Université de
Paris-IV Sorbonne
U.F.R. de
littérature française et comparée
LES
NÉOLOGISMES DE FORME
CHEZ
PÉGUY ET SES CONTEMPORAINS
mémoire de D.E.A.
rédigé par Romain
Vaissermann
sous la direction de
Madame le Professeur Millet-Gérard
septembre 1997
Ergo utimur verbis aut iis quæ
propria sunt et certa quasi vocabula rerum pæne una nata cum rebus ipsis aut
iis quæ transferentur et quasi alieno in loco conlocantur aut iis quæ novamus
et facimus ipsi.
Les mots que nous utilisons peuvent
donc être des termes propres, nés presque en même temps que la chose qui les
définit; ou bien des mots métaphoriques, mis en somme pour un autre; ou enfin
des mots nouveaux, que nous créons de notre propre chef.
Cicéron, De oratore,
lib. III, §149
Le précepte général en cas
d’innovation de mots, est que nous ayons l’astuce de les cacher parmi les
usités, de sorte qu’on ne s’aperçoive point qu’ils soient nouveaux.
Jacques Peletier, Art poétique, livre I,
chap. 8
Ce mémoire est dédié à...
Mlle Marie-Hélène Depardon,
Mme Anne Souvoroff,
Mme Renée Thomas.
Je
tiens à remercier de leur aide...
M. Daniel Béguin,
M. Robert Burac,
Mme Christine Ducourtieux,
Mme Dominique Millet-Gérard.
NOTE TERMINOLOGIQUE
De toute la famille des mots exprimant
l’idée de “néologie” (notre liste ne se veut pas exhaustive) nous n’emploierons
que ceux en gras, consacrés par l’usage ou des plus utiles:
- anti-néologique (1935, Éd. Pichon)
- antinéologique (1866 in FEW)
= “opposé à l’usage de néologismes”
- demi-néologisme (1956, G. Antoine)
- néologer (1965, Fréd. Dard)
-
néologerie (1982, M. Bertrand)
- néologicité (1974, Chr. Marcellesi)
- néologie (1758 in DHLF)
= “art d’employer des néologismes”
-
néologien (1737 in FEW)
- néologier (1801, L.-Séb.
Mercier) = “recueil de néologismes”
- néologique (1726, abbé
Desfontaines) = “relatif à la néologie”
- néologiquement (1847 in FEW)
- néologiser (1837, H. de
Balzac) = “user de néologismes”
- néologisme (1734, abbé
Prévost) = “mot nouveau”
- néologiste (1796, Ch.-Fréd.
Reinhard) = “(écrivain) qui use de néologismes”
- néologistique (1928, Th. Joran)
- néologite (1956, R. Le Bidois)
- néologue (1723, abbé
Desfontaines) = “(écrivain) qui use de néologismes”
- néologuer (1991, H. Meschonnic)
- surnéologisme (1928, Th.
Joran)
Nous distinguerons les deux adjectifs
“péguyen” et “péguyste” en ce que le premier renvoie à l’œuvre de Péguy quand
le second qualifie davantage une idée, une position propres à Péguy ou se
voulant fidèles à lui.
INTRODUCTION
Dans notre mémoire de maîtrise[1], nous avions constaté un hiatus entre les
déclarations antinéologiques de Péguy et sa créativité lexicale - remarquable par
sa grande variété tant morphologique que stylistique, tout au long de l’œuvre
péguyenne. Notre travail de D.E.A. tente de prolonger cette étude dans deux
directions. Il fallait asseoir avec plus de rigueur nos recherches stylistiques
sur une lexicologie plus affinée. Aussi avons-nous d’abord dressé une liste
exhaustive des néologismes de forme chez Péguy, tenant compte de quasiment tous
les écrits de Péguy connus à ce jour (qu’ils soient édités ou non)[2]. Ce relevé, qui s’est voulu le plus riche
possible en information sur chaque mot, constitue déjà une interprétation et
une exploitation de notre “néologier” brut de maîtrise. Afin de mieux
comprendre et le rôle que jouent les mots nouveaux dans le style péguyen et
l’originalité de ce style en son temps, notre attention s’est tournée vers les
lectures qu’a faites Péguy: certaines traitaient-elles de la néologie, et en
quels termes? Quels dictionnaires utilisait notre auteur? Ces questions simples
n’avaient jamais encore été posées ni a fortiori trouvé de réponse; nous
avons pu tirer profit de la bibliothèque de Péguy, très récemment publiée.
Suivre à la trace Péguy dans ses
lectures linguistiques et dans sa consultation des dictionnaires permet de
réviser l’opinion répandue selon laquelle Péguy aurait peu lu en dehors des
ouvrages scolaires. Cette idée ne vient-elle pas avant tout de notre
méconnaissance? Pour y répondre, il nous faut exploiter toutes les pistes que
peuvent fournir les témoignages biographiques sur Péguy, les correspondances de
Péguy avec son entourage, la liste des emprunts à la Bibliothèque des lettres
de l’E.N.S. et l’inventaire de la bibliothèque possédée par le couple Péguy,
les quelques allusions à ses lectures que Péguy glisse dans son œuvre.
Notre sujet a-t-il déjà été exploré?
Il faut avouer que la lexicologie ne s’est guère illustrée dans les études
péguystes. À peine note-t-on ici et là quelques articles et quelques mémoires;
un seul livre, issu d’une thèse, se consacre au vocabulaire de Péguy. Il y eut
bien quelques projets sans suite. Ainsi la thèse de Gilbert Léoutre, dont le
sujet: L’Invention verbale chez Péguy. Significations et effets lui
avait été suggéré en 1963 par Gérald Antoine - qui aurait dirigé ce travail -,
n’a jamais été commencée[3]. Ainsi, parmi les thèmes lancés pour le colloque
du centenaire de la naissance de Péguy et qui n’ont guère trouvé d’écho,
trouve-t-on “le vocabulaire de Péguy, l’invention verbale”, suggérés par Roger
Secrétain, président de ce colloque intitulé tout de même “Péguy écrivain”
(voir FACP n°172, p. 16). Ainsi le colloque de Bruxelles, tenu pour la
même occasion en 1973 (voir FACP n°198, p. 55) et où se fit
remarquer une communication d’André Goosse sur “Le vocabulaire de Péguy”,
restera-t-il inédit malgré les efforts de ses organisateurs... Une fatalité
semble peser sur le sujet!
