Michel Raslovlev et Charles Péguy

 

Charles Péguy a peu été traduit en Russie ou en Union soviétique. De son vivant, rien à signaler. Pendant la Première Guerre mondiale, quelques extraits de la prose sont traduits mais rien de poétique. Pour la poésie, il faut paradoxalement attendre (paradoxalement, puisque l’on qualifie très souvent la poésie de Péguy de « religieuse ») l’U.R.S.S., entre les deux guerres : les vers célèbres « Heureux ceux qui sont morts… » font connaître le patriotisme de Péguy, aussitôt condamné comme sentiment de la bourgeoisie dégénérée ; quelques vers alexandrins sur Paris ajoutent même au portrait du poète franco-français « chauvin(iste) ». Même si le patriotisme n’est pas toujours condamné au pays des Soviets, la religion reste non grata, et Péguy est en poésie trop religieux pour pouvoir en être apprécié. Preuve par la négative : c’est chez les Russes émigrés que le poète sera donc traduit d’abord.

Léon Zander, compagnon de l’Amitié Charles Péguy entre autres nombreuses activités, avait déjà fait paraître une introduction à l’œuvre de Péguy[1] lorsqu’il traduisit, en 1947, des extraits du Porche parmi des passages plus importants du Mystère des Saints Innocents, et ce pour les Russes orthodoxes de Paris, qui composaient la majeure partie du lectorat du Courrier de la vie religieuse, ancêtre du Courrier du Mouvement Chrétien Russe (édité à Paris et New York puis aussi Moscou) qui éditera en 1964 son introduction à l’œuvre de Péguy sous le titre « Pour le cinquantième anniversaire de la mort de Charles Péguy »[2], qui republiera ces traductions en 1973[3] et qui publiera encore en 1996, revue donc fidèle à son admiration pour Péguy, un long extrait du Porche traduit par Serge Avérintsev dans le cadre d’une traduction intégrale du Porche prévue aux éditions « Rousskiy Pout’ »[4].

Mais avant même la traduction de Zander et également entre cette traduction et celle d’Avérintsev, indépendamment de cette réception « œcuménique » russe de Péguy, certains émigrés russes monarchistes ont entendu l’occasion de connaître l’œuvre de Charles Péguy – et le Porche en particulier – en 1956. Car le poème de Péguy la « Présentation de la Beauce à Notre Dame de Chartres » fut traduit, sous le titre abrégé « à Notre Dame de Chartres », par Ivan Ivanovitch Tkhorjévski parmi ses traductions de poètes français parues dans Vozrojdénié[5] puis dans le recueil des traductions Nouveaux poètes de France[6] et retraduite par un de ses amis, l’homme que nous allons présenter. Aussi bizarre que cela paraisse, Péguy poète se trouva donc traduit en russe mais pas en Russie ! Pour se faire, il y fallait des émigrés bien sûr et Michel Raslovlev, dont nous décrirons la vie et les œuvres, est d’une certaine façon un émigré royaliste type mais aussi ce que j’appellerai un illustre inconnu. Vous allez comprendre pourquoi.

Mikhaïl Serguéiévitch Mikhaïloff-Raslovleff [1892-1987][7] est un traducteur de Péguy aussi peu connu en Russie qu’en France ; c’est pourtant dans ce pays — une terre d’adoption pour lui — qu’il fit paraître du Péguy transposé en. russe ! Pour la première fois, un Russe traduisait du théâtre de Péguy écrit en vers libres ; et personne n’était mieux placé pour ce faire que lui, poète russe quasi-amateur qui assimila si bien le français qu’il finit par écrire tous ses recueils poétiques dans cette langue.

 

Un illustre inconnu : Michel Raslovlev

 

Né le 22 août 1892 à Vladivostok, Michel Raslovlev est issu d’une ancienne famille de propriétaires de la province de Saratov. Mais d’où vient ce nom peu courant ?

 

1 Origine familiale

 

Le nom des Raslovlyevy est celui d’une famille aristocrate russe sans titres. Pourquoi Raslovlev ?

Deux frères Stanislav (baptisé Ivan) et Casimir (Boris) Nyémiritchi, eux-mêmes originaires d’un fief de Lituanie appelé « Raslovl »[8], arrivèrent à Moscou en 1436 avec leurs gens d’armes pour servir le Grand Prince de Moscovie Vassili Vassiliévitch (Basile II), qui donna aux nouveaux baptisés le nom de Raslovlev.

Et pourquoi Mikhaïlov-Raslovlev ? Le nom de Mikhaïlov a été ajouté plus tard, le 4/16 avril 1866, et pour la raison suivante. En 1829, la fille (unique enfant) de Léon Yakovlévitch Raslovlev, Sophie, a épousé Michel Gavrilovitch Karakozov[9]. Il leur naquit en 1830 un fils, Michel, qui, naturellement, porta le nom de famille de son père, Karakozov. Mais en 1866, après qu’un parent éloigné, portant le même nom, eut attenté à la vie de l’Empereur Alexandre II[10], il fut autorisé à remplacer son nom par celui de sa mère (Raslovlev) en le faisant précéder de son patronyme Mikhaïlov, c’est-à-dire fils de Michel.

L’armée et les grands moments de l’Histoire marquent la vie des proches de notre Michel Serguéiévitch Mikhaïlov-Raslovlev.

Son grand-père Michel, en effet, celui-là même qui le premier prit le nom de Mikhaïlov-Raslovlev, officier de cavalerie au Régiment de la garde impériale de Moscou, devint Maréchal de noblesse de sa province (celle de Saratov) et mourut au champ d’honneur, au Caucase, dans les combats que fit son nouveau régiment de la Garde impériale d’Erevan pour la possession de la forteresse turque de Kars[11], pendant la guerre contre la Turquie en octobre 1877. Kars, ce Verdun caucasien…

Son père, Serge, premier à prendre le nom de Mikhaïlov-Raslovlev dès sa naissance, servit dans le district de Petrovsk (province de Saratov) jusqu’à devenir le premier président du conseil local du zemstvo provincial ; comme lieutenant de vaisseau de réserve, il fit partie de la flotte de l’amiral Rojdestvenski qui partit de Libava (aujourd’hui Lyépaya en Lettonie) en 1904 et qui, pendant la guerre russo-japonaise de 1905, fut détruite dans la célèbre bataille qui eut lieu dans le détroit de Tsoushima (14-16/27-29 mai 1905). Il y trouva la mort.

Son fils même, Nicolas, naturalisé français en 1935, officier de carrière dans l’armée française, devenu lieutenant, faisait sa formation militaire dans la cavalerie avec l’École de cavalerie de Saumur alors délocalisée (« repliée » dans le vocabulaire de l’époque) à Tarbes, quand les Alliées débarquèrent en Afrique du Nord ; très vite, il prit contact avec une organisation de la Résistance dans les Pyrénées, le célèbre Corps Franc Pommiès (CFP[12]), se joignit à l’armée régulière, combattit dans le massif des Bauges près de Chambéry et trouva « une mort glorieuse » dans les Vosges, au sommet du Drumont, le 29 novembre 1944 : touché avec le commandant Françot et sept autres par un éclat de Minen de 88 ou de Schrapnells de 105 de l’artillerie allemande sur la ferme-auberge du Drumont[13].

Rien d’étonnant donc à ce que lui Michel Raslovlev, ayant perdu sa mère (passable paysagiste de l’école des Ambulants, élève de Krijitskiy) en 1904, fut élevé dans le corps de Cadets Alexandre-II à Saint-Pétersbourg, promotion 1909[14]. Sa tutrice fut Hélène Alexandrovna puis le baron Nolken (fonctionnaire au Ministère de Affaires intérieures) Mais voici qu’il partit étudier quatre ans à la Bergakademie de Freiberg-en-Saxe pour devenir ingénieur de mines, malgré la volonté de sa famille. Il voulait tout simplement refaire la fortune de la famille, dilapidée par son grand-père, dans les mines argentifères de Malaisie ! C’est d’ailleurs sans lui faire perdre cet espoir que la guerre de 1914 le ramena à Baranovka, le domaine familial réduit au fil des ans à quelques dizaines d’hectares dans le district de Atkarsk, où il occupa un poste dans l’administration civile locale.

 

2 Vie d’un soldat

 

En 1915, sentant l’impossibilité morale de rester à l’écart de la guerre, Raslovlev s’engage comme volontaire dans la Marine de la Mer Noire et s’y distingue lors d’opérations périlleuses[15]. Il accueillit la Révolution comme une « calamité ». De 1917 à 1920, il prit part à la guerre civile, d’abord dans l’armée de l’amiral Koltchak, qui le chargea, ainsi que d’autres engagés volontaires portant l’uniforme de simples matelots, de se faire élire présidents des Soviets des Députés de Soldats et Matelots afin de maintenir l’esprit combatif de la majorité, encore hésitante, des forces armées du Sud de la Russie. De matelot de deuxième classe, il passa bientôt maître d’équipage. En faveur de mesures énergiques contre la Révolution qui couve, sans trop croire cependant à la réalité du danger, le jeune Raslovlev pleure les deux abdications et veut sauver la dynastie ou du moins l’honneur du pays : il écrit en ce sens à l’amiral Pokrovski, proche de ses idées légitimistes, en 1918. S’il s’était raisonné pour accepter Février, il déchante vite devant l’inefficacité des discours qu’il tient à Soulino (sur le Dounaï) aux fréquents meetings organisés pour maintenir le moral des troupes sur le front roumain. Fin septembre 1917, il demande à retourner à Sébastopol et obtient une permission « pour raisons familiales » : sa jeune sœur Xénia avait dû sous le Gouvernement provisoire déménager en ville tout son avoir et liquider la campagne de Lomovka ; Michel l’aida. En décembre 1917, il retourne à Sébastopol à cause des bouleversements politiques et pour y revoir sa sœur aînée Hélène. Raslovlev est profondément choqué par ce qu’il voit : la révolte des matelots contre les officiers. En mars 1918, entendant dire que, au Transcaucase, la Diète locale n’aurait pas reconnu le traité de Brest-Litovsk, il projette d’y aller… En congé, il gagne Batoumi puis Tiflis pour y rencontrer un parent éloigné en contact avec la famille impériale (alors dans le sud de la Russie), à qui Raslovlev veut demander ses intentions. En avril 1918, Raslovlev, qui s’était mis à la disposition des autorités militaires locales, reçoit enfin l’ordre d’aller à l’ouest de Batoumi, à 10 kilomètres de la ville, recruter des soldats avant que les Bolchéviks ne le fassent. Mais entraînée par la chute de Guéguétchkora, la ville est subitement évacuée. Deux semaines plus tard, Raslovlev est de retour à Sébastopol, où le rassure le Comité exécutif de la Flotte de la Mer noire : leurs vues ne sont pas celles des Commissaires du peuple. Mais le 29 avril 1918, Simféropol tombe ; on demande à l’amiral Sabline de prendre le haut-commandement de la Flotte… Raslovlev harangue alors les matelots et soldats lors des meetings de la Brigade des Mines ; c’est à bord du bâtiment le Furieux qu’il voit, piteux et blessé dans sa fierté, échouer la ruse de Sabline, qui consistait à monter le drapeau ukrainien pour tromper les Allemands…

La reddition de la flotte le fait pleurer pour la troisième fois de sa vie. Après la mort de sa mère, après la nouvelle des deux abdications de 1917. Raslovlev, avant de rejoindre sa « Vendée », a le temps de vendre quelques photographies tristes au photographe Bordt de Sébastopol, qui en tirera une plaquette qui deviendra fameuse en Crimée et intitulée « Trois printemps » et représentant : en 1916, la visite par le Tsar de la Brigade des Mines ; en 1917, Kérenski à son tour en visite auprès de la Brigade ; en 1918, la rade vide… Seul point positif de l’heure : la rencontre en juin 1918 de celle qui deviendra sa femme un an plus tard. Mais l’appel de la Vendée est plus fort : sa famille est à Novorossiya, après avoir vendu leur appartement de Sébastopol, et Raslovlev veut rencontrer des partisans de la restauration monarchique.

