Les Cahiers de la quinzaine de Marcel Péguy et la Russie
par
Romain VAISSERMANN
« Ce
qui m’eût particulièrement intéressé, c’est d’entendre les Russes exprimer leur
sentiment sur Péguy. Il n’y a rien de plus typiquement français que Péguy,
mais, quand une chose atteint à la profondeur de l’oeuvre de cet homme, elle
devient, ipso facto,
universelle. »
lettre
de Stanislas Fumet citée dans le Cahier
XXI-6, p. 78
La reprise, par le fils aîné de Péguy, des Cahiers de la quinzaine a été féconde, puisque, de 1925 à 1934, ce
sont 94 volumes qui ont paru, contenant plus de 12 000 pages imprimées ! Mais
ces nouveaux Cahiers sont peu étudiés[1],
sans doute parce que retracer l'histoire éditoriale de cette publication est
une tache difficile, parce que Marcel Péguy son gérant finit par adopter des
thèses fascisantes pendant l'Occupation et parce que les exemplaires de ces Cahiers sont rares[2].
Commençons par poser les jalons de l'histoire des nouveaux Cahiers. Ils reprennent la numérotation
des séries publiées où la mort de Charles Péguy l'avait arrêtée : à la
quinzième série de 1914 succédera en 1925 la seizième série, après dix ans de
battement. Continuité familiale d'abord : du père au fils, il s'agit d'une même
publication, des Cahiers de la quinzaine
de « Péguy & fils ». Continuité formelle ensuite : la typographie
externe (les couvertures ont même couleur — jaune pour les cahiers
d'information, vert et blanc pour les cahiers de littérature — et même
disposition typographique), la typographie interne (les caractères, la mise en
page) des cahiers, le style des notes de gérance sont le plus souvent
semblables, à s'y méprendre, dans les uns et les autres cahiers. Continuité des
collaborateurs : nommons ici Jacques Maritain (série XVIIIe, numéro 10),
Camille Quoniam (XIX-1). Continuité spirituelle enfin : le souvenir de
l'affaire Dreyfus (XVI-I0), la publication des oeuvres de Charles Péguy
(XVI-11, XVIII-l, XX-7, XXI-7) ou leur exégèse par Marcel Péguy (XVI-2, XVII-2)
ou d'autres critiques (XVIII-12, XXI-6) suffiront à en témoigner.
Il ne semble pas y avoir pourtant de nettes tendances dans
l'évolution de l'épaisseur des volumes, qui font de 20 (XVII-l) à 384 pages
(XVIII-11). La moyenne des Cahiers de
Charles Péguy — 2 000 pages par an — n'est pas égalée ; ni les 560 pages de La Séparation des Églises et de l'État
de Raoul Allier (VI-14). Ces données, pour comparer les Cahiers de Charles et de Marcel Péguy : les premiers ont une durée
de vie plus longue, sont plus soignés de facture, plus réguliers de
publication, plus épais en moyenne, mais tirés en général à moins
d'exemplaires. En dépit des réserves que l'on peut faire sur les idées
politiques du gérant de ces nouveaux Cahiers,
nous voudrions montrer l'intérêt culturel de cette page unique dans l'histoire
des relations littéraires franco-russes de l'entre-deux-guerres.
Si l'on songe que ces Cahiers donnent
la reproduction exacte, faite à partir de sténogrammes, des conférences du
Studio franco-russe — une des rares entreprises d'ampleur ayant favorisé le
rapprochement des intellectuels français et russes émigrés entre les deux
guerres, l'intérêt de ces témoignages vivants, de première main, apparaîtra
immédiatement : a-t-on ailleurs d'autres enregistrements de conversations
d'époque ?
1 — À la recherche d'un éditeur ;
la collaboration avec l'imprimerie Béresniak
Seulement il fallait trouver un nouvel éditeur — et c'est là que le
bât allait blesser... En neuf ans, ce n'est pas avec moins de dix imprimeurs et
de cinq éditeurs que Marcel Péguy devra « composer » ! Ce qui donna
lieu à treize combinaisons différentes les unes des autres[3]
! Quatre périodes se dégagent, sans compter les débuts difficiles de la
publication (les quatorze numéros du XVI-l au XVII-2) et le naufrage final (le
dernier numéro XXVII-1) :
— l'impression par Durand pour l'Artisan du Livre, du XVIII-1 au
XIX-8 soit 36 numéros de 1927 à juillet 1930 ;
— l'impression par Béresniak, pour divers éditeurs jusqu'à Desclée de
Brouwer du XX-1 au XXI-5 soit 17 numéros de janvier 1930 (sic !) à avril 1931 ;
— l'impression par divers imprimeurs pour Desclée de Brouwer du XXI-6
au XXII-5 soit 12 numéros d'avril 1931 à 1932 ;
— l'impression par Laboureur et Floch (en alternance) pour divers
éditeurs, de Desclée de Brouwer aux Cahiers de la quinzaine, du XXIII-1 au
XXV-1 soit 14 numéros de 1933 à octobre 1934.
La première combinaison dura quatre ans, c'est-à-dire presque autant
que les autres réunies — instabilité qui provient des difficultés croissantes
des Cahiers pendant la période de
crise économique. Marcel Péguy, à plusieurs reprises, a expliqué les problèmes
rencontrés : mésentente avec les éditeurs, hausse du prix du papier ou des
frais postaux. Mais qu'est-ce qui a poussé Marcel à travailler avec
Béresniak ; et quelle famille d'émigrés russes est-ce là[4] ?
Fondée en 1912 par Abraham Lazare Beresniak, l'imprimerie du même nom[5]
était située au 12, rue Lagrange dans le Quartier latin à Paris, avant de
déménager au 18-20, rue du Faubourg-du-Temple. Elle publie en 1913 son premier
livre, selon le catalogue de la Bibliothèque nationale du moins. Après guerre,
en 1918, André Spire y publie son opuscule Le
Sionisme, premier tract de la Ligue des amis du sionisme, auquel succédera Tradition juive et sionisme de Maurice
Vernes. En 1919, l'imprimerie reste attentive à la question juive : le Comité
des délégations juives auprès de la conférence de la paix y publie une pétition
(le 10 mai 1919) puis Les droits
nationaux des juifs en Europe orientale. On observe alors une période de
trois années où Béresniak semble ne plus rien publier : ce ralentissement des
commandes semble un contre-coup de la guerre et ce n'est qu'en 1923 que
l'imprimerie reprend son travail, sous le nom de « Lazare
Béresniak ». Les activités de l'imprimerie furent interrompues vers 1940 à
cause de l'Occupation, de son aryanisation et de son acquisition par un
papetier peu consciencieux, jusqu'à ce que Serge Béresniak la reprenne en main,
assez tôt, en 1944.
Les Béresniak[6]
sont une famille de juifs athées, non pratiquants mais hébraïsants (par choix
face au yiddish) qui, à cause des pogromes qui sévissaient en Ukraine avant
guerre, arrivèrent en France de Khodorkov[7]
pour s'installer à Paris en 1912 et y fonder une imprimerie. Certains de ses
membres, pour fuir les nazis, se réfugièrent à Pau en juin 1940[8] ;
certains échappèrent à la persécution des juifs entreprise par les nazis ;
trois Béresniak – le père et deux de ses fils — moururent en déportation. C'est
l'enfant qui ne fut pas déporté qui donna au nom une descendance : Daniel
Béresniak, premier du nom à naître à Paris, autorité reconnue dans la
franc-maçonnerie. Certains Béresniak sont en effet francs-maçons : Serge
entra en 1925 dans la loge du Grand Orient de France (et son fils Daniel a en
quelque sorte suivi son exemple), par l’entremise de son beau-frère Alexandre
Goscinny. Les Beresniak ne furent donc pas tous maçons ; et ceux qui le
sont, le sont depuis l'entre-deux-guerres seulement.
Voici une brève histoire des membres de cette famille, tous issus du
mariage de Freiga Garbel et d'Abraham Lazare (ou Eliezer) Beresniak (1855/1860
— 1944).
Ce dernier, premier imprimeur du nom, est connu sous le nom de plume
d'Avak[9]
pour avoir écrit un Dictionnaire
yiddish-hébreu, le premier dictionnaire du genre, sorti en 1939[10],
et un récit Entre l’enclume et le marteau[11],
croyant — jusqu'au bout — à la chute de Hitler, au sursaut de l'Allemagne
cultivée des Romantiques et des génies musicaux, parce qu'il se souvenait avoir
dû, à cause du numerus clausus en
vigueur dans l’Empire tsariste, étudier en Allemagne dans ses jeunes années.
Ils eurent huit enfants :
1 Meyer
Léon (ou Leib) Béresniak (Broussilov, 9 décembre 1880 — Auschwitz, 25 septembre
1942) qui devint franc-maçon en 1925 par son beau-frère Alexandre Goscinny qui
construisait des chemins de fer en Argentine et était l'ami de José Corti. II
transita lors de l'Occupation par les camps de Pithiviers et Drancy avant de
décéder à Auschwitz (convoi n° 35 du 21 septembre 1942).
2 Anna
Béresniak (Khodorkov, 1889 — Paris, 1974) épousa à Paris en 1919 Stanislas (dit
Simkha) Goscinny fils du rabbin Abraham Goscinny. Ils furent naturalisés
français en 1926 et eurent deux fils : Claude (Paris, 10 décembre
1920-) ; René Goscinny (Paris, 14 août 1926 — 5 novembre 1977) le fameux,
qui lui-même eut un enfant : Anne Goscinny.
3
Maurice Béresniak (Broussilov, 3 janvier 1889 — Auschwitz, 16 avril 1942 ou
septembre 1942) mourut lui aussi en déportation (convoi n° 1 du 27 mars 1942).
