Michel Raslovlev et Charles Péguy
Charles Péguy a peu été traduit en
Russie ou en Union soviétique. De son vivant, rien à signaler. Pendant la
Première Guerre mondiale, quelques extraits de la prose sont traduits mais rien
de poétique. Pour la poésie, il faut paradoxalement attendre (paradoxalement,
puisque l’on qualifie très souvent la poésie de Péguy de
« religieuse ») l’U.R.S.S., entre les deux guerres : les vers
célèbres « Heureux ceux qui sont morts… » font connaître le
patriotisme de Péguy, aussitôt condamné comme sentiment de la bourgeoisie
dégénérée ; quelques vers alexandrins sur Paris ajoutent même au portrait
du poète franco-français « chauvin(iste) ». Même si le patriotisme
n’est pas toujours condamné au pays des Soviets, la religion reste non grata, et Péguy est en poésie trop
religieux pour pouvoir en être apprécié. Preuve par la négative : c’est
chez les Russes émigrés que le poète sera donc traduit d’abord.
Léon Zander, compagnon de
l’Amitié Charles Péguy entre autres nombreuses activités, avait déjà fait
paraître une introduction à l’œuvre de Péguy[1]
lorsqu’il traduisit, en 1947, des extraits du Porche parmi des passages plus importants du Mystère des Saints Innocents, et ce pour les Russes orthodoxes de
Paris, qui composaient la majeure partie du lectorat du Courrier de la vie religieuse, ancêtre du Courrier du Mouvement Chrétien Russe (édité à Paris et New York
puis aussi Moscou) qui éditera en 1964 son introduction à l’œuvre de Péguy sous
le titre « Pour le cinquantième anniversaire de la mort de Charles
Péguy »[2], qui
republiera ces traductions en 1973[3]
et qui publiera encore en 1996, revue donc fidèle à son admiration pour Péguy,
un long extrait du Porche traduit par
Serge Avérintsev dans le cadre d’une traduction intégrale du Porche prévue aux éditions
« Rousskiy Pout’ »[4].
Mais avant même la
traduction de Zander et également entre cette traduction et celle d’Avérintsev,
indépendamment de cette réception « œcuménique » russe de Péguy,
certains émigrés russes monarchistes ont entendu l’occasion de connaître
l’œuvre de Charles Péguy – et le Porche en
particulier – en 1956. Car le poème de Péguy la « Présentation de la
Beauce à Notre Dame de Chartres » fut traduit, sous le titre abrégé
« à Notre Dame de Chartres », par Ivan Ivanovitch Tkhorjévski parmi
ses traductions de poètes français parues dans Vozrojdénié[5] puis
dans le recueil des traductions Nouveaux
poètes de France[6] et
retraduite par un de ses amis, l’homme que nous allons présenter. Aussi bizarre
que cela paraisse, Péguy poète se trouva donc traduit en russe mais pas en
Russie ! Pour se faire, il y fallait des émigrés bien sûr et Michel
Raslovlev, dont nous décrirons la vie et les œuvres, est d’une certaine façon
un émigré royaliste type mais aussi ce que j’appellerai un illustre inconnu. Vous
allez comprendre pourquoi.
Mikhaïl Serguéiévitch
Mikhaïloff-Raslovleff [1892-1987][7]
est un traducteur de Péguy aussi peu connu en Russie qu’en France ; c’est
pourtant dans ce pays — une terre d’adoption pour lui — qu’il fit paraître du
Péguy transposé en. russe ! Pour la première fois, un Russe traduisait du
théâtre de Péguy écrit en vers libres ; et personne n’était mieux placé
pour ce faire que lui, poète russe quasi-amateur qui assimila si bien le
français qu’il finit par écrire tous ses recueils poétiques dans cette langue.
Né le 22 août 1892 à
Vladivostok, Michel Raslovlev est issu d’une ancienne famille de propriétaires
de la province de Saratov. Mais d’où vient ce nom peu courant ?
1 Origine familiale
Le nom des Raslovlyevy est celui d’une famille
aristocrate russe sans titres. Pourquoi Raslovlev ?
Deux frères Stanislav
(baptisé Ivan) et Casimir (Boris) Nyémiritchi, eux-mêmes originaires d’un fief
de Lituanie appelé « Raslovl »[8],
arrivèrent à Moscou en 1436 avec leurs gens d’armes pour servir le Grand Prince
de Moscovie Vassili Vassiliévitch (Basile II), qui donna aux nouveaux baptisés
le nom de Raslovlev.
Et pourquoi
Mikhaïlov-Raslovlev ? Le nom de Mikhaïlov a été ajouté plus tard, le 4/16
avril 1866, et pour la raison suivante. En 1829, la fille (unique enfant) de
Léon Yakovlévitch Raslovlev, Sophie, a épousé Michel Gavrilovitch Karakozov[9].
Il leur naquit en 1830 un fils, Michel, qui, naturellement, porta le nom de
famille de son père, Karakozov. Mais en 1866, après qu’un parent éloigné,
portant le même nom, eut attenté à la vie de l’Empereur Alexandre II[10],
il fut autorisé à remplacer son nom par celui de sa mère (Raslovlev) en le
faisant précéder de son patronyme Mikhaïlov, c’est-à-dire fils de Michel.
L’armée et les grands
moments de l’Histoire marquent la vie des proches de notre Michel Serguéiévitch
Mikhaïlov-Raslovlev.
Son grand-père Michel, en
effet, celui-là même qui le premier prit le nom de Mikhaïlov-Raslovlev,
officier de cavalerie au Régiment de la garde impériale de Moscou, devint
Maréchal de noblesse de sa province (celle de Saratov) et mourut au champ
d’honneur, au Caucase, dans les combats que fit son nouveau régiment de la
Garde impériale d’Erevan pour la possession de la forteresse turque de Kars[11],
pendant la guerre contre la Turquie en octobre 1877. Kars, ce Verdun caucasien…
Son père, Serge, premier à
prendre le nom de Mikhaïlov-Raslovlev dès sa naissance, servit dans le district
de Petrovsk (province de Saratov) jusqu’à devenir le premier président du
conseil local du zemstvo provincial ; comme lieutenant de vaisseau de
réserve, il fit partie de la flotte de l’amiral Rojdestvenski qui partit de
Libava (aujourd’hui Lyépaya en Lettonie) en 1904 et qui, pendant la guerre
russo-japonaise de 1905, fut détruite dans la célèbre bataille qui eut lieu
dans le détroit de Tsoushima (14-16/27-29 mai 1905). Il y trouva la mort.
Son fils même, Nicolas,
naturalisé français en 1935, officier de carrière dans l’armée française,
devenu lieutenant, faisait sa formation militaire dans la cavalerie avec
l’École de cavalerie de Saumur alors délocalisée (« repliée » dans le
vocabulaire de l’époque) à Tarbes, quand les Alliées débarquèrent en Afrique du
Nord ; très vite, il prit contact avec une organisation de la Résistance
dans les Pyrénées, le célèbre Corps Franc Pommiès (CFP[12]),
se joignit à l’armée régulière, combattit dans le massif des Bauges près de
Chambéry et trouva « une mort glorieuse » dans les Vosges, au sommet
du Drumont, le 29 novembre 1944 : touché avec le commandant Françot et
sept autres par un éclat de Minen de 88 ou de Schrapnells de 105 de
l’artillerie allemande sur la ferme-auberge du Drumont[13].
Rien d’étonnant donc à ce
que lui Michel Raslovlev, ayant perdu sa mère (passable paysagiste de l’école
des Ambulants, élève de Krijitskiy) en 1904, fut élevé dans le corps de Cadets
Alexandre-II à Saint-Pétersbourg, promotion 1909[14].
Sa tutrice fut Hélène Alexandrovna puis le baron Nolken (fonctionnaire au
Ministère de Affaires intérieures) Mais voici qu’il partit étudier quatre ans à
la Bergakademie de Freiberg-en-Saxe
pour devenir ingénieur de mines, malgré la volonté de sa famille. Il voulait
tout simplement refaire la fortune de la famille, dilapidée par son grand-père,
dans les mines argentifères de Malaisie ! C’est d’ailleurs sans lui faire
perdre cet espoir que la guerre de 1914 le ramena à Baranovka, le domaine
familial réduit au fil des ans à quelques dizaines d’hectares dans le district
de Atkarsk, où il occupa un poste dans l’administration civile locale.
En 1915, sentant
l’impossibilité morale de rester à l’écart de la guerre, Raslovlev s’engage
comme volontaire dans la Marine de la Mer Noire et s’y distingue lors
d’opérations périlleuses[15].
Il accueillit la Révolution comme une « calamité ». De 1917 à 1920,
il prit part à la guerre civile, d’abord dans l’armée de l’amiral Koltchak, qui
le chargea, ainsi que d’autres engagés volontaires portant l’uniforme de
simples matelots, de se faire élire présidents des Soviets des Députés de
Soldats et Matelots afin de maintenir l’esprit combatif de la majorité, encore
hésitante, des forces armées du Sud de la Russie. De matelot de deuxième
classe, il passa bientôt maître d’équipage. En faveur de mesures énergiques
contre la Révolution qui couve, sans trop croire cependant à la réalité du
danger, le jeune Raslovlev pleure les deux abdications et veut sauver la
dynastie ou du moins l’honneur du pays : il écrit en ce sens à l’amiral
Pokrovski, proche de ses idées légitimistes, en 1918. S’il s’était raisonné
pour accepter Février, il déchante vite devant l’inefficacité des discours
qu’il tient à Soulino (sur le Dounaï) aux fréquents meetings organisés pour
maintenir le moral des troupes sur le front roumain. Fin septembre 1917, il
demande à retourner à Sébastopol et obtient une permission « pour raisons
familiales » : sa jeune sœur Xénia avait dû sous le Gouvernement
provisoire déménager en ville tout son avoir et liquider la campagne de
Lomovka ; Michel l’aida. En décembre 1917, il retourne à Sébastopol à
cause des bouleversements politiques et pour y revoir sa sœur aînée Hélène.