En 1918, c’est dit, Raslovlev passe le Rubicon : il deviendra agent de liaison entre les monarchistes du centre de la Russie et le Commandement des Forces armées du sud de la Russie. Que l’on nous permette ici un petit excursus par les tendances qui partagent alors le camp monarchiste, qu’il ne faut pas voir comme un bloc monolithique, comme on le fait trop souvent à propos de l’émigration russe en disant, pour Paris, « les habitués de la rue Daru » : les inconditionnels d’avant a Révolution sont minoritaires mais soudés et disciplinés ; les monarchistes libéraux sont plus nombreux (ce sont eux les « bolchéviks » du tsarisme !) mais peu unis. Le Parti monarchique (à côté de l’Union du Peuple russe, et de l’Assemblée russe) essaie bien de fédérer ces courants mais d’Allemagne et de Finlande la liaison n’est pas facile à organiser pour A. F. Trépov et N. Yé. Markov, les chefs du parti. Raslovlev, qui regrette les dissensions du camp monarchiste, serait, à choisir, pour les libéraux mais ne tient pas pour la solution préconisée d’Helsinki, à savoir la libération du prince Pavel Alexandrovitch. Raslovlev, homme de complot plus que de politique, appartient à l’Organisation monarchique : il critique les « monarchistes de l’ancienne école », opposés à tout ce qui bouge » – à savoir S.-R., S.-D. aussi bien que Cadets. Mais sa propre organisation compte des monarchistes à l’ancienne favorables à une nouvelle dynastie, des « bonapartistes », des partisans d’une république dirigée par un dictateur élu…

Pour l’heure, il se prépare à gagner le Nord : Belgorod. Après avoir sauvé un wagon entier d’effets personnels et de meubles de sa sœur, début septembre 1918, Raslovlev part. Mais la route d’Ukraine à Sovdepia n’est pas aisée à accomplir en toute légalité ! Début octobre 1918, il réussit à passer la frontière soviétique. Koursk. Moscou. Simbirsk en novembre. Tantôt comme mandaté par une usine travaillant, n’en pouvant mais, pour les Soviétiques tantôt comme matelot démobilisé cherchant ses parents : couvertures bien pratiques. Raslovlev rencontre d’anciennes connaissances pour reformer une opposition monarchiste à l’intérieur du territoire contrôlé par les Rouges, et tente de retrouver leurs propres contacts, malgré la difficulté qu’il y a à retrouver les familles nobles, qui ont quitté à l’automne 1917 leurs terres pour se regrouper dans les petites villes puis celles-ci pour les grandes villes en janvier 1918. Penza ensuite. Syzran. Là, une première fois il voit Toukhatchevski le jour du premier anniversaire d’Octobre ! Mais, quand il apprend – bonne nouvelle – la capitulation allemande, Raslovlev repart précipitamment pour le Sud, pour Odessa, porteur d’un message clair : il faut créer un journal fédérateur des forces contre-révolutionnaires, un organe de liaison permettant la diffusion des idées pro-monarchistes.

Ce sera la tentative du Courrier politique et social de la Contre-Révolution. Transitant de Sébastopol à Odessa sur le Maria, il arrive au moment crucial de la passation de pouvoir entre Allemands et Alliés ; Raslovlev sent que le moment est propice à la diffusion des idées monarchistes : le peuple n’a-t-il pas été déjà déçu par la Révolution, qui promettait beaucoup ? Raslovlev travaille pour l’amiral Pokrovski. La chance semble lui sourire de nouveau. Il appartient à la Société d’aide aux officiers et familles d’officiers de la Marine, créée pour soutenir la parution d’un livre qu’il rédigerait. Le plan d’écriture de Aux victimes du devoir (contrat du 30 décembre 1918), mis au point pendant l’été, se réalise et trouve éditeur. Quant au Courrier, son premier numéro est prévu pour février 1919, co-édité par Raslovlev et V. N. Smolyanov. Mais l’action souterraine de Raslovlev le rattrape : il doit partir pour Moscou reprendre des ordres de ceux qui l’avaient mandaté, de M. M. Yankovski en particulier, un ancien propriétaire terrien très actif en politique depuis 1905, qui semble le cerveau de l’Organisation. Son plan est alors de sauver l’Impératrice Maria Féodorovna. Mais l’emprise des bolchéviks sur le territoire russe gêne les activités de l’Organisation, réduites à de simples velléités. Et voilà Raslovlev ramené en Crimée, réduit au rôle de propagandiste.

Raslovlev publie en 1920, enfin, à Sébastopol, peu avant l’évacuation, la première revue franchement légitimiste. À Constantinople en 1921, il regroupe de petits poèmes satiriques et patriotiques écrits dans les carrés de la marine à Sébastopol et en fait un recueil : les Chansons de la Contre-révolution (Piesni Kontr-Riévoloutsii) ; c’est surtout le lieu et l’année où il fonde l’« Union Pan-russe Kouzma Minine »[16], qui voulait « supplier la Dynastie décapitée des Romanov de reprendre son rôle séculaire de rassembleur de toutes les forces vives de la Nation ». De Constantinople il partit en 1921, restant jusqu'à la fin de ses jours russe de nationalité, monarchiste fidèle aux Romanov et orthodoxe de confession. Il émigrait avec une grande partie de sa famille : sa tante, sa sœur cadette, sa sœur aînée ; quant à son frère cadet, il n’eut pas cette chance, mourant en 1919 après avoir lui aussi collaboré à l’organisation de plusieurs réseaux pro-monarchistes en territoire russe.

Raslovlev voyage alors en Grèce et en Angleterre, chargé par le gouvernement du général Wrangel d’obtenir l’aide des dirigeants grecs – qu’il obtient – et des membres de la famille des Romanov ayant conservé dans leur pays d’adoption une situation princière, à savoir aux cours grecque[17] et anglaise. Il tente aussi d’organiser à partir de la Turquie une résistance blanche sur les terres reprises par le bolchévisme — résistance vaine. Bien sûr, peu de traces de ces activités : « Je me trouvais alors à la tête d’une organisation secrète travaillant en Russie et je ne tenais aucunement à me faire trop remarquer. » — écrira Raslovlev au Times en 1927.

On retrouve Raslovlev journaliste dans les Balkans de 1921 à 1923. Il suivit l’exemple de beaucoup d’émigrés et passa des Balkans à la France, à Paris précisément, où il travailla comme employé de bureau à la société des Chaînes (1923-1935) et où il fréquenta assidûment la cathédrale orthodoxe russe de la rue Daru. Revenu au journalisme, il fut correspondant de La Nation belge à Bruxelles de 1935 à 1940. Installé à Paris de 1940 à 1943, il y travaille comme secrétaire-interprète pour la General Motors, ne faisant qu’un séjour à Vienne en tant que traducteur en 1942.

Quelle fut l’attitude de Raslovlev face au nazisme, face aux théories fascistes et pendant l’Occupation ? D’abord, Raslovlev travaille comme correspondant pour un journal de la droite bien-pensante wallonne, sinon rexiste du moins nettement catholique : La Nation belge[18]. Mais cette collaboration commence en 1935 – époque où le rexisme est en phase de croissance avant l’apogée de 1936 et le recul de 1937[19] – et s’arrête en 1940, en même temps que la revue cesse de paraître… Raslovlev travaille ensuite pour la General Motors, firme critiquée pour avoir pris part à l’effort de guerre allemand et avoir abondamment fourni la Wehrmacht[20]. Mais Raslovlev n’y est que traducteur et à Paris, malgré un voyage à Vienne en 1942 qui peut tout à fait s’expliquer pour des raisons strictement professionnelles ; de plus, la General Motors explique que ce ne sont que les filiales allemandes et autrichiennes qui – contre l’avis du groupe – soutinrent la Wehrmacht, en état de quasi sécession, un peu comme la Croix-Rouge allemande faisait acte d’allégeance au IIIe Reich. Comme l’affirme un journaliste américain : « Quite front, Ford and General Motors, but also bank Chase (whose subsidiary company in Paris closed the Jewish accounts before even the Nazis), were found in collimate historians ».

Enfin, Raslovlev reçoit la carte de combattant volontaire de la Résistance. Ce fait contrebalance largement les deux procès d’intention que l’on peut trop rapidement faire au correspondant-traducteur. Et un acte de résistance se comprend très bien dans la pensée de Raslovlev : seuls des Russes pouvaient selon lui mener la contre-révolution ; aussi ne se joignit-il pas au mouvement du général Vlassov, compromis avec les Allemands. De Koltchak et Wrangel, il ne pouvait décidément pas passer à Hitler, aussi choisit-il clairement son camp. Deux arguments s’ajoutent pour « blanchir » Raslovlev : son fils s’engage dans la Résistance aussi et – puisqu’il ne faut pas juger du père sur le fils – on ne trouve sous la plume de Raslovlev nulle part de propos racistes, extrémistes même ni pro-Allemands. Il fut au contraire, très probablement, indigné des malversations nazies, parti d’une attitude neutre en 1935-1940 et devenu résistance en 1944. Rappelons que, en dépit de ce qu’il se passait sous ses yeux, Raslovlev regardait toujours vers la Russie – nul témoignage qu’il regardât cependant vers Vlassov – et c’est pour cela qu’il ne s’impliqua que tard dans les affaires de l’Europe de l’Ouest (Belgique, France) en guerre.