4 Boris
Béresniak (1900 — Los Angeles, 1986), imprimeur à Los Angeles.
5 Olga
(? — Paris, 1990).
6
Cécile Béresniak, la cadette, épouse Soukalski, mère des deux enfants.
7 Serge
Béresniak (1901 — Paris, mai 1997 : voir la nécrologie du Figaro) imprima de 1944 à 1975.
Directeur de l'Actualité artistique
internationale, dont l'unique numéro a paru le 17 janvier 1952, imprimé par
son père au 12 rue Lagrange pour les Presses du temps présent, pour le compte
desquelles Lazare Béresniak imprime treize ouvrages dans les années 1950-1960.
Ami de Léonid Lifar le frère de Serge Lifar ; on peut le voit photographié
avec Alexandre Soljénitsyne lors d'un passage de ce dernier en France :
Béresniak imprima en effet le samizdat Des
Voix sous les décombres (Iz-po glyb)
et celui de la première édition de l'Archipel
du goulag prétendument à compte d'auteur pour certain vieux émigré russe
appelé Markov. Il eut un enfant : Daniel Béresniak (Paris, 1933-), étudiant
l'hébreu à ce qui deviendra l'I.N.A.L.C.O. et l'histoire de l'art à Pise,
auditeur libre de Vladimir Jankélévitch avec qui il partageait l'amour du
piano, après avoir voyagé en Europe, il imprima de 1944 à 1975. Polyglotte, cet
écrivain psychanalyste a composé de nombreux livres sur l'histoire et du
symbolisme de la franc-maçonnerie ou sur le mysticisme (La Franc-maçonnerie en Europe de l'Est, Monaco, Éditions du Rocher,
1992), ayant dédié son livre Juifs et
francs-maçons (Bibliophane édition, 1989) à « Meyer Leib Beresniak,
juif et franc-maçon, mort à Auschwitz ». Daniel Béresniak eut deux enfant
: Ariel Béresniak (Paris, 1961-) docteur en médecine et en économie,
spécialiste de santé publique, de gérontologie et du traitement de la douleur,
auteur de nombreux ouvrages depuis son traité de pharmacoéconomie en 1992[12] ;
Georgina, chiropractor vivant à San Francisco et mère de deux enfants !
8
Vladimir (ou Volodia[13])
Béresniak (Khodorkov, 15 juin 1904 — Auschwitz, 16 avril 1942) mourut en
déportation sans descendance.
C'était une imprimerie internationale au point de regrouper jusqu'à
une centaine d'employés de diverses nationalités et convictions[14] :
la règle d'or en était la convivialité dont l'atmosphère fait de l'imprimerie
plus qu'un lieu de travail : un exemple de sociabilité ouverte et tolérante[15],
ce qui est pour l'émigration russe un phénomène à noter dans
l'entre-deux-guerres et après la Seconde Guerre mondiale. Les employés et les
amis de l’imprimerie mangeaient à table ouverte et discouraient politique,
religion, philosophie... Serge Béresniak eut par exemple pour ami Dovid Knout ;
il imprima Le Visage nuptial (hors
commerce) de René Char et du Antonin Artaud.
Que dire justement de l'activité éditoriale de Béresniak ? Elle fut
très féconde et centrée autour de trois intérêts : l’Est à savoir la Russie
(beaucoup d'auteurs russes sont imprimés chez lui, pour des ouvrages traitant
de problèmes politiques, sociaux, religieux ou littéraires) ou la Pologne
(Myczkowski, Tysliava), le judaïsme et enfin la littérature (en 1927, il
imprime Treize minutes de Guy Lévis
Mano [1904-1980]).
Certes, un imprimeur suit les commandes des éditeurs avec lesquels il
est en relation, et c'est l'éditeur dont aux publications l'on reconnaît les
goûts ; pourtant, l'on peut encore reconnaître les intérêts d'un imprimeur aux
éditeurs avec lesquels il travaille ! Béresniak est donc spécialisé dans les
publications touchant l'Europe orientale ; et il possède une typographie
permettant d'imprimer en français, en russe, en polonais et en hébreu ! Il
collabore avec beaucoup d'éditeurs, de centres d'édition culturels,
d'associations, parmi lesquels, à côté de relations de travail, on retrouve
continûment cette spécialisation : de très nombreux auteurs russes sont
imprimés par Béresniak, qui finira d'ailleurs par travailler pour l'Institut
d'études slaves de la Sorbonne et pour Y.M.C.A.-Press — consécration en somme.
L'imprimerie avait en effet cette particularité dans Paris de
« faire », à la presse à plomb, le russe comme les autres langues
slaves, même l'arménien et le vietnamien !
À l'heure du passage à l'ère moderne de l'offset et de la baisse
numérique du public russisant, 1975 fut la dernière année d'activité de l'imprimerie,
alors co-dirigée par Serge et Daniel Béresniak. Mais nous nous éloignons de
notre sujet : si Marcel Péguy connut Lazare Béresniak, ce ne fut ni par la
franc-maçonnerie ni par le judaïsme mais par l'attachement de Lazare Béresniak
à la Russie et par la sympathie qu'éprouva Marcel pour les émigrés russes entre
les deux guerres.
2 — Les cahiers « russes » : Louis
Dumur
et les réunions du Studio franco-russe
Seize volumes — un sixième de la collection des nouveaux Cahiers ! — concernent directement la
Russie : ils parurent dans une période de sept années, de 1927 à 1933 — et
l'apogée de ce qui semble bien un fort intérêt de Marcel Péguy pour la Russie
date de 1929-1931.
Deux cahiers, sont d'un auteur suisse : Louis Dumur [1864-1933],
poète, romancier, dramaturge, critique littéraire à l’oeuvre foisonnante mais
aujourd’hui méconnu[16].
D’une famille originaire de la commune de Grandvaux, Dumur est né à Vandoeuvre
près de Genève, en Suisse romande, aîné de treize enfants, petit-fils de deux
pasteurs. Après des études classiques à Genève, il quitte en 1883 l’Université
de cette ville pour gagner Paris et sa faculté de Lettres. Il se mêle dès lors
à la vie littéraire parisienne : il écrira au Chat noir dès 1886. Mais le voyage tente cet Européen[17]
convaincu, qui connaissait déjà Italie et Allemagne, et qui finira par posséder
pas moins de six langues européenne : français, allemand et italien, ce
qui se conçoit pour un Suisse ; mais aussi le russe, l’anglais,
l’espagnol ! Dumur part auprès du comte Varpakhovski comme précepteur à
Saint-Pétersbourg, cinq ans, de 1888 à 1893. De là, il trouve le temps de
voyager dans l’intérieur de la Russie, en Autriche-Hongrie, dans les pays
scandinaves et de revenir souvent en France.
Dumur se cherche alors dans la poésie. Les pièces de son premier
recueil, Lassitudes (achevé d’écrire
en 1888, édité en 1891), ont la particularité d’être rythmées sur l’accent
tonique, comme celles de son deuxième et dernier recueil : La Néva. La russophilie paraît déjà dans
ce livre édité à Paris (Savine) et Saint-Pétersbourg (Société de Librairie
française en Russie) en 1890. Une russophilie, il faut préciser, assez
« trouble » : Dumur semble voir en la Russie un pays
sentimental, extravagant, sinon barbare du moins extrême. Dumur montre par ce
« souvenir du bon temps du tsarisme », comme il l’écrit avec ironie,
qu’il connaît en tous les cas très bien la langue et les mœurs russes. Sensible
au charme slave puisqu’on le retrouvera désormais toujours « avec son
inséparable princesse Nadejda, délicieuse fleur russe cueillie aux bords de la
Néva » (selon les mots d’Ernest Raynaud [1864-1936] dans La Mêlée symboliste, t. I, 1920, p.
140), emporté par son lyrisme, Dumur se permet d’évoquer les thèmes du plaisir,
du faste impérial. Thèmes qui lui sont chers vu son naturalisme zolien, son
goût pour la perversion et son décadentisme. Cela lui vaut trois passages
biffés par la censure en 1889, avant l’impression du livre chez Trenké &
Fusnot à Saint-Pétersbourg (15, passage Maximilianov). Passages que Dumur
rétablit dans une feuille encartée dans les volumes vendus en France, feuille
qui donne aussi « Le Nihiliste », poème qui n’aurait pu échapper à la
censure tsariste ! Pourtant, Dumur sera critique vis-à-vis des
révolutionnaires ; ses sympathies iront nettement, après la Révolution,
aux émigrés russes. Comment concilier ces sentiments ? En fait, Dumur
évolue : son premier idéal de gauche, pacifiste et internationaliste,
passe progressivement à la Belle époque au nationalisme. Paradoxalement, la
description hyperréaliste qu’il donne en 1889 de la décadence tsariste justifie
donc en quelque sorte les Révolutions de 1917, qu’il condamnera une fois
advenues.
Au cours d’un de ses séjours en France, il est l’un des fondateurs du
Mercure de France, dont il devient en 1895 secrétaire général. Il quitte alors
son domicile au 15, rue de l’Échaudé-Saint-Germain pour s’installer... dans
l’hôtel même de la Revue ! Le journaliste a notamment collaboré à la Dépêche de Toulouse comme correspondant
en 1908-1910 ; le critique a donné d’estimables analyses de Nietzsche, de
Rousseau, de
l’œuvre de son ami Édouard Dubus
[1864-1895] ; le polémiste a eu maille à partir avec la Société des Gens
de Lettres, qui l’exclut, comme avec ses nombreux détracteurs germanophiles ou
neutres : « M. Louis Dumur, démagogue » titrera Jean-Michel
Renaitour, qui compare Dumur à une hyène dans ses charges littéraires
intitulées Mes coups de griffe (La
Griffe, 1925, p. 21-25). Furent au contraire de ses amis : Georges-Albert
Aurier [1865-1892], Remy de Gourmont [1858-1915], Maurice du Plessys
[1864-1924], Rachilde [pseud. de Marguerite Eymery, 1860-1953] qui nomme ce
« sectaire protestant », avec bienveillance, « le volontaire
français » dans ses Portraits
d’hommes (Mercure de France, 1930), Alfred Vallette [1858-1935].
