Péguy, pastiche, parodie

 

Sans renoncer à l’emploi de la répétition du même mot, qui est parfois utile, gardons-nous d’imiter la prolixité torrentielle de M. le directeur des Cahiers de la quinzaine.[1]

 

Le style de Charles Péguy fut critiqué de son vivant tous azimuts, non seulement sa prose mais aussi les Mystères ou les vers réguliers. Mystère de la charité de Jeanne d’Arc en 1910, Tapisserie de Sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc fin 1912 : à chaque essai, les jugements négatifs ne manquaient pas. Même les « œuvres choisies » d’avril 1911 ne trient pas assez dans le flot touffu des phrases péguiennes ! Pierre Lasserre note[2] : Péguy a montré, « tout en abusant du droit d’écrire à sa manière, qui est une terrible manière, de réelles qualités d’expression et de mouvement. Il a un beau fond de lettré. Il a quelquefois des éclairs. Cela nous permet de dire à ce patriote que le devoir de travailler normalement son métier et d’en pratiquer les lois communes (ce qui est bien plus difficile que ce qu’il fait) constitue pour l’écrivain un devoir patriotique. » Où l’on voit que le mot de « manière » s’appliquait pendant la Belle époque à Péguy plus qu’à tout autre écrivain ; et derrière ce mot pointait non seulement le maniérisme mais aussi le pastiche « à la manière de ».

Si l’amitié de Reboux et Müller entra dans l’histoire littéraire, ce fut grâce à ce titre bien dans l’air du temps. Mais quel est l’auteur des À la manière de… ? La chose est difficile à dire, de l’aveu même de Reboux[3] : outre les quelques pastiches dus à Gregh, « la part de collaboration [de Charles Müller] est impossible à déterminer tant il y eut, si je puis dire, de fondu dans notre besogne. » Sans doute Reboux et Müller ont-ils écrit le pastiche de Péguy, peut-être conseillés par leur ami Gregh (supposition qui n’est pas nécessaire). S’il n’y avait qu’un auteur (supposition gratuite), alors ce serait Reboux[4].

De quand date ce pastiche ? La note de gérance peut provenir de n’importe quel cahier. Le modèle prosaïque qu’est Un nouveau théologien, M. Fernand Laudet a été publié deux fois : le 20 juillet 1911 pour le Bulletin et le 24 septembre 1911 pour le Cahier. Le Mystère des saints Innocents, paru le 24 mars 1912, a inspiré l’invocation du pastiche. Enfin, les alexandrins imitent évidemment la Tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc dont des revues donnèrent les 20 et 25 novembre 1912 des prépublications, avant le cahier du 1er décembre 1912, qui les réunit toutes.

Le pastiche est-il donc triple ou un ? Même si R. Burac parle de trois pastiches (en Pl. III, p. 1752, en se fiant sans doute à la numérotation des paragraphes, mais le pastiche commence dès le paratexte), l’unité du texte prédomine.

Le pastiche, annoncé dans La Vie parisienne du 14 décembre 1912, parut dans cette même revue le 11 janvier 1913 et fut repris par Grasset très peu de temps après, dans un volume intitulé À la manière de... Troisième série, en février 1913. Gregh demandait le 25 novembre 1912 aux auteurs de hâter la composition de ces pastiches qui marquait le pas. À quoi Reboux répondit le 27 que la parution dans La Vie parisienne finirait dans les premiers jours de février 1913 ; que le volume ferait quelque 250 pages ; que Grasset aurait le tout fin décembre pour pouvoir fabriquer le livre en janvier et paraître en février (le 8 mars au plus tard). De fait, le contrat avec l’éditeur est signé le 24 janvier 1913 (avec une clause ajoutée le 18 février 1913 doublant les droits sur la première édition). Nous en donnons le texte tel qu’édité pour la première fois et tel que Péguy l’a lu, c’est-à-dire dans l’édition en revue du 11 janvier 1913 qui constitue une prépublication[5].

 

CHARLES PÉGUY

 

 

DEUXIÈME SUBDIVISION

de la

TRENTE-SEPTIÈME SÉRIE PRÉPARATOIRE

DU CINQUIÈME

des

CAHIERS DE LA NEUVAINE

 

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Cahier écrit spécialement en intention de

saint Frusquin, et destiné à mes lecteurs,

placés sous l’invocation de saint Nicodème.

 

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§ I. - Le bon à tirer de ce cahier a été donné par moi pour que les abonnés pussent joindre ce cahier aux cahiers que je leur vends depuis treize ans, avec désintéressement et rudesse, et pour un bénéfice exigu. On souscrit dans tous les bureaux de poste. Un abonnement donne droit au salut militaire. Deux abonnements donnent droit au salut éternel.

 

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§ II. - LES LITANIES DE SAINTE BARBE

 

Sainte Barbe m’a dit : fais de moi ton modèle,

À mes enseignements il faut être fidèle,

À mon nom symbolique il faut être fidèle.

 

Sainte Barbe m’a dit : fais de moi ta chandelle,

Et je te blanchirai comme une eau de javel (le),

Et je te soutiendrai de toute ma ficelle.

 

Sainte Barbe m’a dit : fais de moi ta cervelle,

Tu es mon damoiseau, je suis ta demoiselle,

Et je te donnerai toute une clientèle!

 

Sainte Barbe m’a dit : fais de moi ta nacelle,

Pour soutenir ton nom fais de moi ta bretelle,

Pour bien mener ta barque accepte ma tutelle.

 

Sainte Barbe m’a dit : fais de moi ta femelle,

Sainte Barbe m’a dit : fais de moi ta chamelle,

Sainte Barbe m’a dit : mange dans ma gamelle.

 

Sainte Barbe m’a dit : tète après ma mamelle,

Sainte Barbe m’a dit : ton âme m’est jumelle,

Sainte Barbe m’a dit : marche sur ma semelle.

 

Sainte Barbe m’a dit : fais de moi ta flanelle,

Sainte Barbe m’a dit : sois mon polichinelle,

Sainte Barbe m’a dit : chante ma ritournelle.