Fin 1944, il entre en qualité de contractuel au service de la marine française : après la libération de Paris, il travaille au Centre d’écoutes radiophoniques du Mont-Valérien puis, en 1946, au Centre de documentation interarmées fixé à l’École militaire, jusqu'à y devenir chef du Service des langues étrangères : c’est qu’il possédait parfaitement quatre langues — allemand, anglais, français, russe — et en connaissait pas moins de neuf ! Il ne prit sa retraite qu’en 1957, pour limite d’âge.

On le trouve écrire, en dehors de Paris, à Charenton où il a une résidence secondaire, au camp de Mourmelon en 1950. Raslovlev, monarchiste constitutionnel, est toujours resté profondément antisoviétique[21] plutôt que simplement conservateur : en 1972, il continue de dater ses poèmes avec l’ancien style ; en 1980, s’il délaisse l’usage du signe dur en fin de mot à finale consonantique, il utilise encore le iat’  abandonné depuis plus d’un demi-siècle en U.R.S.S. même[22] ! Il s’engage dans l’Obchtchestvo Okhraniéniya Rouskikh Koultournykh Tsennostiéi, soit « l’Association pour la conservation des Valeurs culturelles russes », qui recueille de nombreux documents sur les émigrés russes en France (1864-1957)[23].

Ce légitimiste, qui ne prit pas la nationalité française, resta de même farouchement patriote[24]. Il s’enthousiasme pour les idées de Soljénitsyne en 1974. Le chrétien orthodoxe considère les Romanov tués par les Soviétiques comme des martyrs[25] et voyage en Terre sainte en 1976, accueilli par des moines à Jérusalem, et il y travaille au calme[26]. Mais ce n’est pas par amour d’Israël qu’il y va puisqu’il écrira en 1927 au Times : « Je ne suis pas du tout un ami de la cause juive » : non, croyant possible — comme beaucoup de Blancs d’alors — que la Révolution soit en fait dirigée par les juifs et les francs-maçons, il a peu de sympathie pour les juifs et s’il partit, pendant la période faste de Dénikine, à la recherche de mystérieux agissements de francs-maçons dans le sud de la Russie — agissements qui s’avérèrent ne pas exister —, il en fut le premier étonné.

 

3 « L’homme des Protocoles de Sion »

 

Raslovlev se trouvera un peu par hasard mêlé à l’histoire des Protocoles des Sages de Sion. C’est en effet lui[27] qui, à Constantinople, révéla au journaliste du Times of London[28], Philip Graves, contre 337 livres sterling, que les Protocoles n’étaient qu’une pièce forgée. L’aveu consista à relever la coïncidence troublante entre les Protocoles et le texte d’un vieux pamphlet politique français sensé décrire la politique impérialiste de Napoléon III : Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu de Maurice Joly (1864). Une petite page pour l’Histoire mais une grande Affaire pour notre homme.

L’identité de cet aristocrate russe appauvri qui a donné la source fut révélée seulement en 1978 par le journaliste Clifford Longley dans le Times[29]. « Mr X. », notre Raslovlev lui-même, explique son désir de rester anonyme : « je ne souhaitais nullement devenir, grâce à une publicité malvenue, l’homme des Protocoles de Sion jusqu’à la fin de mes jours »[30].

Raslovlev, pour preuve de la découverte qu’il avançait, donna une brochure trouvée dans un vieux stock de livres qui constituait la bibliothèque d’un ancien officier de l’Okhrana, la police secrète du tsar, bibliothèque que Raslovlev avait achetée. Ayant remarqué la ressemblance entre ce livre français et les Protocoles, Raslovlev s’en ouvrit au correspondant du Times, comme Raslovlev le dit alors, « pour ne donner aucune arme à des Juifs, avec qui je n’ai jamais sympathisé » — détail paradoxal puisque les Protocoles, édités depuis 1905 mais trouvant beaucoup de lecteurs après les ravages de la Première Guerre mondiale, la Révolution russe, l’agitation en Allemagne, circulèrent activement pendant la guerre civile russe et furent utilisés par les agitateurs essayant de soulever la population contre la « Révolution juive », contribuant aux pogroms que connut, sous le régime des « Blancs », le sud de la Russie entre 1918 et 1920. De cette brochure, sujet de persécution pour les Juifs, Raslovlev a donc peur que ces Juifs fassent ne arme, une fois la vérité découverte, contre son parti (le Tsar) et non contre les vrais faussaires (la Police secrète trop zélée, plus tsariste que le Tsar).

Pour Raslovlev, conscient ou non de ce paradoxe, primaient en ces temps cruciaux deux questions : la question financière et celle de l’honneur. La question financière concernait son action politique, dont nous avons déjà dit deux mots et qu’il envisageait encore en 1921 de façon très optimiste. « Avec l’argent reçu par le Times, j’ai pu en effet soutenir encore quelque temps mes amis en Russie, et même y faire, sous un faux nom, un voyage de plusieurs mois au printemps de 1922. » Il avait refusé de vendre le livre en question et comptait rendre dès que possible ces 337 livres sterling. Mais cette organisation qu’il avait suscitée, appelée par lui plus tard « les Chouans sur rail »[31] et visant à restaurer la monarchie, brisée par les événements de 1919, ne pouvait plus agir, son impuissance était patente ; et il n’en sera plus question après la dissension surgie dans la famille impériale russe en août 1924[32]… Raslovlev redoutait aussi que les Protocoles, faux dont les journaux les plus sérieux — à l’image du Times — mettaient en doute l’authenticité, ne servent qu’à accuser et déshonorer son parti ; il déclara en effet qu’il gardait l’ouvrage en question dans « l’espoir de s’en servir un jour comme preuve d’impartialité du groupe politique auquel il appartenait »[33]. « Impartialité », c’est le mot clef : « l’impartialité me poussait à ne pas taire ma découverte » — écrit-il encore au Times en 1927. Même en 1927, il ne souhaite toujours pas découvrir son nom au public, car son activité pro-monarchiste n’a pas cessé : il osera encore en 1937, à l’apogée des violences du pouvoir stalinien et des chasses aux complots antisoviétiques, entreprendre un voyage en U.R.S.S., bien différent de celui des intellectuels de l’époque : clandestin et contre-révolutionnaire ! Avec au programme, notamment, une rencontre avec le maréchal Toukhatchevski [16 févr. 1893 – 11 juin 1937]… décédé peu avant le départ de Raslovlev… accusé de trahison et d’espionnage, accusation fréquente à l’époque mais qui prend soudain quelque apparence de vérité, alors que l’on avait toujours considéré ces griefs stéréotypés comme pure fantaisie ! Et qu’on ne nous fasse pas dire cependant que Toukhatchevski sympathisait avec la cause blanche, ni même qu’il jouait un double jeu ! Malgré ses nombreux contacts dans l’armée soviétique, qui respecte simplement les hommes de l’autre camps davantage que ne le font les politiques, Raslovlev désespère, et ce sont les dissensions dans la famille Romanov, survenues à partir de 1932, qui le désespèrent.

Après une vie si bien remplie et si agitée, Raslovlev mourut de sa belle mort à Créteil le 27 avril 1987. Mourait avec lui non seulement un patriote, un légitimiste et un orthodoxe mais aussi un poète, un critique littéraire et un traducteur. Cet homme, qui fut un homme d’action, aimait à se dire « littérateur », et ce à bon droit. Dès 12 ans, celui qui sut être si actif au service de la contre-révolution noircissait du papier ! À 15 ans, quelques notes de ses contes philosophiques sont publiées par la revue des élèves du corps des Cadets Alexandre-II. Connaissant d’assez près la famille des Romanov[34], il voulut même à l’âge de la retraite se faire l’historien de la chute de l’Empire russe, avec l’aide de la Grande Duchesse Hélène, princesse Nicolas de Grèce. Mais cette dernière mourut en 1957 précisément[35]

 

L’homme de lettres

 

1 Le poète

 

L’œuvre de jeunesse de Raslovlev poète, Histoire de Tévanghir le Bassorite et du jardin clos de son âme, fut écrite d’abord en allemand à Freiberg-en-Saxe et, après refonte, achevée en 1918 en Russie et en russe. Elle fut publiée pour la première fois en 1925 à Paris en français et rééditée en extraits[36] ; elle raconte à la façon d’un conte exotique les émois d’un jeune cœur. Il publia par la suite plusieurs plaquettes de poésie en français : Les Voix glorieuses[37], premier recueil de vers français en leur temps salués par Paul Fort[38], Reflets furtifs[39], Nouveau choix de poésies françaises[40], regroupant des poésies de divers recueils en partie restés inédits[41]. Il eut pour amis et connaissances Raymond Boulanger, Paul Fort (qui représentait pour lui réellement le « Prince des poètes »), un certain Jean Pourtal de Ladevèze – poète prolixe né en 1898 à Lorient[42] et compositeur de musiques pour voix et piano, le comte K. N. de Rochefort[43]. Il revint à la poésie en russe après 55 ans de silence public en la matière. Ce n’est que tardivement qu’il publie enfin des poèmes écrits en russe de 1917 à 1976 dans deux livres à dominante religieuse et patriotique : K nogam Tvortsa (Sbornik stikhov na doukhovnié tiémy), c’est-à-dire « Aux pieds du Créateur (Recueil de poèmes religieux) »[44] et Rodnoié slovo (Vyderjki iz stikhotvornykh sbornikov), c’est-à-dire « Mot natal (Extraits de recueils poétiques) »[45].

Chez lui, le poète, romantique de par les thèmes et classique de par la forme, éclipse le dramaturge ; car Michel Raslovlev commit aussi deux pièces historiques : Hyde de Neuville[46], drame en cinq actes écrit directement en français, et un drame inspiré par l’épopée du futur maréchal Michel Toukhatchevski dont il prévit la fin. Il voulait par là « comprendre les processus, les analogies et les enseignements des grandes révolutions : anglaise, française et russe ».