Mais Dumur croit à sa vocation de dramaturge. Après deux pièces en un
acte, La Motte de terre (1896,
Théâtre libre) et Nébuleuse (1897,
Théâtre de l’Œuvre), Dumur collabore avec Virgile Josz pour écrire des drames
plus longs : Don Juan en Flandre
(1897, Odéon, texte inédit), Rembrandt (drame
en prose de 5 actes et 9 tableaux, 1898, Nouveau théâtre), Le Maquignon (1903, Théâtre Sarah Bernhardt), Ma bergère (1903, Théâtre Milère de Bruxelles). Tout irait bien si
l’époque ne voulait pas que le dramaturge dût à chaque nouveauté prendre sur
ses fonds propres le financement nécessaire pour monter la pièce... Cette
contrainte budgétaire pousse Dumur au roman, avec un grand succès.
Après
un essai dans le roman décadent, Albert,
écrit en 1890, Dumur commet en 1896 un roman à thèse, « mauvais
roman » de son propre aveu : Pauline
ou la Liberté de l’amour ; puis, en 1902 (rééd. 1922), un roman
satirique intitulé Un Coco de génie.
Vu le peu de réussite de ces courts essais, Dumur se lance dans un cycle de
longue haleine consacré à la vie à Genève : Les Trois demoiselles du Père Maire (1909, rééd. 1934 et 1987), Le Centenaire de Jean-Jacques (1910,
rééd. 1962), L’École du dimanche
(1911). Le roman suivant, Un estomac
d’Autriche (1913, rééd. 1932), paru en feuilleton dans Le Temps, garde le cadre genevois mais quitte les sentiers du roman
d’enfance pour ceux du roman historique : tournant fondamental pour Dumur,
qui y trouve sa vraie voie. Restait à trouver un sujet plus universel que
Genève : la Première Guerre mondiale allait le devenir.
Dans
cette guerre, Dumur prend nettement son parti ; dans Culture française et culture allemande en 1915, il explique le
conflit mondial à la manière scientifique d’Outre-Rhin et choisit le camp de sa
patrie d’adoption : la France. Dumur est rapidement révolté par l’attitude
de son pays d’origine : de nombreux de ses articles dénoncent la
neutralité du gouvernement suisse, soupçonné de sentiments germanophiles, et se
lamentent des conséquences sur les Suisses installés à l’étranger. Tous
articles réunis en 1917 dans l’essai Les
Deux Suisse (1914-1917). Malgré une réception partagée, Dumur persiste et
signe dans La Situation des
neutres : la Suisse, 1918.
Surtout,
la guerre fournit à Dumur le cadre historique de tous ses prochains romans. Nach Paris ! (1919, rééd. 1920,
1929, 1950) se déroule pendant la première partie, mobile, de la guerre ; Le Boucher de Verdun (1921) évoque lui
la guerre de position dans les tranchées. L’arrière n’est pas oublié, dans Les Défaitistes (1923), qui couvrent
l’année 1917 ; ni la position des neutres, qui tourmente décidément Dumur
jusque dans la fiction La Croix rouge et
la Croix blanche ou la Guerre chez les neutres (1925). Tous « romans
terriblement documentés », comme l’écrit Rachilde. Tous romans s’insérant
dans le cycle des romans de 14-18, du côté occidental.
Mais Dumur s’intéresse tout autant au front oriental. Les deux livres
de Dumur édités Marcel Péguy, dont le second constitue la suite du premier,
évoquent, sous la forme du roman historique, la famille impériale à la veille
de la déclaration de guerre en 1914 puis la personnalité trouble de Raspoutine
à la veille de son assassinat en 1916, vues du point de vue d'une même famille
aristocratique. Ce sont : Dieu protège le
Tsar ! (XVIII-11, cahier jaune de 384 p. tiré à 3 410 exemplaires le 10
nov. 1927) et Le Sceptre de la Russie
(XIX-9, cahier jaune de 336 p., 2 860 ex., 10 févr. 1929). La publication de
Dumur, qui use de certains stéréotypes mais montre une fort bonne connaissance
de l'histoire de la Russie, satisfait en quelque sorte à la curiosité des
Français au sujet de la personnalité complexe de Raspoutine. Par Dumur, Marcel
Péguy propose à ses abonnés un aperçu mi-historique mi-romancé sur la famille
impériale.
Le succès de ces deux romans sera tel qu’Albin Michel rééditera,
gardant d’ailleurs la pagination des Cahiers,
Dieu protège le Tsar ! (2e
mille) en 1928 et Le Sceptre de la Russie
dès juillet 1929 ! Ce dernier livre annonce également que sont en
préparation deux romans : Les Fourriers
de Lénine (2e mille, Albin Michel, févr. 1932, 378 p.) et Les Loups rouges (3e mille,
Albin Michel, juill. 1932, 266 p.). Ceux-ci constitueront la suite (grosso modo pendant le Gouvernement de
Kérenski, avec des retours sur le début de la guerre) et « la fin des
romans russes » (d’Octobre 1917 au 11 novembre 1918), comme l’écrit Dumur
en dernière page des Loups rouges.
Romans russes dont le succès ne se dément pas à en juger par le nombre
d’exemplaires tiré et par la fidélité d’Albin Michel. Romans russes qui
constituent les derniers écrits du prolifique Dumur, avant La Fayette, nous voici ! inachevé et publié l’année de sa mort
en 1933.
Onze autres volumes reproduisent le texte des quatorze réunions du
Studio franco-russe, tenues d'octobre 1929 à avril 1931. Parmi les
conférenciers comme parmi les auditeurs se mêlent intellectuels français et
russes ; les organisateurs eux-mêmes — Wsevolod de Vogt et Robert Sébastien —
représentent les deux parties en présence. En voici le détail :
— Marcel Proust par Robert Honnert et Boris Vycheslavtseff (5e
réunion, le 25 févr. 1930), XX-5, cahier jaune de 64 p. achevé d'imprimer le 5
mars 1930 ;
— Rencontres. Soirées franco-russes par Robert Sébastien
(« L'inquiétude dans la littérature »), Ioulia Sazonova et Jean
Maxence (à propos de l'influence réciproque des littératures française et
russe), Cyrille Zaïtseff et René Lalou (à propos de Dostoïevsky), Nicolas
Koulman et Stanislas Fumet (à propos de Tolstoï) lors des quatre premières
réunions des 29 oct., 26 nov., 18 déc. 1929, 28 janv. 1930 ; hors-série jaune
de 224 p. achevé le 24 mars 1930 ;
— André Gide par Louis Martin-Chauffier et Georges Adamovitch (6e
réunion, 25 mars 1930), XX-6, cahier jaune de 64 p. achevé le 5 avr. 1930 ;
— Le Roman depuis 1918 par Benjamin Crémieux et Wsevolod de Vogt (7e
réunion, 29 avr. 1930), XX-8, cahier jaune de 64 p. achevé le 5 mai 1930 ;
— L'Orient et l'Occident par Nicolas Berdiaev (8e réunion, le 27 mai
1930), XX-9, cahier jaune de 64 p. achevé le 5 juin 1930 ;
— La Littérature soviétique par André Beucler et Ioulia
Sazonova (9e réunion, 4 nov. 1930), XXI-1, cahier vert de 78 pages tiré à 700
ex., 20 nov. 1930 ;
— Paul Valéry par René Lalou et Vladimir Weidlé (10e réunion, 25 nov.
1930), XXI-2, cahier vert de 80 p., 1000 ex., 11 déc. 1930 ;
— Le Symbolisme par André Fontainas et Nina Berberova (11e réunion,
16 déc. 1930), XXI-4, cahier vert de 72 p., 600 ex., 22 janv. 1931 ;
— Descartes, le père du cartésianisme par Jacques Maritain et Boris
Vycheslavtseff (12e réunion, 27 déc. 1930), XXI-5, cahier vert de 112 p., 1 000
ex., 18 févr. 1931 ;
— Charles Péguy par Jean Maxence et Nadejda Gorodetzky (13e réunion,
le 24 févr. 1931), XXI-6, cahier vert de 128 p., 1500 ex., 9 avr. 1931 ;
— Le Renouveau spirituel en France et en Russie par Stanislas Fumet
et Georges Fédotov (quatorzième et dernière réunion, 28 avr. 1931), XXII-1,
cahier vert de 80 p., 1 600 ex., 31 déc. 1931.
Grâce aux réunions franco-russes, Marcel Péguy se trouve au fait des
nouveautés dans la littérature russe, émigrée principalement, mais aussi
soviétique. Il se familiarise avec les catégories de pensée des émigrés avec
qui il sympathise en méprisant les sirènes soviétiques, dont le garde son
anti-marxisme virulent. Il fréquente à ces soirées les plus grands écrivains de
la diaspora russe en France. Bien plus tôt que les éditions Actes-Sud qui ont
fait redécouvrir Berberova aux Français récemment, ce sont les Cahiers de la quinzaine de Marcel Péguy
qui furent premiers à l’éditer en français !