Est-ce à dire que nous n’ayons aucun
précurseur? Non. Cette étude ne fait que répondre, tardivement il est vrai, au
souhait qu’exprimait Gérald Antoine en 1973: “C’est toute une Néologie dont le
tableau attend d’être brossé, gigantesque, fantasque et bigarré. [...] Le
nombre édifie mais [...] l’on aurait surtout besoin d’analyses qualitatives“
(p. 525-526 in “La joie des mots chez Péguy”, RHLF n°2-3,
1973). De même, Pie Duployé et Roger Secrétain[4] appelaient-ils de leurs vœux l’établissement du
“lexique Péguy” que n’esquissent qu’imparfaitement les Tables analytiques
des œuvres de Charles Péguy d’Andrée Fossier (L’Orante, 1947) - qui avouent
d’ailleurs se vouloir moins un lexique qu’une orientation dans l’œuvre de Péguy
(par concepts et association d’idées), voire une anthologie de Péguy. La liste
des néologismes péguyens fait un pas important vers l’informatisation du
vocabulaire de Péguy, dont il fallait pour une évidente question de volume
commencer l’étude par les marges. Notons d’ailleurs que l’énumération et la
systématisation ne constituent pas la fin de cette analyse du lexique. Nous
voudrions surtout être utile aux chercheurs futurs, permettre aux lexicologues
et aux péguystes d’enfin se rencontrer. Nous ne pouvons pourtant nier qu’il
faille prendre parti entre les deux théories structuraliste et générativiste.
Cette dernière nous a paru mieux convenir à l’analyse de la phrase péguyenne
dont on sait comme elle est prégnante, et au mode de pensée de Péguy tel qu’il se
laisse appréhender dans les mots mêmes - non assemblages d’éléments formants
mais reformulation miniaturisée d’un sous-texte phrastique. Louis Guilbert et
sa magistrale Créativité lexicale (Larousse, 1975) guideront donc
l’étude de la néologie péguyenne, même si nous devrons quelquefois aménager sa
théorie en fonction des problèmes spécifiques que nous pose notre corpus de
mots.
Telle sera notre position péguyste et
lexicologique. Mais revenons à la notion même de “néo-logisme”, dans la
nouveauté qu’elle désigne. Chez Péguy, il s’agit bien entendu de “néologismes
d’auteur”. Cela signifie-t-il que seules la volonté et la conscience avérées de
l‘auteur définissent l’innovation lexicale? Il nous semble que les deux
registres du volontaire et du conscient voisinent déjà mal, s’ils ne s’opposent
pas. La détermination d’un néologisme voulu ou écrit en conscience, sous
prétexte de rechercher toujours la vérité, vient en dernier ressort d’une
appréciation subjective, du côté non pas de l’auteur mais du lecteur. Aussi
avons-nous choisi d’adopter le point de vue le plus neutre possible - à savoir
celui de l’histoire de la langue. Un mot sera donc dit nouveau quand nulle
attestation n’en a pu être trouvée antérieurement - que Péguy ait su ou non,
qu’il ait pressenti ou non cette nouveauté. Partant, nous devions améliorer au
maximum notre compétence lexicale. Ce qui pourrait passer pour une définition
sévère de la néologie (conçue stricto sensu) se révèle en fait une
définition généreuse en ce qu’elle s’interdit de prendre en considération des
datations approximatives (hélas fréquentes et sans autre valeur
qu’hypothétique) et le critère de la vraisemblance[5].
Du néologisme de forme, presque chaque
linguiste a sa propre définition; ou plutôt, chacun s’en fait sa propre idée,
sans qu’elle s’exprime forcément par des mots différents! Pire encore: quand il
y a définition personnelle et explicite, loin s’en faut qu’elle soit toujours
claire. Le théoricien, en général, a tendance à passer sous silence tous les
cas d’exception parce que ce non-dit facilite la systématisation; ou bien il
oublie certains éléments, qui peuvent infirmer la classification de son corpus
de néologismes, parce qu’ils lui semblent hors sujet. Du concept de forme en
tout cas, fort peu se sont souciés. Nul ne peut nier, qu’il se soit penché - ne
fut-ce qu’un instant - sur les manuscrits de Péguy ou qu’il se rappelle le soin
méticuleux que prenait le gérant des Cahiers de ne laisser imprimer dans
sa revue aucune coquille, le souci péguyen de la forme des mots, au sens le
plus concret. Aussi entendons-nous le mot de “forme” de la façon qui suit:
toute nouveauté introduite par Péguy dans l’ordonnancement graphique d’un mot
relève de sa néologie, excepté ce qui touche la typographie (corps, graisse,
style d’écriture - gras, italiques...)[6] et la ponctuation (trait oblique, trait d’union
exprimant un rapport ou une alternative...) mais y compris ce qui, dans la
typographie, détermine la distinction entre noms propres et communs (emploi des
majuscules[7]). Tout ce qui touche l’écriture proprement dite
du mot: une lettre, un accent, un trait d’union, une apostrophe, un point dans
le cas du sigle, un espace même - entre le préfixe et la suite du mot (ou d’une
façon plus générale, entre deux parties d’un même mot[8]) - sera donc sujet à transformation néologique.
Dans chaque cas, la nouveauté peut provenir de l’absence d’un (ou plusieurs)
traits habituels, ou de la présence d’un (ou plusieurs) traits novateurs. Toute
variante graphique d’un mot existant est considérée comme néologique; de même,
une variante graphique d’un néologisme est considérée comme un nouveau
néologisme. La néographie appartient donc pour nous à la néologie. Reste une
difficulté: comment distinguer le néologisme ainsi défini[9] d’une banale faute d’orthographe? Nous excluons
bien entendu de notre liste toute coquille que l’examen des manuscrits ou des
éditions originales permet de déceler. Mais que penser des bizarreries, rares
il est vrai, de certaines graphies chez Péguy? Si le manuscrit du texte où se
trouve la forme sujette à caution et une édition du vivant de Péguy
s’accordent, alors - compte tenu du soin que Péguy mettait à la qualité
typographique de ses éditions - il faut qualifier de néologique la nouveauté
graphique; si le texte en question n’a pas été édité du vivant de notre auteur,
le doute subsiste. Si le mot litigieux peut (compris comme création volontaire)
avoir un sens, nous l’avons inclus dans notre liste. Or aucune orthographe ne
nous a paru incompréhensible. L’orthographe de Péguy s’est révélée toujours
significative, jamais fautive[10].
Nous dirions volontiers, pour résumer,
que dans le péguysme nous intéressent les essais stylistiques, que parmi les
écoles lexicologiques un générativisme soucieux de la forme nous convainc le
plus et qu’en lexicographie seule la précision peut apporter du fruit et
faciliter les découvertes.
I.
