Gabriel Monod – Charles Péguy :

Vie et mort d’une amitié d’intellectuels.

Extraits de leur correspondance inédite (1900-1911)

 

 

 

Issu, comme tous les Monod connus aux XIXe et XXe siècles, du mariage de Jean Monod (1765-1836) et de Louise de Coninck (1775-1851), fils d’ةdouard Monod (1799-1887), Gabriel-Jacques-Jean Monod (Ingouville, 1844 – Versailles, 1912), entre à l’E.N.S. grâce à une dispense d’âge (1862-1865) et en sort agrégé d’histoire – premier devant son ami Lavisse – pour poursuivre ses études supérieures aux universités de Berlin et Gِttingen (1867-1868). C’est Michelet qui lui révèle sa vocation d’historien.

Sa carrière d’enseignant commence au lycée de Laval mais, promu, grâce à une recommandation de Lavisse auprès du ministre Victor Duruy, répétiteur (1868-1877), avec James Darmesteter pour collègue, de la toute nouvelle ةcole pratique des hautes études, il y fait carrière et en devient directeur adjoint (1877-1892) puis directeur d’études (1892-1895) et enfin président de la IVe section (1895-1905), celle des « sciences historiques et philologiques ». Il succède à Gaston Paris à la présidence de cette ةcole en 1896.

Mais c’est à l’ةcole normale supérieure[1] que Monod avait été le professeur de Péguy pour l’histoire médiévale et moderne en 1894-1897. Début d’une amitié entre les deux hommes qui n’a fait pour l’heure l’objet d’aucune étude[2]. C’est encore à l’ةcole normale que, le 20 décembre 1897, Péguy se trouve au côté du carré Albert Monod[3] (1877-1922) pour protester contre l’élection de Léon Ollé-Laprune à l’Institut.

On connaît l’anecdotique libération de Péguy par Monod au commissariat de police : le 18 juillet 1898, jour de la condamnation de Zola, Gabriel Monod accepta d’aller au commissariat de Versailles demander l’élargissement de Péguy arrêté lors d’une échauffourée, pour violence à agents. Péguy fut effectivement relâché grâce à cette intervention, et en resta reconnaissant envers Monod.

Gabriel Monod se vit donc défendre par Péguy dès 1899. Il avait été accusé par Paul Lafargue, dans une lettre à Jaurès du 15 juillet 1899, d’avoir autoritairement clos, lors d’une réunion publique qu’il présidait, l’intervention d’un militant antimilitariste. La réponse de Péguy dans La Revue blanche (« L’affaire Dreyfus et la crise du parti socialiste », 15 sept. 1899) ne se fit pas attendre : « […] il suffit de connaître, si peu que ce soit, le caractère de M. Gabriel Monod pour savoir, comme il l’a du reste formellement déclaré peu de jours après, qu’il n’a jamais présidé aucune réunion publique et qu’il est justement partisan de la suppression des conseils de guerre en temps de paix »[4].

L’on sait que Gabriel Monod fit, par la suite, partie des abonnés aux Cahiers de la quinzaine dès 1900[5], tout comme son fils Bernard[6], en qualité d’« archiviste », son cousin Augustin Monod[7], ou encore Wilfred Monod le pasteur[8].

Mais la correspondance complète de Gabriel Monod et Charles Péguy, source majeure de ce que nous pouvons apprendre de leur relation, reste en grande partie inédite et comporte à notre connaissance[9] vingt-et-une pièces, auxquelles peuvent se rattacher deux lettres publiées aux Cahiers de la quinzaine[10] et une lettre de Gabriel Monod à Daniel Halévy révélant l’opinion intime de Monod sur Péguy[11]. Nous en extrairons ci-après l’essentiel[12], en nous appuyant à l’occasion sur ce que Péguy, dans ses œuvres, écrit de Monod.

 

Le premier document de la correspondance Gabriel Monod – Charles Péguy est une lettre à en-tête du bureau de la rédaction de la Revue historique[13] (CORCQ-IV-62, inv. 3462.), qui montre le total accord politique de Monod et Péguy en 1900.

 

Paris, le 4 Mars 1900

 

Cher ami,

Je vous envoie le supplément nécessaire de ma contribution à vos excellents Cahiers que je lis avec beaucoup d’intérêt[14]. Je vois avec douleur le parti socialiste déserter le terrain des principes moraux sur lequel il avait réuni autour de lui un si grand nombre de sympathies parmi des gens qui ne croient pas ses dogmes collectivistes, mais qui désirent une transformation de plus en plus socialiste de la société – pour ne s’occuper que de politique socialiste et de questions de personnes... Mais le parti socialiste souffre naturellement des mêmes vices qui corrompent l’action de tous les partis français. Heureusement le mouvement d’enseignement populaire qui entraîne aujourd’hui toutes les bonnes volontés et qui est sorti directement du mouvement dreyfusiste, maintiendra entre les intellectuels et le monde ouvrier l’union que le despotisme et l’égoïsme des guesdistes en particulier travaillent à détruire[15].

Votre tout dévoué,

G. Monod

 

Péguy et Monod sont encore dans le même camp lorsqu’il s’agit de soutenir Bernard Lazare dans sa lutte contre les violences anticléricales : Péguy défend Monod lorsque ses opinions sont déformées par Yves Guyot[16], lorsqu’il est attaqué par Ferdinand Buisson[17], par Gabriel Bertrand[18], par Henry Bérenger[19] et enfin par Georges Clemenceau, qui « a querellé l’homme le plus innocent, le plus dévoué, le plus innocemment dreyfusiste, M. Gabriel Monod[20] ».

Quand Péguy recevra le désabonnement personnel d’ةmile Terquem (1870-?) et le désabonnement, en son nom, de l’Université populaire de Versailles, c’est donc à Gabriel Monod que l’administrateur des Cahiers André Bourgeois écrira sur ordre de Péguy, le 31 juillet 1903 (CL-I-90), pour savoir auprès de qui obtenir le réabonnement de cette Université. On ne sait quelle réponse donna Monod dans l’immédiat ; toujours est-il que Monod fit part le 24 janvier 1907 à Péguy (CORCQ-IV-62 ; inv. 3469) qu’il abonnait l’Université populaire de Versailles et que, de plus, la marquise Arconati-Visconti[21] versait une subvention aux Cahiers pour l’envoi d’une collection à cette même Université. Subvention dont Péguy se réjouit dans une lettre à Monod (CL VIII-354) du 16 mai 1907.

Ce n’est pas la seule aide aux Cahiers à mettre au compte de Gabriel Monod, qui abonne ainsi son aîné ةdouard Monod le 19 janvier 1904[22], tout en approuvant « ex imo corde » ce que Péguy pense des dangers de l’entraînement[23] et de la nouvelle ةcole normale[24]. Monod abonnera encore la Bibliothèque cantonale de Lausanne[25] – l’énigmatique « reçu une excellente lettre de M. Gabriel Monod »[26] laissant quant à lui entendre que, par la lettre dans laquelle il abonnait la Bibliothèque cantonale de Lausanne, Monod approuvait encore certaines positions prises par Péguy, peut-être contre le pacifisme. C’est donc à bon droit que, avec humour, Monod se nomme « acheteur en gros » des Cahiers[27] : il avait le compte 33 aux Cahiers !