 

Sainte Barbe m’a dit : prends-moi pour haridelle,

Sainte Barbe m’a dit : mets tout en kyrielle,

Répète chaque mot, répète pêle-mêle.

 

Sainte Barbe m’a dit : tourne la manivelle

Pour mélanger l’orgeat avec le caramel (le),

Le miel de la mystique avec le miel du zèle.

 

Sainte Barbe m’a dit : sois celui qui emmielle.

 

§ III. - Communiqué personnel.

 

RIPOSTE.

 

J’appelle ça : riposte. Je donne à ça le nom de: riposte. Je nomme ce qui va venir: riposte, tout tranquillement, tout honnêtement, tout directement, tout premièrement, (tout) ordinairement, tout bêtement. C’est riposte que j’appelle ça. Mais ce n’est pas une riposte.

On ri (poste) quand on a été attaqué. Une riposte est le résultat d’une attaque. Attaque (s), riposte (s). Riposte, attaque. On ne m’a pas attaqué. Je n’ai pas à riposter.

Je n’ai pas à riposter à un homme qui a écrit de moi ceci: « M. Charles Péguy est-il bien sûr de ce qu’il avance ? » Si je suis sûr de ce que j’avance ? L’avancerais-je si je n’en étais pas sûr ? Mais ne ripostons point d’autre riposte que de politesse et d’humilité chrétienne. Quand un imbécile, quand un faux témoin, quand un homme de mauvaise foi, quand un Barrabas tel que cet homme ose - et de quel ton! – ré(péter) une proposition aussi attentatoire, il faut riposter par la politesse.

Quand on méconnaît aussi inchrétiennement mon christianisme, mon pragmatisme, ma sainteté, quand on me méconnaît aussi bassement, aussi injurieusement, aussi scandaleusement, aussi attentatoirement, je riposte en redoublant d’humilité chrétienne, et je n’écris que trois cent(s) pages de réponse, autant dire rien. C’est ma première règle de conduite. C’est sur cette règle que je me conduis. Cette règle est celle des Saintes Écritures. Les Saintes Écrit(ure)s se règlent avec cette règle. J’écris sur du papier réglé. Je conduis avec ces règles. Ces règles sont mes conductrices. Je suis le conducteur qui a ces règles de conduite et la conduite de ces règles.

Et maintenant, mes très chers frères, prenons, si vous le voulez bien, celui des Évangiles au verset XXXVI, qui commence par ces mots : « Or en ce temps-là vint dans le pays un homme qui se prétendait prophète. Et il assemblait autour de lui les fidèles pauvres d’esprit, et il était si ha(bile) qu’il se faisait glorifier même par les Juifs... »

 

CHARLES PÉGUY

 

Même si le texte est attribué à « Charles Péguy », ce sont Paul Reboux et Charles Müller qui ont été annoncés signer la série à venir des À la manière de… à la Vie parisienne et ce sont eux qui signent la couverture de l’édition qui suit chez Grasset. Ce texte, qui a trouvé facilement ses auteurs, relève aussi facilement, apparemment, du pastiche : imitation du style, ici corrosive. Mais dire « texte » est aller trop vite en besogne encore : un vrai paratexte précède le texte, constituant donc un avant-texte (plutôt qu’un pré-texte !). Le corps textuel est quant à lui triple[6] : mots de l’éditeur Péguy (marqués le signe diacritique du paragraphe I), mots du poète Péguy (II), mots du prosateur Péguy (III). Péguy semble déjà l’homme-orchestre des Cahiers, un homme à tout faire. La première déformation textuelle de ce pastiche est de concentrer en quelques pages des imitations de textes hétérogènes.

L’habitude de la Vie parisienne, consonant d’ailleurs là au cran et à la dose de provocation nécessaires à tout pastiche, voulait que le nom de l’auteur figurât en tête du pastiche. Dans cette priorité donnée au nom, nul sous-entendu donc à l’orgueil parfois brocardé de Péguy : juste un choix de victime de la part des pastichés. Le contrat du pastiche implique cette première affirmation péremptoire, vite mise en doute par le titre du pastiche.

Adoptons une analyse à rebours du titre, pas si caricaturé que cela. Le titre de la revue supposée de Péguy ressemble morphologiquement aux Cahiers de la quinzaine à cette différence près que la neuvaine désigne une période de neuf jours mais surtout les exercices de piété que cet espace de temps permet : le changement de périodicité de la revue, qui montre le pastiche, en dit aussi long sur les convictions religieuses du directeur. Péguy avait eu le malheur d’utiliser le mot dans la Tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc, qu’il nomme « cahier pour le jour de Noël et pour la neuvaine de sainte Geneviève de la quatorzième série » et où il réemploie le mot[7] : « Les armes de Jésus c’est la grande semaine / Qui part du lundi saint, c’est la grande neuvaine / Qui part du trois janvier et c’est la barque pleine » (Po, p. 856, où l’on aura noté le terme « barque », comme au vers 12 du pastiche).

Voilà pour l’homme. Quant à l’œuvre, la brocardent le mieux ces divisions à rallonge qui compliquent quatre fois l’intitulé du numéro en question :

- la formule contournée « cinquième des Cahiers » remplace le simple « cinquième Cahier », numérotation effectivement adoptée par Péguy ;

- l’existence d’une « série préparatoire » à une œuvre qui ne peut que paraître suite utopique ou peu souhaitable rappelle la « série antérieure » des Cahiers avant 1900 (qui n’avait pas de numérotation propre cependant et dont Péguy a toujours parlé a posteriori) et imite la façon dont Péguy désigne ses mystères : le Mystère de la charité étant un « cahier préparatoire pour le cinq centième anniversaire de la naissance de Jeanne d’Arc », le Porche devenant alors, logiquement, un « deuxième cahier préparatoire pour le cinq centième anniversaire de la naissance de Jeanne d’Arc », tandis que les saints Innocents se distinguent, « cahier préparatoire pour le quatre cent quatre-vingt-troisième anniversaire de la délivrance d’Orléans ».