- Quels sont les néologismes de forme
de
Péguy?
a)
Les critères de leur classement dans le néologier
Voici l’explication de notre liste et
la justification de ses rubriques:
- le premier renseignement
donné pour chaque mot est sa localisation dans les éditions de l’œuvre de Péguy
que nous avons choisies (voir la bibliographie en A1b). Toutes les occurrences
ont été répertoriées avec précision: le mot se trouve à la page dont le numéro
est indiqué; les éventuels réemplois dans la même page sont indiqués grâce à
des parenthèses qui donnent le total des emplois du mot dans la page. Nous
avons essayé de rationaliser l’usage des abréviations qui a cours chez les
péguystes, de la façon qui suit:
-
A correspond au volume I des Œuvres en prose complètes de la Pléiade
(édition de Robert Burac)
-
B au volume II
-
C au volume III
-
CQ aux Cahiers de la quinzaine de Charles Péguy (suivent le numéro
de la série en chiffres romains et celui du cahier en chiffres arabes)
-
P (comme “poésie”) au volume des Œuvres poétiques complètes de la
Pléiade (édition de Marcel Péguy & Julie Sabiani)
-
Q (comme “quatrains”, ancien nom de l’œuvre) à la Ballade du cœur qui a tant
battu (édition de Julie Sabiani)
-
R (comme “roi”) à la Chanson du roi Dagobert (édition de Robert Burac)
-
S (comme “Sabiani”) aux Alexandrins inédits et poèmes posthumes de Charles
Péguy: 1903-1913 (édition de Julie Sabiani)
-
“bacp” à L’Amitié Charles Péguy. Bulletin d’informations et de recherches
(dirigée par Jean Bastaire)
-
“facp” aux Feuillets de l’Amitié Charles Péguy (dirigés par Auguste
Martin de 1947 à 1978)
-
“inv. 1986” à l’inventaire des manuscrits de Charles Péguy effectué par le
Centre Charles Péguy d’Orléans en 1986 (suit le numéro de la pièce)
- “mss” aux Manuscrits de
Charles Péguy édités par Julie Sabiani (Imprimerie municipale, Orléans,
1987. Suit le numéro de la pièce)
-
“posth” aux Œuvres posthumes de Charles Péguy éditées par Jacques Viard
(in CACP n°23, 1969).
Les occurrences suivent, pour les
œuvres éditées du vivant de Péguy, l’ordre chronologique de publication; et
pour les œuvres inédites du vivant de Péguy, l’ordre chronologique d’écriture
(qu’il soit assuré ou seulement supposé). Nous avons gardé la séparation des
références aux éditions, pour une meilleure lisibilité. Il faut donc comprendre
cette disposition:
A..... comme signifiant cet ordre: A.....
C.....-P-..... C.....
P..... P.....
C.....
- en second lieu sont données
l’orthographe du néologisme et la typographie exacte (majuscule, italiques,
parenthèses, guillemets) de sa première occurrence chez Péguy. Les changements
ultérieurs de graphie sont à rechercher dans la liste à la place normale de la
variante; les changements ultérieurs de typographie n’ont pas été indiqués.
Quelle que soit l’écriture du mot dans le contexte de sa première occurrence:
-
tout nom est donné au singulier, sauf si le contexte ne permet pas de déceler
quelle serait la forme du singulier, ou si ce même contexte invite à penser que
le mot n’existe pas au singulier dans l’esprit de Péguy
-
tout adjectif est donné au masculin singulier, sauf si la forme féminine est
seule néologique ou si la forme masculine est indécidable
-
tout verbe est donné à l’infinitif.
- dans la troisième colonne est
indiqué le nombre total d’occurrences du mot chez Péguy. Quand le néologisme
fait partie d’un titre, nous n’avons pas compté les réapparitions du mot dans les
titres courants. De même, la présence du néologisme dans les différents états
d’un même texte n’a pas été comptabilisée.
- la quatrième rubrique date le
temps d’activité du néologisme, par année. Il s’agit tantôt de la datation de
l’hapax (quand n’apparaît qu’une seule année), tantôt des deux années où
le mot est employé (quand un signe “+” sépare deux années), tantôt de la
période pendant laquelle Péguy utilise le mot (quand un tiret sépare deux
années). La date minimale de cette colonne constitue une nouvelle datation du
mot; elle est toujours meilleure que celles proposées par les dictionnaires que
nous avons consultés (voir la bibliographie en B1a) et qui ou bien ne recensent
pas le mot en question, ou bien le postdatent, ou bien l’estiment antérieur à
ma datation (ce qui n’a pas de valeur: nous ne nous fions qu’à l’occurrence et
à l’attestation). La date indiquée correspond à la date de publication ou, pour
les œuvres inédites du vivant de Péguy, à l’année supposée d’écriture. Lorsque
cette dernière est particulièrement douteuse, elle figure en caractère gras.
- la cinquième colonne indique
à quelle partie du discours appartient le néologisme. Les adjectifs
substantivés sont classés comme des noms. Les participes passés et les
participes présents à fonction d’adjectifs dans le contexte sont classés comme
des formes verbales plutôt que comme adjectifs indépendants, sauf lorsque
l’infinitif correspondant aurait enfreint les lois morphologiques du verbe
français. Toutes les occurrences sont prises synthétiquement en ligne de
compte; or changent de catégorie grammaticale, chez Péguy, seulement certains
adjectifs (substantivés) et certains noms (adjectivés); l’ordre d’apparition a
donc été conservé, qui permet de distinguer les évolutions inverses de “n,adj”
(mot d’abord employé comme nom puis comme adjectif) et “adj,n” (employé comme
adjectif puis comme nom).
Entrer dans le détail de tous les
emplois successifs du mot aurait été fastidieux, long et de peu d’intérêt.
Voici les abréviations utilisées: “adj”, “adv”, “n” et “v” pour,
respectivement, “adjectif”, “adverbe”, “nom” et “verbe”.
- la sixième indication
attribue à chaque néologisme un mode de formation; pour cette attribution, nous
avons suivi la théorie syntactico-morphologique dite “générative”, telle que
Louis Guilbert l’a pratiquée. Ici encore, entrer dans trop de détails eût rendu
la colonne illisible; voici donc nos huit abréviations:
-
néologie phonologique = “phon”.
-
néologie graphique...
-
jouant sur l’écriture d’un mot = “graph”
-
par mot-valise = “valise”.
-
néologie par emprunt à une autre langue = “empr”.
-
néologie par dérivation...
-
paradigmatique:
-
“suff” = “par suffixation”
-
syntagmatique:
-
“préf” = “par préfixation”
-
“comp” = “par composition”
-
“sigl” = “par siglaison”.
À force d’hésiter entre deux classes,
nous avons été conduits à observer deux règles, qui sont autant de partis pris:
nous considérerons toujours que Péguy approfondit l’axe paradigmatique et non
qu’il en entame un nouveau; que Péguy introduit le nom en “-isme” avant de
penser à son dérivé en “-iste”.
- la septième colonne précise
la situation phrastique du néologisme dans le contexte où il apparaît (le plus
souvent dans le corps des œuvres; mais parfois le mot appartient au titre). Ces
indications donnent parfois plus de renseignements qu’une simple citation du
contexte; le style même de Péguy aurait par ailleurs rendu difficile le
découpage de ces citations. Voici l’explication des abréviations...
-
concernant la spécificité typographique du mot[11]:
-
ital, parenth, titre signifient respectivement qu’il est
en tout ou partie en
italiques, qu’il figure entre parenthèses, qu’il appartient au titre
-
les signes “-” indiquent que le mot apparaît entre guillemets.
-
concernant les marques métalinguistiques autour du mot:
-
préc- / -préc signifient respectivement qu’avant ou après
le mot se trouve
une précaution oratoire
-
déf- / -déf signifient respectivement qu’avant ou après le mot se
trouve sa
définition.
-
concernant la place syntaxique du mot, x/y, où x et y sont
des entiers, signifie que le mot occupe le xe rang de y termes isotopiques dans la même
phrase (considérée comme unité de discours délimitée par un point suivi d’une
majuscule), sans compter les termes amenés par une particule de coordination ni
les termes en apposition.