Un incident dans l’accomplissement d’une commande de cahiers en février 1904, mettant d’abord l’administration des Cahiers en cause puis le payeur Gabriel Monod[28], ne brouille en rien l’amitié entre les deux hommes. Au contraire, il témoigne de ce que Péguy connaissait une bonne partie des enfants Monod : Jeanne Monod fait envoyer un cahier à un certain « M. Amphoux », qui deviendra son mari[29], et Bernard Monod passe à l’occasion à la Boutique des Cahiers. Ce dernier était effectivement devenu un habitué de la Boutique des Cahiers comme des bureaux du Mouvement socialiste, qu’il soutint dès leur fondation[30]. Peut-être connut-il Péguy par l’intermédiaire d’un très cher ami rencontré à Naples à l’été 1901 : ةtienne Avenard (Gabriel Monod, In memoriam Bernard Monod, Versailles, impr. Cerf, 1908, p. 46). Bernard Monod fera un compte rendu du cahier de Louis Gillet sur Les Primitifs français (CQ VI-7, 20 décembre 1904). On sait par une lettre à Malwida de Meysenburg qu’il apprécia beaucoup le Beethoven de Romain Rolland (CQ IV-10, 27 janvier 1903).

Gabriel Monod se permet par la suite de recommander un certain Julien Crémieux pour l’imprimerie des Cahiers[31] et suggère à Péguy de proposer cet emploi à M. Crémieux père, qui souscrirait aisément, en échange, à la commandite des Cahiers – et n’est-ce pas le même « Julien Crémieu »[32] qui prendra effectivement en juin 1909, pour imprimer les Cahiers, le relais d’Ernest Payen, alors en difficulté financière ?

Toujours est-il que Monod aide de lui-même Péguy et que Péguy de lui-même fait appel à Monod : le 5 janvier 1905[33], Péguy cherche à abonner aux Cahiers la bibliothèque de l’ةcole libre des Sciences politiques par l’entremise de Monod, dont il se demande s’il ne connaîtrait pas ةmile-Gaston Boutmy[34]. Pourtant, Monod venait d’émettre (le 29 décembre 1904) une réserve quant à l’attitude, dans l’affaire des fiches, de Bouglé[35] à l’égard de la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen, dont lui Monod était un des cofondateur (CORCQ-IV-62, Inv. 3465) :

 

Mon cher ami,

Je suis absolument d’accord avec vous dans le jugement à porter sur la réponse de Pressensé[36]. Il a eu très grand tort au lieu de s’associer purement et simplement au blâme que Rist[37], Comte[38] et vous aviez formulé contre la délation systématique organisée par la Franc-Maçonnerie au Ministère de la Guerre, d’entrer dans une série de distinguos qui sont peut-être à leur place dans la presse ou à la tribune du Parlement mais qui ne conviennent pas à une Ligue chargée de défendre des principes ou des individus lésés dans leurs droits.

Mais je ne suis pas d’avis, après vos protestations et celles de Reinach, Bourgeois et Guieysse[39], de faire la démarche nouvelle à laquelle vous me demandez de m’associer. Elle pourrait amener beaucoup de ligueurs à quitter la Ligue et j’estime que, malgré les erreurs commises par beaucoup de sections et par le comité central, elle rend encore et peut rendre beaucoup de services. J’ai dû déjà retenir plus d’un membre prêt à donner leur démission, croyant que Reinach, Comte et Guieysse avaient quitté la Ligue avec le comité central. Et je suis si dégoûté en voyant les modérés, les Picot[40], P. Leroy-Beaulieu[41] et tutti quanti, se mettre à la remorque des nationalistes pour protester au nom de la Légion d’Honneur après avoir joué le rôle de chiens muets quand la Légion d’Honneur protégeait Esterhazy et chassait Zola et Pressensé, que je n’ai aucune envie de hurler avec eux. Nous ne pouvons pas empêcher la politique de jouer le premier rôle dans tout cela. Et c’est pour cela que le Comité aurait dû d’un seul mot se dégager de la question politique et dire simplement qu’il condamnait avec tout le monde des pratiques blâmables et était prêt à travailler à la réparation des injustices que ces pratiques auraient pu provoquer. –

Est-ce que vous n’avez pas l’intention de poser votre candidature à la succession d’Henry Michel ? Si l’on ne transforme la chaire, vous me paraissez le plus désigné des philosophes[42].

Recevez mes vœux bien affectueux pour vous et les vôtres et croyez à mes sentiments très dévoués,

Gabriel Monod

 

Lettre que Péguy publia, sans demander l’autorisation de son auteur, dans Textes formant dossier[43], ce qui lui valut, dès le 1er février 1905, deux nouveaux messages, dont l’un – du 1er février – était destiné à la publication (CORCQ-IV-62, inv. 3466) et dont l’autre – du 2 février – demandait instamment la publication du premier (CORCQ-IV-62, inv. 3472). L’enveloppe qui les réunissait portait la mention « très pressé / faire parvenir ».

Conformément au souhait de Monod, Péguy reproduisit cette lettre de protestation dans le cahier suivant, La Délation aux Droits de l’homme. Elle précisait notamment : « Dans cette lettre intime, écrite à la hâte et dont vous n’avez donné qu’une partie, j’avais eu le tort de critiquer des hommes que j’aime et j’estime entre tous, dans des termes dont je déplore la vivacité et qui dépassent de beaucoup ma pensée. Vous avez eu raison de penser que je n’en aurais jamais autorisé la reproduction. En les reproduisant, vous m’avez fait commettre, malgré moi, une mauvaise action. »[44] L’autre message, prière d’insérer, expliquait le chagrin conçu par Monod : « Votre introduction[45] montre que vous n’avez nullement compris la mauvaise action que vous commettiez. Grâce à vous, je viens d’avoir une nuit blanche et j’en aurai sans doute d’autres encore. Je n’avais pas besoin de ce surcroît de chagrin dans un moment où je suis malade à force d’être malheureux[46]. Ne venez pas me voir ; je ne reçois pas de visites en ce moment. » Ainsi donc Péguy, éditeur un peu leste, ne parvenait pas à faire perdre à Monod sa bienveillance universelle en l’entraînant dans des « personnalités », que Péguy ne trouvera d’ailleurs, plus tard, à la réflexion, guère compromettantes.