- une comptabilité qui comme par hasard, avec « trente-septième », s’approche beaucoup du cardinal « trente-six » dont l’on sait le sens indéterminé et souvent péjoré de « nombreux » (« pas besoin de trente-six coups de fusil » pour « en voir trente-six chandelles ») ;

- une subtilité superfétatoire – subdivision – rappelle les neuf journées de la Tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc en un mot bien plus strict et mathématique.

Voilà une titrologie censée montrer le charabia dans lequel s’empêtre Péguy, personnage compliqué n’ayant nul souci du lecteur dans ses projets sans fin et dans ses digressions qui ressemblent trop à des préparations culinaires.

 

Le texte inséré ensuite, entrefilet qui tient lieu de dédicace, fait pièce au tic des dédicaces dont Péguy semble victime (depuis qu’il est revenu à la fois surtout) et flétrit la dévotieuse croyance de Péguy aux saints (cf. Un nouveau théologien…, Pl. III, p. 468). Mais est-ce vraiment dédicacer les Tapisseries que de préciser « de » Geneviève, « de » Jeanne d’Arc, « de » Notre Dame ? Ou de dater la Chanson du roi Dagobert : « pour le premier avril de la quatrième série », le Mystère de la charité : « cahier pour le jour de Noël et pour le jour des Rois de la onzième série », celui des Innocents : « cahier pour le dimanche des Rameaux et pour le dimanche de Pâques de la treizième série », la Tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc : « cahier pour le jour de Noël et pour la neuvaine de sainte Geneviève de la quatorzième série » et la Tapisserie de Notre Dame : « cahier pour le dimanche de la Pentecôte et pour le mois de mai de la quatorzième série » ? Il est vrai que Péguy avait eu le malheur d’employer le mot « invocation » dans le Porche : « du même auteur sous la même invocation : I. Le mystère de la charité de Jeanne d’Arc ; II. Le porche du mystère de la deuxième vertu. »

Toujours est-il que saint Nicodème peut être soit un prêtre et martyr à Rome au Ier siècle, fêté le 15 septembre, soit ce disciple de Jésus fêté le 3 août, notable juif pharisien (Jn XIX), à la fois dévoué à Jésus et faible d’esprit, apparaissant à plusieurs reprises[8] dans l’Évangile. Reboux et Müller désignent ce deuxième saint, plus riche de « sens ». Nicodème est un « homme d’entre les pharisiens » (Jn III, 1-21), « chef des Juifs », reconnaît en Jésus un envoyé de Dieu (respectueux comme le disciple de sainte Barbe dans le poème qui suit, et en position d’infériorité intellectuelle comme lui…) mais peine à comprendre Jésus qui lui affirme qu’il faut renaître pour voir le royaume de Dieu (de cette renaissance qui paraît dans le blé de sainte Barbe). Appliquable à Péguy dans le rôle du pharisien (et de Jésus également), un second passage (Jn VII, 50-52) montre son souci de toujours justifier sa propre conduite chrétienne et les pasticheurs refusent à Péguy-Jésus le statut de prophète, en précisant que Péguy-Nicodème appartient au même camp que ce Jésus qu’il prétend défendre, et que nul chrétien n’a de parole importante. Enfin, Nicodème apporte au corps de Jésus[9] « un mélange d’environ cent livres de myrrhe et d’aloès » ; cette hâte généreuse à plaire au maître caractérise aussi (seulement, les aromates y deviennent miel), dans le pastiche, le poète tout à l’écoute des voix de sainte Barbe… Rien d’étonnant à ce qu’un nicodème, nom devenu commun, signifie après ce pharisien aux questions naïves (mais depuis 1662) « un homme niais ». Dans les Mystères du Moyen-Âge, Nicodème n’était-il pas représenté comme un homme borné davantage à cause de son paronyme « nigaud » qu’à cause de l’Évangile (Jn I, 3) ?

Passons à la seconde invocation. Le mot d’argot frusquin, attesté au sens d’« l’habit » (1628) puis au sens d’« avoir » (1710), ne reste guère employé que dans saint-frusquin (1740), où le qualificatif « saint » n’est qu’une façon de parler populaire : il désigne « ce qu’on a d’argent, d’effets ; l’avoir en général » (T.L.F.) dans des tours comme dépenser (tout) son saint-frusquin ou boire et manger (tout) son saint-frusquin jusqu’à signifier, désémantisé, dans et tout le saint-frusquin, « et tout le reste ». Donc, « en intention de saint Frusquin » n’est qu’une manière figurée de dire que les Cahiers sont une association à but lucratif, capitalistique ni plus ni moins. Manière d’attaquer le gérant de la coopérative de production socialiste que sont les Cahiers et d’emprunter, qui plus est, un biais religieux qui ne peut que choquer la croyance de Péguy aux saints.

Désormais, le stylème de l’écriture en paragraphe numéroté qu’utilise Péguy dès Victor-Marie comte Hugo en octobre 1910 et dans Un nouveau théologien, M. Fernand Laudet[10]

 

I

Le pastiche imite ici les notes de gérance de Péguy, en établissant un rapport personnel entre gérant – ici désigné par une première personne mise en avant (« mes lecteurs ») et immodeste dans son « désintéressement », dont fait douter le fait même de l’écrire ! Le mélange des termes « donner », « vendre » et « souscrire » laisse dans le flou le statut financier des Cahiers et insinue que la revue n’est pas une coopérative de production mais une manière de vendre des indulgences comme aux pires temps d’avant la Réforme. De même, le parallèle entre le public civil (avec « tous les bureaux de poste »), le militaire (« le salut militaire » fait allusion aux périodes régulières effectuées par Péguy) et le privé religieux (« le salut éternel », avec un jeu sur les divers sens du mot « salut ») insinuent que Péguy fait feu de tout bois, dût-il jonglé avec sabre et goupillon, pour accroître le nombre de ses lecteurs. Ces lecteurs, « mes lecteurs » précisait égoïstement l’envoi, sont pris pour des maniaques de la collection bibliophilique, à l’égal de leur maître, voulant « joindre ce cahier aux autres cahiers que je leur vends depuis treize ans ».