Donnons trois exemples de la syntaxe
simple de ces abréviations:
-
“ital+parenth” signifie que le mot, entre guillemets, est écrit avec des
italiques dans le texte et que des parenthèses introduisent le mot ou le
divisent
-
préc-préc signifie que deux précautions d’emploi, ou davantage,
entourent le mot
-
déf+ital3/3 signifie qu’une définition précède le mot, écrit avec des
italiques et troisième terme d’une série de trois termes occupant la même
fonction syntaxique dans la phrase.
- la huitième et dernière colonne
précise le statut et le genre du texte dans lequel le néologisme apparaît. Si
au cours de l’œuvre de Péguy le mot réapparaît dans d’autres types de textes,
alors ils sont indiqués dans l’ordre chronologique de leur apparition. Nos
abréviations...
-
si le mot apparaît dans l’œuvre:
-
“p” comme “prose” (en italiques, les textes inédits ou posthumes, en gras le compte rendu
sténographique d’une conférence)
-
“po” comme “poésie” (en italiques, les textes inédits ou posthumes)
-
“th” comme “théâtre” (en italiques, les textes inédits ou posthumes).
-
s’il apparaît dans les autres écrits:
-
de l’enfant et de l’adolescent:
-
“R” comme “rédactions” (et dissertations)
-
de l’adulte:
-
“C” comme “correspondance”
-
“D” comme “dédicaces”
-
“E” comme “entretien”.
b) La liste totale ou néologier
[partie non encore disponible]
II. - La période de formation de
Péguy
a) La lettre de 1896
La première
déclaration de Péguy concernant les néologismes vient assez tôt: il n’a que
vingt-trois ans lorsque le mot “néologisme” apparaît sous sa plume, dans une
lettre à son ami André Bourgeois, qu’il avait connu au lycée d’Orléans dix ans
plus tôt, en 1886. Mais cette lettre de Péguy garde une certaine obscurité du
fait de son contexte: c’est le deuxième mot de Péguy à Bourgeois qu’il nous
reste (et il y a fort à parier que les deux premières lettres qui nous restent
se suivirent directement dans la réalité, même si elles ne furent peut-être pas
les premières). Nous manque hélas la lettre intercalaire de Bourgeois, réponse
au premier mot de Péguy et qui seule pourrait efficacement éclairer la seconde
lettre de Péguy. Donnons le texte de ces deux lettres, établi par Auguste
Martin (p. 3-4 de la correspondance Péguy-Bourgeois parue in FACP
n°8, 1950) et revu par nous-même. Précisons que Péguy se trouvait alors à
Orléans parce qu’il avait obtenu un congé de l’E.N.S. pour l’année scolaire.
I
Orléans,
mardi 4 février 1896
Mon
cher Bourgeois,
Je t’envoie ci-joint,
et te prie de vouloir bien garder comme un gage de notre amitié un billet de la
tombola que nous avons organisée pour bâtir une verrerie ouvrière à nos amis de
Carmaux. Je ne sais pas si tu es au courant des événements qui nous conduits
là. Mais, quoi que tu en saches, et quoi que tu en penses, cette bâtisse est,
en elle-même, une œuvre incontestablement bonne.
Si donc tes économies
te permettaient de me commander un certain nombre de billets à vingt centimes,
tu me ferais le plus grand plaisir.
J’attends tes ordres
pour le plus tôt que tu voudras bien.
Je te prie de vouloir
bien présenter tous mes respects à ta mère.
Je te serre bien la
main.
Ton ami
Charles
Péguy
II
Orléans,
jeudi 6 février 1896
Mon
cher Bourgeois,
Je te remercie beaucoup
de m’avoir ainsi aidé. Je te remercie surtout de m’avoir laissé choisir
l’emploi de cette aide. Je ne l’emploierai pas selon mes idées présentes, mais
selon les idées que tu avais l’année dernière à pareille date.
Il y aurait trop à dire
sur ta lettre pour que je t’en écrive à présent. Nous en parlerons à loisir à
la fin des vacances. Un détail seulement. Le mot anglais que je n’ose remettre
ici a été surtout mis en usage en France pour l’Exposition de 89 et, si cette
exposition était internationale, elle n’était pas organisée par des
internationalistes, au sens et sous les réserves où nous le sommes. Il est vrai
que les socialistes emploient assez souvent des mots mal formés. Mais ceux qui
travaillent à une telle œuvre de vie ne doivent peut-être pas autant s’attarder
aux mots que ceux qui travaillent aux œuvres d’art. Le mot Christianus
fut pour les Romains ce que les grammairiens appellent un “affreux néologisme”,
et les nouveaux venus donnèrent au mot de caritas un sens qu’il n’avait
évidemment pas dans la bonne latinité.
Au revoir, mon cher
Bourgeois. Je te serre bien la main.
Ton ami
Charles
Péguy
Manifestement,
l’appel à la générosité a été entendu par Bourgeois. Mais, alors que la lettre
du 4 ne parlait guère que de la nécessité de ce petit soutien financier, la
réponse de Bourgeois semble avoir été longue; en tout cas, Péguy a-t-il
beaucoup de choses à en dire. Ce dernier choisit de ne revenir que sur un
“détail”, sur une question qui touche l’expression. “Le mot anglais” dont il
s’agit ici porte à conjecture: il n’est pas cité, pour les bonnes raisons que
les deux correspondants savent fort bien de quoi il retourne et que Péguy se
refuse à réécrire le terme, par scrupule puriste de n’employer que des mots
bien formés. Vu la lettre initiale de Péguy, dans laquelle le seul emprunt
récent est “tombola” (dont le premier emploi en français remonte au début du
XIXe siècle, et qui provient de l’italien), le mot en
question peut avoir été utilisé par le seul Bourgeois dans sa lettre
intercalaire. Pour que Péguy n’éprouve pas le besoin de le spécifier, il faut
que Bourgeois ait posé à son sujet une question de vocabulaire à son ami.
L’expression “le mot que je n’ose remettre ici” devrait donc s’entendre en ce sens
que Bourgeois le premier “mit” le mot dans sa lettre[12]. Quoi qu’il en soit du mot précis, Péguy montre
de fait sa compétence lexicale face à la demande de Bourgeois (dont on peut
reconstituer le noyau: “Peut-on d’après toi employer le mot X?”); il
parvient à indiquer vers quelle époque le mot, de rare qu’il était, s’est
répandu dans l’usage courant. Il le fait même avec précision: il s’agit de
l’Exposition universelle de 1889 qui s’est tenue à Paris. Après cela, Péguy
enchaîne sur la nécessité d’un distinguo entre les divers sens des mots
de la famille d’«international». Sans doute répond-il ici à une objection,
supposée rhétoriquement ou déjà exprimée dans la lettre de Bourgeois (le “et”
prend une valeur adversative): pourquoi se défendre d’user de mots empruntés (à
l’anglais comme à n’importe quelle autre langue étrangère) lorsque l’on se dit
internationaliste, ainsi que le fait Péguy, voire Bourgeois lui-même? Péguy
n’admet pas l’usage qu’a fait du mot anglais l’Exposition de 1889:
l’internationalisme politique n’a rien à voir avec la juxtaposition des
pavillons des différentes nations, parmi lesquelles trônent les grandes
puissances; juxtaposition temporaire organisée dans un esprit de concurrence
économique et presque de nationalisme. Péguy se déclare, en conséquence,
internationaliste par ses convictions politiques mais français d’expression. La
structure syntaxique des deux phrases suivantes (“Il est vrai [...]. Mais
[...].”) indique que Péguy répond à une seconde objection. Bourgeois pourrait
arguer d’exemples de mots plus laids encore que le mot anglais. Le désir de
Péguy que les internationalistes en politique se distinguent de ceux qui
parlent un baragouin international[13], se réduirait alors à un vœu pieux.