Mais Monod se méfiait désormais ; en témoigne, un an plus tard, un doute dont il fait part à Péguy, dans une lettre du 31 décembre 1905 (CORCQ-IV-62, inv. 3467) : « Je vous serais très obligé de m’expliquer pourquoi les volumes de Jean-Christophe qui valaient 2 F, valent 3 F 50. Est-ce parce que le succès en augmente la vente ? J’avais envie de faire cadeau de quelques volumes, comme je l’ai déjà fait naguère; mais j’ai été arrêté par l’inquiétude d’être trop naïf. » Péguy a répondu à cette critique spirituelle non directement mais indirectement, à savoir dans un cahier[47] :

« Notre vieil abonné M. Gabriel Monod veut bien me demander pourquoi les deux premiers Jean-Christophe, L'Aube et Le Matin qui valaient deux francs l'un dans l'édition des cahiers, qui en est la première édition, valent aujourd'hui et sont rnarqués trois francs cinquante. Dans cette même édition. Mon cher maître, ils vaudront beaucoup plus quand ils seront définitivement en voie d'épuisement. Et ils vaudront un prix infini, révérence garder et mathématiquement parlant, quand ils seront définitivement épuisés, en langage ordinaire quand il n'y en aura plus, en mathématique langage quand il y en aura zéro.

M. Gabriel Monod, dont je m'honore d'être un ancien élève dans l'ancienne école normale, était je pense, un de ces anciens abonnés qui se sont un peu demandé quelquefois si j'avais bien les qualités requises d'un administrateur ; l'événement les a rassurés ; ma réponse aujourd'hui achèvera de le rassurer. Je serais un mauvais gérant, je conduirais mal cette gérance et la gestion de ces cahiers dont j'ai la charge et la responsabilité si je négligeais pour eux cette plus-value commerciale régulière que donne en matière d'édition l'épuisement même ou la simple menace de l'épuisement. Tout ce que l'on peut nous demander et tout ce que nous rendons en effet, c'est de ne pas spéculer sur l'épuisement de nos collections. »

Péguy se rendit bien compte avoir « glissé » à toute une théorie économique dans sa réponse à Monod[48]. Il ressentait aussi la nécessité de disculper au moins Bouglé dans l’« affaire Monod »[49]. Et d’invoquer les dreyfusards, qui ne se privèrent pas de publier des correspondances privées pendant l’Affaire… En quoi ils ne furent pas exemplaires, certes. Du coup, Péguy introduit de subtils distinguos : la lettre de Monod à Bouglé était non officielle (écrite non ex officio), mais publique (de par son thème), et personnelle (question d’auteur) à la fois. Il n’avait pas fallu moins d’un an à Péguy pour répondre sur le fond à l’indignation de Monod ! Et la mise au point s’accompagnait d’un éloge renouvelé de sa personne : « Le président de la République peut démissionner. M. Gabriel Monod ne démissionnera jamais d’avoir été, d’être Gabriel Monod. […] La haute autorité morale qui s’est attachée au nom de M. Gabriel Monod lui a ainsi conféré une magistrature, d’autant plus indélébile qu’elle est officieuse ». ہ peine Péguy suggère-t-il à mi-mot que Monod aurait pu – comme a fait Péguy – sacrifier quelques-unes de ses amitiés pour l’amour de la vérité ; au lieu que sa réaction à la publication d’une lettre privée un peu emportée montre son souci de ne se mettre aucun homme influent à dos… Mais le débat entre Monod et Péguy, d’idéologique, devient stylistique.

Suite aux remarques stylistiques de Monod dans sa lettre du 31 décembre 1905 (déjà citée pour partie) :

« Pourquoi, cher Péguy, vous qui avez un talent de journaliste si remarquable vous assurez-vous à écrire de temps en temps de façon à ne pouvoir être lu ? Votre cahier sur le patriotisme a failli me rendre enragé : les idées étaient excellentes, mais le macaroni n’est bon qu’en cuisine[50]. Et vous le faites exprès, car à côté vous écrivez très bien. Vous avez appliqué au style le système de la fugue. Vous répétez douze fois la même idée avec une légère transposition de mots. Cela produira la fugue des abonnés. »

Péguy a dû réagir vivement. Monod, du coup, se justifie le 29 mars 1906 (CORCQ-IV-62, inv. 3468) :

 

Cher ami,

Je suis fâché de vous avoir contristé, mais, comme disent les enfants, ce n’est pas moi qui ai commencé. Croyez en tous cas que je n’ai en rien changé dans mes sentiments à votre égard et que vous m’inspirez toujours le même mélange d’étonnement, d’admiration, d’estime, d’affection et de chagrin. En particulier je suis désolé de vous voir persévérer d’une manière de plus en plus accentuée dans votre procédé de style que j’ai qualifié de style fugué qui rend ce que vous écrivez illisible pour un grand nombre des abonnés des Cahiers. Si vous n’aviez pas de talent, ça me serait égal; mais vous en avez beaucoup, et un talent de polémiste très remarquable. Vous pouvez très bien écrire et vous prenez à tâche non pas de mal écrire, car chaque phrase est d’excellent français, mais d’écrire d’une manière exaspérante.

Je ne crois pas que votre idée de mettre les cahiers en commandite[51] soit une bonne idée. Si votre revue donne des bénéfices la commandite est inutile, si elle n’en donne pas, les pauvres commanditaires seront bien marris, et vous serez accusé d’avoir cherché simplement à obtenir de l’argent sous une forme commerciale. J’aimais mieux la forme des abonnements de propagande à 100 F[52]. C’était inédit, original et on savait en vous apportant 100 F que c’était à fonds perdu.

Votre tout dévoué,

G. Monod

 

Dans une lettre du 24 janvier 1907 à Péguy (CORCQ-IV-62, inv. 3469), Monod signale malicieusement qu’il rend de fiers services aux Cahiers, tout en continuant d’en désapprouver le style :

« Avouez que je suis gentil, après ma grande indignation entre nous[53], et quoique malgré mes supplications, vous continuiez à écrire un style, vous qui écriviez si bien lors des premières séries des Cahiers. J’espérais en vous un polémiste moraliste de premier ordre quand vous sauriez concentrer votre pensée et votre style. Au lieu de cela vous avez pris l’habitude de répéter régulièrement douze fois de suite la même chose presque dans les mêmes mots. Quand je vous lis, je deviens enragé. »

L’écrivain ne se vexe pas. Après avoir reçu de Monod un tiré à part d’un sien article « Contre le monopole de l’enseignement », le gérant demande même un cahier à Monod[54] : « Vous savez combien je serais honoré de publier un cahier de vous. Vous n’ignorez pas combien ce serait significatif. / Ma onzième série, qui est la série que nous avons en cours, est plus que pleine. Il faudrait faire un cahier de cet article pour la véritable rentrée parlementaire, qui sera la deuxième entrée de la nouvelle Chambre, en octobre prochain. »