Quelle est la source éventuelle du passage ? Son ton, à la fois pauvre (« rudesse », « bénéfice exigu ») et satisfait (dans l’assurance du « salut éternel », péché d’orgueil), montrent que les pasticheurs ont lu les paragraphes 273 (« pauvreté » au lieu de « désintéressement », « petitesse » au lieu de « rudesse », PL. III, p. 520-521) et 279 (« douze quinze ans » au lieu de « treize ans », Pl. III, p. 527-528) d’Un nouveau théologien, M. Fernand Laudet et non leur fine connaissance des Cahiers, car ils en rajoutent bien sûr avec ce style maladroit (dans la forme passive «  a été donné par moi pour que ») ou trop coupé (dans les trois dernières phrases, d’une sécheresse précisément militaire). L’utilisation d’Un nouveau théologien, M. Fernand Laudet ne sera bientôt que confirmée par le « communiqué personnel »…

 

II

Les litanies étaient un genre qui avait déjà été utilisé par plusieurs pasticheurs. Dufay et Deffoux y consacrent même tout un chapitre de leur Anthologie du pastiche (t. I, Crès, 1926, p. 7-10) et rappellent les Litanies de Satan de Baudelaire, les Litanies du sommeil de Corbière, les Litanies de la mer de Jean Richepin, les Litanies des pouacres d’Augustin Boyer, les Litanies des seins d’Armand Masson, les Litanies de la rose de Remy de Gourmont et les Litanies à la Notre Dame de toutes nos douleurs de Fagus. Mais celles de sainte Barbe appartiennent encore à une classe plus précise : « Les litanies, et en particulier les litanies des saints, amènent au pastiche hagiographique. » (p. 10). Sans doute les pastiches ont-ils trouvé l’idée des litanies en lisant : « Et je ne parle pas des Litanies de la vierge. » (Un nouveau théologien…, Pl. III, p. 587).

Pourquoi les litanies sont-elles de Sainte Barbe ? Avant même ce pastiche, Péguy avait une certaine dévotion pour sainte Barbe, comme en témoigne une de ses lettres à Claude et Simone Casimir-Périer, le 4 décembre 1911 (citée dans Pour les fidèles de Péguy, p. 33) : « Mes enfants, je vous embrasse aujourd’hui parce que c’est la Sainte Barbe. / Le vieux barbiste impénitent. » ou cette autre à Lotte (LE, p. 115) : « Lundi 4 décembre 1911 / C’est aujourd’hui la Sainte-Barbe, vieux Lotte, une pensée à cette grande sainte par qui nous nous sommes connus. / Je t’embrasse. Ton / Péguy ». Mais Reboux et Müller ont-ils pu savoir cette dévotion particulière ? Si oui, alors ç’aura été par l’intermédiaire de ce dernier correspondant : Lotte, ancien camarade de Müller. Mais peut-on imaginer Lotte, plutôt que Gregh, collaborant au pastiche impie ? Si Lotte vendit la mèche en divulguant à Müller la dévotion de Péguy pour sainte Barbe, alors ce fut très probablement sans savoir quelle utilisation l’autre en ferait ! Donc, pour répondre à la question, un excursus s’impose par précaution, au cas où Lotte n’aurait pas parlé !

Sainte Barbe, fêtée le 4 décembre, martyre née à Nicomédie, décapitée par son propre père au IIIe siècle parce qu’elle était devenue chrétienne, est traditionnellement la patronne des travailleurs du feu[11]. Comme nom commun, le terme désigne, pour l’ancienne marine à voile, la « partie du navire qui servait de soute à poudre et de magasin aux accessoires d’artillerie » (1678) puis la « fête de la patronne des artilleurs » (1904). C’est au XXe siècle que « sainte Barbe » s’est dit familièrement des personnes ou choses ennuyeuses, par contamination avec le sens de « barbe », sans doute depuis le pastiche de Reboux et Müller. Pourquoi donc sainte Barbe ? Il semble que cette sainte ait été choisie d’abord à cause de son « nom symbolique » comme dit le poème, mais aussi parce que (par ordre d’importance décroissante) Péguy est un ancien barbiste[12], parce que Péguy est revenu au catholicisme, parce que Péguy est ainsi classé comme militaire voire militariste (mais Péguy servit dans l’infanterie et non comme artilleur), parce que le poème a été écrit en décembre 1912 (peut-être même le 4), peut-peut-être aussi parce que l’apparence de Péguy était connue, en 1912, principalement par le tableau de Jean-Pierre Laurens de 1909, représentant Péguy barbu et en vérité plus barbu qu’il ne le fut d’après d’autres témoignages biographiques.

Sous couvert d’injonction divine (Péguy semble, comme Jeanne d’Arc, entendre des voix et la sainte lui parle comme le fait Dieu dans les Mystères), les allusions imagées du poème se multiplient : en guise de symbole (v. 3, 17), l’auteur est plus barbant que barbu (malgré la représentation par Pierre Laurens d’un Péguy avec une barbe broussailleuse), et trouve ses meilleurs soutiens (v. 6, 11) dans les cercles religieux (v. 9 ; cf. Un nouveau théologien…, Pl. III, p. 518, où c’est Laudet qui jouit d’une bonne « clientèle »), quitte à manœuvrer ferme (ficelle au sens de stratagème, v. 6). Pourtant, les images, imposées par la contrainte de la rime en « -elle » et montrant les rapports de la sainte muse et du poète – images du modèle et de son peintre (v. 1), du disciple et de son professeur pontifiant en quatre syllabes (v. 2) ou marchant devant l’élève (v. 18 ?), d’un enfant soumis et de son tuteur (v. 12) ou encore d’un chien et de son maître qui le nourrit (v. 15) – montrent que sa foi, pour être intime (dans le seul mot péguien du poème, mystique, v. 27) et pieuse (v. 4), n’en est que plus servile (par ce zèle justement, v. 27) – comme les vers servent la rime toute-puissante en « -elle » – et qu’elle s’exprime en une manière répétitive trop forcenée (v. 23), qui embrouille les idées (v. 24), se complaît dans la facilité d’un orgue de barbarie (v. 25) et finit par tomber dans une simplicité un tantinet niaise (v. 7) ; d’où la métaphore enfantine du pantin, marionnette dirigée par des fils (ficelle en ce sens, v. 6) et polichinelle (v. 20). Restant dans ce gros comique (qui travestit de façon burlesque le comique de Péguy), au travers d’allusions grivoises qui se déguisent sous le vocabulaire des épousailles mystiques (v. 8 moyenâgeux, v. 13 à la Psichari) et le dévoient en tombant dans le familier (trivial aux vers 11 et 19 avec flanelle au sens de vêtements masculins de dessous[13] ; animal aux vers 14, 16), perce le but ultime de l’écriture pour le don Quichotte (v. 22) qu’est Péguy : non seulement gagner sa vie (et se vêtir pour vivre, v. 19) mais parvenir, parvenir aux cieux de la Réputation littéraire, tel un dirigeable (sens possible de « nacelle », v. 10), ou parvenir à la rive du Succès tel un navire (autre sens, vieux[14], de « nacelle », v. 10 ; « barque », v. 12) selon que l’image est aérienne ou maritime.