Pour critiquer
l’Exposition, Péguy n’en réprimande pas moins les abus de langue que commettent
ses compagnons politiques. Notons que l’emprunt et le composé allogène, selon
la terminologie de Louis Guilbert (voir p. 89-100 & 224-248 de La
Créativité lexicale, op. cit.), se trouvent ici naturellement
rapprochés: l’un n’a pas une morphologie française, l’autre est “mal formé”. À
moins que Péguy n’établisse aucune différence entre les deux procédés
néologiques. Devant l’objection, Péguy en appelle à la hiérarchie qui existe
entre les domaines politique et langagier, ainsi qu’à l’urgence: l’idéal de
solidarité, à réaliser hic et nunc, dispense en quelque sorte les
politiques socialistes de perdre du temps à choisir leur vocabulaire (dans les
discours, les tracts, les pétitions syndicales...) - un temps qui serait gagné
par la réaction. Péguy compare le politique à l’écrivain - défini techniquement
comme “celui qui travaille aux œuvres d’art”: le souci du mot juste n’a pas la
même intensité chez celui-ci que chez l’autre, occupé à l’action avant tout, avant
le langage. L'esprit de Péguy fonctionne par association d'idées, dans un
"demi-dialogue" écrit dans une succession de prises de position et
d'objections. Péguy indique que le "mot anglais" a surtout été
employé pendant l'Exposition de 1889, en suggérant implicitement qu'il faut
condamner cet emprunt; Péguy pourtant se définit comme internationaliste, de
même que les grandes expositions se disent internationales: le langage
constituera donc une des réserves de l'internationalisme politique de Péguy. Mais
les socialistes parlent mal français, alors qu’il faut alors prendre soin de
son langage (aspect implicite). C’est que l'œuvre du socialiste passe par
l'action avant le langage; il faut donc ne pas pousser le soin du langage aussi
loin que le font les écrivains, véritables spécialistes. Suit un exemple de
l'évolution sémantique des mots, tiré de l'Antiquité: l'apparition du
vocabulaire chrétien et sa propagation ont changé la langue latine. Deux mots, Christianus
et caritas illustrent les deux domaines de l'innovation formelle et
sémantique; le premier vocable seul - création formelle - se voit qualifié
d'«affreux néologisme», alors que le second a seulement pris "un sens
qu'il n'avait [...] pas auparavant". Deux instances marquent de péjoration
ces mots nouveaux: la "bonne latinité" (métonymie pour désigner les
bons auteurs que sont Tite-Live, César, Virgile, Cicéron...) et les
"grammairiens" (les linguistes du XIXe siècle). Le purisme n'a pas d'âge: il a toujours
réprouvé des innovations qui quelques temps après semblent usuelles, utiles,
inattaquables et normales.
Péguy veut donc relativiser, en
fonction du temps, la question du néologisme mais il ne prend pas partie quant
au caractère fondé ou non de l'expression d'«affreux néologisme». Nous avons
échoué à localiser chez un auteur cette alliance de mots: dans aucun des
dictionnaires que nous avons consultés ne se lit l'adjectif "affreux"
(ni l'adverbe "affreusement") à proximité d'un mot de la famille de
"néologie". La tournure la plus éculée[14] correspondrait plutôt à "l'abus de la
néologie" - moins riche de connotations esthétiques et plus proche de
l'idée sous-jacente de norme. Péguy ne cite pas en réalité de livres précis
(l'«affreux néologisme» était-il l'expression d'un de ses anciens professeurs?)
mais exprime ce que beaucoup de livres n'écrivent pas si directement. Les
exemples donnés par Péguy s'éloignent du contexte géographique et culturel du
"mot anglais". Sur cet excursus s'interrompent les
considérations linguistiques de Péguy: la lettre finit, après quelques formules
de politesse. Le point de "détail" nous reste obscur, dans son objet
même: quel était ce mot anglais? Une supposition a déjà été formulée dans un
article non signé paru le 15 janvier 1950 dans La Croix. Cet articulet,
inconnu des péguystes et que nous avons retrouvé au hasard de notre
dépouillement dans l'argus de la Presse conservé par le Centre Péguy d'Orléans,
se fait l'écho de la publication du dernier numéro en date des Feuillets
de l'Amitié Charles Péguy - qui ont publié la lettre une seule et unique fois,
dans le numéro de janvier 1950. L'auteur anonyme n'a pas disposé de beaucoup de
temps pour la réflexion et l'hypothèse qu'il propose, pour séduisante qu'elle
paraisse, doit être éprouvée précisément. Voici l'intégralité de l'article:
"À
l'occasion du cinquantenaire des Cahiers, le bulletin de l'Amitié
Charles Péguy publie des lettres inédites de Péguy à son ami André
Bourgeois. Dans une de ces lettres, datée du 6 juin 1896 [sic], [Péguy]
répond allusivement à Bourgeois au sujet d'un mot anglais que son correspondant
lui reproche d'avoir employé. Il se pourrait que ce mot fût quelque chose comme
la faute courante: «je ne réalise pas». Péguy écrit, pour sa défense,
«que les socialistes emploient assez souvent des mots mal formés. Mais ceux qui
travaillent à une telle œuvre de vie ne doivent peut-être pas autant s'attarder
aux mots que ceux qui travaillent aux œuvres d'art. Le mot Christianus
fut pour les romains ce que les grammairiens appellent un "affreux
néologisme", et les nouveaux venus donnèrent au mot caritas un sens
qu'il n'avait pas évidemment pas dans la bonne latinité.» Malheureusement le
vocabulaire politique s'encombre chaque jour d'«affreux néologismes», sans que
l'on soit certain que ceux qui en usent «travaillent à une œuvre de vie»!"