Un autre volume des Cahiers,
paru au milieu de ces comptes rendus, publie trois lettres inédites (ou
presque, comme l'indique un feuillet glissé au dernier moment dans le volume)
de Tolstoï en édition bilingue, traduites par le même Wsevolod de Vogt. Son
titre : Trois lettres (XXI-3, cahier
vert de 96 p. tiré à 1 500 ex. le 9 avril 1931). La publication de ces lettres
situe l'intérêt de Marcel Péguy pour la Russie dans la continuité de
l'attention que son père portait à la personnalité publique du philosophe russe
(cf. notre article « Tolstoï
chez Péguy » dans Le Porche,
n°2).
Enfin, deux volumes des Cahiers,
deux récits, ont été écrits par Nadejda Gorodetzky, que l'on trouvait déjà à
I'origine du Studio franco-russe et fidèle à ses réunions. Ce sont Les Ailes blanches, traduit du russe par
M. E. et W[sevolod de] V[ogt] (XXI-11, cahier vert de 72 p. tiré à 1 100 ex. et
achevé le 6 janv. 1932), et L'Étoile du
berger écrit directement en français par l'auteur (XXIII-8, cahier vert de
64 p. tiré à 1 100 ex. le 2 déc. 1933). La collaboration avec Nadejda
Gorodetzky prouve que Marcel Péguy était tout prêt à se lancer même dans la
publication d'œuvres russes contemporaines — ce qui témoigne d'un courage
éditorial certain et du fait que la « russophilie » de Marcel Péguy,
n'avait été ce naufrage financier, aurait pu continuer à se traduire par
d'autres publications d'autres auteurs.
C'est ainsi qu'au hasard des quatrièmes de couverture ou des œuvres
« du même auteur » mentionnées çà et là, nous apprenons que devaient
paraître aux Cahiers : Les Mains vides,
roman de Nadejda Gorodetzky, préfacé par Alexandre Kouprine, considéré comme le
cahier XXI-12 (« sans date » !) par Auguste Martin, daté de 1931
(chez Desclée de Brouwer !) par une bibliographie de Nadejda Gorodetzky[18]
et faussement annoncé pour 1936 (aux Nouvelles éditions latines, qui ont publié
en 1934 Cyrille Zaïtseff) dans L'Exil des
enfants en 1936 alors que le livre n'a tout bonnement jamais paru en
français (en russe a paru aux éditions Moscou en 1929 sous le titre Neskvoznaïa nit' ; a été traduit en
anglais sous le titre Empty hands) ; Chimère, roman de la même, édité en
russe en 1931 aux éditions Moscou sous le titre Mara, dont Wsevolod de
Vogt préparait la traduction pour les Cahiers
et qui est dit « sous presse » dans Les Ailes blanches en 1932 alors qu'il ne paraîtra pas ; Diaspora ou le monde de demain, de
Wsevolod de Vogt — un essai à en juger par le titre — annoncé dans le cahier
tolstoïen pour la XXIe série alors qu'il ne paraîtra pas... Marcel Péguy aurait
également pu publier les autres auteurs avec qui il a fait connaissance au
studio franco-russe. Qui donc ?
3 — Le public du Studio :
de France et
Monde au Tout-Paris de l'intelligentsia russe émigrée
L'intérêt que présente, pour les historien de la littérature, ces Cahiers qui donnent non seulement le
texte intégral des conférences tenues au Studio franco-russe mais aussi une
fidèle description des discussions qui s'ensuivaient généralement (allant
jusqu'à noter les applaudissements et les interruptions d'auditeurs anonymes),
tient à l'exceptionnelle variété du public, dont les comptes rendus donnent une
bonne représentation en notant qui prend la parole lors des débats, les
personnalités « dont l'on remarquait la présence » dans la salle et
celles qui s'excusaient par courrier adressé au Studio. Les Cahiers de la quinzaine attestent la
présence au Studio de plus de 50 personnalités éminentes — tout simplement les
plus célèbres écrivains de la diaspora russe en France ! La majorité d'entre
eux a participé aux discussions ; treize ont prononcé une conférence. Encore
faut-il préciser que beaucoup ont sans doute été oubliés dans les relevés des
personnalités présentes. Preuve de la faveur dont jouissaient ces réunions :
d'une séance l'autre, les noms reviennent souvent. Très vite, la salle chargée
de les accueillir au Musée social se révéla trop petite ; et l'on songea à
déménager du 5 rue Las-Cases — sans trouver mieux, en fin de compte. Les
réunions de travail des organisateurs se déroulaient, elles, à la brasserie
Dumesnil, en face de la gare Montparnasse.
Nous donnerons ci-après la liste des personnalités dont la présence
est attestée d'après les Cahiers de la
quinzaine, d'après la très utile étude de Michèle Beyssac La Vie culturelle de l'émigration russe en
France[19]
et d'après le trimestriel France et Monde,
organe des « Humanités contemporaines » domiciliées 27 rue du
Sommerard dans le cinquième arrondissement de Paris en 1929-1930 puis 37
boulevard Saint-Michel en 1930-1932 (soit à l'adresse même des Cahiers à cette époque) — ce sont elles
qui organisèrent au tournant des années 1920-1930 une pléiade de Studios, dont
on peut citer les Studios de philosophie (cf.
n°134), de la poésie, de l'histoire, mondial (cf. n°137), franco-hollandais, social, du théatre, des colonies, de
la musique, de l'art (cf. n°l38),
rénovateur, de jeunes (cf. n°146)...
La liste n'est pas close, même si la proclamation « et d'autres
suivront » (dans le n°138) semble avoir achoppé à la crise, qui
restreignit le champ d'action de ce milieu activement réformiste, bien dans
l'esprit des années 1930. Marcel Péguy lui-même faisait partie de la section
des « études intellectuelles » (existait également une section des
« études sociales ») du conseil des « Humanités
contemporaines », aux côtés de nombreuses personnalités dont Marie-Thérèse
Gadala, Gabriel Hanotaux, Gustave Lanson, Fernand Laudet, Salomon Reinach... Il
semble que ce soit par-là et peut-être par ses amis de la paroisse orthodoxe
française, que le gérant des Cahiers ait
connu l'existence du Studio franco-russe et se soit décidé à en publier les
conférences.
Tout a commencé par des réunions informelles, conviviales : à
l'instigation de Jules Corréard dit « Probus(-Corréard) », fondateur
et directeur des « Humanités contemporaines », qui lors d'un entretien
préliminaire avec Wsevolod de Vogt, le 30 avril 1928, annonça que France et Monde voudrait faire connaître
par diverses publications les auteurs russes contemporains ; se réunirent un
mois plus tard, en petit conseil, Marc Aldanov, Nadejda Gorodetzky, Gaïto
Gasdanov, Nadejda Teffi, Michel Tsétline, Marina Tsvetaeva, Boris Zaltseff et
quelques autres pour évoquer les œuvres françaises auxquelles ils sont le plus
attachés. Robert Sébastien se joignit à l'équipe pendant l'été ; puis Jean
Maxence, directeur des Cahiers 1929,
et ses amis.
Au début, France et Monde
comptait publier des œuvres choisies des auteurs présents lors des réunions,
introduites de quelques lignes écrites par l'auteur sur lui-même, pour publier
par la suite cette anthologie à part. C'est ce qu'explique Wsevolod de Vogt
(« Soirées de Paris », p. 59-63 du n°135 qui annonce en première de
couverture: « Les publications du Studio franco-russe »). Le lecteur
de France et Monde découvre ainsi Avdotya la mort (trad. A. Holstein ; p.
65-73 du n°135) de Boris Zaïtseff (présenté par lui-même et traduit par
Wsevolod de Vogt p.†64, ibidem) ; Au couvent de Solovki et Marquita (trad. Denis Roche; p. 11-20 et
20-24 du n°136) de Nadejda Teffi (présentée par elle-même p. 11, ibidem) ; La Mort de Paul Ier (trad. Tatiana Landau, extrait du roman La Conspiration, n°137) de Marc Aldanov
(présenté par lui-même p. 70, ibidem)
; « Fiançailles » (p. 76-78 du n°138) de Marina Tsvetaeva (présentée
par elle-même p. 75, ibidem) et Neurasthénie (p. 79-84, ibidem) de Nadejda Gorodetzky (présentée
par elle-même p. 79, ibidem), Oless (p. 68-77 du n°139) de Galina
Kouznetsova (présentée par elle-même p. 68, ibidem).