Enfin, une allusion hypercodée au mot de Lavisse « Péguy ? Il a mis de l’eau bénite dans son pétrole de la commune. » court le poème : Péguy voudrait se donner une âme neuve et aseptiser sa prose, avec de l’eau de javel (avec le comique de la double lecture en Javelle, qui flétrit les jeux péguiens sur les homophones comme au vers 26 où la seconde lecture est impossible[15], et reste d’interprétation douteuse[16]) ou de ce cocktail explosif sur lequel surenchérit encore le vers détaché avec son isolexisme par dérivation. Le miel, déjà péjoré comme chose agréable mais doucereuse (v. 27), aliment jusqu’alors seulement écœurant à force de douceur (dans ce mélange final sirupeux et trop sucré, v. 26), prend sa péjoration la plus forte et dont le lecteur cherche à se défaire (imitation de ces mises en valeur par Péguy de vers finaux, comme dans « Les Sept contre Thèbes » et à trois reprises dans la Tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc) : dire miel est un euphémisme familier pour m…[17], et emmieller fait penser à emm..., par une substitution autrement plus inconvenante que le plus proche paronyme emmêler. La violence du propos ne tranche que plus, rapportée à l’accusation première d’être mièvre ![18]

 

III

La forme du communiqué s’impose aux pasticheurs parce qu’ils sont partis de Un nouveau théologien, M. Fernand Laudet qui, s’il n’appartient certes pas à ce genre, en parle tant qu’il leur sembla leur tendre la perche de façon évidente : toutes les pages en Pl. III, p. 528-541 ne font que justifier la forme que prit une publication antérieure de Péguy dans le Bulletin des professeurs catholique de l’Université édité par son ami Lotte à Coutances. Reboux et Müller pastiche donc là une forme rare dans les recueils de pastiches.

Le caractère personnel du communiqué rappelle les entretiens de Péguy sur la nécessité de « faire des personnalités » (cf. CQ III-12, 18).

Le sujet du communiqué ressemblera de même à la querelle qui agite Péguy dans Un nouveau théologien…, à cette différence que tout y revient à une question de mots autour de l’expression « conduire ses règles » que n’avait pas employé François Le Grix, l’auteur derrière lequel Péguy attaquait Fernand Laudet. Cela dit, Un nouveau théologien… fourmille de discussions mi-linguistiques mi-théologiques et Péguy réplique à Laudet en le prenant au mot le plus souvent possible. Et l’expression « conduire ses règles » n’est pas totalement étrangère à Péguy : les pasticheurs sont-ils donc aller la chercher en Pl. III, p. 522 (Un nouveau théologien…, « C’est ma seule règle. ») ou en Po, p. 914 (Tapisserie de Notre Dame, « Ce qui partout ailleurs est règle de conduite / N’est ici que bonheur et que renforcement. ») ?

Toujours est-il que le titre du texte en prose est lui aussi péguien[19] et indique le pamphlet, genre dans lequel Péguy, déjà connu pour ses prises de position nettes et ses ruptures d’amitié fracassantes, s’est illustré précisément dans Un nouveau théologien. Si le pastiche poétique usait et abusait des répétitions morphosyntaxiques[20], « Riposte » imite plus subtilement des procédés péguiens récurrents : non seulement la répétition[21] et la double lecture[22], mais la reformulation synonymique qui touche toutes les parties du discours[23] et même des propositions entières[24], la citation[25], l’effet de surprise[26], les incidentes[27], les néologismes[28], tout cela dans un texte dominé par l’omniprésence de l’ego de l’auteur[29].

Par une singulière conversion, aussi rapide et explicite que suspecte, le texte – d’un vocabulaire souvent pris dans Péguy[30] –, passe d’un registre polémique, proche de la diffamation[31], à un ton apostolique sinon apologétique, après une période de pleine contradiction et de folie verbale : le texte est censé imiter le parcours spirituel de Péguy, d’un socialisme agressif à un christianisme à la fois naïf et intolérant, en passant par la révélation des contradictions de l’homme. Y a-t-il un chapitre des Évangiles qui se cache derrière l’indication floue « celui des évangiles au verset XXXI » ? La chose n’est pas impossible mais reste douteuse, tant il existe de verset n° 36 dans les quatre Évangiles. Ils sont de même trop nombreux ceux[32] qui peuvent s’appliquer, métaphoriquement ou non, à Péguy en constituant un message crypté des pasticheurs anticléricaux au pastiché, grand liseur de la Bible… En tous les cas, le passage cité est lui-même un pastiche évangélique à l’intérieur du pastiche péguien. L’on y retrouve le vocabulaire des traductions bibliques : « prophète », « les fidèles », « pauvres d’esprit », « glorifier ». Mais aussi des tours corrélatifs typiques : « Or… », « Et il… » finissant en des passages stéréotypés comme « Or en ce temps-là vint dans le pays… », « Et il assemblait autour de lui… » Mais le naturel de Péguy censé citer un texte sacré revient au galop, un peu comme ses personnages de mystères, même lorsqu’ils sont censés laisser parler Dieu, parlent une langue bien proche de la prose péguienne ! La double lecture « ha(bile) » est une ultime marque péguienne[33] dans un texte qui désigne Péguy en ce faux prophète, ses abonnés en ces âmes naïves, ses soutiens financiers en ces Juifs. Le Péguy cupide réapparaît donc, jouant à la fois des convictions catholiques (sectaire) et de ses sympathies judaïques (enjuivé). Où les pasticheurs, anciens dreyfusards virulents, tombent tout de même dans un genre douteux, peut-être par antipathie pour Bernard-Lazare, ce « prophète » auquel Péguy se veut « fidèle » « d’une fidélité de foi » avec une « poignée de Juifs »[34]… Sans doute les pasticheurs en ont-ils conscience, eux qui terminent là leur pastiche, en trois points d’une suspension sans suspens : la signature donnée au pastiche, prenant sa pleine fonction de sujet, complète assez la phrase crypto-évangélique[35].