L'aveu du caractère allusif de la lettre de Péguy
n'a pas préservé le journaliste d'une erreur d'inattention. Il est évident que
les deux correspondants n'ont pas pu matériellement se voir entre les deux lettres
de Péguy ni s'écrire encore une fois. Or nous possédons la première lettre de
Péguy. Ce n'est pas apparemment Péguy qui avait employé le mot, malgré ce que
suggère l'emploi du verbe "remettre" - ou alors il s'agit du mot
"tombola". L'hypothèse, certes précautionneuse, du journaliste
("il ne pourrait que ce fût quelque chose comme la
faute [...]") n'est pas absolument dénuée d'intérêt, n'était que l'état
actuel de la lexicographie date de 1895 seulement[15] l'emploi de "réaliser" comme anglicisme
(cf. to realize), dans le sens de "prendre conscience", que le
mot est de plus absent de la première lettre de Péguy, et qu'enfin Péguy
n'aurait jamais usé de l'emploi si criticable de ce verbe[16]. Le reste de l'article, qui a le mérite d'être
conséquent avec lui-même, poursuit le contresens sur la remarque de Péguy, qui
en réalité ne défend pas le néologisme mais en condamne au contraire l'emploi
dans l'action politique - avec la mention de circonstances atténuantes:
l'impératif pragmatique prioritaire et l’évolution sémantico-formelle des mots,
constitutive du vocabulaire. Une telle attitude de Péguy invite à la
relativisation; ce que ne fait l'article, à la conclusion tiède vis-à-vis de
Péguy, qui aurait été bien naïf dans sa jeunesse...
Quelles seront nos propres suggestions?
Pour les proposer, revenons sur la formulation exacte et étrange de la lettre:
le mot “a été surtout mis en usage en France pour l’Exposition de
89”. Il ne s’agit pas d’une entrée dans l’usage, du véritable moment de
l’emprunt mais de l’instant où le xénisme se fait périgrinisme[17] puis s’intègre à la langue d’accueil; de plus, le
mot dont il est fait usage semble ici moins abstrait que pratique. Le mot sera
donc un terme courant - loin de l’abstraction de “réaliser” - et qui s’est
divulgué grâce à son usage à l’occasion de l’Exposition (et non seulement
pendant celle-ci: la précision de Péguy ne correspond pas à une véritable
datation). Nous avons dû rechercher les événements marquants de l’Exposition
universelle qui s’était tenue du 6 mai au 6 novembre 1889 à Paris. Péguy l’a
visitée en compagnie de sa mère au cours de son premier séjour à Paris accompli
pour l’occasion, du 15 au 18 août 1889. L’article “Exposition” de la Grande
Encyclopédie (dans son tome 16!) raconte dans leurs traits généraux la
préparation, le déroulement et le bilan de l’Exposition. Ce texte, même s’il
s’étend de la page 977 à la page 980 d’un in quarto aux petits
caractères, se présente comme un résumé, qui nous est précieux; car voici la
liste des anglicismes que l’on y trouve: “jury”, “panorama”, “ticket” et
“water-closets”. Ces mots ont tous les quatre une signification concrète. Dans
quels contextes apparaissent-ils? M. Christophle demanda, pour apporter un
complément au financement de l’exposition (p. 977), “l’autorisation
d’émettre, à ses risques et périls, 1,200,000 bons de 25 fr., munis chacun de
25 tickets d’entrée, à détacher soit par les souscripteurs, soit par les
émetteurs qui en approvisionneraient les guichets ouverts au public” (le mot
“ticket” réapparaît six fois par la suite). Plus loin (p. 978) on apprend
que “la direction des travaux comprit les services suivants: 1° secrétariat;
[...] 9° service des galeries de l’agriculture, des bâtiments de la douane, de
la police, de l’octroi, de la manutention, des postes, des pompiers, des
water-closets” (le mot est hapax dans le texte) “Plusieurs édifices
annexes se groupaient autour du palais. C’étaient, sur la berge de la Seine, le
panorama de la Compagnie transatlantique, l’exposition du matériel de
navigation et de sauvetage” - est-il écrit page 979 (il existait également un
panorama du Tout-Paris, sur l’esplanade des Invalides, qui eut beaucoup moins
de succès). L’auteur de l’article renvoie (ibidem) aux “Rapports du
jury international, dont un certain nombre est déjà publié”; il y avait une
quantité de jurys chargés de l’attribution des prix (pour deux attestations du
mot, voir plus loin dans l’article).
L’on conçoit donc parfaitement que
l’Exposition ait pu faire grand usage des mots “ticket”, “panorama” et “jury”;
on voit mal, au contraire, que le mot “water-closets” ait pu être mis en avant
dans tout le battage publicitaire (d’aucuns diraient idéologique) qui entoura
l’Exposition! Il y a par ailleurs peu de vraisemblance à ce que Bourgeois se
soit posé une question de vocabulaire à propos de ce mot au sens trivial (même
si le mot se fait remarquer effectivement par sa malformation). On nous
objectera peut-être que l’introduction de ces mots en français ne date pas de
1889. Mais d’après les termes mêmes de Péguy, le mot, d’abord rare, se serait
divulgué en 1889 et sans doute dans le sillage de l’Exposition. En 1896, pour
que Bourgeois l’emploie avec précaution et pour que Péguy l’appelle “mot
anglais”, il faut croire que le terme gardait son “étrangèreté”: il continuait
probablement de se répandre et quittait peu à peu son statut de mot dans le
vent pour poser aux locuteurs français que sont les deux amis la question de sa
nationalité, ou plutôt celle de son éventuelle naturalisation. Péguy tient ici
pour un purisme mitigé: le mot est “anglais” mais acceptable en français. Vu le
sujet de la première lettre de Péguy, la possibilité la plus forte voudrait que
Bourgeois ait employé avec hésitation le mot “ticket”, quasi-synonyme de
“billet”. Viennent ensuite dans l’ordre des probabilités: “panorama” (sur
lequel Péguy reviendra pour l’Exposition universelle de 1900; voir dans l’index
en C 1930) puis “jury” et enfin “water-closets”. Tous présentent bien une
morphologie peu française (ne serait-ce que par leurs lettres: la succession
des voyelles dans “panorama”, ailleurs le “w”, le “k” et le “y” final). Il se
peut bien entendu que “le mot anglais” ne figure pas dans notre article. Mais
on comprendrait mal alors pourquoi Péguy aurait particulièrement fait référence
à l’emploi du mot pour cette Exposition. Vu son jeune âge (seize ans) au moment
de l’Exposition, il peut certes avoir attribué une attention exagérée à ce mot
(le provincial découvrant Paris et sa réalité moderne) et une importance elle
aussi exagérée a posteriori au rôle de l’Exposition dans la divulgation
du mot (Péguy n’a guère connu que cette exposition et son souvenir, sept ans
après, en est encore vivace). Un doute ultime vient reconduire notre hésitation
première: seul autre mot d’origine étrangère récente, le mot “tombola” que nous
avions d’abord écarté de nos suggestions (vu son origine évidemment italienne)
figure en bonne place dans le petit compte rendu de l’Exposition de 1889.