Mais le numéro double 140-141 rompt cette série en donnant le texte même de la
neuvième conférence, d'André Beucler et Guy de Traversay, consacrée à la
littérature soviétique. Cependant, par manque de place, la discussion n'est pas
reproduite in extenso, comme elle le
sera dans les Cahiers. Car se
développe finalement une collaboration avec Marcel Péguy : l'on trouve déja une
publicité, dans le n°137 (p. 24), pour les Cahiers
et pour le Journal Vrai
(« administration autonome, 33 rue Jacob » y est-il précisé) ; les
« Humanités contemporaines » comptaient publier, parallèlement aux
textes de fiction publiés dans France et
Monde, les comptes rendus du Studio dans les fascicules suppléments à cette
revue, mais les Cahiers s'en chargent
et France et Monde y renvoie ses
lecteurs (dès le n°137). Ce sera France
et Monde qui cessera le premier, fin 1930, de publier les auteurs du Studio
franco-russe, laissant à Marcel Péguy les sténogrammes des réunions. Celles-ci
dureront jusqu'en avril 1931 ; et les publications dans les Cahiers,
jusqu'à la fin 1931. On ne sait guère ce qui provoqua l'arrêt du Studio,
peut-être l'ère du dialogue était-elle close, peut-être aussi l'enthousiasme de
l'initiateur était-il retombé ou s'était-il reporté ailleurs. Sans doute les
deux facteurs ont-ils joué. Wsevolod de Vogt avoue à mi-mot le premier point
dans l'historique nécrologique qu'il dresse des soirées (p. 10 sqq in XXII-1) :
« Donner une impulsion de rapprochement entre
les écrivains russes qui résident en France et les écrivains français, profiter
pour cela d'une rencontre exceptionnelle de deux cultures qui déterminent la
vie de deux mondes, c’était ce que nous voulions d'abord. [...] La tribune du
studio franco-russe aura été pour beaucoup non seulement une « tribune
libre » mais encore la seule, neutre en quelque sorte, où se pouvaient
succéder des écrivains qu'il eût été difficile autrement de voir réunis dans la
même salle. [...] Cependant il nous est tôt apparu <dès la troisième réunion
précisément> que les divergences personnelles et celles des groupes
recouvraient des divisions plus profondes que de simples « querelles littéraires »,
— qu'elles révélaient immanquablement, dans un jour particulièrement âcre, les
hésitations, les doutes, les malaises et pour tout dire le tourment
inexpugnable, inhérent au monde moderne, qui sourd, sans pouvoir jamais
s'écouler, dans tous les entretiens des hommes de notre temps.
Dès lors, nous prîmes position, bien que sans
tenter d'imposer notre manière de voir. [...] Peu à peu, les divergences
« nationales » qui intriguaient les assistants et que l'on se
plaisait, au début, à souligner, disparurent dans des oppositions qui procèdent
d'une différence d'assimilation d'un héritage culturel unique. On n'a pas tardé
à constater qu'il y avait, à nos réunions, deux groupes franco-russes en
présence. Et de ce fait non seulement notre but initial se trouva atteint et
même dépassé, mais encore il devint immédiatement possible de donner aux débats
toute l'ampleur, toute l'envergure nécessaires pour des études de plus en plus
actuelles. »
Mentionnons donc, non cumulativement, le nombre de fois où chacun a
été présent, a discuté, a fait une conférence (sur un total de 14 réunions)†:
Georges Vladimirovitch Adamovitch (1,1,1), Marc
Alexandrovitch Landau dit « Aldanov » (8,0,0), Grégoire Alexéevitch
Alexinski (0,2,0), Nicolas Mikhaïlovitch Bakhtine (1,0,0), Nina Nicolaevna
Berberova (3,0,1), Nicolas A]exandrovitch Berdiaev (7,2,1), madame Bogdanova
(0,2,0), Ivan Alexéevitch Bounine (2,1,0), Serge lvanovitch Charchoune (6,0,0),
Léon lsaakévitch Schartzmann dit « Chestov » (1,0,0), Augusta
Filippovna Damanskaïa (0,1,0), Doussia Ergaz (1,0,0), Georges Petrovitch
Fédotov (2,0,1), Nadejda Forch (0,1,0), Michel Adolfovitch Forsteter (0,1,0),
Leonid Evgueniévitch Gabrilovitch dit « Galitch » (0,1,0), Georges
Ivanovitch Gazdanov dit « Gaïto Gasdanov » (0,3,0), llya Nicolaévitch
Golenischev-Koutouzov (4,0,0), Nadejda Alexandrovna Gorodetzkaya (8,4,1),
Alexandre Tikhonovitch Gretchaninov (1,0,0), Modeste Loudvigovitch Hofman
(2,0,0), Georges Vladimirovitch Ivanov (2,0,0), Hélène Alexandrovna Izvolski
(1,0,0), Michel Lvovitch Kantor (3,0,0), Vladislav Felitsianovitch
Khodassevitch (1,0,0), David Mironovitch Fiksman dit « Dovid Knout »
(1,0,0), Nicolas Karlovitch Koulman (6,0,1), Galina Nicolaevna Kouznetsova
(1,0,0), Alexandre Markovitch Lipiansky dit « Alexandre Marc »
(1,1,0), Basile Alexéevitch Maklakov (5,0,0), Serge Konstantinovitch Makovski
(3,0,0), Nadejda Millioti (6,0,0), Constantin Vassiliévitch Motchoulski
(3,1,0), Paul Pavlovitch Mouratov (2,0,0), Irène Vladimirovna Odoevtseva
(2,0,0), Michel Andréevitch Ossorguine (1,0,0), Nicolas Avdéevitch Otsoup
(3,0,0), Boris Ioulianovitch Poplavski (1,1,0), Vladimir Salomonovitch Pozner
(1,2,0), Naoum G. Reizini (0,1,0), S.A.R. la grande-duchesse Irène Ivanovna
Romanova (1,0,0), Serge Rovinsky (3,0,0), Ioulia Léonidovna Sazonova-Slonimskaïa
(10,1,2), Marc Lvovitch Slonim (6,3,0), Nadejda Alexandrovna Teffi (10,0,0),
Constantin Andréevitch Terechkovitch (1,0,0), comtesse Tatiana Lvovna
Tolstoï-Soukhotina (2,1,0), Natacha A. Tourguénieva-Rosso (2,0,0), Michel
Ossipovitch Tsétline (10,0,0), Marina Ivanovna Tsvetaeva (8,2,0), Marc
Veniaminovitch Vichniak (1,0,0), Wsevolod Borissovitch de Vogt (0,13,1), Boris
Petrovitch Vycheslavtseff (5,1,2), Vladimir Vassiliévitch Weidlé (2,1,1), Boris
Konstantinovitch Zaïtseff (5,5,1), Ilya Mikhaïlovitch Zdanevitch dit
« Iliazd » (0,1,0).
Côté français, citons non exhaustivement, outre les auteurs de
conférences, des personnalités de premier plan : Gabriel Audisio, Paul
Bazan, Georges Bernanos, Emmanuel Bove, Robert Brasillach, Francis Carco,
Stanislas Fumet, Marie-Thérese Gadala, Henri Ghéon, le Père Léon Gillet, Daniel
Halévy, Georges Izard, André Lichtenberger, Jacques Madaule, André Malraux,
Henri Massis, André Maurois, François Mauriac, Emmanuel Mounier, la comtesse et
le comte Jean de Pange (ambassadeur de France), Gabriel Rey, Denis Roche,
Désiré Roustan, Auguste-Félix-Charles de Beaupoil comte de Saint-Aulaire, Paul
Valéry, Robert Valléry-Radot, René Vincent; mais aussi des intellectuels moins
connus : Anne Armandy, Alexandre Arnoux, A. Blanchet, Jean Chauvy, Michel
Dard, Jean Dourdine, Lucienne Fabre, Augustin Fransque, M. de Goyer, Joseph
Jolinon, Paul de Longmar, Lucien Marceaux, Émile Lutz, René Métayer, André
Pierre, Marcel Sauvage, Jean Vincent-Bréchignac.
L'importance du « brassage » de ces réunions dépasse bien
les fameuses « décades de Pontigny » organisées par Paul Desjardins
de 1910 à 1939[20], où aux
côtés de Karl Barth, Charles Du Bos, André Gide, Gabriel Marcel, Roger Martin
du Gard, François Mauriac, André Maurois, Emmanuel Mounier, du comte de Pange,
et de quantité d'autres intellectuels français ou européens (les séances
comptèrent jusqu’à une cinquantaine d’invités), les seuls Russes étaient
Nicolas Berdiaev, Léon Chestov, Vladimir Jankélévitch, Alexandre Koyré, Boris
Fédorovitch de Schloezer, Tatiana Soukhotine-Tolstoï et le prince Dimitri
Petrovitch Sviatopolk-Mirsky. On peut dire en résumé que, si la dominante des
décades était française, celle du Studio fut russe ; que, si les décades
étaient plutôt des réunions intimes (à l’instar des salons de Berdiaev, Du Bos
ou Mérejkovski), le Studio approchait, avec une centaine de participants, du
style de la conférence ; et que, si les décades procédaient par immersion,
le Studio fonctionnait par brassage.
4 — Les amis russes de Marcel Péguy
Voici les maigres données biographiques qui expliquent l’intérêt de
Marcel Péguy pour la Russie.
Sa première femme Roberte Cabrit, qu’il épousa en 1924 et qui lui
donna en 1925 son unique enfant Nicole Pignon-Péguy, était catholique ;
Marcel divorça et se remaria en 1935 avec Simone Migevant, catholique de même.
Fait qui contredit deux légendes. L'une veut que sa seconde femme ait été
protestante[21]. La seconde
tradition erronée veut que sa seconde femme ait été orthodoxe, comme le pensait
Bernard Guyon, ami personnel du deuxième fils de Peguy (Pierre Péguy), qui
semble avoir le premier, en 1971 lors du colloque sur « Péguy dans son
temps » tenu à Cerisy-la-Salle[22],
affirmé l'orthodoxie de Marcel Péguy en ces termes : « [...] le seul
de ses fils qui n'a pas reçu le baptême catholique au moment du baptême
collectif de Madame Péguy et de ses enfants, à savoir Marcel, ne s'est pas fait
baptiser catholique, a épousé une orthodoxe, et s'est fait baptiser à ce moment
là. » S’il est faux d’affirmer qu’il « a épousé une orthodoxe »,
en revanche rien n’interdit de penser qu’il ait reçu le baptême de l’Église
orthodoxe...