 

2 Le critique

 

Raslovlev fut aussi critique littéraire, dans les années 1950-1960, pour le compte de la revue russe émigrée Vozrojdénié, « Renaissance. Revue littéraire et politique »[47] dont il fut l’un des plus actifs collaborateurs (il tenait la rubrique « Hommes et faits ») lorsque Ivan Ivanovitch Tkhorjevski [?-1951] la fit renaître de ses cendres puis à laquelle il collabora fidèlement, après l’intermède de Serge Pétrovitch Melgounov [1880-1957], sous la direction du comte Serge Serguéiévitch Obolenski. La devise choisie par la revue correspondait tout à fait à ses idées : « Fidélité au passé, foi en l’avenir ». Raslovlev connaissait Tkhorjevski depuis le début des années 1930, l’ayant rencontré à Paris dans une réunion d’anciens « propriétaires terriens » russes. Les deux hommes partageaient un même goût littéraire, qui les faisait admirer parmi les Français la comtesse de Noailles et Armand Silvestre notamment ! Mais Raslovlev maudissait les contractions imposées à ses œuvres pour paraître dans Renaissance : une ballade satirique (Le Torrent. Un preux en exil) fut sévèrement allégée, Raslovlev se refusa à couper Tévanghir lors du premier automne de la revue. Il semble avoir bien connu également Marc Aldanov, Basile Maklakov, Alexis Rémizov.

Raslovlev écrivait sur des auteurs classiques ou contemporains : aussi bien sur Pouchkine[48], Dostoïevski[49] ou Tioutchev[50] que sur Tkhorjevski lui-même[51]. Il écrivait sur tout sujet culturel en général[52]. Le fit connaître sa Trilogie historico-poétique sur la littérature russe, intitulée De Derjavine à Bounine ou Grandeur et décadence de l’empire de toutes les Russies et composée de : Le Chantre de Felice[53], étude sur Gabriel Romanovitch Derjavine [1743-1816] ; d’une anthologie des poètes russes du Siècle d’Or (à savoir le XIXe siècle russe) intitulée L’Âge d’or de la poésie russe : anthologie des œuvres poétiques et courtes biographies des principaux prédécesseurs et contemporains de Fédor Ivanovitch Tutcheff :1803-1873[54] ; et enfin de L’Âge d’argent de la poésie russe : Anthologie des œuvres poétiques russes des prédécesseurs et contemporains de Bounine de la fin du XIXe siècle jusqu’au début du XXe siècle[55]. Bounine reste le dernier poète russe qu’il admire, en raison de son académisme[56].

 

3 Le traducteur

 

Michel Raslovlev fut aussi traducteur. Traducteur en français, langue qu’il connaît dès l’avant-guerre (où il se passionne pour Pierre Loti [1850-1923] et Claude Farrère alias Frédéric-Charles Bargone [1876-1957]), qu’il pratique encore en s’enthousiasmant pour le philosophe Gustave Le Bon [1841-1931][57] à Sébastopol en 1915 mais qu’il perfectionne encore, dès son arrivée en France en 1923, lisant « Bourget, France et Proust, pour étudier la société contemporaine du pays, ainsi que les poètes Paul Fort, Claudel et Valéry, pour m’initier au langage des dieux du moment ; sans perdre des romantiques, des parnassiens, de Baudelaire et autres, que je connaissais depuis longtemps et que je m’amusais encore en Russie à traduire en vers russes pour me faire la main. » Même traducteur, il resta poète, adaptant en français, et en vers, le conte populaire russe de Pierre Pavlovitch Yerchov : Le petit poulain bossu. Koniok gorbounok[58] et traduisant ses propres poésies[59], comme le poème en prose Le Dit de la Sainte Russie[60], paru auparavant en russe dans Renaissance[61] et à ne pas confondre avec le recueil de poésies traduites du russe intitulé Sainte Russie, anthologie de vers d’inspiration religieuse[62]. La traduction du conte le fit connaître en 1935 et lui valut la satisfaction d’être fastueusement reçu par la Begum à Paris puis d’être invité en tant qu’expert du folklore russe au XVIe Congrès international d’Anthropologie à Bruxelles, source probable de son futur travail comme correspondant d’une revue belge. Il donna longtemps après à Renaissance, après la guerre qui arrêta toutes ses activités littéraires, une série de traductions d’auteurs français déjà classiques ou modernes, comme Leconte de Lisle[63], Charles Péguy, Albert Samain[64] ou Paul Fort[65]. Péguy, avons-nous dit…

 

Raslovlev traducteur de Péguy et vulgarisateur de son œuvre

 

Attardons-nous sur sa traduction de Péguy. Déjà publiée dans Renaissance en 1956[66], elle sera reprise, plus de vingt ans plus tard, avec toutes les autres traductions du même auteur dans un recueil, apparemment le dernier édité par Raslovlev : Vyderjki iz sbornika « S tchoujikh Parnassov... »[67], c’est-à-dire « Extraits du recueil Traductions de Parnasses étrangers » — précisons tout de suite que ce sont des extraits édités d’un recueil qui, lui, ne verra pas le jour dans son intégralité. Livre dédicacé par l’auteur à la Bibliothèque Tourguéniev de Paris, le 26 juin 1980, dans l’exemplaire que cette dernière conserve[68].

Qui sont donc tous ces poètes qui entourent Péguy ? Aussi bien Barbey d’Aurevilly, Baudelaire, Paul Fort, Leconte de Lisle, Hérédia, Moréas, Anna de Noailles, Albert Samain, Henri-Frédéric Amiel, que les moins connus L.-R. Amiel [actif à la Belle Époque], Joseph Autran [1813-1877], Eugène Manuel [1823-1901], Louis Ratisbonne [1827-1900], Armand Silvestre [1837-1901], Victor-Joseph dit Joséphin Soulary, si fort prisé en son temps de Baudelaire lui-même [1815-1891] ! On ne sait trop, dans ces conditions, ce que représente Péguy pour le traducteur : un classique apprécié, un poète mineur ? Un poète apprécié semble la réponse la plus probable. Si Péguy [1873-1914] apparaît après Paul Fort [1872-1960] et avant Anna de Noailles [1876-1933], ce n’est qu’à cause de l’ordre chronologique choisi par Raslovlev : ordre croissant des dates de naissance, qui range Péguy comme antépénultième. On jugera du rang auquel Raslovlev place Péguy d’après l’article qu’il lui consacre et que nous donnons plus loin.

Quelle est l’idée que Raslovlev se fait de la traduction ou plutôt de l’adaptation (car la traduction de Péguy en est une, avec coupures et résumés) ? Il s’en est expliqué dans son anthologie Sainte Russie et dans une conférence sur la question prononcée en 1960 à Paris ; son ami Jean Pourtal de Ladevèze a résumé sa méthode de traduction dans sa préface au Nouveau choix de poésies françaises : il respecte la littéralité du texte mais il recrée les poèmes pour respecter le vers et plaire à l’oreille du lecteur. Dans le cas de Péguy, il effectue des coupures pour respecter la construction générale : il réduit au quart le volume des quelque sept pages traduites (dont nous indiquons la pagination dans la collection « Poésie », Gallimard, 1986) et, pour ne pas lasser le lecteur russe, il effectue de nombreuses coupures [mises entre crochets]. Ce qui donne un texte singulièrement bouleversé mais conforme à l’idée que le début du siècle se faisait de la traduction, plus transformation que littéralité. Mais le moyen, il est vrai, d’adapter une œuvre-fleuve aux contraintes de la publication d’un extrait, en revue ?

Nous donnons ci-après une retraduction des passages traduits du Porche du mystère de la deuxième vertu par Raslovlev ; et ce, pour donner au lecteur non russisant une idée du choix opéré par Raslovlev. Spécifions bien que le traducteur prend tant de liberté avec l’original français qu’il fait parler Dieu avec la majuscule du pronom personnel « Je » (d’une façon qui choque moins les orthodoxes) ; qu’il glose parfois pour expliquer la pensée de Péguy au lecteur russe, qu’il reponctue le texte de Péguy d’une façon académique (gloses et reponctuation mises entre <>). Il reste parfois difficile d’identifier le passage traduit, à cause des fréquents résumés que se permet aussi l’esprit synthétique du traducteur.

 

1 L’Espérance

 

(extraits du Mystère sous l’égide de la deuxième vertu)

 

Le prêtre dit :

Quelles sont les trois vertus théologales ?

L’enfant répond :

Les trois vertus théologales sont la Foi, l’Espérance et la Charité.

Page 22

 

<De ces trois filles, celle> que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’espérance.

 

La foi ça ne m’étonne pas.

Ça n’est pas étonnant.

J’éclate tellement dans ma création.

Dans le soleil et dans la lune et dans les étoiles.

Dans toutes mes créatures.

Dans les astres du firmament et dans les poissons de la terre.

[...]

Dans les plantes et dans les bêtes

[...]

Et dans l’homme.

Ma créature <!>...

Dans l’homme et dans la femme sa compagne.

Et surtout dans les enfants.

Mes créatures.

Page 17

[...]

Ils n’ont pas encore été défaits par la vie.

   De la terre.

Page 18

[...]

J’éclate tellement dans ma création.

 

Que pour ne pas me voir vraiment il faudrait que ces pauvres gens fussent aveugles.

<Car j’ai tout offert aux yeux pour qu’ils vissent !>

 

<_______>

 

La charité, dit Dieu, ça ne m’étonne pas.

Ça n’est pas étonnant.

Ces pauvres créatures sont si malheureuses qu’à moins d’avoir un cœur de pierre, comment n’auraient-elles point charité les unes des autres.

Comment n’auraient-elles point charité de leurs frères.

Comment ne se retireraient-ils point le pain de la bouche, la pain de chaque jour, pour le donner à de malheureux enfants qui passent.

 

_________

 

Mais l’espérance, dit Dieu, voilà ce qui m’étonne.

Moi-même.

Ça c’est étonnant.

 

Que ces pauvres enfants voient comme tout ça se passe et qu’ils croient que demain ça ira mieux.

Qu’ils voient comme ça se passe aujourd’hui et qu’ils croient que ça ira mieux demain matin.

<>

Ça c’est étonnant et c’est bien la plus grande merveille de notre grâce.

Page 20

[...]

Et je n’en reviens pas.

[...]

Cette petite fille espérance.

 

<_______>

 

Car mes trois vertus, dit Dieu.

Les trois vertus mes créatures.

Mes filles mes enfants.

Sont elles-mêmes comme mes autres créatures.

Page 21

De la race des hommes.

<>

La Foi est une épouse fidèle.

<>

La Charité est une mère.

Une mère ardente, pleine de cœur.

Ou une sœur aînée qui est comme une mère.

<>

L’Espérance est une petite fille de rien du tout.

C’est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes.

Cette petite fille de rien du tout.

Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus...