Raslovlev est profondément choqué par ce qu’il voit : la révolte des
matelots contre les officiers. En mars 1918, entendant dire que, au
Transcaucase, la Diète locale n’aurait pas reconnu le traité de Brest-Litovsk,
il projette d’y aller… En congé, il gagne Batoumi puis Tiflis pour y rencontrer
un parent éloigné en contact avec la famille impériale (alors dans le sud de la
Russie), à qui Raslovlev veut demander ses intentions. En avril 1918,
Raslovlev, qui s’était mis à la disposition des autorités militaires locales,
reçoit enfin l’ordre d’aller à l’ouest de Batoumi, à 10 kilomètres de la ville,
recruter des soldats avant que les Bolchéviks ne le fassent. Mais entraînée par
la chute de Guéguétchkora, la ville est subitement évacuée. Deux semaines plus
tard, Raslovlev est de retour à Sébastopol, où le rassure le Comité exécutif de
la Flotte de la Mer noire : leurs vues ne sont pas celles des Commissaires
du peuple. Mais le 29 avril 1918, Simféropol tombe ; on demande à l’amiral
Sabline de prendre le haut-commandement de la Flotte… Raslovlev harangue alors
les matelots et soldats lors des meetings de la Brigade des Mines ; c’est
à bord du bâtiment le Furieux qu’il voit, piteux et blessé dans sa fierté,
échouer la ruse de Sabline, qui consistait à monter le drapeau ukrainien pour
tromper les Allemands…
La reddition de la flotte le
fait pleurer pour la troisième fois de sa vie. Après la mort de sa mère, après
la nouvelle des deux abdications de 1917. Raslovlev, avant de rejoindre sa
« Vendée », a le temps de vendre quelques photographies tristes au
photographe Bordt de Sébastopol, qui en tirera une plaquette qui deviendra
fameuse en Crimée et intitulée « Trois printemps » et représentant :
en 1916, la visite par le Tsar de la Brigade des Mines ; en 1917, Kérenski
à son tour en visite auprès de la Brigade ; en 1918, la rade vide… Seul
point positif de l’heure : la rencontre en juin 1918 de celle qui
deviendra sa femme un an plus tard. Mais l’appel de la Vendée est plus
fort : sa famille est à Novorossiya, après avoir vendu leur appartement de
Sébastopol, et Raslovlev veut rencontrer des partisans de la restauration
monarchique.
En 1918, c’est dit,
Raslovlev passe le Rubicon : il deviendra agent de liaison entre les
monarchistes du centre de la Russie et le Commandement des Forces armées du sud
de la Russie. Que l’on nous permette ici un petit excursus par les tendances
qui partagent alors le camp monarchiste, qu’il ne faut pas voir comme un bloc
monolithique, comme on le fait trop souvent à propos de l’émigration russe en
disant, pour Paris, « les habitués de la rue Daru » : les
inconditionnels d’avant a Révolution sont minoritaires mais soudés et
disciplinés ; les monarchistes libéraux sont plus nombreux (ce sont eux
les « bolchéviks » du tsarisme !) mais peu unis. Le Parti
monarchique (à côté de l’Union du Peuple russe, et de l’Assemblée russe) essaie
bien de fédérer ces courants mais d’Allemagne et de Finlande la liaison n’est
pas facile à organiser pour A. F. Trépov et N. Yé. Markov, les chefs du parti.
Raslovlev, qui regrette les dissensions du camp monarchiste, serait, à choisir,
pour les libéraux mais ne tient pas pour la solution préconisée d’Helsinki, à
savoir la libération du prince Pavel Alexandrovitch. Raslovlev, homme de
complot plus que de politique, appartient à l’Organisation monarchique :
il critique les « monarchistes de l’ancienne école », opposés à tout
ce qui bouge » – à savoir S.-R., S.-D. aussi bien que Cadets. Mais sa
propre organisation compte des monarchistes à l’ancienne favorables à une
nouvelle dynastie, des « bonapartistes », des partisans d’une
république dirigée par un dictateur élu…
Pour l’heure, il se prépare
à gagner le Nord : Belgorod. Après avoir sauvé un wagon entier d’effets
personnels et de meubles de sa sœur, début septembre 1918, Raslovlev part. Mais
la route d’Ukraine à Sovdepia n’est pas aisée à accomplir en toute
légalité ! Début octobre 1918, il réussit à passer la frontière
soviétique. Koursk. Moscou. Simbirsk en novembre. Tantôt comme mandaté par une
usine travaillant, n’en pouvant mais, pour les Soviétiques tantôt comme matelot
démobilisé cherchant ses parents : couvertures bien pratiques. Raslovlev
rencontre d’anciennes connaissances pour reformer une opposition monarchiste à
l’intérieur du territoire contrôlé par les Rouges, et tente de retrouver leurs
propres contacts, malgré la difficulté qu’il y a à retrouver les familles
nobles, qui ont quitté à l’automne 1917 leurs terres pour se regrouper dans les
petites villes puis celles-ci pour les grandes villes en janvier 1918. Penza
ensuite. Syzran. Là, une première fois il voit Toukhatchevski le jour du
premier anniversaire d’Octobre ! Mais, quand il apprend – bonne nouvelle –
la capitulation allemande, Raslovlev repart précipitamment pour le Sud, pour
Odessa, porteur d’un message clair : il faut créer un journal fédérateur
des forces contre-révolutionnaires, un organe de liaison permettant la
diffusion des idées pro-monarchistes.
Ce sera la tentative du Courrier politique et social de la
Contre-Révolution. Transitant de Sébastopol à Odessa sur le Maria, il
arrive au moment crucial de la passation de pouvoir entre Allemands et
Alliés ; Raslovlev sent que le moment est propice à la diffusion des idées
monarchistes : le peuple n’a-t-il pas été déjà déçu par la Révolution, qui
promettait beaucoup ? Raslovlev travaille pour l’amiral Pokrovski. La
chance semble lui sourire de nouveau. Il appartient à la Société d’aide aux
officiers et familles d’officiers de la Marine, créée pour soutenir la parution
d’un livre qu’il rédigerait. Le plan d’écriture de Aux victimes du devoir (contrat du 30 décembre 1918), mis au point
pendant l’été, se réalise et trouve éditeur. Quant au Courrier, son premier numéro est prévu pour février 1919, co-édité
par Raslovlev et V. N. Smolyanov. Mais l’action souterraine de Raslovlev le
rattrape : il doit partir pour Moscou reprendre des ordres de ceux qui
l’avaient mandaté, de M. M. Yankovski en particulier, un ancien propriétaire terrien
très actif en politique depuis 1905, qui semble le cerveau de l’Organisation.
Son plan est alors de sauver l’Impératrice Maria Féodorovna. Mais l’emprise des
bolchéviks sur le territoire russe gêne les activités de l’Organisation,
réduites à de simples velléités. Et voilà Raslovlev ramené en Crimée, réduit au
rôle de propagandiste.
Raslovlev publie en 1920,
enfin, à Sébastopol, peu avant l’évacuation, la première revue franchement
légitimiste. À Constantinople en 1921, il regroupe de petits poèmes satiriques
et patriotiques écrits dans les carrés de la marine à Sébastopol et en fait un
recueil : les Chansons de la
Contre-révolution (Piesni Kontr-Riévoloutsii) ; c’est surtout le lieu
et l’année où il fonde l’« Union Pan-russe Kouzma Minine »[16],
qui voulait « supplier la Dynastie
décapitée des Romanov de reprendre son rôle séculaire de rassembleur de toutes
les forces vives de la Nation ». De Constantinople il partit en 1921,
restant jusqu'à la fin de ses jours russe de nationalité, monarchiste fidèle
aux Romanov et orthodoxe de confession. Il émigrait avec une grande partie de
sa famille : sa tante, sa sœur cadette, sa sœur aînée ; quant à son
frère cadet, il n’eut pas cette chance, mourant en 1919 après avoir lui aussi
collaboré à l’organisation de plusieurs réseaux pro-monarchistes en territoire
russe.
Raslovlev voyage alors en
Grèce et en Angleterre, chargé par le gouvernement du général Wrangel d’obtenir
l’aide des dirigeants grecs – qu’il obtient – et des membres de la famille des
Romanov ayant conservé dans leur pays d’adoption une situation princière, à
savoir aux cours grecque[17]
et anglaise. Il tente aussi d’organiser à partir de la Turquie une résistance
blanche sur les terres reprises par le bolchévisme — résistance vaine. Bien
sûr, peu de traces de ces activités : « Je me trouvais alors à la tête d’une organisation secrète travaillant
en Russie et je ne tenais aucunement à me faire trop remarquer. » —
écrira Raslovlev au Times en 1927.
On retrouve Raslovlev
journaliste dans les Balkans de 1921 à 1923. Il suivit l’exemple de beaucoup
d’émigrés et passa des Balkans à la France, à Paris précisément, où il
travailla comme employé de bureau à la société des Chaînes (1923-1935) et où il
fréquenta assidûment la cathédrale orthodoxe russe de la rue Daru. Revenu au
journalisme, il fut correspondant de La
Nation belge à Bruxelles de 1935 à 1940. Installé à Paris de 1940 à 1943,
il y travaille comme secrétaire-interprète pour la General Motors, ne faisant
qu’un séjour à Vienne en tant que traducteur en 1942.
Quelle fut l’attitude de
Raslovlev face au nazisme, face aux théories fascistes et pendant
l’Occupation ? D’abord, Raslovlev travaille comme correspondant pour un
journal de la droite bien-pensante wallonne, sinon rexiste du moins nettement
catholique : La Nation belge[18].
Mais cette collaboration commence en 1935 – époque où le rexisme est en phase
de croissance avant l’apogée de 1936 et le recul de 1937[19]
– et s’arrête en 1940, en même temps que la revue cesse de paraître… Raslovlev
travaille ensuite pour la General Motors, firme critiquée pour avoir pris part
à l’effort de guerre allemand et avoir abondamment fourni la Wehrmacht[20].
Mais Raslovlev n’y est que traducteur et à Paris, malgré un voyage à Vienne en
1942 qui peut tout à fait s’expliquer pour des raisons strictement
professionnelles ; de plus, la General Motors explique que ce ne sont que
les filiales allemandes et autrichiennes qui – contre l’avis du groupe –
soutinrent la Wehrmacht, en état de quasi sécession, un peu comme la
Croix-Rouge allemande faisait acte d’allégeance au IIIe Reich. Comme l’affirme un journaliste américain : « Quite front, Ford and General Motors, but
also bank Chase (whose subsidiary company in Paris closed the Jewish accounts
before even the Nazis), were found in collimate historians ».
Enfin, Raslovlev reçoit la
carte de combattant volontaire de la Résistance. Ce fait contrebalance
largement les deux procès d’intention que l’on peut trop rapidement faire au
correspondant-traducteur. Et un acte de résistance se comprend très bien dans
la pensée de Raslovlev : seuls des Russes pouvaient selon lui mener la
contre-révolution ; aussi ne se joignit-il pas au mouvement du général
Vlassov, compromis avec les Allemands. De Koltchak et Wrangel, il ne pouvait
décidément pas passer à Hitler, aussi choisit-il clairement son camp. Deux
arguments s’ajoutent pour « blanchir » Raslovlev : son fils
s’engage dans la Résistance aussi et – puisqu’il ne faut pas juger du père sur
le fils – on ne trouve sous la plume de Raslovlev nulle part de propos racistes,
extrémistes même ni pro-Allemands. Il fut au contraire, très probablement,
indigné des malversations nazies, parti d’une attitude neutre en 1935-1940 et
devenu résistance en 1944. Rappelons que, en dépit de ce qu’il se passait sous
ses yeux, Raslovlev regardait toujours vers la Russie – nul témoignage qu’il
regardât cependant vers Vlassov – et c’est pour cela qu’il ne s’impliqua que
tard dans les affaires de l’Europe de l’Ouest (Belgique, France) en guerre.
