille dont nous parlions : M. Daniel Béresniak.

Les Béresniak [3] sont une famille de juifs athées, non pratiquants mais hébraïsants (par choix face au yiddish) qui arrivèrent en France de Khodorkov [4] pour s'installer à Paris en 1912 et y fonder une imprimerie. Certains de ses membres, pour fuir les nazis, se réfugièrent à Pau en juin 1940 [5] ; certains échappèrent à la persécution des juifs entreprise par les nazis ; trois Béresniak – le père et deux de ses fils - moururent en déportation. C'est l'enfant qui ne fut pas déporté qui donna au nom une descendance : Daniel Béresniak, premier du nom à naître à Paris.

Fondée en 1912 par Abraham Lazare Beresniak, l'imprimerie du même nom [6] était située au 12, rue Lagrange dans le Quartier latin, avant de déménager au 18-20, rue du Faubourg-du-Temple. Les activités de l'imprimerie furent interrompues vers 1940 à cause de l'Occupation, de son aryanisation et de son acquisition par un papetier peu consciencieux, jusqu'à ce que Serge Béresniak la reprenne en main, assez tôt, en 1944. C'était une imprimerie internationale au point de regrouper jusqu'à une centaine d'employés de diverses nationalités et convictions [7] : la règle d'or en était la convivialité dont l'atmosphère fait de l'imprimerie plus qu'un lieu de travail [8] ; un exemple de sociabilité ouverte et tolérante, ce qui est pour l'émigration russe un phénomène à noter dans l'entre-deux-guerres et après la Seconde Guerre mondiale. Les employés et les amis de l’imprimcric mangeaient à table ouverte et discouraient politique, religion, philosophie... Serge Béresniak eut par exemple pour ami Dovid Knout ; il imprima Le Visage nuptial (hors commerce) de René Char et du Antonin Artaud. Mais l'imprimerie avait cette particularité dans Paris de « faire », à la presse à plomb, le russe comme les autres langues slaves, même l'arménien et le vietnamien ! Elle périclita à l'heure du passage à l'ère moderne de l'offset et de la baisse numérique du public russisant.

Voici une brève histoire des membres de cette famille, tous issus du mariage de Freiga Garbel et d'Abraham Lazare (ou Eliezer) Beresniak (1855/1860 - 1944). Ce dernier, premier imprimeur du nom, est connu sous le nom de plume d'Avak [9] pour avoir écrit un Dictionnaire yiddish-hébreu, le premier dictionnaire du genre, sorti en 1939 [10], et un récit, Entre l’enclume et le marteau [11], croyant — jusqu'au bout — à la chute de Hitler, au sursaut de l'Allemagne cultivée des Romantiques et des génies musicaux, parce qu'il se souvenait avoir dû, à cause du numerus clausus en vigueur dans l’Empire tsariste, étudier en Allemagne dans ses jeunes années. Ils eurent huit enfants :

1 Meyer Léon (ou Leib) Béresniak (Broussilov, 9 décembre 1880 - Auschwitz, 25 septembre 1942) qui devint franc-maçon en 1925 par son beau-frère Alexandre Goscinny qui construisait des chemins de fer en Argentine et était l'ami de José Corti. II transita lors de l'Occupation par les camps de Pithiviers et Drancy avant de décéder à Auschwitz (convoi n° 35 du 21 septembre 1942).

2 Anna Béresniak (Khodorkov, 1889 - Paris, 1974) épousa à Paris en 1919 Stanislas (dit Simkha) Goscinny fils du rabbin Abraham Goscinny. Ils furent naturalisés français en 1926 et eurent deux fils : Claude (Paris, 10 décembre 1920-) ; René Goscinny (Paris, 14 août 1926 - 5 novembre 1977) le fameux, qui lui-même eut un enfant : Anne Goscinny.

3 Maurice Béresniak (Broussilov, 3 janvier 1889 - Auschwitz, 16 avril 1942 ou septembre 1942) mourut lui aussi en déportation (convoi n° 1 du 27 mars 1942).

4 Boris Béresniak (1900 - Los Angeles, 1986), imprimeur à Los Angeles.

5 Olga (? - Paris, 1990).

6 Cécile Béresniak, la cadette, épouse Soukalski, mère des deux enfants.

7 Serge Béresniak (1901 - Paris, mai 1997 — voir la nécrologie du Figaro) imprima de 1944 à 1975 Ami de Léonid Lifar le frère de Serge Lifar ; on peut le voit photographié avec Alexandre Soljénitsyne lors d'un passage de ce dernier en France : Béresniak imprima en effet le samizdat Des Voix sous les décombres [12] et celui de la première édition de l'Archipel du goulag [13] prétendument à compte d'auteur pour certain vieux émigré russe appelé Markov. Il eut un enfant : Daniel Béresniak (Paris, 1933-), auditeur libre de Vladimir Jankélévitch avec qui il partageait l'amour du piano, il imprima de 1944 à 1975. Polyglotte, il a écrit de nombreux livres sur la franc-maçonnerie ou sur le mysticisme. Daniel Béresniak eut deux enfant : Ariel Béresniak (Paris, 1961-) docteur en médecine et en économie, spécialiste de santé publique, auteur de nombreux ouvrages [14] ; Georgina, chiropractor vivant à San Francisco et mère de deux enfants !