Mais les sentiments de Monod à l’égard de Péguy, même s’il les lui cache soigneusement, semblent avoir évolué ; dans une lettre à Halévy du 25 octobre 1910, Monod déprécie en effet Péguy et demande à connaître le motif de la querelle qui oppose Halévy à Péguy, en des termes peu amènes, même s’ils ont des résonances évangéliques (que nous soulignons) :

« Je pense que vous n’avez jamais songé à en vouloir à ce pauvre garçon qui donne depuis quelque temps des signes si inquiétants de déséquilibre et dont le dernier volume m’a totalement ahuri[55]. Cela me peine, car il y avait en lui de grands côtés, mais une mégalomanie bizarre, vouloir être le seul vrai républicain, le seul vrai socialiste, le seul vrai dreyfusard[56], l’a perdu et les éloges de Barrès l’ont achevé. […] Il m’a joué le pire tour qu’on puisse jouer à un homme[57]. Je ne lui en ai pas voulu ou du moins je lui ai pardonné, car il n’avait pas conscience de ce qu’il avait fait. »

C’est au contraire en des termes très amicaux que Péguy reparlera de Monod dans un passage de Notre jeunesse qui constitue un bel hommage à Monod en même temps qu’à Dreyfus :

« Ce que je sais de plus touchant de lui est certainement cet attachement profond, presque paternel, qu’il a inspiré à notre vieux maître M. Gabriel Monod. M. Monod me le disait encore aux Cahiers il n’y a que quelques semaines. ہ peine. Dreyfus venait d’avoir un deuil, très proche, très douloureux, très fatal, dans sa famille[58]. M. Monod nous le rapportait, nous le contait avec des larmes dans la voix. Il nous disait en même temps, ou plutôt il ne nous le disait pas, mais il nous disait beaucoup plus éloquemment que s’il nous l’eût dit, combien il l’aimait, nous assistions un peu surpris, un peu imprévus, un peu dépassés, parce qu’on ne le croit pas, on ne s’y attend pas, à cette affection profonde, à cette affection sentimentale, à cette affection privée, à cette affection quasi-paternelle, paternelle même qu’il a pour Dreyfus. Nous en étions presque un peu gênés, comme d'une découverte, toujours nouvelle, et comme si on nous ouvrait des horizons nouveaux, comme si on nous avait fait entrer dans une famille sans bien nous demander notre avis, un peu inconsidérément, un peu indiscrètement, tant nous avons pris l'habitude de ne vouloir connaître en Dreyfus que l'homme public, de ne vouloir le traiter qu'en homme public, durement comme un homme public. Laissant de côté, non seulement devant une réalité, mais devant une aussi saisissante, aussi tragique, aussi poignante réalité laissant de côté tout l'appareil des méthodes prétendues scientifiques, censément historiques, laissant de côté tout l'appareil des métaphysiques métahistoriques notre vieux maître, assis, disait, avec des larmes intérieures : On dirait qu'il y a une fatalité. On dirait que c'est un homme qui est marqué d'une fatalité. Il ne sort point constamment du malheur. Je viens de le quitter encore. (Et il nous contait cette dernière entrevue, ce dernier deuil, cette sorte d'embrassement, ce deuil familial, privé.) Je l'ai vu, nous disait-il, ce héros, ce grand stoïcien, cette sorte d'âme antique. (C'est ainsi qu'il parle de Dreyfus, une âme inflexible, un héros, douloureux, mais antique.) Je viens de le voir. Cet homme héroïque, cette âme stoïque, ce stoïcien que j'ai vu impassible et ne jamais pleurer dans les plus grandes épreuves. Je viens de le voir. Il était courbé, il pleurait sur cette mort. Il me disait : « Je crois qu'il y a une fatalité sur moi. Toutes les fois que nous nous attachons à quelqu'un, que nous voyons un peu de bonheur, que nous pourrions un peu commencer d'être heureux, ils meurent. » Nous étions saisis, dans cette petite boutique, de cette révélation soudaine. Quand nous pourrions un peu commencer d'être heureux, n'était-ce point le mot même, le cri d'Israël, plus qu'un symbole, la destination même d'Israël. Et en outre nous voyions passer, venant d'un historien, passant par-dessus un historien, par-dessus les épaules d'un historien, rompant toutes les méthodes, rompant toutes les métaphysiques Positivistes, rompant toutes les disciplines modernes, rompant toutes les histoires et toutes les sociologies nous voyions passer les au-delà de l'histoire. L'arrière-pensée, l'arrière-intention, la mystérieuse arrière-inquiétude, arrière-pensée de tant de peuples, des peuples antiques nous était ramenée, la même, intacte, intégrale, toute neuve, nous était reconduite entière par le plus vieux maître vivant de nos historiens modernes, par le plus respecté, par le plus considéré. Et c'était toujours l'histoire, plus que l'histoire, la destination du peuple d'Israël. L'émotion des autres était décuplée pour moi par cette sorte d'affection presque filiale, par cette sorte de piété secrète que depuis mes années de normalien j'ai toujours gardée pour notre vieux maître. Affection, piété un peu rude on l'a vu[59]. Mais d'autant plus secrètement profonde. D’autant plus filiale, d'autant plus comme personnelle, d'autant plus jalousement gardée. je me sentais dans son affection un peu frère en pensée de Dreyfus, frère en affection, et cela me gênait beaucoup. Nous étions- là. Nous étions des hommes. Le même souffle nous courbait, qui courba les peuples antiques. Le même problème nous soulevait, qui souleva les peuples antiques. Ce problème, cet anxieux problème de la fatalité qui se pose pour tout peuple, pour tout homme non livresque. Et associant dans sa pensée, dans sa parole, sans même s'en apercevoir, tant c'était naturel, tant on voyait que c'était l'habitude, son habitude, associant l'homme et l’œuvre, le héros et l'histoire, l'objet et l'entreprise, partant déjà il nous disait s'en allant : Quelle affaire. Quel désastre. Quand on pense à tout ce qui pouvait sortir de bien de cette affaire-là pour la France. Et en effet on ne savait plus si c'était Dreyfus ou l'affaire Dreyfus qui était malheureuse, qui était fatale, qui était mal douée pour le bonheur, incapable de bonheur, marquée de la fatalité. Car c’étaient bien tous les deux ensemble, inséparablement, inséparément, indivisément, indivisiblement, l'un portant l'autre, l'une dans l'autre. Et déjà il partait, (il était venu acheter une Antoinette, dans l'édition des Cahiers[60]), et nous nous serrions la main, repartant vers nos travaux différents, vers nos soucis différents, vers nos préoccupations différentes. Et nous nous serrions bien la main comme à un enterrement. Nous étions les parents du défunt. Et même les parents pauvres. » [61]

Les dernières lettres échangées sont peut-être un peu plus tendues. Ainsi, dans une carte-lettre du 22 mai 1911 (CORCQ-IV-62, inv. 3471), Monod écrit, à la façon répétitive de Péguy : « Je crois devoir vous dire que beaucoup de vos abonnés sont fort déçus de votre 12e Série[62]. Comme je me sens quelque peu responsable vis-à-vis de quelques-uns d’entre eux, je crois devoir vous le dire. »

Voici enfin, issu des « lettres et articles » conservé dans les annexes d’un dossier sur Le mystère de la charité de Jeanne d’Arc du fonds Saffrey[63], le dernier élément de cette correspondance, lettre de félicitation de Monod à Péguy le 31 juin 1911 :

 

Cher ami,

L’Académie a accompli une bonne action dont je la félicite en accordant le prix Estrade-Delcros au vaillant créateur des Cahiers de la quinzaine[64]. Cela fait joie de voir reconnaître ainsi [sic] solennellement le service rendu par vous à la pensée française et à l’idéalisme le plus élevé en même temps qu’aux bonnes lettres. Je vous félicite de tout cœur de la juste récompense de votre noble labeur.