Fin 1944, il entre en
qualité de contractuel au service de la marine française : après la
libération de Paris, il travaille au Centre d’écoutes radiophoniques du
Mont-Valérien puis, en 1946, au Centre de documentation interarmées fixé à
l’École militaire, jusqu'à y devenir chef du Service des langues
étrangères : c’est qu’il possédait parfaitement quatre langues — allemand,
anglais, français, russe — et en connaissait pas moins de neuf ! Il ne
prit sa retraite qu’en 1957, pour limite d’âge.
On le trouve écrire, en
dehors de Paris, à Charenton où il a une résidence secondaire, au camp de
Mourmelon en 1950. Raslovlev, monarchiste constitutionnel, est toujours resté
profondément antisoviétique[21]
plutôt que simplement conservateur : en 1972, il continue de dater ses
poèmes avec l’ancien style ; en 1980, s’il délaisse l’usage du signe dur
en fin de mot à finale consonantique, il utilise encore le iat’ abandonné depuis plus d’un demi-siècle en U.R.S.S. même[22] !
Il s’engage dans l’Obchtchestvo
Okhraniéniya Rouskikh Koultournykh Tsennostiéi, soit « l’Association
pour la conservation des Valeurs culturelles russes », qui recueille de
nombreux documents sur les émigrés russes en France (1864-1957)[23].
Ce légitimiste, qui ne prit
pas la nationalité française, resta de même farouchement patriote[24].
Il s’enthousiasme pour les idées de Soljénitsyne en 1974. Le chrétien orthodoxe
considère les Romanov tués par les Soviétiques comme des martyrs[25]
et voyage en Terre sainte en 1976, accueilli par des moines à Jérusalem, et il
y travaille au calme[26].
Mais ce n’est pas par amour d’Israël qu’il y va puisqu’il écrira en 1927 au Times : « Je ne suis pas du tout un ami de la cause juive » : non,
croyant possible — comme beaucoup de Blancs d’alors — que la Révolution soit en
fait dirigée par les juifs et les francs-maçons, il a peu de sympathie pour les
juifs et s’il partit, pendant la période faste de Dénikine, à la recherche de
mystérieux agissements de francs-maçons dans le sud de la Russie — agissements
qui s’avérèrent ne pas exister —, il en fut le premier étonné.
3 « L’homme des Protocoles de Sion »
Raslovlev se trouvera un peu
par hasard mêlé à l’histoire des Protocoles
des Sages de Sion. C’est en effet lui[27]
qui, à Constantinople, révéla au journaliste du Times of London[28],
Philip Graves, contre 337 livres sterling, que les Protocoles n’étaient qu’une pièce forgée. L’aveu consista à relever
la coïncidence troublante entre les Protocoles
et le texte d’un vieux pamphlet politique français sensé décrire la politique
impérialiste de Napoléon III : Dialogue
aux enfers entre Machiavel et Montesquieu de Maurice Joly (1864). Une
petite page pour l’Histoire mais une grande Affaire pour notre homme.
L’identité de cet
aristocrate russe appauvri qui a donné la source fut révélée seulement en 1978
par le journaliste Clifford Longley dans le Times[29].
« Mr X. », notre Raslovlev lui-même, explique son désir de rester
anonyme : « je ne souhaitais nullement devenir, grâce à une publicité
malvenue, l’homme des Protocoles de Sion jusqu’à la fin de mes jours »[30].
Raslovlev, pour preuve de la
découverte qu’il avançait, donna une brochure trouvée dans un vieux stock de
livres qui constituait la bibliothèque d’un ancien officier de l’Okhrana, la
police secrète du tsar, bibliothèque que Raslovlev avait achetée. Ayant
remarqué la ressemblance entre ce livre français et les Protocoles, Raslovlev s’en ouvrit au correspondant du Times, comme Raslovlev le dit alors,
« pour ne donner aucune arme à des
Juifs, avec qui je n’ai jamais sympathisé » — détail paradoxal
puisque les Protocoles, édités depuis
1905 mais trouvant beaucoup de lecteurs après les ravages de la Première Guerre
mondiale, la Révolution russe, l’agitation en Allemagne, circulèrent activement
pendant la guerre civile russe et furent utilisés par les agitateurs essayant
de soulever la population contre la « Révolution juive », contribuant
aux pogroms que connut, sous le régime des « Blancs », le sud de la
Russie entre 1918 et 1920. De cette brochure, sujet de persécution pour les
Juifs, Raslovlev a donc peur que ces Juifs fassent ne arme, une fois la vérité
découverte, contre son parti (le Tsar) et non contre les vrais faussaires (la
Police secrète trop zélée, plus tsariste que le Tsar).
Pour Raslovlev, conscient ou
non de ce paradoxe, primaient en ces temps cruciaux deux questions : la
question financière et celle de l’honneur. La question financière concernait
son action politique, dont nous avons déjà dit deux mots et qu’il envisageait
encore en 1921 de façon très optimiste. « Avec l’argent reçu par le Times,
j’ai pu en effet soutenir encore quelque temps mes amis en Russie, et même y
faire, sous un faux nom, un voyage de plusieurs mois au printemps de 1922. »
Il avait refusé de vendre le livre en question et comptait rendre dès que
possible ces 337 livres sterling. Mais cette organisation qu’il avait suscitée,
appelée par lui plus tard « les Chouans sur rail »[31]
et visant à restaurer la monarchie, brisée par les événements de 1919, ne
pouvait plus agir, son impuissance était patente ; et il n’en sera plus
question après la dissension surgie dans la famille impériale russe en août
1924[32]…
Raslovlev redoutait aussi que les Protocoles,
faux dont les journaux les plus sérieux — à l’image du Times — mettaient en doute l’authenticité, ne servent qu’à accuser
et déshonorer son parti ; il déclara en effet qu’il gardait l’ouvrage en
question dans « l’espoir de s’en
servir un jour comme preuve d’impartialité du groupe politique auquel il
appartenait »[33].
« Impartialité », c’est le mot clef : « l’impartialité me
poussait à ne pas taire ma découverte » — écrit-il encore au Times en 1927. Même en 1927, il ne
souhaite toujours pas découvrir son nom au public, car son activité
pro-monarchiste n’a pas cessé : il osera encore en 1937, à l’apogée des
violences du pouvoir stalinien et des chasses aux complots antisoviétiques, entreprendre
un voyage en U.R.S.S., bien différent de celui des intellectuels de
l’époque : clandestin et contre-révolutionnaire ! Avec au programme,
notamment, une rencontre avec le maréchal Toukhatchevski [16 févr. 1893 – 11
juin 1937]… décédé peu avant le départ de Raslovlev… accusé de trahison et
d’espionnage, accusation fréquente à l’époque mais qui prend soudain quelque
apparence de vérité, alors que l’on avait toujours considéré ces griefs
stéréotypés comme pure fantaisie ! Et qu’on ne nous fasse pas dire
cependant que Toukhatchevski sympathisait avec la cause blanche, ni même qu’il
jouait un double jeu ! Malgré ses nombreux contacts dans l’armée
soviétique, qui respecte simplement les hommes de l’autre camps davantage que
ne le font les politiques, Raslovlev désespère, et ce sont les dissensions dans
la famille Romanov, survenues à partir de 1932, qui le désespèrent.
Après une vie si bien
remplie et si agitée, Raslovlev mourut de sa belle mort à Créteil le 27 avril
1987. Mourait avec lui non seulement un patriote, un légitimiste et un
orthodoxe mais aussi un poète, un critique littéraire et un traducteur. Cet
homme, qui fut un homme d’action, aimait à se dire « littérateur »,
et ce à bon droit. Dès 12 ans, celui qui sut être si actif au service de la contre-révolution
noircissait du papier ! À 15 ans, quelques notes de ses contes
philosophiques sont publiées par la revue des élèves du corps des Cadets
Alexandre-II. Connaissant d’assez près la famille des Romanov[34],
il voulut même à l’âge de la retraite se faire l’historien de la chute de
l’Empire russe, avec l’aide de la Grande Duchesse Hélène, princesse Nicolas de
Grèce. Mais cette dernière mourut en 1957 précisément[35]…
1 Le poète
L’œuvre de jeunesse de
Raslovlev poète, Histoire de Tévanghir le
Bassorite et du jardin clos de son âme, fut écrite d’abord en allemand à
Freiberg-en-Saxe et, après refonte, achevée en 1918 en Russie et en russe. Elle
fut publiée pour la première fois en 1925 à Paris en français et rééditée en
extraits[36] ; elle
raconte à la façon d’un conte exotique les émois d’un jeune cœur. Il publia par
la suite plusieurs plaquettes de poésie en français : Les Voix glorieuses[37],
premier recueil de vers français en leur temps salués par Paul Fort[38],
Reflets furtifs[39],
Nouveau choix de poésies françaises[40],
regroupant des poésies de divers recueils en partie restés inédits[41].
Il eut pour amis et connaissances Raymond Boulanger, Paul Fort (qui
représentait pour lui réellement le « Prince des poètes »), un
certain Jean Pourtal de Ladevèze – poète prolixe né en 1898 à Lorient[42]
et compositeur de musiques pour voix et piano, le comte K. N. de Rochefort[43].
Il revint à la poésie en russe après 55 ans de silence public en la matière. Ce
n’est que tardivement qu’il publie enfin des poèmes écrits en russe de 1917 à
1976 dans deux livres à dominante religieuse et patriotique : K nogam Tvortsa (Sbornik stikhov na
doukhovnié tiémy), c’est-à-dire « Aux pieds du Créateur (Recueil de
poèmes religieux) »[44]
et Rodnoié slovo (Vyderjki iz
stikhotvornykh sbornikov), c’est-à-dire « Mot natal (Extraits de
recueils poétiques) »[45].
Chez lui, le poète,
romantique de par les thèmes et classique de par la forme, éclipse le
dramaturge ; car Michel Raslovlev commit aussi deux pièces
historiques : Hyde de Neuville[46],
drame en cinq actes écrit directement en français, et un drame inspiré par
l’épopée du futur maréchal Michel Toukhatchevski dont il prévit la fin. Il
voulait par là « comprendre les processus, les analogies et les
enseignements des grandes révolutions : anglaise, française et
russe ».