[1] S. n., « Lettre de Paris » [13 juin] in Journal d’Amiens, Amiens, 15 juin 1911, « vu ».

[2] « Prix académiques », L’Action française, 18 juin 1911, « vu ».

[3] « À la manière de… », Journal de l’Université des Annales, n° 21, 15 octobre 1912, p. 521.

[4] De l’avis de Riby, le 12 avril 1913, FACP, n° 108, p. 28. Il existe bien une manière de Reboux, visible jusque dans le pastiche : si Daniel Bilous dans « Le concile des pasticheurs » (Formules, op. cit.,n°5, 2001, p. 145-169) réalise seulement un centon des propos de Reboux sur le pastiche et fait intervenir parfois Müller, en revanche Abel Valabrègue pastiche bel et bien Reboux (pasticheur pastiché !) dans Les Uns et les autres. Pastiches 1920-1928, Marseille, Éditions des poètes de pays latins, 1934.

[5] Les rééditions furent nombreuses et la majorité en reprit le pastiche de Péguy par Reboux et Müller. Les variations ultérieures (e. g. « tête » et « tette » au v. 16) ressortissent à des hésitations typographiques qui ne sont pas le fait des pasticheurs. En revanche, dans la « Riposte », le mot « ré(péter) » de la revue a été changé en un plat « émettre » : on comprend pourquoi !

[6] Paul Reboux a expliqué le début de tout pastiche : « ébaucher une sorte de plan d’article » (car Reboux insiste sur « ce que le pastiche comporte de critique littéraire » et range les À la manière de… dans ses ouvrages de critique), c’est-à-dire établir un plan du pastiche (« À la manière de… », Journal de l’Université des Annales, n° 21, 15 octobre 1912, p. 527). Ce qu’il dit du pastiche de Huysmans s’appliquerait aussi bien à celui de Péguy : il faut juger d’un pastiche sur la façon dont il fond en un tout les caractéristiques de l’écrivain, il faut le juger sur « la concentration d’un tel amalgame ».

[7] Péguy a peut-être songé à écrire cette neuvaine après avoir lu, dans La Guerre de France et le Premier siège de Paris. 1870-1871 (CQ XIII-3, 8 oct. 1911), une note qui précisaitrapportait le mot de Trochu : « Soyez« Soyez tranquilles,disait-il, ma femme fait une neuvaine à Sainte-Geneviève. »Sainte-Geneviève. » Toujours est-il que le mot chez Péguy n’a plus le sens (technique certes, mais en co-texte péjoratif) qu’il avait encore dans Zangwill (Pl. I, p. 1403) : « pour la commémoration de Zola, pour l’anniversaire de sa mort ne nous a-t-on point fait une semaine sainte, une neuvaine ; sentiment religieux et naissance de la démagogie. »

[8] Et toujours de nuit, dans un climat qui rappelle l’hymne à la nuit de la fin du Porche du mystère de la deuxième vertu.

[9] Après que Joseph d’Arimathée a obtenu la permission de prendre le corps de Jésus ; rappelons que c’est justement sur le personnage de Joseph d’Arimathée que finit le Porche

[10] Cf. le texte posthume Restait M. Lavisse (juin 1911) et les paragraphes alphabétiques de L’argent en févr. 1913.

[11] Au moment où sa jeune tête tombait, un coup de tonnerre retentit et la foudre s’abattit sur le père. D’où son patronage, le plus commun, de tous les artilleurs, canonniers, mineurs, sapeurs et des pompiers, jusqu’aux orfèvres. De nombreuses autres corporations l’ont choisie comme patronne : les ouvriers du bâtiment, les architectes et les mathématiciens (parce qu’elle avait demandé pendant sa réclusion dans une tour, avant l’exécution, à bénéficier d’une troisième fenêtre « trinitaire ») ; depuis la mort de son bourreau, elle patronne les bouchers et les fossoyeurs ; enfin les drapiers, les lingères et les chapeliers (à cause de l’association sémantique de son nom aux poils de la barbe).

[12] Péguy employait le mot dans son adressequand il s’adressait à Lotte dans Un nouveau théologien  (Pl. III, p. 539-540) : « Nous sommes deux vieux Louis-le-Grand, toi et moi, et deux vieux barbistes […]. Nous ferons nos Confessions, mon vieux Lotte. Nous essaierons de représenter ces trois merveilleuses années. Ce vieux Sainte-Barbe et ce vieux Louis-le-Grand. »

[13] Sens qu’accrédite l’anecdote racontée par Reboux dans ses mémoires : sa première virée en maison close se finit par une fuite sous les invites irrespectueuses de prostituées qui lui parlaient sans cesse de « flanelle » sans qu’il y comprît goutte.

[14] Mais dont tire plus souvent parti la plume de Péguy : Po, p. 938, 1063, 1287, 1596.

[15] Preuve, par l’absurde, du peu de sens de la double lecture, la caramelle* ressemble seulement à la caravelle et moque soit le changement populaire de genre que Péguy aime à rapporter en parlant de « l’ouvrage bien faite » en Pl. III, p. 790, soit les licences du poète à la rime pour satisfaire l’œil (« -elle » est imposé).