Votre tout dévoué

G. Monod

 

Les Débats ont célébré votre retour au catholicisme et au patriotisme[65] – cela montre ce qu’est la presse, même intelligente. Ils ignorent que vous avez toujours été patriote enthousiaste et ils prennent votre Jeanne d’Arc[66] pour une profession de catholicisme !! C’est bien la peine d’avoir des lettres !

M. Lieure[67], économe du lycée d’Evreux, qui est un graveur de très grand talent et a exposé il y a quelques années un admirable Zola, vient de faire un beau portrait de Rolland. Je lui ai conseillé de vous demander d’en prendre en dépôt pour les vendre à vos fidèles et à ceux de Rolland. Il trouvera un public chez vous mieux que chez Ollendorff.

Je vous remercie de l’envoi des Pages choisies. C’est un volume excellent que je m’étais déjà procuré – et qui vous fait honneur[68].

 

N.B. : Ma lettre n’est pas destinée à la publicité. Elle est pour vous.[69]

 

Monod avait quitté progressivement l’enseignement à partir de 1903[70]. Il doit subir une opération chirurgicale en 1911 et meurt le 10 avril 1912[71]. Péguy n’évoquera jamais son souvenir…

 

Romain Vaissermann



[1] Monod y enseigna (1880-1904) comme suppléant pendant trois ans sous la direction de Fustel de Coulanges puis comme maître de conférence – et à partir de 1893 en « histoire du Moyen-آge et histoire moderne » .

[2] Lire, cependant, Jacques Viard, « Leroux, Péguy, Havel, ou le retour des refoulés », BACP, n° 56, octobre-décembre 1991, p. 246-252 ; Robert Burac, Charles Péguy. La Révolution et la grâce, Laffont, 1994, p. 96, 129 et 133.

[3] Albert Monod (1877-1922) – fils de Jean-Adolphe Monod, oncle du père de Gabriel Monod, et d’Amélie Rives.

[4] A 242, c’est-à-dire page 242 du volume I des Œuvres en prose complètes de Charles Péguy, éd. de R. Burac, Gallimard, coll. « Bibl. de la Pléiade », 1987 [la lettre B désignera le volume II de 1988 et la lettre C, le volume III de 1992].

[5] Lire la liste dans Feuillets de l’ACP, n° 151, juillet 1969, p. 15 [ACP désigne l’Amitié Charles Péguy].

[6] Bernard Monod (1879-1905) mourut jeune et encore célibataire.

[7] Augustin Monod (1859-1913) – fils d’Horace Monod, frère du père de Gabriel Monod, et de Félicie Gardes –, alors « professeur au lycée Montaigne » après l’avoir été à Louis-le-Grand. En désaccord avec les Cahiers quand il s’en prenne au combisme.

[8] William-Frédéric dit « Wilfred » Monod (1867-1943) – fils de Théodore Monod, oncle du père de Gabriel Monod, et de Gertrude Monod. Wilfred s’indignera (dans le Signal de Paris, 18 novembre 1906), à l’unisson de Péguy (CQ [Cahier de la quinzaine] VIII-5 du 2 décembre 1906 ; B 553), d’un passage d’un discours de Viviani où ce dernier insinuait qu’un pays pouvait très bien vivre « sans idéal religieux » (Le Matin, 9 novembre 1906).

[9] Nous n’avons pu retrouver certaines lettres de Gabriel Monod à Charles Péguy, comme celle à laquelle fait allusion une lettre d’André Bourgeois à Gabriel Monod du 5 octobre 1908 (CL XI-270).

[10] Il s’agit d’une lettre du 2 août 1901 de Gabriel Monod à Yves Guyot (publiée dans « La loi et les congrégations », CQ III-21, 16 août 1902, p. 232-233 et reproduite en A 1003 ; à ne pas confondre avec cette autre lettre de Monod, adressée au Temps, publié dans le même cahier, voir A 1740) relative à la loi sur les associations et d’une lettre de Gabriel Monod à Célestin Bouglé (« Textes formant dossier », CQ VI-9, 24 janvier 1905, p. 91-92).

[11] Christine Beaulieu, « Le conflit de 1910 entre Péguy et Halévy », Bulletin de l’ACP, n° 12, oct.-déc. 1980, p. 219-220.

[12] Remercions ici le Centre Charles Péguy d’Orléans de nous avoir autorisé à consulter et reproduire pour Mil-neuf-cent cette correspondance. Les cotes que nous donnons désormais renvoient au classement établi par ce Centre. « CORCQ » désigne dans ces cotes le fonds des correspondants des Cahiers ; « CL », les volumes de copies des lettres administratives des Cahiers. La ponctuation et l’orthographe de Gabriel Monod, qui ne sont pas irréprochables (il écrit « Clémenceau », « guédistes », « parlement »…), ont été corrigées.

[13] Historien d’enseignement, éminence grise des ministres de l’Instruction publique successifs, Monod est aussi historien de revue et de société érudite. Il fonde d’abord la Revue critique d’histoire et de littérature (1873), qu’il co-dirige avec Gaston Paris, ensuite la Revue historique (1876) avec Gustave-Charles Fagniez (1842-1927) ; il dirigea cette dernière seul à la retraite de Fagniez (1885). Il anime, à partir de 1882, avec Gabriel Hanotaux, la « Société historique », société qui a son centre dans le « Cercle Saint-Simon » (1882-1900), qu’il préside les dix premières années.

[14] ہ cette date avaient paru : les cahiers I-1 (5 janvier 1900), I-2 (20 janvier), I-3 (5 février) et I-4 (20 février). Monod avait donc déjà lu la « Lettre du Provincial » et sa « Réponse », « Le Triomphe de la République » et « L’affaire Liebknecht » (I-1), une « Réponse provisoire » (I-2), « La préparation du congrès socialiste national » (I-2 et 3), « De la grippe » (I-4).