2 Le critique
Raslovlev fut aussi critique
littéraire, dans les années 1950-1960, pour le compte de la revue russe émigrée
Vozrojdénié, « Renaissance. Revue littéraire et
politique »[47] dont il fut
l’un des plus actifs collaborateurs (il tenait la rubrique « Hommes et
faits ») lorsque Ivan Ivanovitch Tkhorjevski [?-1951] la fit renaître de
ses cendres puis à laquelle il collabora fidèlement, après l’intermède de Serge
Pétrovitch Melgounov [1880-1957], sous la direction du comte Serge
Serguéiévitch Obolenski. La devise choisie par la revue correspondait tout à
fait à ses idées : « Fidélité au passé, foi en l’avenir ».
Raslovlev connaissait Tkhorjevski depuis le début des années 1930, l’ayant
rencontré à Paris dans une réunion d’anciens « propriétaires
terriens » russes. Les deux hommes partageaient un même goût littéraire,
qui les faisait admirer parmi les Français la comtesse de Noailles et Armand
Silvestre notamment ! Mais Raslovlev maudissait les contractions imposées
à ses œuvres pour paraître dans Renaissance :
une ballade satirique (Le Torrent. Un
preux en exil) fut sévèrement allégée, Raslovlev se refusa à couper Tévanghir lors du premier automne de la
revue. Il semble avoir bien connu également Marc Aldanov, Basile Maklakov, Alexis
Rémizov.
Raslovlev écrivait sur des
auteurs classiques ou contemporains : aussi bien sur Pouchkine[48],
Dostoïevski[49] ou
Tioutchev[50] que sur
Tkhorjevski lui-même[51].
Il écrivait sur tout sujet culturel en général[52].
Le fit connaître sa Trilogie
historico-poétique sur la littérature russe, intitulée De Derjavine à Bounine ou Grandeur et décadence de l’empire de toutes
les Russies et composée de : Le
Chantre de Felice[53],
étude sur Gabriel Romanovitch Derjavine [1743-1816] ; d’une anthologie des
poètes russes du Siècle d’Or (à savoir le XIXe siècle russe)
intitulée L’Âge d’or de la poésie
russe : anthologie des œuvres poétiques et courtes biographies des
principaux prédécesseurs et contemporains de Fédor Ivanovitch
Tutcheff :1803-1873[54] ;
et enfin de L’Âge d’argent de la poésie
russe : Anthologie des œuvres poétiques russes des prédécesseurs et
contemporains de Bounine de la fin du XIXe siècle jusqu’au début du
XXe siècle[55].
Bounine reste le dernier poète russe qu’il admire, en raison de son académisme[56].
3 Le traducteur
Michel Raslovlev fut aussi
traducteur. Traducteur en français, langue qu’il connaît dès l’avant-guerre (où
il se passionne pour Pierre Loti [1850-1923] et Claude Farrère alias
Frédéric-Charles Bargone [1876-1957]), qu’il pratique encore en s’enthousiasmant
pour le philosophe Gustave Le Bon [1841-1931][57]
à Sébastopol en 1915 mais qu’il perfectionne encore, dès son arrivée en France
en 1923, lisant « Bourget, France et
Proust, pour étudier la société contemporaine du pays, ainsi que les poètes
Paul Fort, Claudel et Valéry, pour m’initier au langage des dieux du
moment ; sans perdre des romantiques, des parnassiens, de Baudelaire et
autres, que je connaissais depuis longtemps et que je m’amusais encore en
Russie à traduire en vers russes pour me faire la main. » Même
traducteur, il resta poète, adaptant en français, et en vers, le conte
populaire russe de Pierre Pavlovitch Yerchov : Le petit poulain bossu. Koniok gorbounok[58]
et traduisant ses propres poésies[59],
comme le poème en prose Le Dit de la
Sainte Russie[60], paru
auparavant en russe dans Renaissance[61]
et à ne pas confondre avec le recueil de poésies traduites du russe intitulé Sainte Russie, anthologie de vers
d’inspiration religieuse[62].
La traduction du conte le fit connaître en 1935 et lui valut la satisfaction
d’être fastueusement reçu par la Begum à Paris puis d’être invité en tant
qu’expert du folklore russe au XVIe Congrès international
d’Anthropologie à Bruxelles, source probable de son futur travail comme
correspondant d’une revue belge. Il donna longtemps après à Renaissance, après la guerre qui arrêta
toutes ses activités littéraires, une série de traductions d’auteurs français
déjà classiques ou modernes, comme Leconte de Lisle[63],
Charles Péguy, Albert Samain[64]
ou Paul Fort[65]. Péguy,
avons-nous dit…
Attardons-nous sur sa
traduction de Péguy. Déjà publiée dans Renaissance
en 1956[66],
elle sera reprise, plus de vingt ans plus tard, avec toutes les autres
traductions du même auteur dans un recueil, apparemment le dernier édité par
Raslovlev : Vyderjki iz sbornika
« S tchoujikh Parnassov... »[67],
c’est-à-dire « Extraits du recueil Traductions
de Parnasses étrangers » —
précisons tout de suite que ce sont des extraits édités d’un recueil qui, lui,
ne verra pas le jour dans son intégralité. Livre dédicacé par l’auteur à la
Bibliothèque Tourguéniev de Paris, le 26 juin 1980, dans l’exemplaire que cette
dernière conserve[68].
Qui sont donc tous ces
poètes qui entourent Péguy ? Aussi bien Barbey d’Aurevilly, Baudelaire,
Paul Fort, Leconte de Lisle, Hérédia, Moréas, Anna de Noailles, Albert Samain,
Henri-Frédéric Amiel, que les moins connus L.-R. Amiel [actif à la Belle
Époque], Joseph Autran [1813-1877], Eugène Manuel [1823-1901], Louis Ratisbonne
[1827-1900], Armand Silvestre [1837-1901], Victor-Joseph dit Joséphin Soulary,
si fort prisé en son temps de Baudelaire lui-même [1815-1891] ! On ne sait
trop, dans ces conditions, ce que représente Péguy pour le traducteur : un
classique apprécié, un poète mineur ? Un poète apprécié semble la réponse
la plus probable. Si Péguy [1873-1914] apparaît après Paul Fort [1872-1960] et
avant Anna de Noailles [1876-1933], ce n’est qu’à cause de l’ordre
chronologique choisi par Raslovlev : ordre croissant des dates de naissance,
qui range Péguy comme antépénultième. On jugera du rang auquel Raslovlev place
Péguy d’après l’article qu’il lui consacre et que nous donnons plus loin.
Quelle est l’idée que
Raslovlev se fait de la traduction ou plutôt de l’adaptation (car la traduction
de Péguy en est une, avec coupures et résumés) ? Il s’en est expliqué dans
son anthologie Sainte Russie et dans
une conférence sur la question prononcée en 1960 à Paris ; son ami Jean
Pourtal de Ladevèze a résumé sa méthode de traduction dans sa préface au Nouveau choix de poésies françaises :
il respecte la littéralité du texte mais il recrée les poèmes pour respecter le
vers et plaire à l’oreille du lecteur. Dans le cas de Péguy, il effectue des
coupures pour respecter la construction générale : il réduit au quart le
volume des quelque sept pages traduites (dont nous indiquons la pagination dans
la collection « Poésie », Gallimard, 1986) et, pour ne pas lasser le
lecteur russe, il effectue de nombreuses coupures [mises entre crochets]. Ce
qui donne un texte singulièrement bouleversé mais conforme à l’idée que le
début du siècle se faisait de la traduction, plus transformation que
littéralité. Mais le moyen, il est vrai, d’adapter une œuvre-fleuve aux
contraintes de la publication d’un extrait, en revue ?
Nous donnons ci-après une
retraduction des passages traduits du Porche
du mystère de la deuxième vertu par Raslovlev ; et ce, pour donner au
lecteur non russisant une idée du choix opéré par Raslovlev. Spécifions bien
que le traducteur prend tant de liberté avec l’original français qu’il fait
parler Dieu avec la majuscule du pronom personnel « Je » (d’une façon
qui choque moins les orthodoxes) ; qu’il glose parfois pour expliquer la
pensée de Péguy au lecteur russe, qu’il reponctue le texte de Péguy d’une façon
académique (gloses et reponctuation mises entre <>). Il reste parfois
difficile d’identifier le passage traduit, à cause des fréquents résumés que se
permet aussi l’esprit synthétique du traducteur.
1 L’Espérance
(extraits du Mystère sous l’égide de la deuxième vertu)
Le prêtre
dit :
Quelles sont les trois vertus théologales ?
L’enfant
répond :
Les trois vertus théologales sont la Foi,
l’Espérance et la Charité.
Page 22
<De ces trois filles,
celle> que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’espérance.
La foi ça ne m’étonne pas.
Ça n’est pas étonnant.
J’éclate tellement dans ma
création.
Dans le soleil et dans la
lune et dans les étoiles.
Dans toutes mes créatures.
Dans les astres du firmament
et dans les poissons de la terre.
[...]
Dans les plantes et dans les
bêtes
[...]
Et dans l’homme.
Ma créature <!>...
Dans l’homme et dans la femme
sa compagne.
Et surtout dans les enfants.
Mes créatures.
Page 17
[...]
Ils n’ont pas encore été
défaits par la vie.
De la terre.
Page 18
[...]
J’éclate tellement dans ma
création.
Que pour ne pas me voir
vraiment il faudrait que ces pauvres gens fussent aveugles.
<Car j’ai tout offert aux
yeux pour qu’ils vissent !>
<_______>
La charité, dit Dieu, ça ne
m’étonne pas.
Ça n’est pas étonnant.
Ces pauvres créatures sont si
malheureuses qu’à moins d’avoir un cœur de pierre, comment n’auraient-elles
point charité les unes des autres.
Comment n’auraient-elles
point charité de leurs frères.
Comment ne se
retireraient-ils point le pain de la bouche, la pain de chaque jour, pour le
donner à de malheureux enfants qui passent.
_________
Mais l’espérance, dit Dieu,
voilà ce qui m’étonne.
Moi-même.
Ça c’est étonnant.
Que ces pauvres enfants
voient comme tout ça se passe et qu’ils croient que demain ça ira mieux.
Qu’ils voient comme ça se
passe aujourd’hui et qu’ils croient que ça ira mieux demain matin.
<>
Ça c’est étonnant et c’est
bien la plus grande merveille de notre grâce.
Page 20
[...]
Et je n’en reviens pas.
[...]
Cette petite fille espérance.
<_______>
Car mes trois vertus, dit
Dieu.
Les trois vertus mes
créatures.
Mes filles mes enfants.
Sont elles-mêmes comme mes
autres créatures.
Page 21
De la race des hommes.
<>
La Foi est une épouse fidèle.