Le choix par Reboux et Müller de la rime en « -elle » vient peut-être d’une autre œuvre que la Tapisserie de Sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc : des rimes en « -elle » et en « -el » apparaissent chez Péguy dans « Les Sept contre Thèbes » (Le Correspondant, 10 nov. 1912).

Le vocabulaire hétéroclite qui propose cette rime unique et le procédé même de la rime unique viennent d’une troisième œuvre (La Tapisserie de Sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc).

[16] Faut-il vraiment lire dans javelle ce tas de sable tiré d’un marais salant (avec allusion à la phrase « Soyez le sel de la Terre » ou au sel Cérébros de Gregh auquel Péguy fait allusion en Pl. II, p. 668) ou un simple de sarments pour qu’il y ait double lecture (même insignifiante) ? Même s’il faut veiller à ne pas surdéterminer des mots que les pasticheurs ont pu choisir essentiellement pour faire la rime, et s’il est ainsi étonnant de constater que ce n’est qu’un vers ultérieur de Péguy (le fameux « Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés. ») qui pourrait donner un sens plein à l’emploi du mot pris dans le sens agricole le plus courant (brassée de céréales), javelle peut faire allusion au blé de sainte Barbe, qui doit être semé dans une soucoupe garnie de coton humide et tenu au tiède. Le blé sera dru et vert pour Noël, confirmant la fécondité qu’implique cette fête chrétienne…

[17] Chute scatologique qui consonne avec la double lecture « ré(péter) » gommée dans toutes les éditions ultérieures du pastiche.

[18] Resterait beaucoup à dire sur la forme du tercet, empruntée à La Tapisserie de Sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc, sur la nacelle qui se souvient de celle de Jésus (et la métaphore du navire court Ève), sur le grotesque des animaux, sur le stylème de la double lecture, sur la répétition anaphorique…

[19] « Riposte » n’apparaît sauf erreur qu’une fois sous la plume de Péguy (Pl. I, p. 341). Remarquons que Le Grix caractérisera précisément sous le terme de « riposte » le pamphlet que lui adressa Péguy (cité en Pl. III, p. 1607) : « Quelle ne fut pas ma stupeur quand, avec une promptitude dans la riposte qui tenait du prodige, il m’assena ce volume de quatre cents pages par lequel mon nom ne sera même pas perpétué, puisqu’il m’avait rayé définitivement du monde des vivants pour ne m’attribuer plus que la consistance d’un pseudonyme ! »

Si le nom est hapax, « riposter » semble inusité par Péguy, qui emploie « quereller » (« Mais ne querellons point M. Laudet sur des fautes de français. », Un nouveau théologien…, Pl. III, p. 394) ou « répondre » (Un nouveau théologien…, Pl. III, p. 501, 589) face à l’« agression » (Pl. III, p. 524).

[20] Les vers commençant par « Saint Barbe m’a dit », « Et je te… » ou « Pour… » sont 25 sur 28 ! Les anaphores syntaxiques portant sur quelques mots ou sur tout un hémistiche sont, de vrai, légions.

[21] Six adverbes isomorphiques dès la troisième phrase (qui ne seront plus que quatre au quatrième paragraphe) ; la préposition « quand » dans un rythme quaternaire très éloquent (cf. Un nouveau théologien…, Pl. III, p. 573, 574).

[22] Tantôt la parenthèse montre nuement son caractère superflu, comme dans « (tout) ordinairement » ou « attaque (s), riposte (s) », tantôt elle illustre un choix orthographique possible dans « trois cent(s) pages » (Péguy aime de vrai jouer de la grammaire et montrer qu’il la sait certes parfaitement) pour mieux proposer ensuite une double lecture grammaticalement impossible dans les « Saintes Écrit(ure)s », tantôt elle montre l’ironie crûment, par ce rire pastichiel qui perce dans le calembour « ri (poste) » ou, plus exclamatif, dans « ha(bile) » : la poste rappelant sans doute la note de gérance à la manière de Péguy, et la bile désignant le point faible de Péguy !

[23] Elle peut être verbale (« appeler », « donner le nom de », « nommer »), adverbiale (« bassement », « injurieusement », « scandaleusement », « attentatoirement ») ou nominale (« un faux témoin », « un homme de mauvaise foi », « un Barrabas »). La quasi-synonymie devient parfois un prétexte pour mêler – encore cette idée de l’amalgame péguien – des éléments qui jurent entre eux : « christianisme », « pragmatisme » (pique en direction du pragmatisme sorélien ou sous-entendu que Péguy se soucie plus de saisir l’air du temps politique que de rester fidèle à sa mystique ?), « sainteté » sont alignés pour que le lecteur troue l’intrus. « Méconnaître » apparaît dans Un nouveau théologien… dès Pl. III, p. 477.

[24] « J’appelle ça : riposte. » = « C’est riposte que j’appelle ça. » (deux propositions distantes) ; « On riposte quand on a été attaqué. » = « Une riposte est le résultat d’une attaque. »(côte à côte) (deux propositions côte à côte) ou encore « Cette règle est celle des Saintes Écritures. » = « Les Saintes Écritures se règlent avec cette règle. » et « Je conduis avec ces règles. » = « Ces règles sont mes conductrices. » (à la suite).

(deux propositions à la suite). Les jeux logiques de la prose péguienne (cf. en Pl. III, p. 530-531 autour de « règles typographiques » et en Pl. III, p. 551 autour de « compliments ») tournent tant à vide qu’ils aboutissent à de mémorables ratés : « Attaque (s), riposte (s). Riposte, attaque. » contredit dans les termes la chronologie habituelle expliquée par les phrases précédentes et suggèredonc que Péguy peut riposter sans attendre d’être attaqué ! N’ayons donc pas l’audace pour notre part de penser qu’il puisse pasticher Gregh avant son pastiche par Reboux et Müller !

[25] La citation peut être profane ou biblique, à charge (une question que Péguy ne comprendrait point comme oratoire) ou à décharge (un passage évangélique de dont Péguy ne verrait pas qu’il s’appliquerait à lui-même pour ses détracteurs…).