[15] Péguy louera la sérieuse préparation par Monod de ses conférences aux Universités populaires en A 859-860 ; Péguy annoncera aussi (CQ III-12, 5 avril 1902 ; A 1721) Les Leçons de l’Histoire, texte d’une conférence donnée par Monod à l’Université populaire du faubourg Saint-Martin.

[16] « La loi et les congrégations », CQ III-21 du 16 août 1902, p. 232-233 ; A 1003. – Yves Guyot (1843-1928) : économiste et homme politique ; ancien ministre des Travaux publics, directeur du Siècle (1892-1903), membre du comité central de la Ligue des droits de l’homme.

[17] « La loi et les congrégations », CQ III-21, 16 août 1902, p. 240 ; A 1009.

[18] « Pour et contre les congrégations », CQ III-21, p. 206 ; A 1740. – Gabriel Bertrand (1861-1917) : militant socialiste qui adhère au P.S.F. en 1902, collaborateur de La Petite République, secrétaire de rédaction et rédacteur parlementaire à L’Humanité, fondateur avec son frère Pierre de La Revue de France, consul à Moscou.

[19] « Subventionné », CQ IV-4, 20 novembre 1902, p. 68 ; A 1059. – Henry Bérenger (1867-1952) : écrivain (La Conscience nationale, 1898) et homme politique ; franc-maçon, d’abord démocrate spiritualiste puis fondateur de L’Action, républicaine, anticléricale, socialiste ; secrétaire général de la commission d’organisation du congrès de l’enseignement supérieur.

[20] « Cahiers de la quinzaine », CQ V-12, 15 mars 1904, p. 152 ; A 1347. – Péguy fait semble-t-il allusion à l’altercation survenue entre Clemenceau et Monod fin 1903 ; Monod écrivit une lettre ouverte à Clemenceau en faveur de la cassation sans renvoi dans L’Aurore (8 décembre 1903), à laquelle Clemenceau répondit durement (« Le parti de l’éponge », 9 décembre 1903). Monod se défendit de tout « épongisme » dans la même revue le 12 décembre 1903.

[21] Marie-Louise-Jeanne Peyrat de son nom de jeune fille. Cette marquise républicaine tenait un salon dreyfusard fameux à la Belle époque et finança la chaire de Gabriel Monod au Collège de France. Monod fut en effet chargé de cours au collège de France de 1905 à 1910, et y parla de Michelet en « histoire générale et méthode historique ».

[22] Lettre de Gabriel Monod à Charles Péguy sous la cote CORCQ-IV-62. – Gabriel Monod épouse en 1873 Olga Herzen (1851-1953), fille d’Alexandre Herzen, qu’il avait rencontrée auprès de Malwida von Meysenburg lors d’un voyage en Italie en 1866 et avec qui il s’était alors fiancé. Il en a quatre enfants, dont l’aîné est ةdouard Monod-Herzen (1873-1962), artiste ciseleur, qui se mariera quatre fois.

[23] Voir CQ V-7, 5 janvier 1904, A 1263 et 1269-1273.

[24] Cf. les avis exprimés par Péguy dans CQ V-7, 5 janvier 1904, A 1266-1268 et par Monod dans « La Réforme de l’ةcole normale », extr. de la Revue historique, t. LXXXIV, 1904 – l’historien milite pour le maintien du concours d’entrée, du statut privilégié des élèves pendant la scolarité, et veut accorder notamment la licence à tous les entrants, en harmonisant ةcole normale et Sorbonne : à la première pédagogie et recherche, à la seconde les cours (les élèves préparant notamment leur D.E.S. à l’Université). Monod s’était opposé à la réforme de l’E.N.S. dès 1903 et avait refusé d’en être le directeur.

[25] Lettre d’André Bourgeois à Gabriel Monod du 28 novembre 1910 (CL XIV-271).

[26] Lettre de Charles Péguy à Geneviève Favre du même 28 novembre 1910 (dans Julie Sabiani, « Correspondance Charles Péguy – Geneviève Favre », BACP, n° 54, avr.-juin 1991, p. 125).

[27] Dans une lettre recommandée à Charles Péguy du 29 mars 1908 (CORCQ-IV-62, inv. 3470 ; déjà publiée par Jacques Viard dans BACP, n° 5, p. 67-69).

[28] Lettres d’André Bourgeois à Gabriel Monod du 19 février 1904 (CL I-240-241) et du 22 février 1904 (CL I-243).

[29] Jeanne Monod (1880-1976) épouse en avril 1907 ةtienne Amphoux (1882-1961) devant le capitaine Dreyfus comme témoin. Elle avait fait la connaissance de Péguy à la table de ses parents.

Marguerite Monod (fille de Henri Monod – le frère du père de Gabriel Monod – et de Camille Gros) avait épousé en 1852 le pasteur du Havre Henri Amphoux. Ils eurent cinq enfants et vingt-sept petits-enfants, dont cet ةtienne Amphoux justement.

Remercions ici Christian Amphoux, petit-fils de Jeanne Monod et d’ةtienne Amphoux, de l’aide qu’il a bien voulu apporter à ce travail et d’avoir mis à notre disposition les archives Gabriel Monod, qu’il conserve.

[30] Gabriel Monod évoque dans Bernard Monod. In memoriam (Versailles, impr. Cerf, 1908, p. 55-56) sa « vie libre du Quartier latin, au sortir de la caserne, l’attrait devant le monde intellectuel, artistique, théâtral, musical, politique, social, de Péguy, auquel il participait avec toute la fougue de sa nature, le charme des longues causeries entre camarades, chez lui ,au Luxembourg, au café, chez Péguy […] »

[31] Lettre du 26 mai 1904 de Gabriel Monod à Charles Péguy (CORCQ-IV-62, inv. 3464).

[32] Sic : une orthographe de travail ? C’est en tous les cas à la « Librairie nouvelle Julien Crémieu » (13 rue Nationale, Montpellier) que Célestin Bouglé publia en 1900 son Plaidoyer pour l’enseignement populaire, conférence donnée pour la Société d’enseignement populaire de l’Hérault.

[33] Lettre de Charles Péguy à Gabriel Monod, la première de l’écriture même de Péguy (CL II-373).

[34] ةmile-Gaston Boutmy (1835-1906) : de 1866 à 1871, professeur à la toute récente ةcole centrale d’architecture (histoire des civilisations et histoire comparée de l’architecture) ; fondateur avec Ernest Vinet de l’ةcole libre des Sciences politiques en 1871, directeur de cette ةcole en 1872 et de la Société des anciens élèves et élèves de l’ةcole libre des sciences politiques en 1875 ; membre de l’Académie des sciences morales et politiques en 1880.

Monod connaissait effectivement Boutmy : les deux hommes participèrent à la fondation de la Société de l’enseignement supérieur (Boutmy, auteur de divers rapports sur l’enseignement supérieur, la présidera à compter de 1886).