<>
La Charité est une mère.
Une mère ardente, pleine de
cœur.
Ou une sœur aînée qui est
comme une mère.
<>
L’Espérance est une petite
fille de rien du tout.
C’est cette petite fille
pourtant qui traversera les mondes.
Cette petite fille de rien du
tout.
Elle seule, portant les
autres, qui traversera les mondes révolus...
Page 22
La foi va de soi. La foi
marche toute seule. Pour croire il n’y qu’à se laisser aller, il n’y a qu’à
regarder. Pour ne pas croire il faudrait se violenter, se torturer, se
tourmenter, se contrarier...
Page 23
La charité va malheureusement
de soi. La charité marche toute seule. Pour aimer son prochain il n’y a qu’à se
laisser aller, il n’y a qu’à regarder tant de détresses. Pour ne pas aimer son
prochain il faudrait se violenter, se torturer, se tourmenter, se contrarier...
Mais l’espérance ne va pas de
soi. L’espérance ne va pas toute seule. Pour espérer, mon enfant, il faut être
bien heureux, il faut avoir obtenu, reçu une grande grâce.
<________>
La petite espérance s’avance
entre ses deux grandes sœurs et on ne prend seulement pas garde à elle.
<>
Sur le chemin du salut [...].
Page 24
Entre ses deux grandes sœurs.
Celle qui est mariée.
Et celle qui est mère.
[...]
Le peuple chrétien ne voit
que les deux grandes sœurs, n’a de regard que pour les deux grandes sœurs.
[...]
Et il ne voit quasiment pas
celle qui est au milieu.
La petite, celle qui va
encore à l’école.
Et qui marche.
Perdue dans les jupes de ses
sœurs.
Et il croit volontiers que ce
sont les deux grandes qui traînent la petite par la main.
Au milieu.
Entre elles deux.
Pour lui faire faire ce chemin
raboteux du salut.
Les aveugles qui ne voient
pas au contraire
Que c’est elle au milieu qui
entraîne ses grandes sœurs.
Et que sans elle elles ne
seraient rien.
Que deux femmes déjà âgées.
Deux femmes d’un certain âge.
Fripées par la vie.
<_______>
C’est elle, cette petite, qui
entraîne tout.
<>
Car la Foi voit ce qui est.
Et elle voit ce qui sera.
<>
La charité n’aime que ce qui
est.
Et elle aime ce qui sera.
La Foi voit ce qui est.
Dans le Temps et dans
l’Éternité.
L’Espérance voit ce qui sera.
Dans le temps et pour
l’éternité.
Page 25
La Charité aime ce qui est.
Dans le Temps et dans
l’Éternité.
Dieu et le prochain.
Comme la Foi voit.
Dieu et la création.
Mais l’Espérance aime ce qui
sera.
Dans le temps et dans
l’éternité.
Page 26
2 Péguy vu par Raslovlev
Raslovlev fait suivre cette traduction d’un article bref mais instructif où se trouve présentées la vie et l’œuvre de Charles Péguy de façon relativement objective : si l’auteur insiste sur ce qui relie Péguy à l’armée, c’est non pour affirmer son bellicisme mais par simple goût personnel pour la chose militaire ; s’il commet quelques erreurs, que nous rectifions entre <ces signes>, elles restent minimes et résultent seulement d’un défaut d’information, imputable à l’interprétation erronée que Marcel donna de son père.
Sans doute n’est-il pas besoin de présenter Charles Péguy au lecteur
russe vivant en France : son esprit souffle tant parmi les meilleurs
représentants de ce pays qu’un étranger curieux ne peut tout simplement pas
passer à côté de l’auteur du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc et d’autres œuvres non moins originales.
Mais, comme le cercle des
lecteurs de Renaissance
ne se limite pas à la seule France et
comme cet écrivain particulièrement original se prête difficilement à l’export, j’ai cru que le poème donné ci-dessus,
« L’Espérance », requérait une introduction à la vie de ce fils de sa
patrie, d’un fils vraiment remarquable.
Né à Orléans le 7 janvier
1872 <1873>, il est originaire par son père de
laboureurs de la région et par sa mère de bûcherons du centre de la France. Son
père, ancien volontaire de l’Armée de la Loire en 1870-1871, participa à la
défense de Paris contre la Prusse, mourut tôt : le petit fut élevé sa mère
et sa grand-mère, deux dures femmes qui gagnaient leur vie en rempaillant des
chaises tant et si bien qu’elles purent faire en sorte qu’il parvienne jusqu’à
l’enseignement secondaire et même jusqu’au supérieur. Il faut dire qu’il avait
de rares facultés, ce qui, avec cet entêtement qui le caractérise, ne contribua
pas peu à ce succès, remportant tous les examens haut la main et recevant
plusieurs fois l’aide de bourses pour prolonger sa scolarité.
Il ne parvint pas cependant
au terme habituel des études qu’il entreprenait : il ne devint ni
professeur de lycée, ni autre fonctionnaire, comme en rêvait sa mère. Tout cela
à cause d’un appel prophétique ni
plus ni moins. Dès les bancs de son école, l’injustice du monde le révoltait
profondément, qu’il essayait par tous les moyens de démasquer et (ce qui
paraîtra étrange à tout autre pacifiste) c’est seulement le fait de passer son
service militaire qui put le réconcilier en partie avec la réalité et son peu
d’attraits.
« Soldat et fils de
soldat », comme l’écrit son fils aîné Marcel, dans une biographie très
intéressante bien que discutable à certains égards, Charles Péguy consacra
toute sa courte vie (il fut tué à la tête de sa compagnie au tout début des
combats sur la Marne en 1914) à l’Armée, fondement selon lui de l’unité nationale,
gardienne de l’idée d’une hiérarchie fondée en raison et du principe de
l’égalité de tous face au devoir suprême de défendre la Patrie.
D’autant plus fort fut son engagement lorsque l’affaire Dreyfus montra
que cette institution, pour lui sacrée (et qu’il venait de quitter, passant
officier de réserve), vivait dans le mensonge et l’injustice.
Comme pour beaucoup de ses contemporains, cette affaire décida de sa
vie. Il délaissa les études et utilisa tout ce que sa jeune femme[69]
lui apportait en dot pour pouvoir ouvrir une petite édition indépendante :
le jeune étudiant, sans même avoir fini ses études, se jette tête la première
dans l’arène politique et son bureau de la rue Cujas (devenu depuis la
librairie Rodstein[70])
devient rapidement le quartier général de la jeune génération des dreyfusistes,
qui répondait à l’appel d’Émile Zola et d’autres aînés.
Ajoutons que notre jeune
prophète partait en guerre à peu près à la même époque contre les injustices
sociales et autres qui existent sur cette terre pécheresse, mais aussi contre
« la haute injustice » qui lie les pécheurs aux souffrances
éternelles, d’une liaison selon lui incompatible avec un Créateur Tout-puissant
et Très-bon. Aussi avait-il quitté l’Église catholique avant que d’entrer au parti
socialiste.
Une telle fougue dura presque deux ans, mais en vinrent à bout le
cynisme de nombreux confrères et la récupération de l’affaire Dreyfus, qui
avait pour but non d’assainir l’armée et les mœurs patriotiques en général mais
de la noircir sciemment pour que des profiteurs nouveaux venus dans le
socialisme puissent prendre le pouvoir : tout cela a, comme l’on dit
aujourd’hui, déçu un chercheur de vérité intransigeant comme fut et se voulait
être Péguy. Après le premier congrès du Parti socialiste, qui donna lieu à tant
de tristes « combinaisons », il claqua la porte violemment et se
retourna courageusement contre ses anciens chefs et amis : Jean Jaurès,
Léon Blum et d’autres ; de sorte que, quinze années durant, il mena contre
eux et leurs semblables un combat solitaire et inégal dans les pages des Cahiers de la quinzaine[71] qu’il auto-édita – combat épique, attachant
finalement à Péguy une gloire telle dans les milieux idéalistes de la jeunesse
que c’est à lui, en 1912, que l’on proposa pour de vrai de les diriger en chef
politique <point apparemment extrapolé faussement du fameux « parti
des hommes de quarante ans » que Péguy dit vouloir fonder, en
plaisantant>.
Mais, parce que l’esprit de prophétie (comme Vladimir Soloviev le
montra clairement en son temps) est absolument incompatible avec l’activité de
« juge » ou « tsar », Péguy ne pouvait ni ne voulait
prendre une telle responsabilité ; il se contenta de réaffirmer, plus
vivement encore, de propager ses idées.
Ces idées, bien que simples
et même exprimées parfois avec naïveté, étaient courageuses et inhabituelles
pour l’époque, une époque où paraissait devoir régner toujours le positivisme
« scientifique ». Car il faut préciser qu’à cette époque, après dix
ans de mûrissement spirituel continu, Péguy réussit à surmonter beaucoup de ce
qui l’avait heurté des dogmes chrétiens et voyait à bon droit dans l’athéisme
l’ennemi numéro un de sa Patrie et de l’humanité entière.
Il est vrai que, même sans lui, les pauvres doctrines du matérialisme
recevaient des coups cruels, autant de la part des pragmatistes anglo-saxons
que de l’école philosophique française de Bergson en France ; mais nul ne
se dressait plus convaincant ni plus ardent que Charles le colérique, prêt à
affronter « la
basse et laide métaphysique du parti rationaliste moderne », comme il désignait les pontes de la
Sorbonne d’alors.
Il n’était pas seulement bienveillant envers les religions, avec
condescendance, à la façon d’un William James ni mi-agnostique mi-intuitiviste
à la Bergson – bien qu’il tînt ce dernier pour son maître et qu’il le défendît
vigoureusement du Vatican, quand l’Index frappa le philosophe. Non, l’approche
du « surnaturel » était autre chez lui : non
abstrait, mais empirique. Passionné depuis tout petit (chose normale pour un
Orléanais, qui plus est au lendemain d’une défaite nationale humiliante dans la
guerre franco-prussienne) par la figure énigmatique de la Pucelle d’Orléans, il
étudia, toute sa vie durant, les documents
laissés après elle et se plongea dans cette apparition historique mystérieuse pour y voir finalement une preuve concrète
de l’existence de Dieu ou, du moins, de l’intervention effectif des Forces d’en
haut dans les destinées humaines. Ce qui le ramena, sinon dans le giron de
l’Église catholique[72],
du moins à la Foi chrétienne de son enfance, qu’il avait renoncée.