[26] Dût-il tourner au détriment de Péguy en contredisant le titre du passage (« Mais ce n’est pas une riposte. » une fois, « On ne m’a pas attaqué. Je n’ai pas à riposter. » deux fois, « Je n’ai pas à riposter » trois fois) puis en contredisant cette contradiction même (« il faut riposter par la politesse. »). Figures stylistiques illustrant à un niveau textuel les tours de passe-passe idéologiques du penseur Péguy…

[27] L’exclamation « et de quel ton ! » est un leitmotiv d’Un nouveau théologien : « En d’autres termes M. Laudet, nouveau docteur, nous interdit, - et de quel ton, - de contempler les Vertus de Jeanne d’Arc […] » (§ 95 en Pl. III, p. 400) ; « (sur quel ton) » (§ 250 en Pl. III, p. 472) ; « sur ce ton » (§ 310, Pl. III, p. 589). Source qui confirme partiellement ce que déclarait Reboux en 1950 (préface à Georges-Georges-Armand Masson, PF-18) :Armand Masson, À la façon de, Pierre Ducray, 1950, p. 18) : « En nos À la manière de…, nous avons toujours piqué, dans notre texte, des phrases authentiques des auteurs pastichés. » Proust ne fit jamais de la sorte dans ses Pastiches.

[28] Les adverbes « attentatoirement » et « inchrétiennement » (qu’aurait fort bien pu forger Péguy) ne sont relevés dans aucun dictionnaire. La verve néologique de Péguy a produit des adverbes semblables au premier (« complémentairement », « culminamment », « faussairement », « feintement ») comme au second (« inattentivement », « inciviquement », « indécisément », « indéfaisableent », « indélibérément », « inexpiablement », « inorganiquement », « inséparément »). Ce dernier est formé sur la série « inchrétien » (Littré ; 1901-1902 chez Péguy en Pl. I, p. 798 et 904 puis dans Un nouveau théologien… en Pl. III, p. 395, 459, 510-511 où les pasticheurs semblent l’avoir remarqué), « inchrétienté », « inchristianisation », « inchristianiser », « inchristianisme » (tous de Péguy en 1912 dans le Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle : ils n’ont pu inspirer Reboux et Müller).

Pour une longue suite d’adverbes, lire Pl. III, p. 428, 566, 587.

[29] La question, au quatrième paragraphe, passe rapidement du christianisme de l’auteur à sa sainteté, et de sa sainteté à lui seul ! Le comble étant encore la nomination même de cettemention d’une qualité que l’on ne peut s’attribuer sans risquer de tomber dans le ridicule : l’humilité.

[30] « Règle » et « règlement » peuvent venir de Pl. III, p. 472-473 (« réglé » et « règle »), 524 (règle de méthode), 530-531 (règles typographiques), 547 (la règle du genre de l’éloge), 557 (qu’il y a une règle de la guerre), 562. Il ne peut provenir d’un passage très antérieur (1903), où le mot est fréquent (Bernard-Lazare, Pl. I, p. 1232), mais resté inédit du vivant de Péguy.

« Barabbas » au figuré n’est pas de Péguy, qui répugne à retrancher quiconque du monde catholique (Pl. III, p. 558), de même que « faux » , même si Péguy accuse Laudet de « trahison », de « fourberie » (518-519, 523, 527, 532, 544), d’« hérésie » (472-473) et de « mauvaise foi » (552).

Quant au « ça », il vient de « L’homme qui écrit comme ça, l’homme qui écrit ça […] » (Un nouveau théologien…, 500).

[31] « Imbécile » appliqué au renégat Le Grix n’a pas le sens pascalien en 589, mais équivaut à « sot » (543-544), mots bien proches de la diffamation (521)…

Le procédé de l’insulte en crescendo apparaît aussi dans le pastiche de Huysmans par Reboux et Müller : « L’infortunée cuisinière Palmyre va être traitée tout le long du récit d’une façon de plus en plus rude et injurieuse. Elle sera nommée successivement : maritorne, mégère, souillon, tortionnaire, virago ; elle s’enlaidira, elle sera chargée des méfaits les plus effroyables. Nous avons voulu traduire par là ce qu’il y a d’un peu maniaque en Huysmans. C’est une espèce de folie de la persécution qui l’agite lorsqu’il s’attaque à quelqu’un. » (Paul Reboux, « À la manière de… », Journal de l’Université des Annales, n° 21, 15 octobre 1912, p. 528).

[32] Matthieu 5, 9, 10, 12 et 13 ; Marc 8 ; Luc 6, 7 et 17 ; Jean 10 et 18.

Péguy cite bien autrement que les curés lors de leurs prêches (« mes très chers frères » vs « M. Laudet vous savez très bien que je ne prêche pas. », Pl. III, p. 570) : soit par le nom de l’évangéliste seul (Un nouveau théologien…, Pl. III, p. 398, 429) soit sans préparation (Pl. III, p. 416) ou avec une préparation minimale (Pl. III, p. 413), soit avec familiarité (« Ces paroles […] sont du vieux Luc. II, 51 » en Pl. III, p. 415), soit encore avec objectivité pédagogique (« au livre des Rois, lire I, chapitre XVII, verset 4 » en Pl. III, p. 509 et en Pl. III, p. 565). Qui plus est, Péguy pense qu’il vaudrait mieux citer l’Évangile en latin (Pl. III, p. 585)…

[33] À rapprocher de : « Et par contre notre thèse est qu’il y a une certaine incapacité d’écrire, une sorte de malpropreté d’écriture qui dé(ha)bilite un homme pour les hommes et pour les œuvres de l’écriture. » (Un nouveau théologien…, Pl. III, p. 501), voire de : « M. Péguy a précisé souent que des trois catéchismes qu’il a(vait) reçus celui qui avait été sa source la plus profonde […] était le premier des trois […] » (Un nouveau théologien…, Pl. III, p. 399).

[34] Termes pris dans Un nouveau théologien… en Pl. III, p. 478-479.

[35] Résolvant ainsi l’aporie des fins de pastiche en etc. relevée par Jean Milly dans les Pastiches de Proust, Colin, 1970, p. 35.