Page 22

La foi va de soi. La foi marche toute seule. Pour croire il n’y qu’à se laisser aller, il n’y a qu’à regarder. Pour ne pas croire il faudrait se violenter, se torturer, se tourmenter, se contrarier...

Page 23

La charité va malheureusement de soi. La charité marche toute seule. Pour aimer son prochain il n’y a qu’à se laisser aller, il n’y a qu’à regarder tant de détresses. Pour ne pas aimer son prochain il faudrait se violenter, se torturer, se tourmenter, se contrarier...

 

Mais l’espérance ne va pas de soi. L’espérance ne va pas toute seule. Pour espérer, mon enfant, il faut être bien heureux, il faut avoir obtenu, reçu une grande grâce.

 

<________>

 

La petite espérance s’avance entre ses deux grandes sœurs et on ne prend seulement pas garde à elle.

<>

Sur le chemin du salut [...].

Page 24

Entre ses deux grandes sœurs.

Celle qui est mariée.

Et celle qui est mère.

[...]

Le peuple chrétien ne voit que les deux grandes sœurs, n’a de regard que pour les deux grandes sœurs.

[...]

Et il ne voit quasiment pas celle qui est au milieu.

La petite, celle qui va encore à l’école.

Et qui marche.

Perdue dans les jupes de ses sœurs.

Et il croit volontiers que ce sont les deux grandes qui traînent la petite par la main.

Au milieu.

Entre elles deux.

Pour lui faire faire ce chemin raboteux du salut.

Les aveugles qui ne voient pas au contraire

Que c’est elle au milieu qui entraîne ses grandes sœurs.

Et que sans elle elles ne seraient rien.

Que deux femmes déjà âgées.

Deux femmes d’un certain âge.

Fripées par la vie.

 

<_______>

 

C’est elle, cette petite, qui entraîne tout.

<>

Car la Foi voit ce qui est.

Et elle voit ce qui sera.

<>

La charité n’aime que ce qui est.

Et elle aime ce qui sera.

 

La Foi voit ce qui est.

Dans le Temps et dans l’Éternité.

L’Espérance voit ce qui sera.

Dans le temps et pour l’éternité.

Page 25

La Charité aime ce qui est.

Dans le Temps et dans l’Éternité.

Dieu et le prochain.

Comme la Foi voit.

Dieu et la création.

Mais l’Espérance aime ce qui sera.

Dans le temps et dans l’éternité.

Page 26

 

2 Péguy vu par Raslovlev

 

Raslovlev fait suivre cette traduction d’un article bref mais instructif où se trouve présentées la vie et l’œuvre de Charles Péguy de façon relativement objective : si l’auteur insiste sur ce qui relie Péguy à l’armée, c’est non pour affirmer son bellicisme mais par simple goût personnel pour la chose militaire ; s’il commet quelques erreurs, que nous rectifions entre <ces signes>, elles restent minimes et résultent seulement d’un défaut d’information, imputable à l’interprétation erronée que Marcel donna de son père.

 

Un prophète de l’Espérance : Charles Péguy

 

Sans doute n’est-il pas besoin de présenter Charles Péguy au lecteur russe vivant en France : son esprit souffle tant parmi les meilleurs représentants de ce pays qu’un étranger curieux ne peut tout simplement pas passer à côté de l’auteur du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc et d’autres œuvres non moins originales.

Mais, comme le cercle des lecteurs de Renaissance ne se limite pas à la seule France et comme cet écrivain particulièrement original se prête difficilement à l’export, j’ai cru que le poème donné ci-dessus, « L’Espérance », requérait une introduction à la vie de ce fils de sa patrie, d’un fils vraiment remarquable.

Né à Orléans le 7 janvier 1872 <1873>, il est originaire par son père de laboureurs de la région et par sa mère de bûcherons du centre de la France. Son père, ancien volontaire de l’Armée de la Loire en 1870-1871, participa à la défense de Paris contre la Prusse, mourut tôt : le petit fut élevé sa mère et sa grand-mère, deux dures femmes qui gagnaient leur vie en rempaillant des chaises tant et si bien qu’elles purent faire en sorte qu’il parvienne jusqu’à l’enseignement secondaire et même jusqu’au supérieur. Il faut dire qu’il avait de rares facultés, ce qui, avec cet entêtement qui le caractérise, ne contribua pas peu à ce succès, remportant tous les examens haut la main et recevant plusieurs fois l’aide de bourses pour prolonger sa scolarité.

Il ne parvint pas cependant au terme habituel des études qu’il entreprenait : il ne devint ni professeur de lycée, ni autre fonctionnaire, comme en rêvait sa mère. Tout cela à cause d’un appel prophétique ni plus ni moins. Dès les bancs de son école, l’injustice du monde le révoltait profondément, qu’il essayait par tous les moyens de démasquer et (ce qui paraîtra étrange à tout autre pacifiste) c’est seulement le fait de passer son service militaire qui put le réconcilier en partie avec la réalité et son peu d’attraits.

« Soldat et fils de soldat », comme l’écrit son fils aîné Marcel, dans une biographie très intéressante bien que discutable à certains égards, Charles Péguy consacra toute sa courte vie (il fut tué à la tête de sa compagnie au tout début des combats sur la Marne en 1914) à l’Armée, fondement selon lui de l’unité nationale, gardienne de l’idée d’une hiérarchie fondée en raison et du principe de l’égalité de tous face au devoir suprême de défendre la Patrie.

D’autant plus fort fut son engagement lorsque l’affaire Dreyfus montra que cette institution, pour lui sacrée (et qu’il venait de quitter, passant officier de réserve), vivait dans le mensonge et l’injustice.

Comme pour beaucoup de ses contemporains, cette affaire décida de sa vie. Il délaissa les études et utilisa tout ce que sa jeune femme[69] lui apportait en dot pour pouvoir ouvrir une petite édition indépendante : le jeune étudiant, sans même avoir fini ses études, se jette tête la première dans l’arène politique et son bureau de la rue Cujas (devenu depuis la librairie Rodstein[70]) devient rapidement le quartier général de la jeune génération des dreyfusistes, qui répondait à l’appel d’Émile Zola et d’autres aînés.

Ajoutons que notre jeune prophète partait en guerre à peu près à la même époque contre les injustices sociales et autres qui existent sur cette terre pécheresse, mais aussi contre « la haute injustice » qui lie les pécheurs aux souffrances éternelles, d’une liaison selon lui incompatible avec un Créateur Tout-puissant et Très-bon. Aussi avait-il quitté l’Église catholique avant que d’entrer au parti socialiste.

Une telle fougue dura presque deux ans, mais en vinrent à bout le cynisme de nombreux confrères et la récupération de l’affaire Dreyfus, qui avait pour but non d’assainir l’armée et les mœurs patriotiques en général mais de la noircir sciemment pour que des profiteurs nouveaux venus dans le socialisme puissent prendre le pouvoir : tout cela a, comme l’on dit aujourd’hui, déçu un chercheur de vérité intransigeant comme fut et se voulait être Péguy. Après le premier congrès du Parti socialiste, qui donna lieu à tant de tristes « combinaisons », il claqua la porte violemment et se retourna courageusement contre ses anciens chefs et amis : Jean Jaurès, Léon Blum et d’autres ; de sorte que, quinze années durant, il mena contre eux et leurs semblables un combat solitaire et inégal dans les pages des Cahiers de la quinzaine[71] qu’il auto-édita – combat épique, attachant finalement à Péguy une gloire telle dans les milieux idéalistes de la jeunesse que c’est à lui, en 1912, que l’on proposa pour de vrai de les diriger en chef politique <point apparemment extrapolé faussement du fameux « parti des hommes de quarante ans » que Péguy dit vouloir fonder, en plaisantant>.

Mais, parce que l’esprit de prophétie (comme Vladimir Soloviev le montra clairement en son temps) est absolument incompatible avec l’activité de « juge » ou « tsar », Péguy ne pouvait ni ne voulait prendre une telle responsabilité ; il se contenta de réaffirmer, plus vivement encore, de propager ses idées.

Ces idées, bien que simples et même exprimées parfois avec naïveté, étaient courageuses et inhabituelles pour l’époque, une époque où paraissait devoir régner toujours le positivisme « scientifique ». Car il faut préciser qu’à cette époque, après dix ans de mûrissement spirituel continu, Péguy réussit à surmonter beaucoup de ce qui l’avait heurté des dogmes chrétiens et voyait à bon droit dans l’athéisme l’ennemi numéro un de sa Patrie et de l’humanité entière.

Il est vrai que, même sans lui, les pauvres doctrines du matérialisme recevaient des coups cruels, autant de la part des pragmatistes anglo-saxons que de l’école philosophique française de Bergson en France ; mais nul ne se dressait plus convaincant ni plus ardent que Charles le colérique, prêt à affronter « la basse et laide métaphysique du parti rationaliste moderne », comme il désignait les pontes de la Sorbonne d’alors.

Il n’était pas seulement bienveillant envers les religions, avec condescendance, à la façon d’un William James ni mi-agnostique mi-intuitiviste à la Bergson – bien qu’il tînt ce dernier pour son maître et qu’il le défendît vigoureusement du Vatican, quand l’Index frappa le philosophe. Non, l’approche du « surnaturel » était autre chez lui : non abstrait, mais empirique. Passionné depuis tout petit (chose normale pour un Orléanais, qui plus est au lendemain d’une défaite nationale humiliante dans la guerre franco-prussienne) par la figure énigmatique de la Pucelle d’Orléans, il étudia, toute sa vie durant, les documents laissés après elle et se plongea dans cette apparition historique mystérieuse pour y voir finalement une preuve concrète de l’existence de Dieu ou, du moins, de l’intervention effectif des Forces d’en haut dans les destinées humaines. Ce qui le ramena, sinon dans le giron de l’Église catholique[72], du moins à la Foi chrétienne de son enfance, qu’il avait renoncée.

Cela dit, avec l’esprit de conséquence et le courage moral qui le caractérisent, il ne resta pas à mi-chemin et entendait, ni plus ni moins, ainsi que le rapporte son fils [sc. aîné], « travailler à une refondation du christianisme ». De sorte que les quatre dernières années de sa vie, après la publication de deuxième Jeanne d’Arc et avant la Première Guerre mondiale, l’œuvre de Péguy consista essentiellement en l’écriture de mystères, à l’imitation de ces drames religieux que l’on jouait au Moyen Âge sous le porche des cathédrales gothiques, y compris sous celui de la cathédrale de Chartres, source d’inspiration chère à son cœur. Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui des centaines d’étudiants font le pèlerinage de Chartres chaque année et visitent cette cathédrale en souvenir de Péguy.