Cela dit, avec l’esprit de conséquence et le courage moral qui le
caractérisent, il ne resta pas à mi-chemin et entendait, ni plus ni moins,
ainsi que le rapporte son fils [sc. aîné], « travailler à une refondation
du christianisme ». De sorte que les
quatre dernières années de sa vie, après la publication de deuxième Jeanne
d’Arc et avant la Première Guerre
mondiale, l’œuvre de Péguy consista essentiellement en l’écriture de
mystères, à l’imitation de ces drames
religieux que l’on jouait au Moyen Âge sous le porche des cathédrales
gothiques, y compris sous celui de la cathédrale de Chartres, source
d’inspiration chère à son cœur. Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui des
centaines d’étudiants font le pèlerinage de Chartres chaque année et visitent
cette cathédrale en souvenir de Péguy.
Voilà pourquoi certains passages de Péguy sont si difficiles à lire
dans l’original (comme son poème Ève, sept
mille vers cinq vers environ, avec parfois trente vers successifs ayant la même
rime !), au point que même les Français préfèrent éditer Péguy en morceaux
choisis. Pour ma part, outre le souhait
de mettre en avant les pensées théologiques de Péguy dans une forme acceptable pour l’oreille russe, m’a guidé la
nécessité de fuir certains jugements, choquants pour un étranger, de ce
Français patriote jusqu’à la xénophobie <selon l’interprétation de certains
passages de l’œuvre de son père par Marcel Péguy>.
Et tout de même, je pense que cet écrivain du terroir hors pair, comme l’aurait appelé feu Ivan Tkhorjevski, nous a laissé,
peut-être même sans le savoir, un héritage précieux, utile à ses compatriotes
aussi mais non seulement à eux, fécond même en des pays étrangers ; ce,
d’autant plus que cette vie spirituelle étonnante et intense à l’infini
(jusqu’aux dangereuses limites de la mégalomanie), la vie de ce prophète enlevé
à la charrue trouva un accomplissement
spectaculaire dans la mort glorieuse que Dieu lui donna, un mort sur le front,
une mort qui me rappelle les paroles d’un autre poète inconnu de lui, bien sûr,
mais cher à nous Russes :
En vérité fameux, sacrés
Sont les hauts faits du temps de guerre.
Des Séraphins, ailés de lumière,
Font une escorte aux guerriers.
Les travailleurs, qui lentement
Vont dans les champs et sanguinolent,
Sèment l’exploit, récoltent l’auréole :
Bénis-les, Seigneur, maintenant.
Tels ceux qui plient sous la charrue
Se lamentant, priant en chœur,
À Toi brûlants parlent leurs cœurs
Comme des cierges qui brûlent.
*
Prenons maintenant un peu de recul par rapport à notre homme et
déterminons ce qui chez Péguy l’attire au point qu’il le traduise et présente
au lecteur russe. Précisons d’emblée que les Protocoles ne furent pas l’Affaire
Dreyfus de Raslovlev, même si le parallèle avec Péguy est tenant. Leur origine
séparait Raslovlev et Péguy, l’aristocrate et le fils du peuple. Raslovlev est
un peu Halévy aussi bien pour l’Affaire que pour l’origine sociale : il y
va à reculons et à cheval, Péguy s’engage volontairement et à pieds.
Réunissaient Péguy et Raslovlev trois attachements : l’armée plus que la
guerre, la patrie plus que la nation, la foi plus que la religion. Et la forme
qui unissait ces trois attachements est la même chez les deux hommes : non
la haine de l’autre mais la fierté de soi, et un certain engagement qui en
découle. Un goût de l’armée pour rester fidèle à ses pères (Raslovlev), à son
père (Péguy) ; pour vivre en héros chez l’un comme chez l’autre. Un amour
de la patrie sans nationalisme et avec ce sentiment de manque qui résulte pour
Raslovlev de son exil sans retour et pour Péguy de son désir quasi nostalgique
de la cité harmonieuse ou socialiste universelle tôt entrevue. Enfin, une même
foi vibrante réunit les deux hommes, l’un pourtant orthodoxe, l’autre
catholique, deux fois chrétiennes issues de deux pays traditionnellement
orthodoxe et catholique mais vécues avec une même force, plus tranquille et
institutionnelle chez Raslovlev, plus inquiète et solitaire chez Péguy.
Reste à savoir quelle
audience a pu avoir cette traduction (en 1956 et 1977) et cet article (en
1956). Leur auteur reste jusqu’à présent peu connu ; l’édition à compte
d’auteur de tous les livres de Raslovlev laisse supposer un tirage confidentiel
et une très faible diffusion en 1977. Quant à la revue Renaissance, elle avait en 1956 une audience relativement limitée,
celle de l’émigration russe que les Français qualifieraient « de
droite », monarchiste ou ayant des sympathies pour la monarchie. Toujours
est-il que cette publication péguyste en russe fait date de par sa rareté même,
rareté que notre exposé a seulement voulu comme réparer.
[1] « Parmi la littérature
française contemporaine », Vestnik
tserkovnoï jizni, n° 6, juillet 1946, p. 45-48.
[2] Vestnik Rouskogo Khristiyanskogo Dvijéniya, n° 72-73, 1964, p.
54-60.
[3] Première édition :
« Extraits du Mystère des
Saints-Innocents », Vestnik
tserkovnoï jizni, n° 8, juillet 1947, p. 71-78 ; réédition :
« Pour le centenaire de la naissance de Charles Péguy. Extraits des Mystères dans la traduction de Léon
Zander », Vestnik Rouskogo
Khristiyanskogo Dvijéniya, n° 107, 1er trimestre 1973,
p. 118-126 avec une précieuse introduction de Nikita Struve, p. 117. La
prédilection de Zander pour les Saints
Innocents s’étend donc au Porche,
ainsi qu’il appert de son article sur l’Espérance : « Christian
Hope », Student movement, n° 52,
nov.-déc. 1949, p. 19-26.
[4] Charles Péguy, « Vrata, vvodyachtchiyé v tainstvo vtoroï
dobrodyétyéli, otryvok » (« Porche conduisant au mystère de la
deuxième vertu, extrait »), trad.
du français par Serge Avérintsev,
Viestnik rouskovo khritianskovo dvijéniya, n° 173, Paris - New York -
Moscou, 1996, pp. 139-149. Une jeune équipe, dès 1999, se mit à traduire le Porche de son côté, d’abord à deux,
trois et enfin quatre, travaillant à l’École normale supérieure, à l’Institut
Saint-Serge, à la Cité universitaire de Paris, au séminaire de Kostroma
enfin !
[5] Le journal d’avant-guerre,
fondé le 3 juin 1925, dirigé par Pierre Borissovitch Struve jusqu’en 1927 et
quotidien jusqu’en 1936 puis hebdomadaire jusqu’à cesser de paraître le 7 juin
1940 à cause de l’Occupation de Paris.
[6] Éditions Rodnik / La Source,
achevé d’imprimer par les Éditions franco-slaves en juillet 1930 à 500
exemplaires seulement, p. 118-120. L’exemplaire de la Bibliothèque
Tourguéniev porte la dédicace : « Pour Marie Alexeievna Maklakov, en
témoignage de sincère respect et de reconnaissance indéfectible, de la part du
traducteur. »
Une ligne d’introduction
biographique précède la traduction de 14 quatrains, extraits de la
« Présentation de la Beauce », donnés dans l’ordre (avec même les
premiers et les derniers) mais sans indication de coupures ; dans l’œuvre
originale ce sont les strophes 1-3,5,11-13,25-27,85 et 87-89.
Le but de ce livre, donnant
près de 140 poèmes de 70 poètes, est de présenter une vue d’ensemble, au-dessus
de la mêlée des disputes concernant tel ou tel poète, et de donner les traits
saillants de l’histoire de la « nouvelle poésie français », « des postures crépusculaires du siècle passé
au renouveau bouillonnant des jours présents, des sombres jeux d’esprit d’élus
solitaires à l’affirmation haut et fort des droits de l’inconscient et de la foule, de la mélancolie et de l’athéisme à la soif de bonheur et au
renforcement du sentiment religieux ». Pour l’idéal de traduction qui
guide Tkhorjevski, non la conception de Joukovski (« Le traducteur de
vers, voilà notre adversaire ! ») mais celle de Pouchkine (« Ce
sont les traducteurs les vrais propagateurs du progrès. »), consulter
l’introduction du traducteur, p. 7-8.
Péguy est classé parmi les
néo-romantiques (avec Edmond Rostand [1868-1918] ou Laurent Tailhade
[1854-1919], et juste après Hélène Vacaresco [1866-1947], Henri Théodore
Malteste, le comte de Montesquiou [1855-1921] !), ce qui est probablement
un choix provenant de la gêne qu’il y a à ranger Péguy dans une école
déterminée, mais qui peut être aussi une analyse, pour le coup très fine, de
Péguy, qui se veut classique mais reste un romantique par bien des aspects
(lire sur ce point le numéro « Péguy romantique malgré lui » de la Revue des Lettres modernes).
[7] Nous ne saurions trop
remercier ici Oleg [1942, Rabat] et surtout Serge [1941, Rabat] Raslovleff,
qui, nous ayant fourni un grand nombre d’informations bio-bibliographiques sur
leur grand-père, en partie tirées de ses archives, ont grandement facilité nos
recherches. Oleg et Serge sont les deux fils de Nicolas Raslovlev [1914,
Pétrograd – 1944, Drumont] et Hélène Ivanov [1916, Sébastopol]. Michel
Raslovlev se maria en 1919 à Nathalie Alexandrovna Ivanenko, née en 1893 à
Baktchissaraï d’une famille originaire de la Volga et descendant du gospodar Ivoni de Moldavie qui vécut
dans la deuxième moitié du XVIe siècle. Elle décéda en 1976 à
Créteil.
[8] Pour les armes des
Raslovlyevy, où se retrouve donc la croix balte, voir le Obchtchiy guerbovnik dvoryanskikh rodov Vsyerossiyskoï Imperii, Grand armorial des familles aristocrates de
l’Empire russe, 2e partie, SPb, Zvyezdy, 3 t. reproduisant
l’édition SPb, 1890 ; traduit en anglais sous le titre Russian heraldry and nobility, Floride,
Boston Beach, 3 vol., 1992.
[9] D’une famille caucasienne
émigrée en Russie au XVIIIe siècle et dotée de terres dans la
province de Saratov.
[10] Dimitri Karakozov, étudiant
membre du petit groupe moscovite de Nicolas Ichoutine appelé
« l’Organisation ».
[11] Kars, forteresse du IXe
siècle annexée par les Turcs au XVIe siècle, fut prise en 1828 par
les Russes et rendue au traité d’Andrinople en 1829. Mais elle est reprise le
16 / 28 novembre 1855 par les Russes puis restituée par le Traité de Paris du
18 / 30 mars 1856 à la Turquie. Après un premier siège russe levé le juillet
1877, Kars fut reprise par les Russes le 6 / 18 novembre 1877 avant d’être
conservée par eux grâce au traité de San Stefano le 19 février / 3 mars 1878,
que confirma le congrès de Berlin le 1er / 13 juillet 1878… Le
traité de Moscou la rendra aux Turcs en 1921 !