[35] Célestin Bouglé (1870-1940) : après une brillante scolarité au lycée Henri-IV et à l’ةcole normale, professeur à l’Université de Toulouse puis à la Sorbonne, qui animera de nombreux congrès de « La Paix par le Droit » et organisera les conférences nationales sur « La Paix par l’ةducation » entre les deux guerres.

[36] Francis Dehaut de Pressensé (1853-1914) : ancien secrétaire d’ambassade devenu journaliste (Le Temps, L’Aurore, L’Humanité), cofondateur puis président en 1903 de la Ligue des droits de l’homme, élu député du Rhône en 1902 sous les couleurs du P.S.F., il soutient vigoureusement le ministère Combes.

Monod avait fait ses études au lycée Bonaparte (auj. Condorcet) en rhétorique (1860-1861) et à Louis-le-Grand en philosophie (1861-1862) à Paris, tout en demeurant chez Edmond de Pressensé. Il éditera les Souvenirs et lettres inédites de madame Edmond de Pressensé (Fischbacher, 1904).

[37] Charles Rist (1874-1955) : agrégé, auteur d’une thèse, soutenue devant la Faculté de droit de l’Université de Paris, sur la Réglementation légale de la journée de travail de l’ouvrier adulte en France (Larose, 1898) puis, en collaboration avec Charles Gide, d’une Histoire des doctrines économiques depuis les physiocrates jusqu’à nos jours (Larose et Tenin, 1909), professeur d’économie politique à la Faculté de droit de Montpellier, président de la section montpelliéraine de la Ligue des droits de l’homme. Germaine Monod (1875-1960), fille aînée de Gabriel Monod, l’épouse en janvier 1900.

[38] Louis Comte (1857-1926) : pasteur à Saint-ةtienne, milite pour la Ligue de la moralité publique, secrétaire de la section de Saint-ةtienne de la Ligue des droits de l’homme.

[39] Il s’agit de Joseph Reinach (1856-1921), de l’historien ةmile Bourgeois (1857-1934) et du député du Morbihan Paul Guieysse (1841-1914).

[40] Georges-Marie-René Picot (1838-1909) : membre (dep. 1878) puis secrétaire perpétuel (depuis 1896) de l’Académie des sciences morales et politiques ; juriste puis historien et homme politique. Le juriste fut avocat à la Cour d’appel de Paris (1858) puis secrétaire de la conférence des avocats (1863), juge suppléant au Tribunal de la Seine (1865), haut-fonctionnaire au Ministère de la justice. L’historien reçoit le prix Bordin de l’Académie des sciences morales et politiques en 1870, puis le grand prix Gobert de l’Académie française en 1873 et 1874 ; et collabore à la Revue des deux mondes, au Journal des débats, à la Revue hebdomadaire, mais aussi à la Revue historique. L’homme politique fut maire de Noisy-sur-Oise mais subit quatre échecs électoraux : aux municipales de Paris (1884), aux législatives en Seine-et-Oise (1885) puis dans le Cher (1893, 1898).

[41] Pierre-Paul Leroy-Beaulieu (1843-1916) : frère d'Anatole Leroy-Beaulieu, économiste populationniste et libéral, considéré comme le penseur de la colonisation et connu pour sa conception organique de l’ةtat, farouchement opposé au protectionnisme et au collectivisme.

Il collabore au Temps, à la Revue nationale, à la Revue contemporaine, à la Revue des deux mondes, au Journal des débats. Il fonde en 1873 L'ةconomiste français.

Professeur de finances, en 1872, à la toute nouvelle ةcole libre des sciences politiques, il est nommé en 1880 titulaire de la chaire d'économie politique de son beau-père, Michel Chevalier, dont il était le suppléant au Collège de France. Il est élu membre de l'Académie des sciences morales et politiques en 1878. Plusieurs fois candidat aux élections, il ne réussit pas à entrer dans la vie politique.

[42] Henry Michel (1857-1904), normalien, agrégé de philosophie, auteur d’une thèse sur L’Idée de l’ةtat (1895), influencé par Renouvier, rédacteur politique au Temps (1882-1896), collaborateur des Débats, ami de Ferdinand Buisson, de Célestin Bouglé, du pasteur Jules-ةmile Roberty. Lire le chapitre de Gabriel Monod, « Un moraliste » (reprise d’un article du Temps d’août 1905), dans Henry Michel, Hachette, 1907, p. 77-87.

Une leçon d’ouverture (9 décembre 1902) du cours d’histoire des doctrines politiques professé en Sorbonne par Henry Michel (1898-1904) fut remarquée par Péguy en février 1903 dans un article de Daniel Halévy au Temps et publiée en tête du cahier Edgar Quinet, IV-21, 21 juillet 1903, p. 9-34 (après son introduction par Péguy, p. 8). Une lettre d’Henry Michel du 19 juin 1904 (conservée au Centre Charles Péguy d’Orléans) promet à Péguy, au nom de la Société d’histoire de la Révolution de 1848, qu’une note rendra compte, dans le Bulletin de cette Société, du cahier de Louis Ménard, Prologue d’une Révolution (CQ V-18, 28 juin 1904). Cf. Géraldi Leroy, « Correspondance Charles Péguy – Jules Isaac », BACP, n° 96, oct.-déc. 2001, p. 454.

Fondateur avec Georges Renard de la Société d’histoire de la Révolution de 1848 en 1904, dont il sera jusqu’à sa mort secrétaire général. Sa première assemblée générale se réunit le 24 février 1904, après qu’un comité d’initiative se fut réuni chez Henry Michel, rue Jouffroy, pour organiser la nouvelle Société.

[43] CQ VI-9, 24 janvier 1905, p. 91-92 ; des extraits ont été publiés en B 1416.

[44] CQ VI-10, p. 259-260 ; B 1416.

[45] Il s’agit des pages XXXVI-XXXIX et 77 du cahier (Textes formant dossier, B 1535-1537) : Péguy y explique que c’est le désir de sincérité qui l’a poussé à mentionner dans les Cahiers le nom des correspondants « qui se sont avancés publiquement » comme signataires de lettres pourtant privées, publiées sans leur autorisation parce que la leur demander aurait été trop fastidieux et long ! Trois justifications en une : plus grande sincérité d’édition, considération de l’engagement public des personnes, plus grande facilité de préparation.

Cette façon de publier une correspondance privée sans autorisation était en fait une habitude de Péguy, qu’illustre Pie Duployé dans La Religion de Péguy (Klincksieck, 1965, p. 531 et 554 – parlant même d’« affaire Monod »).

[46] Allusion à peine voilée à la mort de son fils Bernard le 6 janvier 1905.

[47] « Cahiers de la quinzaine », CQ VII-10, 28 janvier 1906, p. 48-49, soit B 404 ; cf. B 392, 415-417.

[48] Ibid., p. 66 ; B 417.

[49] Ibid., p. 68-95 ; B 418-436.

[50] Il s’agit du livre Notre patrie (CQ VII-3, 22 octobre 1905).