Le lecteur de Renaissance trouvera ici des extraits-adaptations de l’un de ces mystères ; mais il faut convenir que l’ordre et le titre de ces extraits viennent non de l’auteur mais du traducteur. Péguy écrivait en effet, de l’aveu même de ses proches, sans aucun plan, sans faire de parties ni même de brouillons : il jetait simplement ses idées, presque en transe (et parfois en dormant à moitié), comme elles lui venaient, par association, sans craindre ni la prolixité ni les répétitions. Même pendant les corrections du texte à l’impression, son fils le note : « mon père ne coupait jamais rien mais ajoutait souvent »…

Voilà pourquoi certains passages de Péguy sont si difficiles à lire dans l’original (comme son poème Ève, sept mille vers cinq vers environ, avec parfois trente vers successifs ayant la même rime !), au point que même les Français préfèrent éditer Péguy en morceaux choisis. Pour ma part, outre le souhait de mettre en avant les pensées théologiques de Péguy dans une forme acceptable pour l’oreille russe, m’a guidé la nécessité de fuir certains jugements, choquants pour un étranger, de ce Français patriote jusqu’à la xénophobie <selon l’interprétation de certains passages de l’œuvre de son père par Marcel Péguy>.

Et tout de même, je pense que cet écrivain du terroir hors pair, comme l’aurait appelé feu Ivan Tkhorjevski, nous a laissé, peut-être même sans le savoir, un héritage précieux, utile à ses compatriotes aussi mais non seulement à eux, fécond même en des pays étrangers ; ce, d’autant plus que cette vie spirituelle étonnante et intense à l’infini (jusqu’aux dangereuses limites de la mégalomanie), la vie de ce prophète enlevé à la charrue trouva un accomplissement spectaculaire dans la mort glorieuse que Dieu lui donna, un mort sur le front, une mort qui me rappelle les paroles d’un autre poète inconnu de lui, bien sûr, mais cher à nous Russes :

 

En vérité fameux, sacrés

Sont les hauts faits du temps de guerre.

Des Séraphins, ailés de lumière,

Font une escorte aux guerriers.

 

Les travailleurs, qui lentement

Vont dans les champs et sanguinolent,

Sèment l’exploit, récoltent l’auréole :

Bénis-les, Seigneur, maintenant.

 

Tels ceux qui plient sous la charrue

Se lamentant, priant en chœur,

À Toi brûlants parlent leurs cœurs

Comme des cierges qui brûlent.

 

M. Raslovlev

*

 

Prenons maintenant un peu de recul par rapport à notre homme et déterminons ce qui chez Péguy l’attire au point qu’il le traduise et présente au lecteur russe. Précisons d’emblée que les Protocoles ne furent pas l’Affaire Dreyfus de Raslovlev, même si le parallèle avec Péguy est tenant. Leur origine séparait Raslovlev et Péguy, l’aristocrate et le fils du peuple. Raslovlev est un peu Halévy aussi bien pour l’Affaire que pour l’origine sociale : il y va à reculons et à cheval, Péguy s’engage volontairement et à pieds. Réunissaient Péguy et Raslovlev trois attachements : l’armée plus que la guerre, la patrie plus que la nation, la foi plus que la religion. Et la forme qui unissait ces trois attachements est la même chez les deux hommes : non la haine de l’autre mais la fierté de soi, et un certain engagement qui en découle. Un goût de l’armée pour rester fidèle à ses pères (Raslovlev), à son père (Péguy) ; pour vivre en héros chez l’un comme chez l’autre. Un amour de la patrie sans nationalisme et avec ce sentiment de manque qui résulte pour Raslovlev de son exil sans retour et pour Péguy de son désir quasi nostalgique de la cité harmonieuse ou socialiste universelle tôt entrevue. Enfin, une même foi vibrante réunit les deux hommes, l’un pourtant orthodoxe, l’autre catholique, deux fois chrétiennes issues de deux pays traditionnellement orthodoxe et catholique mais vécues avec une même force, plus tranquille et institutionnelle chez Raslovlev, plus inquiète et solitaire chez Péguy.

Reste à savoir quelle audience a pu avoir cette traduction (en 1956 et 1977) et cet article (en 1956). Leur auteur reste jusqu’à présent peu connu ; l’édition à compte d’auteur de tous les livres de Raslovlev laisse supposer un tirage confidentiel et une très faible diffusion en 1977. Quant à la revue Renaissance, elle avait en 1956 une audience relativement limitée, celle de l’émigration russe que les Français qualifieraient « de droite », monarchiste ou ayant des sympathies pour la monarchie. Toujours est-il que cette publication péguyste en russe fait date de par sa rareté même, rareté que notre exposé a seulement voulu comme réparer.

Romain Vaissermann



[1] « Parmi la littérature française contemporaine », Vestnik tserkovnoï jizni, n° 6, juillet 1946, p. 45-48.

[2] Vestnik Rouskogo Khristiyanskogo Dvijéniya, n° 72-73, 1964, p. 54-60.

[3] Première édition : « Extraits du Mystère des Saints-Innocents », Vestnik tserkovnoï jizni, n° 8, juillet 1947, p. 71-78 ; réédition : « Pour le centenaire de la naissance de Charles Péguy. Extraits des Mystères dans la traduction de Léon Zander », Vestnik Rouskogo Khristiyanskogo Dvijéniya, n° 107, 1er trimestre 1973, p. 118-126 avec une précieuse introduction de Nikita Struve, p. 117. La prédilection de Zander pour les Saints Innocents s’étend donc au Porche, ainsi qu’il appert de son article sur l’Espérance : « Christian Hope », Student movement, n° 52, nov.-déc. 1949, p. 19-26.

[4] Charles Péguy, « Vrata, vvodyachtchiyé v tainstvo vtoroï dobrodyétyéli, otryvok » (« Porche conduisant au mystère de la deuxième vertu, extrait »), trad. du français par Serge Avérintsev, Viestnik rouskovo khritianskovo dvijéniya, n° 173, Paris - New York - Moscou, 1996, pp. 139-149. Une jeune équipe, dès 1999, se mit à traduire le Porche de son côté, d’abord à deux, trois et enfin quatre, travaillant à l’École normale supérieure, à l’Institut Saint-Serge, à la Cité universitaire de Paris, au séminaire de Kostroma enfin !

[5] Le journal d’avant-guerre, fondé le 3 juin 1925, dirigé par Pierre Borissovitch Struve jusqu’en 1927 et quotidien jusqu’en 1936 puis hebdomadaire jusqu’à cesser de paraître le 7 juin 1940 à cause de l’Occupation de Paris.

[6] Éditions Rodnik / La Source, achevé d’imprimer par les Éditions franco-slaves en juillet 1930 à 500 exemplaires seulement, p. 118-120. L’exemplaire de la Bibliothèque Tourguéniev porte la dédicace : « Pour Marie Alexeievna Maklakov, en témoignage de sincère respect et de reconnaissance indéfectible, de la part du traducteur. »

Une ligne d’introduction biographique précède la traduction de 14 quatrains, extraits de la « Présentation de la Beauce », donnés dans l’ordre (avec même les premiers et les derniers) mais sans indication de coupures ; dans l’œuvre originale ce sont les strophes 1-3,5,11-13,25-27,85 et 87-89.

Le but de ce livre, donnant près de 140 poèmes de 70 poètes, est de présenter une vue d’ensemble, au-dessus de la mêlée des disputes concernant tel ou tel poète, et de donner les traits saillants de l’histoire de la « nouvelle poésie français », « des postures crépusculaires du siècle passé au renouveau bouillonnant des jours présents, des sombres jeux d’esprit d’élus solitaires à l’affirmation haut et fort des droits de l’inconscient et de la foule, de la mélancolie et de l’athéisme à la soif de bonheur et au renforcement du sentiment religieux ». Pour l’idéal de traduction qui guide Tkhorjevski, non la conception de Joukovski (« Le traducteur de vers, voilà notre adversaire ! ») mais celle de Pouchkine (« Ce sont les traducteurs les vrais propagateurs du progrès. »), consulter l’introduction du traducteur, p. 7-8.

Péguy est classé parmi les néo-romantiques (avec Edmond Rostand [1868-1918] ou Laurent Tailhade [1854-1919], et juste après Hélène Vacaresco [1866-1947], Henri Théodore Malteste, le comte de Montesquiou [1855-1921] !), ce qui est probablement un choix provenant de la gêne qu’il y a à ranger Péguy dans une école déterminée, mais qui peut être aussi une analyse, pour le coup très fine, de Péguy, qui se veut classique mais reste un romantique par bien des aspects (lire sur ce point le numéro « Péguy romantique malgré lui » de la Revue des Lettres modernes).

[7] Nous ne saurions trop remercier ici Oleg [1942, Rabat] et surtout Serge [1941, Rabat] Raslovleff, qui, nous ayant fourni un grand nombre d’informations bio-bibliographiques sur leur grand-père, en partie tirées de ses archives, ont grandement facilité nos recherches. Oleg et Serge sont les deux fils de Nicolas Raslovlev [1914, Pétrograd – 1944, Drumont] et Hélène Ivanov [1916, Sébastopol]. Michel Raslovlev se maria en 1919 à Nathalie Alexandrovna Ivanenko, née en 1893 à Baktchissaraï d’une famille originaire de la Volga et descendant du gospodar Ivoni de Moldavie qui vécut dans la deuxième moitié du XVIe siècle. Elle décéda en 1976 à Créteil.

[8] Pour les armes des Raslovlyevy, où se retrouve donc la croix balte, voir le Obchtchiy guerbovnik dvoryanskikh rodov Vsyerossiyskoï Imperii, Grand armorial des familles aristocrates de l’Empire russe, 2e partie, SPb, Zvyezdy, 3 t. reproduisant l’édition SPb, 1890 ; traduit en anglais sous le titre Russian heraldry and nobility, Floride, Boston Beach, 3 vol., 1992.

[9] D’une famille caucasienne émigrée en Russie au XVIIIe siècle et dotée de terres dans la province de Saratov.

[10] Dimitri Karakozov, étudiant membre du petit groupe moscovite de Nicolas Ichoutine appelé « l’Organisation ».