[12] Du nom du futur général
André Pommiès [1904-1972]. Lire L’Organisation
de Résistance de l’Armée le Corps Franc Pommiès, 49e R.I., t. I
« La Clandestinité » et t. II « La lutte ouverte » par le
général Marcel Céroni, t. III « Vers la Victoire » par René Giraudon,
respectivement : Éditions du Grand-Rond, Toulouse, 1980 ; impr. du
Parc, Muret, 1984 ; Signes du Monde, Toulouse, 1995.
[13] Voir le Cimetière militaire
de Bennevise, à côté de Rupt-sur-Moselle, RN66 ; lire le témoignage du
comte Serge Obolenski, p. 10-11 de « Par le sceau du sang (Pour les
futures relations franco-russes) », Vozrojdénié,
n° 46, octobre 1955, p. 5-15 qui parle de ce combattant mentionné « mort
pour la France » ; et celui de Fernand Unvois dans Étoile noire (n° 17, nouvelle série)
repris dans René Giraudon (op. cit.,
p. 187, 205, 435).
[14] Il avait refusé de faire
appel à sa famille (au général de division K. von Fenchau du Régiment de
grenadiers de la garde impériale montée, le gouverneur de Sedlets) pour entrer
dans le corps des Pages, où il avait été inscrit très jeune. S’il fut un Cadet,
il ne semble pas, bizarrement, qu’il appartînt jamais à l’Union générale des
Cadets qui se forma dans l’émigration (voir le Courrier mensuel de cette Union, édité par Alexeï Alexeiévitch
Guéring)
Les renseignements qui
suivent sont tirés du récit autobiographique publié en feuilleton dans Vozrojdénié, sous le titre « Il y a
quarante ans de cela. Pour une histoire des organisations monarchistes russes
après 1917 », dans les numéros 109 (p. 87-110), 110 (82-102), 111
(104-123), 112 (69-87), 113 (92-106), 114 (66-84), 115 (104-123), 116 (85-104),
de janvier à août 1961. Publication interrompue pour des raisons que nous
ignorons, peut-être à cause de la longueur de certains passages d’un document
trop volumineux pour une revue, fût-elle épaisse.
[15] Pour lesquelles il reçoit
trois citations à l’Ordre de Saint-Georges.
[16] Kouzma Minine : boucher
de Nijni-Novgorod, ardent patriote qui par son sang-froid et son esprit
d’organisation sut collecter les fonds nécessaires à la levée de l’armée
populaire russe pour lutter contre la domination suédoise sur la ville, prise
en 1611. Symbolise le renouveau national et religieux, notamment par les
dernières paroles célèbres de son appel aux concitoyens : « gageant
ma maison, ma femme et mes enfants, je suis prêt à tout donner pour le bien et
le service de la Patrie».
Ce sont les éditions Kouzma
Minine qui éditent les Chansons de la
Contre-révolution en 1921, sous les initiales « M. S. R. ». Des
premiers écrits de Raslovlev nous sont connus : « Aux victimes du
devoir » (1911) ; une parodie militaire du poète Valmont (« Je
veux être le Hardi… », été 1917), une petite satire « Comme se
repentent les oiseaux » (été 1917) ; « À qui la
faute ? » (hiver 1917-1918) publié pour la première fois dans le
numéro unique de Vestnik zakonnosti,
le « Courrier de la légalité » (Sébastopol, 1920), puis dans Vozrojdénié (février 1961, n° 110, p.
100-101) ; « Conte éternel » (11 juin 1918, dans Vozrojdénié, mars 1961, n° 111,
p. 104-106).
[17] La reine Olga de Grèce
[1851-1926] était la fille du Grand Duc Constantin Nikolaiévitch et la
princesse Nicolas de Grèce n’était autre que la Grande Duchesse Hélène de
Russie.
[18] Fondé par Fernand Neuray
[1874-1934] ancien collaborateur de l’Avenir
du Luxembourg et dirigeant du XXe
siècle, le 16 mars 1918, ce « journal quotidien d’union
nationale » paraîtra jusqu’au 30 septembre 1940, reprendra sa parution le
6 septembre 1944 avant de sombrer le 31 décembre 1956 (le journal qui reprendra
le nom en le sous-titrant « organe du Parti national » fera long feu
en 1961). Y collaborent au tout début Jacques Ochs [1883-1971] peintre, Adolphe
Hardy [1868-1954] poète, Pierre Girieud [1876-1948] peintre en 1925,
Stanislas-André Steeman [1908-1970] romancier à partir de 1925. La
participation du petit André Franquin [1923-1997] n’est qu’anecdotique en 1934.
Y écrivent après 1945 Camille Biver [1917-] poète, André Monnier-Zwingelstein
[1891-1985] romancier, Jean Painlevé [1902-1987] cinéaste en 1948, Georges Sion
[1913-] écrivain. Certes, Léon Daudet parle du journal dans Vingt-neuf mois d’exil, chap. « La
réaction nationale en Belgique : La
Nation belge, l’affaire Loewenstein », Grasset, 1930. Pire, Léon
Degrelle [1906-1994] lui-même y écrit en 1926, et Charles d’Ydewalle [1901-],
en même temps.
Maurras, Bourget et Barrès étaient
les trois idoles de l’Action Catholique de la Jeunesse Belge : on aura
compris que Degrelle appréciait donc le Péguy de l’Action française. Et, à
défaut de Charles d’Ydewalle (qui ne cite Péguy que comme auteur de la trilogie
Jeanne d’Arc en 1897 dans Ma Flandre que voici en 1974 et comme
celui qui dit France, « omettant
volontairement l’article, comme on dirait Jeanne ou Marie » dans Confession d’un flamand, Bruxelles,
Pierre de Méyère, 1967), non seulement Léon Degrelle mais aussi José Streel
[1911-1946]. Le second a consacré à Péguy son mémoire de philologie romane à
l’Université de Liège (coll., In
memoriam. Léon Degrelle et le rexisme, Toison d’Or, 1995). Le premier
connaît Péguy comme ami de Psichari – dont il connaissait personnellement le
père – et l’imita en poésie dans Notre-Dame
de la Sagesse (d’après Pol Vandromme – ce même Vandromme qui, l’assimilant
à l’extrême droite nationaliste, n’apprécie guère Péguy mais en écrit un
article, « Péguy : un vieux de la vieille », dans Pourquoi pas, 8 avril 1987, repris sous
le titre neutre « Charles Péguy » dans son Journal de Lectures, L’Âge d’Homme, 1992 –, Le loup au cou de chien : Degrelle au service d’Hitler, Nathan
/ Labor, 1976, p. 17, 23 ; Jean-Michel Étienne, Le Mouvement rexiste jusqu’en 1940, Colin, 1968, p. 9).
En 1951, le vent a
définitivement tourné et Péguy reste pour la jeunesse catholique belge à la
fois un « maître à penser » (à côté de Daniel-Rops et Gabriel Marcel
ou encore Georges Bernanos) et un écrivain communautaire (premier devant
Emmanuel Mounier, Paul Claudel, le père Congar ou Teilhard de Chardin). Sondage
réalisé par Rencontres d’amitié à
Bruxelles en 1951 et cité dans « Une enquête sur les Maîtres à
penser », s. n., La Nation Belge,
17 avril 1951.
[19] Martin Conway, Collaboration in
Belgium. Léon Degrelle and the Rexist Movement (1940-1944), New Haven and
London, Yale University Press, 1993, p. 7-14. Parmi la cinquantaine de titres dépouillés aux
alentours de 1940 et 1944 (du Pays réel
à L’Avenir, en passant par la Gazette ou le Courrier de Charleroi) ne figure pas La Nation belge, qui eut une attitude attentiste pendant la montée
du rexisme : par « réalisme
tactique », elle défend la « politique
de neutralité » mais ne « met
pas sur le même pied la France et l’Allemagne : on n’avait rien à craindre
de Paris et l’on avait tout à redouter de Berlin » (Pol Vandromme, op. cit., p. 112) ; pourtant,
elle critique Paul-Henri Spaak en octobre 1936 (Pierre Daye, Léon Degrelle et le rexisme, Fayard,
1937, p. 199) ; elle ne fait pas partie du front des grands
quotidiens opposés à Rex en 1937 et
déclare à l’occasion du face-à-face Van Zeeland / Rex le 11 avril 1937 :
« Il faut voter contre un régime qui
nous mène à la dictature du Front populaire et non pas contre un homme
parfaitement honorable. Abstenez-vous pour le moins. » (Marc Magain, Léon Degrelle. Un tigre de papier,
Didier-Hatier, Bruxelles, 1988, p. 14, 98).
[20] Bradford C. Snell, American Ground Transport. A proposal for
restructuring the automobile, truck, bus and rail industries, United States
Government Printing Office, 26 février 1974, cité par Paul Plaganis dans
« Henry Ford was not Oskar Schindler », Natca Voice ; lire aussi Ann
Leonard, « Corporations and Conscience », New York Times Washington
Post, 1er décembre 1998 ; Peter Gilmore, « Corporate deals zith
nazi Germany », Pittsburgh, United Electric News, décembre 2000.
[21] M. Raslovlev, « Les leçons du passé. Pour le quarantième anniversaire de
Février », Vozrojdénié, n° 62,
février 1957, p. 143-149 ; « 39e anniversaire de la forfaiture
d’Ekaterinbourg : toujours les mêmes anniversaires », Vozrojdénié, n° 67, juillet 1957, p.
82-86.
[22] Les deux réformes
orthographiques, dont il était question en Russie depuis plusieurs années,
furent adoptées par deux décrets allant dans le même sens : celui du
Commissaire du peuple à l’éducation (23 décembre 1917) puis celui du Conseil
des Commissaires du peuple (10 octobre 1918).
[23] Lire l’annonce de cette
association parue, au nom de Serge Lifar notamment, dans Vozrojdénié (« Monument de l’émigration russe », n° 170,
février 1966, p. 130-131), peut-être sous la plume de Raslovlev.
[24] Lire en particulier sur ce
point son Dit de la Sainte Russie,
dans Vozrojdénié, n° 99, mars 1960,
p. 12-25. Voir aussi le compte rendu par Nicolas Vladimirovitch Stanyoukovitch
de « Sainte Russie. Anthologie de
vers d’inspiration religieuse traduits du russe par Michel
Raslovlev », Vozrojdénié, n° 79,
juillet 1958.
[25] M. Raslovlev,
« Pourquoi est-ce important (À l’occasion du quarantième anniversaire de
la forfaiture d’Ekaterinbourg) », n° 79, juillet 1958, p. 42-44.