Donnons un exemple (p. 979): “Comme en 1878, on institua une tombola. Il
devait y avoir 15,000,000 de billets à 1 fr. Mais on avait tant abusé des
loteries, que le public n’y prenait plus d’intérêt; on arrêta l’émission au
deuxième million.” Dans cet extrait bien sûr, la répétition de 1878 et le
désintérêt du public militent contre le fait que Péguy songe à ce mot. Mais
comment Péguy aurait-il su l’initiative de la tombola de 1878? et la lassitude
des gens ne venait-elle pas justement de la publicité renforcée autour de cette
animation (d’ailleurs, l’arrêt après la vente de deux millions de billets
vendus - non de tickets vendus - apparaît assez honorable)? Péguy répond sur un
ton de sûreté, mais il s’adresse à un camarade et peut fort bien, à vingt-trois
ans, se tromper sur la langue d’origine de “tombola” (en classe, il n’avait pratiqué
ni l’anglais ni l’italien mais l’allemand seulement; cf. B 786). À en juger
maintenant par la réalité historique (le problème de la datation et de la
divulgation) et lexicologique (le problème de la langue source) du phénomène
d’emprunt des mots auxquels nous avons songé, le mot “tombola” est bien placé
dans l’ordre croissant des probabilités auquel nous aboutissons en synthétisant
les aspects linguistiques, historiques et contextuels:
- “water-closets” date de 1755 en
anglais (de l’ancien français closet=“cabinet”, de clos) et fut
emprunté une première fois en 1816 avant de se répandre après 1848. Il ne
s’agit pas du “mot anglais” dont parle Péguy.
- “jury”, venu de l’ancien français juree
(=“serment”), est emprunté à l’anglais en 1793 et s’installe très vite en
français (en 1798 le voici dans le Dictionnaire de l’Académie Françoise).
Il serait hors sujet dans la correspondance des amis.
- “panorama”, créé en 1787 par
l’anglais Barker (à partir des mots grecs: “pa'n” + “o{rama”), désigne en
français un panneau circulaire (1799), une étude exhaustive (1800) puis enfin
un vaste paysage (1830) - sens qu’il a dans l’Exposition. Il peut correspondre
au mot de la lettre de Bourgeois.
- “ticket” est attesté au seizième
siècle en anglais et vient lui aussi de l’ancien français (etiquet);
emprunté dès 1765, il n’a sa seconde attestation en français qu’en 1835 à
partir de laquelle il se répand rapidement. Il a pu être employé par Bourgeois
pour désigner ce que Péguy nomme dans sa première lettre les “billets” de la
tombola.
- “tombola” est attesté en italien en
1805 seulement (dans le sens de “culbute” puis de “loterie”) et emprunté en
1835 (deuxième attestation: 1837); il se répand régulièrement avant d’entrer
dans le Dictionnaire de l’Académie Françoise en 1878, après les honneurs
de Littré. Notons que le mot apparaît en anglais en même temps: une attestation
en 1880, deux en 1883 ont pu être trouvées sans difficultés. C’est sans doute
la raison pour laquelle Péguy le dit “anglais”[18]. “Tombola” devait se fondre dans les multiples
anglicismes de l’Exposition, puisque l’anglais imposait déjà beaucoup de ses
mots au français, aux langages journalistique et publicitaire notamment. Nous a
confirmé dans cette impression le survol des volumes d’Alfred Picard: Exposition
universelle de 1889 à Paris. Rapport général[19]. “Tombola” est sans doute le mot français
d’origine étrangère récente le plus employé dans la totalité de l’ouvrage.
Péguy l’a bien employé dans sa première lettre; Bourgeois a dû relever son
emploi et le mettre en doute; Péguy n’a pas osé le réécrire. Le terme est
effectivement concret; il est fort plausible que les expositions, celle de 1889
après celle de 1878, par leur impact culturel immense dans la vie nationale,
aient contribué à la divulgation du mot. L’emploi du verbe “remettre” se
comprend de la manière la plus simple; de même que l’absence de virgule avant
le pronom relatif “que”; la question, linguistique, n’est effectivement qu’un
détail dans l’original de la lettre de Péguy, à défaut de pouvoir lire celle de
Bourgeois.
b) Les deux lectures de 1897
Péguy, durant son séjour à l’École
normale supérieure, a emprunté peu de livres à sa bibliothèque. Ses camarades
de promotion ont une fiche d’emprunts bien plus fournie. Dans le cas de Péguy,
il s’agit soit d’ouvrages consacrés au socialisme, qui intéressent son
engagement politique; soit de livres d’histoire qui servent à l’inspiration de
Péguy dans la rédaction de sa Jeanne d’Arc; soit encore de lectures en
rapport avec son activité de journalisme: il écrivit en effet des comptes
rendus de récentes parutions d’alors; soit enfin d’ouvrages “universitaires”,
philosophiques (car Péguy, après sa licence ès lettres, se préparait à
l’agrégation de philosophie). Où se placent dans ce classement les deux
emprunts “linguistiques” de Péguy, effectués à la même date et, sinon lus, du
moins rendus rapidement? Péguy emprunte en effet à la bibliothèque des lettres
de l’École normale supérieure, de son entrée en 1894 à sa démission en 1897,
deux ouvrages seulement ayant trait à la linguistique. Ce sont...
- du 20 août 1897 au 1er septembre
1897:
Victor Henry (écrit “Henri” par erreur
sur la feuille d’emprunt[20]), Antinomies linguistiques, deuxième
volume de la bibliothèque de la faculté des lettres de Paris, Alcan, 1896 (quelques
annotations portées sur le volume B, dont certaines sous forme de croix
au crayon à papier, ne semblent pas de Péguy[21]; rien à signaler dans le volume A). VI+76
p. deux exemplaires en rayon aux
cotes: SE a 32 A/B (2) in 8°
- du 20 août 1897 au 26 août 1897:
Michel Bréal, Essai de sémantique
(sciences des significations)[22], Hachette, 1897 (dans le livre a, quelques
notes - les unes grasses, les autres maigres - au crayon à papier et des traits
au feutre, qui ne sont pas de la main de Péguy; quelques traits à l’encre noire
qui peuvent être de Péguy; rien à signaler dans le livre b). 349 p.
deux exemplaires en
rayon aux cotes: LP co 15 a/b in 8°
Trois hypothèses s’offrent à nous: ou
bien Péguy avait en vue d’écrire un article sur des travaux de la linguistique
la plus récente - que ces deux livres soient justement la matière du compte
rendu projeté ou seulement une documentation annexe, préparatoire; ou bien
Péguy souhaitait en amateur éclairé rester au fait des dernières recherches
linguistiques; ou bien ces deux lectures s’expliquent par le programme
philosophique de Péguy - car la réflexion des deux auteurs touche souvent à des
questions, moins littéraires que philosophiques, comme l’origine du langage, le
rapport du mot à l’idée... La première solution provoque à son tour d’autres
questions: cet article prévu a-t-il vu le jour; si oui, dans quel journal?