Car Marcel Péguy chercha longtemps sa voie ; il se convertit
(après 1925, où son frère Pierre et sa sœur Germaine, convertis au catholicisme
pour leur part et baptisés la même année, font pour la première fois le
pèlerinage de Chartres) semble-t-il au protestantisme mais se rapprocha de
l'orthodoxie, d’après le témoignage formel d'Élisabeth Behr-Sigel lors d'un
entretien avec l’auteur de ces lignes (octobre 2000). Un petit fait pouvait
suggérer cette hésitation : l'on voit difficilement un protestant, en 1930
où cette fois la participation de Marcel au pèlerinage de Chartres est
attestée, marcher pour Notre Dame... Deuxième indice qui nous suffira : le
rapprochement que Marcel Péguy esquisse entre l’œuvre de son père et la pensée
orthodoxe dans « Note conjointe sur les Batailles »[23] :
« La pensée de Charles Péguy s’apparente très étroitement à la pensée
orthodoxe, notamment sur la question de l’enfer, — sur l’importance de la
prière et sur la prière perpétuelle (voir à ce sujet les Lettres et entretiens), — et sur l’importance du rôle des fidèles
de l’Église. C’est d’ailleurs pourquoi cette pensée religieuse étonne un peu
certains Catholiques romains. — Je reviendrai sur ce sujet que je ne puis,
faute de place, traiter convenablement ici. » Prévision jamais réalisée,
que nous sachions, peut-être parce que Marcel revint au protestantisme vers la
fin des années 1930. Marcel donnera ainsi, bien après sa période orthodoxe, une
interprétation protestante des écrits de son père[24]
— ce que noteront, avec réprobation, Jean Delaporte dans Connaissance de Péguy (t. II, Plon, 1944) ou le recteur Charly
Guyot, pourtant protestant lui-même, en 1964 au colloque international d'Orléans[25].
Pour préciser la nature des croyances de Marcel Péguy, rappelons que
Geneviève Favre, ne connaissant que de loin les distinguos religieux, l'estime
par ouï-dire — et à tort, pensons-nous — remarié à une « adventiste »
(BACP, n° 94, avr.-juin 2001, p.
258). Raïssa Maritain, bien plus au fait des distinctions religieuses, précise
la nature du protestantisme de Marcel en le disant « méthodiste »
dans Les Grandes amitiés — et Jacques
Maritain s'aligne sur elle.
Éprouvant de la sympathie pour le protestantisme dès les années 1920,
Marcel Péguy semble s'être converti à l'orthodoxie vers 1928, sous l'influence
de sa femme et de la personnalité marquante du Père Lev Gillet[26]
avant de revenir définitivement au protestantisme. Car il semble bien que ce
soit dans l’entourage du Père Gillet, recteur de la première paroisse orthodoxe
de langue française, que l’on trouve les émigrés russes les plus informés sur
Péguy, grâce à la présence de son fils aîné dans la paroisse certes, mais
aussi, par la suite, parce que les émigrés russes dont nous parlons — que l’on
peut rapidement caractériser comme des sociaux-démocrates enthousiasmés par
l’idée d’un christianisme qui pourrait régler la question sociale tout en
garantissant la liberté de la personne — vont trouver dans le texte de Péguy un
écho à leur préoccupations. Autour du Père Gillet se groupèrent deux
générations : une qui était, bien qu’encore jeune, déjà adulte lorsqu’éclata la
Révolution et qui s’était déjà fait connaître — beaucoup moururent pendant la
Seconde guerre mondiale ou peu après ; les membres de l’autre, née après 1900,
durent émigrer à la fin de leurs études et avant même d’avoir pu entrer dans la
vie active. On appelle souvent ces derniers les « jeunes » ou la
« jeune génération » à Paris entre les deux guerres — beaucoup
moururent à la fin du XXe siècle. Et le Père Gillet se situe justement à la
croisée des destins de ces deux générations. D’une part, sa date de naissance
le place plutôt dans la première génération ; d’autre part, sa vocation de prêtre
le met à l’écoute des générations plus jeunes et sa longévité le fera témoin
des évolutions des Églises chrétiennes après la Seconde guerre mondiale. Nous
présenterons brièvement les quatre intellectuels russes qui ont parlé de Péguy
au Studio franco-russe, dans l’ordre croissant de l’intérêt manifesté pour
Péguy.
Le Père Gillet se devait d’introduire à ces brèves biographies, tant
sa personnalité rayonna parmi eux, et même s’il ne produit que tardivement des
citations de Péguy dans ces ouvrages et s’il ne parlera que très peu de Péguy
ailleurs qu’au Studio. En fin de compte plus disert que les interventions de
Motchoulsky sur Péguy au Studio et a
fortiori que les éloges que, au Studio, Wsevolod de Vogt adresse à Péguy,
Fédotov écrivit sur Péguy deux comptes rendus très perspicaces, même s’il parle
de Péguy, lors des réunions du Studio, aussi peu que Lev Gillet. C’est Nadejda
Gorodetzky seule qui consacra à Péguy toute une conférence, qui plus est
imprimé en une monographie.
Né dans l'Isère en 1893, dans une famille de juristes et de
catholiques fervents, après de brillantes études au lycée puis à l'Université
de Grenoble, Léon Gillet arrive en
1913 à Paris pour y préparer un D.E.S. et l'agrégation de philosophie. Il y
suit les cours de Bergson, se plaît à vivre dans le Quartier latin. Blessé et
prisonnier pendant la guerre, il est finalement évacué en Suisse où il découvre
Freud. Attiré par l'ordre bénédictin après guerre, il prononce ses premiers
vœux en 1921. Parlant et lisant déjà le russe, il se forme à Rome auprès
d'Andréas Szeptykij, chef spirituel uniate de Galicie orientale, et part pour
Lvov en 1924. Prêtre en 1925, il rompt en 1927 avec l'unionisme catholique
officiel. En mai 1928, il participe à une concélébration orthodoxe avec
Berdiaeff, Boulgakov et Tsvetaeva sans pour autant renier ni sa foi propre ni
les dogmes latins. Fin 1928, il se fixe à Paris. Il se lie d’amitié avec
Motchoulsky et Fédotov, et parmi les « jeunes », avec Léon Zander,
Wsevolod de Vogt et Nadejda Gorodetzky. Sa connaissance de Charles Péguy comme
écrivain doit être tardive ; on trouve des citations de Notre jeunesse, du Porche du mystère de la deuxième vertu et du Mystère des Saints Innocents de Péguy dans Communion in the Messiah. Studies
in the relationship between Judaism and Christianity (Londres,
Lutterworth Press, 1942, p. 151, 231). Viennent
plus souvent sous sa plume, finalement, les noms de Bloy, Claudel ou Maritain.
Le père Gillet mourra en 1980 en Angleterre après une vie richement remplie.
Wsevolod de Vogt (ou: « Fokht »)[27]
est sensiblement du même âge que Nadejda Gorodetzky, qu'il fréquente à Paris où
il a émigré après la guerre civile. Il lut Charles Péguy par amitié pour
Marcel, en qui il voyait le continuateur de l’oeuvre de son père (XXI-6, p.
72-73), et s’il connut Marcel, ce fut parce que ce dernier était un ami de
Nadejda Gorodetzky. Dans son introduction au cahier XXI-6 (p. 7-8), Vogt
compare Péguy, « un grand écrivain français qui était en même temps un
grand combattant » (XXI-5, p. 55-56), et Dostoïevski pour leur messianisme
national et leur sentiment du Christ : Vogt se prête à cette comparaison
parce qu’il est bien conscient du fait que dans le Studio, avoue-t-il tout
haut, « beaucoup d’entre vous, notamment les Russes, ne connaissent
presque rien de cette oeuvre, pour ne pas dire qu’ils l’ignorent
totalement. » Aussi étrange que cela paraisse pour un familier de Marcel
Péguy et qui organise un débat autour de l’oeuvre de Péguy, la seule lecture
avérée de Vogt au sujet de Charles Péguy est La Pensée de Charles Péguy, l’ouvrage, qui fait alors autorité,
écrit par Georges Izard, Emmanuel Mounier et Marcel Péguy en 1931. Bon outil,
mais de deuxième main, source d’allusions toujours révérencieuses mais rapides
à Charles Péguy (XXI-5, p. 17).
Né en 1892 à Odessa, Constantin
Motchoulski partit faire des études littéraires à l'Université de
Saint-Pétersbourg et collabora rapidement à divers journaux comme critique.
Pendant la guerre civile, il tient la rubrique littéraire d'un journal
d'Odessa. Il émigre en 1919. On le retrouve journaliste en Bulgarie et lecteur
à l'Université de Sofia. Il arrive en 1922 à Paris, où il publiera notamment
dans Zveno (« Le
Chaînon »). C'est au tournant des années 1920-1930 qu'il se convertit
profondément à l'orthodoxie, au point de désirer entrer au monastère[28].
Il découvrit Charles Péguy dans le texte, après son arrivée à Paris. Toujours
est-il qu’il prend longuement la parole après la conférence de Nadejda
Gorodetzky (XXI-6, p. 86-89), citant De
Jean Coste et le Mystère de la
charité de Jeanne d’Arc et déclarant notamment de la vision du mal chez
Péguy: « Charles Péguy regarde le monde comme personne ne l’avait regardé
avant lui. [...] Il a fallu le bouleversement de la guerre, l’écroulement de
toutes les présomptions du présomptueux dix-neuvième siècle, la tristesse des
années d’après-guerre, pour que la voix de Péguy parvînt à nos oreilles. Lui
qui ne parlait que pour son temps, sans se soucier de la postérité, il n’a été
entendu qu’à distance : il se rapproche de nous ; il est tout près ;
il occupe dans notre vie une place qui l’attendait, il comble un vide, il nous
est devenu indispensable. Ses mystères
et ses poèmes dégagent une émotion intense qui agit directement. Son inquiétude
est la nôtre. »
Né en 1886 à Saratov, Georges
Fédotov se destine au métier d'ingénieur, milite dans le parti
social-démocrate et est expulsé en 1906. Il revient d’Allemagne pour finir ses
études à Saint-Pétersbourg en 1908 et en 1914, époque où il enseigne, dans la
capitale puis à Saratov. Il quitte l’U.R.S.S. en 1925 seulement, quand, la
N.É.P. finissant, l'interdiction qu'on lui fait de publier et d'enseigner lui
pèse trop. Établi à Paris, où, membre actif de l’Association chrétienne des
étudiants russes, il enseigne à l’Institut Saint-Serge (l’histoire, l’hagiologie,
le latin). Il collabore à Pout’ (« La
Voie ») : le septième article en russe de sa période française,
compte rendu de l’ouvrage de Jérôme et Jean Tharaud Notre Cher Péguy » (Pout’,
n° 6, 1927, p. 126-129), analyse avec une profondeur remarquable « le
cheminement religieux de Péguy ». Fédotov collabore aussi aux Annales contemporaines[29].