[26] M. R[aslovlev], « Terre
Sainte », Vozrojdénié, n°, 19.
L’usage de ces initiales se retrouve pour les articles « Écho à un recueil
de vers de Ivan Oumov » (inconnu autrement par le recueil L’Hôte invisible, États-Unis, 1949, en
russe), Vozrojdénié, n° 36, 1954 et
son compte rendu de D[aniel]. Ye[rmolaïévicth]. Skobtsov[-Kondratiev] (le mari
de Mère Marie), Trois ans de révolution
et de guerre civile dans le Kouban paru dans Vozrojdénié, n° 118, 1961, p. 118-119.
[27] Colin Holmes, « New light on the Protocols of Zion », Patterns
of prejudice, vol. XI, n° 6, nov.-déc. 1977, p. 13-21 ; Gisela C.
Lebzelter, Political Anti-Semitism in
England. 1918-1939, Oxford, Macmillan Press, 1978, p. 25 ; Colin
Holmes, Anti-Semitism in Britannic
society. 1876-1939,
Londres, Arnold, 1979, p. 151-155.
[28] Journal qui en fit part dans
les numéros des 16, 17 et 18 août 1921 : « The truth about the
Protocols : A literary forgery ».
[29] « Russian in Elders of Zion expose identified »,
17 février 1978 ; « faussaire » révélé par Clifford Longley en
1975.
[30] Lettre de 1927 au Times.
[31] Titre d’un récit historique
romancé qu’il écrivit plus tard sur cet aspect de son activisme politique.
[32] Année où Vladimir
Kirillovitch Romanov, seulement « Curateur du Trône » depuis 1917,
dans l’ignorance du sort des héritiers du trône restés en Russie, devient
Empereur à part entière, alors que certains membres de la dynastie ne le
reconnaisse pas.
[33] Voir le plus récemment
Jean-François Moisan, Contribution à l’étude
de matériaux littéraires pro- et antisémites en Grande-Bretagne (1870-1983). Le
mythe du complot juif. Les Protocoles des Sages de Sion. Le cas Disraëli,
thèse, Paris-XIII, 1987 ; Jean-François Moisan, « Les Protocoles des
Sages de Sion en Grande-Bretagne et aux U.S.A. » in Pierre-André Taguieff, Les
Protocoles des Sages de Sion, 2 vol., Berg International, 1992, vol. 2, p.
163-216.
[34] M. R[aslovlev], « À
l’occasion de la disparition de la Grande-duchesse Xénia Alexandrovna », Vozrojdénié, n° 101, mai 1960,
p. 133-134. C’est avec assurance que l’on reconnaît Raslovlev à ses
initiales et nous proposons également de lui attribuer les articles écrits sous
les pseudonymes jusqu’alors non éclaircis « Delaube » et
« Lelecteur » (sous ce même alias peu original ont aussi paru deux
comptes rendus dans la Revue de l’amitié
de Vyborg : de V[ikentiy Vikentiévitch] Veressaïev, Gogol vivant, n° 11, 1934, p. 28 ; et de M. Kourdyoumov [alias
Marie Alexandrovna Kallach, 1885-1954], Un
cœur troublé, n° 1, 1935, p. 26-28). Voir Delaube, « À la radieuse
mémoire de l’Impératrice Alexandra Féodorovna », Vozrojdénié, n° 127, juillet 1962, p. 38-62 ; Lelecteur,
« Situation de la recherche en histoire en U.R.S.S. », Vozrojdénié, n° 120, 1961 ;
Lelecteur, c. r. des Notes du prêtre Alexandre
[Viktorovitch] Eltchaninov [1881-1934], Vozrojdénié,
n° 135, mars 1963, p. 124-126. Ce sont les derniers articles de Raslovlev
publiés à Vozrojdénié.
[35] M. Raslovlev, « À
l’occasion de la disparition de la Grande-duchesse Hélène Vladimirovna », Vozrojdénié, n° 64, avril 1957,
p. 126-127.
[36] Sous le titre Le jardin clos de Tévanghir. Conte oriental,
Éd. La Bruyère, 1980.
[37] L’Action intellectuelle,
Niort, 1933.
[38] « Votre poème, Les Voix glorieuses, est empoignant, magnifique et doit être, buccalement, d’une envolée
irrésistible », écrivit Paul Fort en remerciement à Michel Raslovlev,
qui lui avait dédié le livre.
[39] Compte d’auteur, 1958.
[40] Compte d’auteur, 1977 ;
deuxième éd. : 1987.
[41] M. Raslovlev, Regrets vieux-jeu, 1950 ; Le Soir est là, 1952 ; Qui a rimé rimera, 1954 ; Boutades ou facéties, 1957 ; Malgré l’hiver, 1972.
[42] Voir sa bibliographie
complète de 1927 à 1967, pour l’essentiel aux éditions Le Divan, dans Jean
Loisy, Un certain choix de poèmes
(1935-1965), Points et Contrepoints, 1968, p. 288. Ce même Jean Loisy,
qui reçut le Grand prix de poésie de l’Académie française en 1982, avait écrit
en 1942 Le Mystère de Jeanne et de Péguy
(Laffont, 1945) et logeait dans son anthologie aussi bien Charles Maurras (à qui Pourtal de Ladevèze
dédie un de ses poèmes…) qu’Yves Gandon et Jean-Victor Pellerin (deux
pasticheurs de Péguy. Une autre dédicace de Pourtal de Ladevèze nous apprend sa
slavophilie : « à madame la comtesse Rohozinska ».
[43] M. Raslovlev, « À
l’occasion de la disparition du comte K[onstantin] N[ikolaïévitch] de Rochefort
[1875-1961] », Vozrojdénié, n°
111, mars 1961, p. 125-126.
[44] Compte d’auteur, Montréal,
1976.
[45] Rosseels Printing Co,
Louvain, Belgique, 1977.
[46] Jean Guillaume, baron Hyde
de Neuville [1776-1857], homme politique et conspirateur bien propre à
intéresser Raslovlev !
[47] Sur l’histoire de cette
revue après-guerre, contacter Nataliya Birchler, chemin du Petit-Montfleury 8,
1290 Versoix, Suisse. Refondé en janvier 1949, « l’organe indépendant de
la pense nationale » devient en 1955 mensuel et cesse définitivement de
paraître en mars 1974 après le numéro 243. Le prince Obolenski se fit aider de
Vladimir A. Zlobine (1959-1960), de Igor K. Martynovski-Opichnya (1959-1960) et
de Jacob Nikolaïévitch Zorbov (1959-1961). Écrivirent dans cette revue
anti-S.R. Nina Berbérova, Ivan Chmelev, Zinaïda Hippius, Georges Ivanov,
Vladimir Jankélévitch, Alexandre Kojevnikov dit Kojève, Serge Makovski, Irina
Odoïevtséva, Boris Poplavski, Alexis Rémizov, Fédor Stépoune, Nadejda Teffi,
Youri Térapiano, Henri Troyat, André Volkoff, Boris Vychestlavtsev, Boris
Zaïtsev, Vladimir Zlobine…
[48] « Peut-on traduire
Pouchkine ? », mai 1949, n° 3, p. 110-122.
[49] « Traduction de Leconte
de Lisle », juin 1951, n° 15.
[50] « La muse politique de
Tioutchev », 1954, n° 31, p. 162-170 ; article qui deviendra l’essai Le Barde slavophile. Fédor Tutcheff, Éd.
La Bruyère, 1982.
[51] « Ivan Ivanovitch
Tkhorjevski et les dix ans des cahiers Vozrojdénié »,
janvier 1959, n° 85, p. 12-18. L’article finit sur un poème écrit « à
l’occasion de la mort d’Ivan Ivanovitch Tkhorjevski ».
[52] Le lecteur intéressé
trouvera ses articles dans presque chaque livraison : « À la mémoire
d’A[lexandre]. A[lexandrovitch]. Bachmakov », juillet 1949, n° 4,
p. 161-163 ; poème « Les alouettes », 1952, n° 21, p.
157 ; « La chanson de Chvartz », 1956, n° 36 , p. 146 ;
« La Némésis de l’histoire », 1956, n° 55, p. 36-43 ; 1957, n°
61, 62, 64, 67 ; 1961, n° 109, 110, 111, 112-118.
[53] Éd. La Bruyère, 1981.
[54] Éd. La Bruyère, 1983.
[55] Éd. La Bruyère, 1985.
[56] Lire son dernier livre à
notre connaissance : Ivan Bounine.
1870-1953, Éd. La Bruyère, 1987.
[57] Polygraphe libéral et
élitiste auteur de Les Lois
psychologiques de l’évolution des peuples (Alcan, 1894) et de Psychologie des foules (Alcan, 1895),
personnage scientifiquement peu sérieux, sans être tout de même le précurseur
du fascisme que l’on a prétendu qu’il était, comme le montre la biographie de
Benoît Marpeau, Gustave Le Bon, parcours
d’un intellectuel, CNRS éditions, 2000.
[58] Librairie générale,
1935 ; deuxième éd. : Magasin du livre, 1965.
[59] « Un printemps qu’on
attend », Vozrojdénié, n° 61,
janvier 1957, p. 95 : poème traduit du français en russe par
l’auteur !
[60] Impr. Guillo, 1962 ;
deuxième éd. : 1964.
[61] 1951, n° 18 ; 1952, n°
21 ; 1954, n° 36 ; 1960, p. 99. Vozrojdénié
publie en revanche « Un printemps qui s’attarde » (n° 61, janvier
1957, p. 95) « directement » traduit du français, sans parution
française préalable !
[62] Compte d’auteur, 1958.
[63] 1953, n° 25, p. 79-84.
[64] Deux extraits des
« Symphonies héroïques », 1956, n° 56, p. 81-83 ; juin 1958, n°
78, p. 54-58 (avec notice introductive).
[65] 1960, n° 97.
[66] N° 57, traduction aux
p. 18-21 ; article « Charles Péguy, prophète de l’Espérance »
aux p. 21-25.
[67] Compte d’auteur, 1979, p.
41-44.
[68] Cote B 5293[2].
[69] Péguy se maria civilement en
1897 avec la sœur de son meilleur ami de classe, le socialiste Baudouin, qui
mourut peu de temps avant <le mariage> (N.D.A.).
[70] Librairie et maison
d’édition dès 1913 et en activité jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, sise au
17 rue Cujas et connue pour ses publications slaves (russes et serbes) et pour
son édition de thèses. Seule la librairie reprit apparemment après-guerre
(N.D.T.).
[71] En français dans le texte
(N.D.T.).
[72] Jamais il ne put oublier que
son héroïne préférée avait été jugée et condamnée par des autorités ecclésiales
catholiques (N.D.A.).