[11] Kars, forteresse du IXe siècle annexée par les Turcs au XVIe siècle, fut prise en 1828 par les Russes et rendue au traité d’Andrinople en 1829. Mais elle est reprise le 16 / 28 novembre 1855 par les Russes puis restituée par le Traité de Paris du 18 / 30 mars 1856 à la Turquie. Après un premier siège russe levé le juillet 1877, Kars fut reprise par les Russes le 6 / 18 novembre 1877 avant d’être conservée par eux grâce au traité de San Stefano le 19 février / 3 mars 1878, que confirma le congrès de Berlin le 1er / 13 juillet 1878… Le traité de Moscou la rendra aux Turcs en 1921 !

[12] Du nom du futur général André Pommiès [1904-1972]. Lire L’Organisation de Résistance de l’Armée le Corps Franc Pommiès, 49e R.I., t. I « La Clandestinité » et t. II « La lutte ouverte » par le général Marcel Céroni, t. III « Vers la Victoire » par René Giraudon, respectivement : Éditions du Grand-Rond, Toulouse, 1980 ; impr. du Parc, Muret, 1984 ; Signes du Monde, Toulouse, 1995.

[13] Voir le Cimetière militaire de Bennevise, à côté de Rupt-sur-Moselle, RN66 ; lire le témoignage du comte Serge Obolenski, p. 10-11 de « Par le sceau du sang (Pour les futures relations franco-russes) », Vozrojdénié, n° 46, octobre 1955, p. 5-15 qui parle de ce combattant mentionné « mort pour la France » ; et celui de Fernand Unvois dans Étoile noire (n° 17, nouvelle série) repris dans René Giraudon (op. cit., p. 187, 205, 435).

[14] Il avait refusé de faire appel à sa famille (au général de division K. von Fenchau du Régiment de grenadiers de la garde impériale montée, le gouverneur de Sedlets) pour entrer dans le corps des Pages, où il avait été inscrit très jeune. S’il fut un Cadet, il ne semble pas, bizarrement, qu’il appartînt jamais à l’Union générale des Cadets qui se forma dans l’émigration (voir le Courrier mensuel de cette Union, édité par Alexeï Alexeiévitch Guéring)

Les renseignements qui suivent sont tirés du récit autobiographique publié en feuilleton dans Vozrojdénié, sous le titre « Il y a quarante ans de cela. Pour une histoire des organisations monarchistes russes après 1917 », dans les numéros 109 (p. 87-110), 110 (82-102), 111 (104-123), 112 (69-87), 113 (92-106), 114 (66-84), 115 (104-123), 116 (85-104), de janvier à août 1961. Publication interrompue pour des raisons que nous ignorons, peut-être à cause de la longueur de certains passages d’un document trop volumineux pour une revue, fût-elle épaisse.

[15] Pour lesquelles il reçoit trois citations à l’Ordre de Saint-Georges.

[16] Kouzma Minine : boucher de Nijni-Novgorod, ardent patriote qui par son sang-froid et son esprit d’organisation sut collecter les fonds nécessaires à la levée de l’armée populaire russe pour lutter contre la domination suédoise sur la ville, prise en 1611. Symbolise le renouveau national et religieux, notamment par les dernières paroles célèbres de son appel aux concitoyens : « gageant ma maison, ma femme et mes enfants, je suis prêt à tout donner pour le bien et le service de la Patrie».

Ce sont les éditions Kouzma Minine qui éditent les Chansons de la Contre-révolution en 1921, sous les initiales « M. S. R. ». Des premiers écrits de Raslovlev nous sont connus : « Aux victimes du devoir » (1911) ; une parodie militaire du poète Valmont (« Je veux être le Hardi… », été 1917), une petite satire « Comme se repentent les oiseaux » (été 1917) ; « À qui la faute ? » (hiver 1917-1918) publié pour la première fois dans le numéro unique de Vestnik zakonnosti, le « Courrier de la légalité » (Sébastopol, 1920), puis dans Vozrojdénié (février 1961, n° 110, p. 100-101) ; « Conte éternel » (11 juin 1918, dans Vozrojdénié, mars 1961, n° 111, p. 104-106).

[17] La reine Olga de Grèce [1851-1926] était la fille du Grand Duc Constantin Nikolaiévitch et la princesse Nicolas de Grèce n’était autre que la Grande Duchesse Hélène de Russie.

[18] Fondé par Fernand Neuray [1874-1934] ancien collaborateur de l’Avenir du Luxembourg et dirigeant du XXe siècle, le 16 mars 1918, ce « journal quotidien d’union nationale » paraîtra jusqu’au 30 septembre 1940, reprendra sa parution le 6 septembre 1944 avant de sombrer le 31 décembre 1956 (le journal qui reprendra le nom en le sous-titrant « organe du Parti national » fera long feu en 1961). Y collaborent au tout début Jacques Ochs [1883-1971] peintre, Adolphe Hardy [1868-1954] poète, Pierre Girieud [1876-1948] peintre en 1925, Stanislas-André Steeman [1908-1970] romancier à partir de 1925. La participation du petit André Franquin [1923-1997] n’est qu’anecdotique en 1934. Y écrivent après 1945 Camille Biver [1917-] poète, André Monnier-Zwingelstein [1891-1985] romancier, Jean Painlevé [1902-1987] cinéaste en 1948, Georges Sion [1913-] écrivain. Certes, Léon Daudet parle du journal dans Vingt-neuf mois d’exil, chap. « La réaction nationale en Belgique : La Nation belge, l’affaire Loewenstein », Grasset, 1930. Pire, Léon Degrelle [1906-1994] lui-même y écrit en 1926, et Charles d’Ydewalle [1901-], en même temps.

Maurras, Bourget et Barrès étaient les trois idoles de l’Action Catholique de la Jeunesse Belge : on aura compris que Degrelle appréciait donc le Péguy de l’Action française. Et, à défaut de Charles d’Ydewalle (qui ne cite Péguy que comme auteur de la trilogie Jeanne d’Arc en 1897 dans Ma Flandre que voici en 1974 et comme celui qui dit France, « omettant volontairement l’article, comme on dirait Jeanne ou Marie » dans Confession d’un flamand, Bruxelles, Pierre de Méyère, 1967), non seulement Léon Degrelle mais aussi José Streel [1911-1946]. Le second a consacré à Péguy son mémoire de philologie romane à l’Université de Liège (coll., In memoriam. Léon Degrelle et le rexisme, Toison d’Or, 1995). Le premier connaît Péguy comme ami de Psichari – dont il connaissait personnellement le père – et l’imita en poésie dans Notre-Dame de la Sagesse (d’après Pol Vandromme – ce même Vandromme qui, l’assimilant à l’extrême droite nationaliste, n’apprécie guère Péguy mais en écrit un article, « Péguy : un vieux de la vieille », dans Pourquoi pas, 8 avril 1987, repris sous le titre neutre « Charles Péguy » dans son Journal de Lectures, L’Âge d’Homme, 1992 –, Le loup au cou de chien : Degrelle au service d’Hitler, Nathan / Labor, 1976, p. 17, 23 ; Jean-Michel Étienne, Le Mouvement rexiste jusqu’en 1940, Colin, 1968, p. 9).

En 1951, le vent a définitivement tourné et Péguy reste pour la jeunesse catholique belge à la fois un « maître à penser » (à côté de Daniel-Rops et Gabriel Marcel ou encore Georges Bernanos) et un écrivain communautaire (premier devant Emmanuel Mounier, Paul Claudel, le père Congar ou Teilhard de Chardin). Sondage réalisé par Rencontres d’amitié à Bruxelles en 1951 et cité dans « Une enquête sur les Maîtres à penser », s. n., La Nation Belge, 17 avril 1951.

[19] Martin Conway, Collaboration in Belgium. Léon Degrelle and the Rexist Movement (1940-1944), New Haven and London, Yale University Press, 1993, p. 7-14. Parmi la cinquantaine de titres dépouillés aux alentours de 1940 et 1944 (du Pays réel à L’Avenir, en passant par la Gazette ou le Courrier de Charleroi) ne figure pas La Nation belge, qui eut une attitude attentiste pendant la montée du rexisme : par « réalisme tactique », elle défend la « politique de neutralité » mais ne « met pas sur le même pied la France et l’Allemagne : on n’avait rien à craindre de Paris et l’on avait tout à redouter de Berlin » (Pol Vandromme, op. cit., p. 112) ; pourtant, elle critique Paul-Henri Spaak en octobre 1936 (Pierre Daye, Léon Degrelle et le rexisme, Fayard, 1937, p. 199) ; elle ne fait pas partie du front des grands quotidiens opposés à Rex en 1937 et déclare à l’occasion du face-à-face Van Zeeland / Rex le 11 avril 1937 : « Il faut voter contre un régime qui nous mène à la dictature du Front populaire et non pas contre un homme parfaitement honorable. Abstenez-vous pour le moins. » (Marc Magain, Léon Degrelle. Un tigre de papier, Didier-Hatier, Bruxelles, 1988, p. 14, 98).

[20] Bradford C. Snell, American Ground Transport. A proposal for restructuring the automobile, truck, bus and rail industries, United States Government Printing Office, 26 février 1974, cité par Paul Plaganis dans « Henry Ford was not Oskar Schindler », Natca Voice ; lire aussi Ann Leonard, « Corporations and Conscience », New York Times Washington Post, 1er décembre 1998 ; Peter Gilmore, « Corporate deals zith nazi Germany », Pittsburgh, United Electric News, décembre 2000.

[21] M. Raslovlev, « Les leçons du passé. Pour le quarantième anniversaire de Février », Vozrojdénié, n° 62, février 1957, p. 143-149 ; « 39e anniversaire de la forfaiture d’Ekaterinbourg : toujours les mêmes anniversaires », Vozrojdénié, n° 67, juillet 1957, p. 82-86.

[22] Les deux réformes orthographiques, dont il était question en Russie depuis plusieurs années, furent adoptées par deux décrets allant dans le même sens : celui du Commissaire du peuple à l’éducation (23 décembre 1917) puis celui du Conseil des Commissaires du peuple (10 octobre 1918).

[23] Lire l’annonce de cette association parue, au nom de Serge Lifar notamment, dans Vozrojdénié (« Monument de l’émigration russe », n° 170, février 1966, p. 130-131), peut-être sous la plume de Raslovlev.

[24] Lire en particulier sur ce point son Dit de la Sainte Russie, dans Vozrojdénié, n° 99, mars 1960, p. 12-25. Voir aussi le compte rendu par Nicolas Vladimirovitch Stanyoukovitch de « Sainte Russie. Anthologie de vers d’inspiration religieuse traduits du russe par Michel Raslovlev », Vozrojdénié, n° 79, juillet 1958.