Témoigne de l’intérêt de Fédotov pour Péguy le fait qu'il se soit chargé du
compte rendu du cahier sur Péguy (XXI-6) — d’un des Cahiers où pour la première fois il écrira en français, bien avant Œcumenica en 1935 à Paris et Londres —
dans le premier numéro de sa revue Noviy
Grad : son deuxième et dernier article sur Péguy. Il fonde avec Ilya
Issidorovitch Bounakov-Foundaminsky et Fédor Avgustovitch Stépoune le journal Noviy Grad (« Cité nouvelle »,
titre inspiré de Péguy, l’auteur de La
cité harmonieuse et de De la cité
socialiste). Quatorze numéros en paraîtront de 1931 à 1939.
Nadejda Gorodetzky naît en 1901 à Moscou d'un père journaliste et
d'une mère chanteuse. Elle va à l'école à Gatchina et à Poltava. Elle se trouve
dans le sud lorsqu'éclate la Révolution. Par la Crimée, elle gagne
Constantinople puis la Yougoslavie où elle étudie à Zagreb. De 1924 à 1934,
elle vit à Paris où elle se joint à des cercles littéraires. Elle écrit des
nouvelles et des romans dans les deux langues avant de renoncer aux fictions[30].
C’est Marcel Péguy qui lui fit lire l’œuvre de son père ; pour laquelle
elle s’enthousiasma. Son exposé au Studio (XXI-6, p. 37-69) frappe par son
érudition : Gorodetzky a lu en poésie, la Tapisserie de Notre-Dame (1913),
Ève (1913) ; en théâtre, Jeanne d’Arc (1897), le Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc
(1910) et le Porche du mystère de la
deuxième vertu (1911) ; en
prose, De Jean Coste (1902), Zangwill (1904), Marcel (1896), Notre patrie (1905),
À nos amis, à nos abonnés (1909), Notre jeunesse (1910), L’Argent (1913), la Note conjointe (1914) ! Même si elle ne prétend pas
« exprimer un point de vue russe » (p. 37), elle analyse en détail la
lecture que Péguy donne dans Les
Suppliants parallèles (1905) de la répression des délégués ouvriers devant
l’Empereur en 1905 et, l’appliquant à la situation des émigrés russes
post-révolutionnaires, elle en cite la phrase savoureuse : « nos
Français n’entendent généralement rien aux événements des autres peuples et,
moins qu’à tous autres, aux événements de Russie ». Elle ne se permet que
quelques comparaisons avec la Russie afin d’expliquer Péguy. C’est-à-dire son
rigorisme moral, quand elle déclare (p. 65) : « si l’on a surnommé
Tolstoï la conscience du peuple russe (je m’excuse de cette expression, devenue
banale comme tout sobriquet), on pourrait dire que Péguy personnifie la
conscience française ». Son patriotisme (p. 67) : « Jeanne
n’est-elle pas une incarnation du génie français et de la charité
française ? En la chantant, Péguy chanta la France comme Blok chanta la
Russie qu’incarnait pour lui la Belle Dame. »
Conclusion : Charles et Marcel Péguy,
deux patriotes français attentifs aux destinées de
la Russie
Marcel Péguy a donc renoué avec l'intérêt de son père pour la Russie,
quitte à lancer une politique éditoriale de comptes rendus bien dans la lignée
des comptes rendus de congrès socialistes chers à Charles Péguy ; et ce, malgré
les difficultés conjoncturelles — bien plus rudes que celles que Charles Péguy
avait eu à affronter (hausse des tarifs postaux, du prix du papier...) :
l'abandon des soirées franco-russes, indépendant de la volonté de Marcel Péguy,
a d'abord limité les publications « russes » de Marcel Péguy, avant
que la crise économique n'y mette un terme en même temps qu'à toute
l'entreprise de poursuite des Cahiers de
la quinzaine.
Pour finir, nous vous invitons à découvrir par une lecture sans
préjugés les Cahiers de la quinzaine
de Marcel Péguy, réservoir de lectures de taille ! Il serait injuste de laisser
dans l’oubli les efforts que la famille Péguy a faits pour ressusciter les Cahiers après la mort de leur
gérant-fondateur. Que ce soit sa veuve en avril 1924, qui reprit le flambeau
pour quelques numéros seulement, édités par ses soins à Sceaux, ou le fils aîné
à partir de janvier 1925, la famille de Péguy lui a été fidèle ; il serait
malvenu qu’à notre tour, nous péguystes, nous fassions semblant qu’il n’y a pas
eu d’autres Cahiers que ceux de
Charles Péguy en déclarant toujours, en dépit de la vérité, que le dernier
cahier date de 1914. Non que nous réhabilitions ce que Marcel Péguy a pu faire
de ces Cahiers par la suite[31] :
sa maladie psychique peut expliquer, sinon excuser, les thèses racistes et
autoritaristes qu’il proclamera en un moment crucial de notre histoire, où les
Résistants invoquaient eux aussi Charles Péguy et sans déformer ses idées.
Restent encore de nombreux points à préciser : la vie de
Wsevolod de Vogt est encore peu connue, la conférence de Nadejda Gorodetzky sur
Péguy n’a pas encore été examinée dans le menu, ni la recension par Georges
Fédotov du cahier consacré à Péguy, non rééditée depuis 1931 ! Enfin, y
a-t-il un lien direct, de personne à personne, entre les Russes que connaissait
Péguy et ceux qui entouraient son fils ? Ce sont les biographies de
Jean-Wladimir Bienstock, d’Eugène Séménoff et d’autres, qu’il faudrait
fouiller... Les pasteurs Marc Bœgner, Wilfred Monod et Jules-Émile Roberty, du
Père Lev Gillet ou de Paul Desjardins peuvent en tous les cas témoigner que
Péguy par-delà la tombe parla aux Russes de la diaspora post-révolutionnaire.
Les liens entre Charles Péguy et la colonie russe « révolutionnaire »
puis entre Marcel Péguy et la diaspora russe « blanche » sont
importants : ils montrent l’ouverture d’esprit des Péguy père et fils, et
leur hospitalité.
[1] Quelques exceptions : Danièle Beaune-Gray, Georges Fédotov. Ce qui demeure, Université de Provence Aix-Marseille I, 1990, p. 21 ; Nikita Struve, Soixante-dix ans d’émigration russe. 1919-1989, Fayard, 1996, p. 129 ; Vladimir Weidlé, « Rencontres franco-russes », dans Zinaïda Chakhovskaïa, René Guerra & Eugène Ternovski (sous la dir. de), Russkiy Almanakh, 1981, p. 397-400. Le présent article conclut deux études précédentes : « Les Cahiers de la quinzaine de Marcel Péguy et la Russie », Porche. Bulletin des Amis du Centre Jeanne d’Arc-Charles Péguy de Saint-Pétersbourg, n° 5, Orléans, avr. 1999, pp. 50-65 ; « Marcel Péguy et la postérité des Cahiers de la quinzaine », Bulletin de l’Amitié Charles Péguy, n° 89, janv.-mars 2000, p. 27-49. Seul organisateur à témoigner, Boris Zaïtsev garde bon souvenir (p. 470) de sa participation au Studio dans une « Interview » publiée par Zinaïda Chakhovskaïa, René Guerra & Eugène Ternovski (sous la dir. de), Russkiy Almanakh, op. cit., p. 456-474.
[2] La collection du centre Péguy d'Orléans en est incomplète, tout comme celle de la Bibliothèque nationale, microfilmée ; dans le commerce se trouvent — facilement au demeurant — certains numéros seulement.
[3] C'est à dire successivement les imprimeurs : Petitbarat (Saint-Ouen), Chantenay (P.), Paillard (Abbeville), Durand (Chartres), Béresniak (P.), Laboureur (Issoudun), Busson (P.), celui de Desclée de Brouwer (Bruges), Floch (Mayenne), Maillol (P.) ; et les éditeurs : éditions du Siècle (P.), L'Artisan du Livre (P.), Cahiers de la quinzaine (37 bd Saint-Michel), éditions Saint-Michel (P.), Desclée de Brouwer (P.), Cahiers de la quinzaine (30 rue Monsieur-le-Prince à Paris puis 10 rue Désiré-Ramelet à Colombes).
[4] Nous répondrons à ces deux questions grâce à l'aimable concours d'un membre de cette famille : Daniel Béresniak et à deux livres : Marie-Ange Guillaume et José-Louis Bocquet, Goscinny (biographie), Actes Sud, 1997 et Patrick Gaumer, Anne Goscinny et Guy Vidal, René Goscinny : profession, humoriste, Dargaud, 1997.