[51] Péguy à bout de finances pensa au début de l’année 1905 que la forme d’une société en commandite pourrait sauver les Cahiers : Marix envoie une circulaire du 10 octobre 1905 pour trouver des commanditaires qui acceptent de souscrire pour des actions de 100 francs chacune. L’idée d’une commandite n’avait pas en 1906 quitté Péguy, qui comptait alors 445 souscriptions.

[52] Les véritables « abonnements de propagande » s’élevaient à 8 francs, les abonnements ordinaires, à 20 francs ; et c’était les « abonnements de souscription » qui s’élevaient à 100 francs. Dans le CQ III-3 (24 mai 1902), Péguy souhaite réunir 200 abonnés de souscription pour couvrir son emprunt dit « de fondation ». Le projet de commandite constitue le deuxième grand effort pour renflouer la caisse des Cahiers (lire Géraldi Leroy, « Pour une histoire financière des Cahiers de la quinzaine », BACP, n° 93, janvier-mars 2001, p. 11-12).

[53] Allusion à la lettre du 23 mars 1906 donnée précédemment.

[54] Lettre du 1er avril 1910 (CL XIII-402).

[55] Il s’agit de Victor-Marie, comte Hugo (23 octobre 1910), dans lequel Péguy entendait régler définitivement son différend avec Halévy.

[56] Saint-Monod-la-Critique (selon l’expression de Rémy Rioux), contacté par Mathieu Dreyfus dans l’été 1897, est l’un des premiers intellectuels à s’être convaincu de l’innocence de Dreyfus par une expertise du bordereau, et à s’être engagé (« Au jour le jour », Le Temps, 6 novembre 1897). Il devient aussitôt la cible privilégiée de l’Action française, de Maurras en particulier, qui parlera d’un « ةtat Monod » (Au signe de Flore. Souvenirs de vie politique, Les Œuvres représentatives, « Hier », 1931, p. 164). Monod persévère pourtant dans son Exposé impartial de l’affaire Dreyfus (Stock, 1899), publié sous le pseudonyme de Pierre Molé.

[57] Publier une lettre sans l’autorisation de son auteur.

[58] La somme de Michael Burns, Histoire d’une famille française. Les Dreyfus (Fayard, 1994), ne nous permet pas de savoir de quel deuil il s’agit, peut-être parce qu’il toucha sa belle-famille, les Hadamard…

[59] Péguy parla effectivement de « rectification assez dure » de Monod dans l’affaire Bouglé (« Cahiers de la quinzaine », CQ VII-10, 28 janvier 1906, p. 68 ; B 418).

[60] Romain Rolland, Jean-Christophe à Paris, « Antoinette », CQ IX-15, 5 avril 1908.

[61] CQ XI-12, 17 juillet 1910, p. 195-198 ; C 140-141.

[62] ہ cette date avaient paru dans cette série : Victor-Marie, comte Hugo de Péguy ; Une famille de républicains fouriéristes de Paul Milliet, volumes IV, V et VI ; Mon premier testament, le Dialogue d’ةleuthère et L’Ordination de Benda ; Tolstoï vivant de Suarès.

[63] Fonds déposé au Centre Charles Péguy d’Orléans ; le document a la cote Saffrey-IV-112, 6353.

[64] Comme le Grand prix de littérature de l’Académie française ne fut finalement pas décerné au Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, Péguy reçut en compensation, le 8 juin 1911, le prix quinquennal Estrade-Delcros (8 000 francs) pour l’ensemble de son œuvre ; le 7 décembre 1911, Péguy se vit effectivement attribuer le prix Estrade-Delcros lors de la séance publique annuelle de l’Académie.

[65] L’article en question (s. n., « Le prix Estrade-Delcros », 10 juin 1911) déclare : « Sa fortune est singulière et attachante. Parti du socialisme, M. Charles Péguy se signale parmi les adversaires les plus nets de M. Jaurès. Parti de l’incroyance, il vient d’aboutir au mysticisme. Témoin ce Mystère de la charité de Jeanne d’Arc qui lui a valu, malgré les réserves prévues et naturelles, l’éloge des catholiques. Tout en dirigeant ces Cahiers de la quinzaine fondés par lui pendant l’affaire Dreyfus et pour offrir aux jeunes un organe, il a réfléchi et, par un effort de sincérité, il a découvert des notions qui n’ont certes rien d’inédit, mais qui devaient lui être neuves : la famille, la patrie, la religion… et il a osé le dire. »

[66] Il s’agit non du drame de 1897 Jeanne d’Arc mais de ce Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (CQ XI-6, 16 janvier 1910) que Péguy nomme parfois la « deuxième Jeanne d’Arc ».

[67] Jules-Pierre-ةmile Lieure (1866-1942) : aquafortiste et écrivain d’art né à Grenoble et exerçant à Paris, membre de la Société des aquafortistes français. Parmi les autres portraits de sa main : Georges Clemenceau, Louis Jouvet... Parmi ses publications : Jacques Callot, 2 parties en 3 volumes, 1924-1927 ; La Gravure en France au XVIe siècle. La gravure dans le livre et dans l'ornement, Paris-Bruxelles, 1927 ; L'ةcole française de Gravure, des origines à la fin du XVIe siècle, 1928 ; La Lithographie artistique et ses diverses techniques. Les techniques, leur évolution, 1939.

[68] Il s’agit des Œuvres choisies 1900-1910, choix par Charles Lucas de Peslouنn d’extraits d’œuvres en prose mais aussi du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (Grasset, 25 avril 1911). Y figurait un portrait intitulé « Un trait de M. Alfred Dreyfus ; quelques traits de notre maître M. Gabriel Monod » (p. 43-44 ; cf. s. n., « Œuvres choisies de Charles Péguy », CQ XII-10, 25 juin 1911 ; C 362). Cette façon respectueuse de désigner Gabriel Monod semble empêcher de penser que Monod serait visé quand Péguy, lunatique, écrit « notre ennemi, c’est notre maître », fût-il « honnête homme » : Monod devait pour Péguy appartenir à ses chers « maîtres d’enseignement » et non à ces « maîtres de domination et d’avancements » qu’il flétrit (Bernard-Lazare, texte posthume, A 1221-1222).

[69] Cette fin n’est pas sans rappeler le fond de la querelle survenue entre Monod et Péguy début 1905 ; Monod avait en effet écrit à la fin de sa lettre du 2 février 1905 : « Ne publiez jamais une ligne de moi sans mon autorisation personnelle. »

[70] Il se fait suppléer à l’E.N.S. dès 1903, prend sa retraite de la Sorbonne en 1905 (il y avait été professeur d’histoire de la civilisation du Moyen-آge), se fait suppléer comme professeur au collège de France en 1910.

[71] Pour plus de détails, on se reportera à Gertrud Quack, Gabriel Monod, 1844-1912. Studien zu seinem Werden (Berlin, Ebering, « Romanische Studien », 1931).