[25] M. Raslovlev, « Pourquoi est-ce important (À l’occasion du quarantième anniversaire de la forfaiture d’Ekaterinbourg) », n° 79, juillet 1958, p. 42-44.

[26] M. R[aslovlev], « Terre Sainte », Vozrojdénié, n°, 19. L’usage de ces initiales se retrouve pour les articles « Écho à un recueil de vers de Ivan Oumov » (inconnu autrement par le recueil L’Hôte invisible, États-Unis, 1949, en russe), Vozrojdénié, n° 36, 1954 et son compte rendu de D[aniel]. Ye[rmolaïévicth]. Skobtsov[-Kondratiev] (le mari de Mère Marie), Trois ans de révolution et de guerre civile dans le Kouban paru dans Vozrojdénié, n° 118, 1961, p. 118-119.

[27] Colin Holmes, « New light on the Protocols of Zion », Patterns of prejudice, vol. XI, n° 6, nov.-déc. 1977, p. 13-21 ; Gisela C. Lebzelter, Political Anti-Semitism in England. 1918-1939, Oxford, Macmillan Press, 1978, p. 25 ; Colin Holmes, Anti-Semitism in Britannic society. 1876-1939, Londres, Arnold, 1979, p. 151-155.

[28] Journal qui en fit part dans les numéros des 16, 17 et 18 août 1921 : « The truth about the Protocols : A literary forgery ».

[29] « Russian in Elders of Zion expose identified », 17 février 1978 ; « faussaire » révélé par Clifford Longley en 1975.

[30] Lettre de 1927 au Times.

[31] Titre d’un récit historique romancé qu’il écrivit plus tard sur cet aspect de son activisme politique.

[32] Année où Vladimir Kirillovitch Romanov, seulement « Curateur du Trône » depuis 1917, dans l’ignorance du sort des héritiers du trône restés en Russie, devient Empereur à part entière, alors que certains membres de la dynastie ne le reconnaisse pas.

[33] Voir le plus récemment Jean-François Moisan, Contribution à l’étude de matériaux littéraires pro- et antisémites en Grande-Bretagne (1870-1983). Le mythe du complot juif. Les Protocoles des Sages de Sion. Le cas Disraëli, thèse, Paris-XIII, 1987 ; Jean-François Moisan, « Les Protocoles des Sages de Sion en Grande-Bretagne et aux U.S.A. » in Pierre-André Taguieff, Les Protocoles des Sages de Sion, 2 vol., Berg International, 1992, vol. 2, p. 163-216.

[34] M. R[aslovlev], « À l’occasion de la disparition de la Grande-duchesse Xénia Alexandrovna », Vozrojdénié, n° 101, mai 1960, p. 133-134. C’est avec assurance que l’on reconnaît Raslovlev à ses initiales et nous proposons également de lui attribuer les articles écrits sous les pseudonymes jusqu’alors non éclaircis « Delaube » et « Lelecteur » (sous ce même alias peu original ont aussi paru deux comptes rendus dans la Revue de l’amitié de Vyborg : de V[ikentiy Vikentiévitch] Veressaïev, Gogol vivant, n° 11, 1934, p. 28 ; et de M. Kourdyoumov [alias Marie Alexandrovna Kallach, 1885-1954], Un cœur troublé, n° 1, 1935, p. 26-28). Voir Delaube, « À la radieuse mémoire de l’Impératrice Alexandra Féodorovna », Vozrojdénié, n° 127, juillet 1962, p. 38-62 ; Lelecteur, « Situation de la recherche en histoire en U.R.S.S. », Vozrojdénié, n° 120, 1961 ; Lelecteur, c. r. des Notes du prêtre Alexandre [Viktorovitch] Eltchaninov [1881-1934], Vozrojdénié, n° 135, mars 1963, p. 124-126. Ce sont les derniers articles de Raslovlev publiés à Vozrojdénié.

[35] M. Raslovlev, « À l’occasion de la disparition de la Grande-duchesse Hélène Vladimirovna », Vozrojdénié, n° 64, avril 1957, p. 126-127.

[36] Sous le titre Le jardin clos de Tévanghir. Conte oriental, Éd. La Bruyère, 1980.

[37] L’Action intellectuelle, Niort, 1933.

[38] « Votre poème, Les Voix glorieuses, est empoignant, magnifique et doit être, buccalement, d’une envolée irrésistible », écrivit Paul Fort en remerciement à Michel Raslovlev, qui lui avait dédié le livre.

[39] Compte d’auteur, 1958.

[40] Compte d’auteur, 1977 ; deuxième éd. : 1987.

[41] M. Raslovlev, Regrets vieux-jeu, 1950 ; Le Soir est là, 1952 ; Qui a rimé rimera, 1954 ; Boutades ou facéties, 1957 ; Malgré l’hiver, 1972.

[42] Voir sa bibliographie complète de 1927 à 1967, pour l’essentiel aux éditions Le Divan, dans Jean Loisy, Un certain choix de poèmes (1935-1965), Points et Contrepoints, 1968, p. 288. Ce même Jean Loisy, qui reçut le Grand prix de poésie de l’Académie française en 1982, avait écrit en 1942 Le Mystère de Jeanne et de Péguy (Laffont, 1945) et logeait dans son anthologie aussi bien  Charles Maurras (à qui Pourtal de Ladevèze dédie un de ses poèmes…) qu’Yves Gandon et Jean-Victor Pellerin (deux pasticheurs de Péguy. Une autre dédicace de Pourtal de Ladevèze nous apprend sa slavophilie : « à madame la comtesse Rohozinska ».

[43] M. Raslovlev, « À l’occasion de la disparition du comte K[onstantin] N[ikolaïévitch] de Rochefort [1875-1961] », Vozrojdénié, n° 111, mars 1961, p. 125-126.

[44] Compte d’auteur, Montréal, 1976.

[45] Rosseels Printing Co, Louvain, Belgique, 1977.

[46] Jean Guillaume, baron Hyde de Neuville [1776-1857], homme politique et conspirateur bien propre à intéresser Raslovlev !

[47] Sur l’histoire de cette revue après-guerre, contacter Nataliya Birchler, chemin du Petit-Montfleury 8, 1290 Versoix, Suisse. Refondé en janvier 1949, « l’organe indépendant de la pense nationale » devient en 1955 mensuel et cesse définitivement de paraître en mars 1974 après le numéro 243. Le prince Obolenski se fit aider de Vladimir A. Zlobine (1959-1960), de Igor K. Martynovski-Opichnya (1959-1960) et de Jacob Nikolaïévitch Zorbov (1959-1961). Écrivirent dans cette revue anti-S.R. Nina Berbérova, Ivan Chmelev, Zinaïda Hippius, Georges Ivanov, Vladimir Jankélévitch, Alexandre Kojevnikov dit Kojève, Serge Makovski, Irina Odoïevtséva, Boris Poplavski, Alexis Rémizov, Fédor Stépoune, Nadejda Teffi, Youri Térapiano, Henri Troyat, André Volkoff, Boris Vychestlavtsev, Boris Zaïtsev, Vladimir Zlobine…

[48] « Peut-on traduire Pouchkine ? », mai 1949, n° 3, p. 110-122.

[49] « Traduction de Leconte de Lisle », juin 1951, n° 15.

[50] « La muse politique de Tioutchev », 1954, n° 31, p. 162-170 ; article qui deviendra l’essai Le Barde slavophile. Fédor Tutcheff, Éd. La Bruyère, 1982.

[51] « Ivan Ivanovitch Tkhorjevski et les dix ans des cahiers Vozrojdénié », janvier 1959, n° 85, p. 12-18. L’article finit sur un poème écrit « à l’occasion de la mort d’Ivan Ivanovitch Tkhorjevski ».

[52] Le lecteur intéressé trouvera ses articles dans presque chaque livraison : « À la mémoire d’A[lexandre]. A[lexandrovitch]. Bachmakov », juillet 1949, n° 4, p. 161-163 ; poème « Les alouettes », 1952, n° 21, p. 157 ; « La chanson de Chvartz », 1956, n° 36 , p. 146 ; « La Némésis de l’histoire », 1956, n° 55, p. 36-43 ; 1957, n° 61, 62, 64, 67 ; 1961, n° 109, 110, 111, 112-118.

[53] Éd. La Bruyère, 1981.

[54] Éd. La Bruyère, 1983.

[55] Éd. La Bruyère, 1985.

[56] Lire son dernier livre à notre connaissance : Ivan Bounine. 1870-1953, Éd. La Bruyère, 1987.

[57] Polygraphe libéral et élitiste auteur de Les Lois psychologiques de l’évolution des peuples (Alcan, 1894) et de Psychologie des foules (Alcan, 1895), personnage scientifiquement peu sérieux, sans être tout de même le précurseur du fascisme que l’on a prétendu qu’il était, comme le montre la biographie de Benoît Marpeau, Gustave Le Bon, parcours d’un intellectuel, CNRS éditions, 2000.

[58] Librairie générale, 1935 ; deuxième éd. : Magasin du livre, 1965.

[59] « Un printemps qu’on attend », Vozrojdénié, n° 61, janvier 1957, p. 95 : poème traduit du français en russe par l’auteur !

[60] Impr. Guillo, 1962 ; deuxième éd. : 1964.

[61] 1951, n° 18 ; 1952, n° 21 ; 1954, n° 36 ; 1960, p. 99. Vozrojdénié publie en revanche « Un printemps qui s’attarde » (n° 61, janvier 1957, p. 95) « directement » traduit du français, sans parution française préalable !

[62] Compte d’auteur, 1958.

[63] 1953, n° 25, p. 79-84.

[64] Deux extraits des « Symphonies héroïques », 1956, n° 56, p. 81-83 ; juin 1958, n° 78, p. 54-58 (avec notice introductive).

[65] 1960, n° 97.

[66] N° 57, traduction aux p. 18-21 ; article « Charles Péguy, prophète de l’Espérance » aux p. 21-25.

[67] Compte d’auteur, 1979, p. 41-44.

[68] Cote B 5293[2].

[69] Péguy se maria civilement en 1897 avec la sœur de son meilleur ami de classe, le socialiste Baudouin, qui mourut peu de temps avant <le mariage> (N.D.A.).

[70] Librairie et maison d’édition dès 1913 et en activité jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, sise au 17 rue Cujas et connue pour ses publications slaves (russes et serbes) et pour son édition de thèses. Seule la librairie reprit apparemment après-guerre (N.D.T.).

[71] En français dans le texte (N.D.T.).

[72] Jamais il ne put oublier que son héroïne préférée avait été jugée et condamnée par des autorités ecclésiales catholiques (N.D.A.).