[5] Voici sa description dans le Répertoire des éditeurs (Cercle de la Librairie, 1963) : « Nom ou raison sociale: Beresniak (Imprimerie-Éditions), Presses du Temps présent ; adresse : 18-20, rue du Faubourg-du-Temple, 75011 Paris ; téléphone : VOLTaire 73-38 ; C.C.P. : Paris 6.364-32 ; domiciliation bancaire : Société parisienne d'escompte (boulevard Saint-Germain) : registre du commerce : Imprimerie-Éditions R.C.58 B 43-82 ; date de fondation : 1920 [sic]. »
[6] Il existe d'autres foyers d'implantation de ce patronyme : ainsi, un certain Faivel (Franz) Beresniak (né le 15 octobre 1898), venu de Starokonstantinov en Ukraine (en Volhynie), quitta la Russie en 1917, avant la Révolution d'Octobre, transita par la Turquie et la Palestine avant de gagner la France d'ou il repartit par Marseille en novembre 1922 pour arriver en Amérique à Providence (Rhode Island) le 2 décembre 1922. Il obtint la nationalité américaine et mourut a Boston en 1979. Le nom existe aussi sous sa forme apocopée Brezniak en Pologne, d'où viennent les Brezniak vivant en Australie.
[7] Khodorkov (russe) ou Hodorkiv (ukr.) ou Chodorkow (pol.) : ville ukrainicnnc de la paroisse de Volhynie, située dans la province de Kiev (entre Kiev et Jitomir), aujourd’hui détruite.
[8] Goscinny (biographie) nous renseigne : « Anna (leur) envoie de l'argent [de Buenos Aires]. Léon, son frère aîné, et Cécile, sa sœur cadette, arrivent à la remercier par courrier. Dans sa lettre, Cécile dénombre les membres de la famille et tente de les localiser. I.éon est stupéfait : Jusqu’au dernier moment, même après l’occupation de Paris, nous avions l’espoir que les hordes hitlériennes seraient arrêtées, mais nous nous trouvons en ce moment devant un fait que nous ne savons comment expliquer. Qu’est-ce qui nous attend maintenant, que va-t-il se passer ? Attendons les événements avec calme et espérons que ce cauchemar prendra un jour fin. »
[9] « Poussière » en hébreu.
[10] Titre original hébreu : Milon Idi-Ivri, deux volumes en un, de 619 pages, paru en 1939 (et non selon des sources imprécises en « 1939-1940 » voire en « 1941 »). Dictionnaire imprimé par ses propres soins bien entendu !
[11] Le titre original était en hébreu.
[12] Et à l'occasion traducteur, en 1992, d'un commentaire anglais d’un traité de Maïmonide !
[13] Inscrit Wolf lors de son entrée à Auschwitz.
[14] Dont des bundistes, ce qui n'empêche pas Beresniak de continuer d'imprimer des iat’ jusque dans les années 1970, pour le journal Vozrojdénié du prince Obolenski.
[15] On trouve même mention des achats de nourriture dans les livres de comptes !
[16] Ses
monographies datent de sa mort : Francisco Contreras, Louis Dumur, son œuvre, Nouvelle Revue Critique, 1934 (on y lira en
particulier les analyses des romans russes, p. 54-66) ; Henri Ziégler, Louis Dumur, 1934. Lire aussi
l’excellente étude d’Alfred Berchtold La
Suisse romande au cap du XXe siècle. Portrait littéraire et moral
(Lausanne, Payot, 1966).
Ne pas confondre Louis avec Jean Dumur [1930-1986], journaliste suisse.
[17] Dumur écrira dans l’Européen en 1901-1903 avant d’être secrétaire de rédaction du Courrier européen en 1904-1907.
[18] Marina Ledkovsky, Charlotte Rosenthal, Mary Zirin, Dictionary of Russian women writers, Greenwood Press, Westport (U.S.A.), 1994.
[19] Sous titre : « Chronique: 1920-193 », P.U.F., 1971.
[20] Voir Anne Heurgon-Desjardins, Paul Desjardins et les Décades de Pontigny, P.U.F., 1964.
[21] Le pensait récemment Robert Burac dans sa biographie Péguy. La révolution et la grâce (Laffont, 1992, note p.†307) : « Si Marcel Péguy se convertit au protestantisme, ce fut sous l’influence de sa seconde femme. »
[22] P. 8 du tapuscrit, resté inédit, de la discussion qui suivit l'exposé de William Bush sur « Péguy à la lumière de la théologie mystique de l'Église d'Orient ».
[23] Le Journal vrai, Desclée de Brouwer, n° 3, [1933], p. 32-33, note 1.
[24] P. 264-265 in Destin de Charles Péguy, Perrin, édition originale de 1941, deuxième édition expurgée de 1946.
[25] Il affirme (p. 246 in Cahier de l'Amitié Charles Péguy, n° 19, 1966) : « Cette attirance, cette sympathie [de Péguy pour les protestants] tiendraient-elles au fait que le christianisme de Péguy « se rapprocherait » comme l’a prétendu un de ses fils, « sur beaucoup de points du protestantisme » ? [...] Je dirai tout de suite que je n’en crois rien ou que, en tout cas, cette affirmation doit être soigneusement nuancée. »
[26] Lire d'Élisabeth Behr-Sigel la biographie exhaustive Lev Gillet. Un moine de l'Église d'Orient, Cerf, 1993 ; et « La création de la première paroisse orthodoxe de langue française (fin 1928-début 1929) », Service Orthodoxe de Presse, suppl. au n° 237, avr. 1999.
[27] On trouve ses traces à Paris dès 1926, où il fonde avec David Knout et Iouri Konstantinovitch Terapiano le journal littéraire Noviy Dom (« Maison nouvelle ») dont paraîtront seulement trois numéros en 1926 et 1927 mais que Youri Terapiano (auteur d’une introduction à l’œuvre de Charles Péguy dans ses Rencontres parues en 1976 à New York aux éditions Tchékhov), Vladimir Ananiévitch Zlobine (qui, après la Seconde Guerre mondiale, collaborera à Vozrojdénié, revue qui publiera en 1957 une traduction de Charles Péguy et un article de critique sur lui) et Léon Evguéniévitch Engelgardt feront renaître de ses cendres sous le nom de Noviy Korabl' (« Vaisseau nouveau ») pour quatre numéros en 1928-1929. Il est membre de l'Union des jeunes poètes et écrivains, dont il suit assidûment les réunions ainsi que celle du cercle littéraire « Kotchévié » (« Camp de nomades ») au tournant des années 1920-1930. Mais le Père Gillet lui fait rencontrer le Christ : ses relations avec Nadejda changent, elle aussi se convertit. Il effectue un pèlerinage à Jérusalem puis se fait moine orthodoxe sous le nom de Gabriel. On le retrouve en 1935 à Damas, secrétaire du patriarche orthodoxe d'Antioche ! Après quoi ses traces se perdent pour nous.
[28] Ce
qu’il ne fit pas, finalement. Professeur à la Faculté russe de la Sorbonne de
1924 à 1941, il est également professeur à l'Institut de théologie Saint-Serge,
de 1934 à 1947 avec l'interruption de la guerre. Il échappe par miracle à
l'arrestation pendant l'occupation et émigre pour le temps de la guerre aux
États-Unis. Ce spécialiste du néo-classicisme s'intéressa ensuite aux nouvelles
productions des littératures française et russe, notamment à la place du
langage parlé en littérature, puis aux thèmes religieux. En 1948, il meurt à
Cambo, dans les Pyrénées françaises, où il tentait de soigner sa tuberculose.
[29] Historien de la mentalité religieuse russe, il s’intéresse aussi à la littérature française contemporaine. Ce polygraphe publie de nombreux articles en français et en anglais : c’est aux États-Unis qu'il émigre définitivement en 1941. Il y sera professeur d’histoire. Il meurt à New-York en 1951.
[30] En 1934, elle arrive en Angleterre. Elle étudie à Birmingham puis à Oxford, jusqu'à publier sa thèse en 1938 : The Humiliated Christ in Modern Russian Thought. En 1944, elle obtient le Phil. D. à Oxford et commence d'y enseigner. En 1956, elle préside l'Association des slavistes et professeurs de russe des universités britanniques. Elle garde des liens avec l'Union soviétique où sa mère est restée. Professeur à Liverpool puis Berkeley, elle prend ensuite sa retraite en 1968 mais trouve encore le temps de fonder la Maison de Saint-Grégoire et Sainte-Macrina à Oxford. Où elle meurt en 1985.
[31] Car nous avons scindé l’histoire éditoriale des Cahiers de Marcel Péguy et du Journal vrai, qui en fut une publication « parallèle » de 1929 à 1934 : intitulé fin 1929 Le Journal vrai, ce mensuel est édité par les Cahiers de la quinzaine (37 bd Saint-Michel) pour trois numéros ; puis intitulé de 1932 à 1933 Journal Vrai, il est édité chez Desclée de Brouwer et imprimé par Laboureur pour les numéros 1 à 3 puis par Béresniak pour les numéros 4 à 6 ; enfin en 1934 Le Journal Vrai se trouve édité pour quatre numéros par les Cahiers de la quinzaine (même adresse qu’auparavant) et sous-titré « Revue mensuelle des partisans de Charles Péguy ». Il existe une troisiËme publication, encore parallèle, de Marcel Péguy : Les Patries de France (sous-titrée : « Bulletin mensuel de propagande et d’informations fédéralistes »), dont sortit un unique numéro en 1934... Le 15 juin 1957, Marcel Péguy, qui avait décidément la manie des publications éphémères, sortit un numéro de Larguez les ris, qui n’eut pas de suite.