8 Vladimir (ou Volodia) [15] Béresniak (Khodorkov, 15 juin 1904 - Auschwitz, 16 avril 1942) mourut en déportation sans descendance.

Romain VAISSERMANN

 

NOTES :

 

1 Intitulé d’un chapitre de notre précédent article « Les Cahiers de la quinzaine de Marcel Péguy et la Russie », paru dans le n° 5 du Porche, pp. 50-65. Il se trouve que nous y avons commis pas moins de sept grosses erreurs et une inexactitude. Il n’y pas eu de changement de main dans la gestion de l'imprimerie vers 1920 (la guerre a provoqué seulement un ralentissement des commandes) mais dans les années 1930 (1) ; l'imprimerie, alors co-dirigée par Serge et Daniel Beresniak, a cessé toute activité en 1975, non en 1980 (2) ni sous la direction de Lazare (3) ; les Beresniak ne vinrent pas en France de Pologne mais d'une petite ville située près de Broussilov (4) ; Lazare est bien le pere de Serge Beresniak mais le grand-père de Daniel et non son père (5) ; Ariel n'est pas la petite-fille de Lazare mais son arrière-petit-fils (6 & 7). Enfin, il est inexact de dire cette famille franc-maçonne puisque, si Serge entra bien en 1925 dans la loge du Grand Orient de France et si son fils Daniel a en quelque sorte suivi son exemple, ce fut par l’entremise de son beau-frère Alexandre Goscinny. Les Beresniak ne furent donc pas tous maçons ; et ceux qui le sont, le sont depuis l'entre-deux-guerres seulement.

 

2 Marie-Ange Guillaume et José-Louis Bocquet, Goscinny (biographie), Actes Sud, 1997. Voir aussi : Patrick Gaumer, Anne Goscinny et Guy Vidal, René Goscinny : profession, humoriste, Dargaud, 1997.

 

3 Il existe d'autres foyers d'implantation de ce patronyme : ainsi, un certain Faivel (Franz) Beresniak (né le 15 octobre 1898), venu de Starokonstantinov en Ukraine (en Volhynie), quitta la Russie en 1917, avant la Révolution d'Octobre, transita par la Turquie et la Palestine avant de gagner la France d'ou il repartit par Marseille en novembre 1922 pour arriver en Amérique à Providence (Rhode Island) le 2 décembre 1922. Il obtint la nationalité américaine et mourut a 13Ostoll en 1979. Le nom existe aussi sous sa forme apocopée Brezniak en Pologne, d'où viennent les Brezniak vivant en Australie.

 

4 Khodorkov (russe) ou Hodorkiv (ukr.) ou Chodorkow (pol.): ville ukrainicnnc de la paroisse de Volhynie, situee dans la pl-ovince de Kiev (entre Kiev et Jitomir), aujourd’hui détruite.

 

5 Goscinny (biographie) nous renseigne: « Anna (leur) envoie de l'argent [de Buenos Aires]. Léon, son frère aîné, et Cécile, sa sœur cadette, arrivent à la remercier par courrier. Dans sa lettre, Cécile dénombre les membres de la famille et tente de les localiser. Léon est stupéfait : Jusqu’au dernier moment, même après l’occupation de Paris, nous avions l’espoir que les hordes hitlériennes seraient arrêtées, mais nous nous trouvons en ce moment devant un fait que nous ne savons comment expliquer. Qu’est-ce qui nous attend maintenant, que va-t-il se passer ? Attendons les événements avec calme et espérons que ce cauchemar prendra un jour fin. »

 

6 Voici sa description dans le Répertoire des éditeurs (Cercle de la Librairie, 1963) :

Nom ou raison sociale: Beresniak (Imprimerie-Éditions), Presses du Temps présent ;

Adresse : 18-20, rue du Eaubourg-du-Temple, 75011 Paris;

Téléphone : VOLTaire 73-38;

C.C.P. : Paris 6.364-32;

Domiciliation bancaire : Société parisienne d'escompte (boulevard Saint-Germain):

Registre du commerce : Imprimerie-Éditions R.C.58 B 43-82;

Date de fondation : 1920 [sic]. »

 

7 Dont des bundistes, ce qui n'empêche pas Beresniak de continuer d'imprimer des iat’ jusque dans les années 1970, pour le journal Vozrojdénié du comte Obolenski.

 

8 On trouve même mention des achats de nourriture dans les livres de comptes !

 

9 « Poussière » en hébreu.

 

10 Titre original hébreu : Milon Idi-Ivri, deux volumes en un, de 619 pages, paru en 1939 (et non selon des sources imprécises en « 1939-1940 » voire en « 1941 »). Dictionnaire imprimé par ses propres soins bien entendu !

 

11 Le titre original était en hébreu.

 

12 Titre original russe : Iz-po glyb.

 

13 Titre original russe : Arkhipelag goulaga.

 

14  Et à l'occasion traducteur, en 1992, d'un commentaire anglais d’un traité de Maïmonide !

 

15 Inscrit Wolf lors de son entrée à Auschwitz ?