Sinon, pour quelles raisons le projet a-t-il fait long feu? Reste la
possibilité de trouver un article inédit de Péguy, faisant le compte rendu
conjoint de ces deux ouvrages d’actualité, liés par un même esprit et dont l’un
(l’ouvrage de Bréal) fait directement référence à l’autre - ce qui doit prouver
que Péguy a d’abord feuilleté l’Essai (ou commencé simplement de le lire
jusqu’à la page 5) avant de trouver le renvoi aux Antinomies[23], et qu’il a choisi d’emprunter les deux, soit
pour finir sa lecture dans sa turne, soit pour pouvoir y revenir sur sa lecture
et composer l’article éventuel. Si ces lectures s'expliquent plutôt par
l'intérêt personnel de Péguy, alors il est étonnant de ne trouver dans l'œuvre
comme dans les lettres de Péguy nulle trace ni allusion à Victor Henry, aux Antinomies,
à l'Essai. En ce cas le peu de durée de l'emprunt (dans l'absolu et comparé
aux autres emprunts qu'il a faits, d'une moyenne de trente-quatre jours par
livre) signifie une lecture hâtive, voire expéditive - du 20 au 26 août pour l'Essai
et probablement du 26 août au 1er
septembre pour les Antinomies. D'ailleurs, parmi les quatre exemplaires
que possédait la bibliothèque, aucune des annotations n'est en pleine sûreté
attribuable à Péguy (conclusion qui ressort de leur examen graphologique). Si
l'hypothèse selon laquelle les deux livres seraient des lectures de type
scolaire s'avère valable, ce n'est certes pas pour des raisons à court terme -
puisque Péguy prépare alors son mariage et décide de quitter l'École (le seul
devoir qu’il rédige pendant le dernier trimestre 1897 étant une dissertation
étrangère au problème du langage: "Nos jugements a priori
n'expriment-ils que la constitution même de notre pensée?"), mais dans
l'optique à long terme de l'agrégation, qu'il préparera en 1897-1898 et à
laquelle il échouera en août 1898. Les trois hypothèses ont deux facteurs
communs sûrs: Péguy a été amené à lire ces deux livres, au moins en partie; par
la suite il n'en a jamais parlé. Pourquoi cela, étant donné que ces deux
ouvrages aborde la question du néologisme qui constitue un élément (éviter de
surévaluer l'importance de son sujet d'étude est toujours nécessaire) du style
à venir de Péguy? Ou plus précisément: ces lectures ont-elles, oui ou non,
influencé l'écriture néologique de Péguy (auquel cas une coupure stylistique
s'imposerait, séparant l'avant et l'après août 1897) et pourquoi?
- Bréal
Commençons par l’Essai, puisque
Péguy a commencé par lui. Le livre se lit très facilement grâce au vocabulaire
de son auteur, qui n’est point trop savant et choisit soit les mots les plus
courants soit des appellations personnelles mais qu’il définit toujours. De
plus, les exemples abondent, simples, empruntés à toutes les langues. Les
nombreux passages qui évoquent la néologie nous intéressaient particulièrement,
car Péguy savait à n’en pas douter qu’il lisait ici un essai magistral. La page
de présentation, vis-à-vis du titre, s’avère éloquente: pas moins de onze
“ouvrages du même auteur” avaient déjà paru, “publiés par la même librairie”.
La qualification de l’auteur brille par sa concision: “professeur de grammaire
comparée au Collège de France”.
La première déclaration applicable au
néologisme donne en somme le ton et indique les limites constitutives de la
nouveauté en matière de langue: “Les conditions où le langage est placé ne
permettent pas la création ex nihilo [...]” (p. 14). Puisqu’en
effet la compréhension entre les individus est le but que vise le langage,
aucune langue purement inventée n’est viable. L’idée d’une langue strictement
néologique correspond à une aberration. Ce point de départ n’empêche pas le
“sémantiste”, spécialement attentif aux problèmes de compréhension
interindividuelle, à l’intersubjectivité, de considérer le rôle bénéfique que
peut jouer, dans le détail du lexique d’une langue donnée, le mot nouveau. Sous
cet aspect, le néologisme n’est qu’un des deux versants de la langue dans son
évolution historique. Ainsi, constate Bréal: “La langue officielle est
volontiers archaïque, s’il n’en coûte rien à la précision: mais du moment que
la précision est en jeu, elle ne recule pas devant le néologisme” (p. 20).
Prenons donc garde que, s’il s’agit
bien ici du néologisme (au sens d’un “mot nouveau” ou d’une “façon de parler
qui consiste à faire usage de mots nouveaux”), le sémantiste considère que
l’idée, la signification détermine la forme, le mot[24]. Cela provient d’une nécessité concrète,
universelle: “En matière de langage, la signification est le grand régulateur
de la mémoire; pour prendre place dans notre esprit, les mots nouveaux ont
besoin d’être associés à quelque mot de sens approchant. [...] À mesure qu’il
apprend des mots nouveaux, [le peuple] les insère parmi les mots qu’il connaît
déjà” (p. 32). Est-ce à dire que cette “association” s’identifie au
contexte d’emploi du mot, contexte où la présence concrète d’un quasi-synonyme
a pour fonction de provoquer l’intuition du sens définitionnel du mot nouveau?
ou bien cette association, seulement mentale, se produit-elle selon la loi de
l’analogie formelle? Et l’«insertion» du néologisme relève-t-elle alors
prioritairement d’un réemploi du mot nouveau, dans un autre contexte (ceci
étant la preuve de l’assimilation du mot par le locuteur), ou bien de la place
mentale qui lui est attribuée parmi les mots de même famille, dans l’ordre
alphabétique ou dans tel champ lexical? Les deux aspects nous semblent
complémentaires chez Bréal; la découverte et l’utilisation du mot nouveau ne
sont que deux plans d’un même phénomène: l’assimilation des néologismes.
Ces considérations, valables du point
de vue de la divulgation des créations lexicales dans le “peuple”, montrent
comment tout un chacun peut créer ses propres mots. La loi bien connue de
l’analogie fait en sorte que “nous sommes sûrs d’être entendus, sûrs d’être
compris même s’il nous arrive de créer un mot nouveau” (p. 86).
L’impossibilité de la création absolue d’une langue semble s’étendre à tous les
mots dits nouveaux, mais en réalité, jamais strictement nouveaux. La notion de
nouveauté, qui menaçait de rompre l’entraide entre l’appréhension - l’audition
ou la lecture - et la compréhension des discours, s’avère désormais relative,
du fait de l’analogie. Aussi une histoire des mots nouveaux est-elle possible.
“L’histoire des pertes a été faite souvent: celle des acquisitions reste à
écrire. [...] Il ne saurait être question, bien entendu, de créations ex nihilo: approprier à des usages
nouveaux la matière transmise par les âges antérieurs, c’est la forme sous
laquelle nous voyons s’élaborer le progrès” (p. 87). Aussi une histoire
des mots est-elle possible. Ici, Bréal songe-t-il seulement aux sens nouveaux
prêtés aux mots (dont la forme serait la “matière”), ou bien également aux
néologismes de forme (dont les éléments constituants correspondrait à cette
“matière” dont sont faits tous dérivés)[25]? Cette même idée, bien que son illustration
semble quelque peu schématique, s’applique à des domaines d’activité conçus
comme une succession linéaires de vases communicants; Bréal l’approfondit par
la suite: non seulement la création du néologisme n’est qu’une première fois,
ne nous propose qu’un premier sens dans l’évolution à venir du sens du mot;
mais la création formelle unique détermine une création sémantique continue qui
rebondit en une nouvelle création globale (sémantique et formelle). Une phrase
résume clairement ce point: “Une nouvelle acception équivaut à un mot nouveau”
(p. 157). Deux faits militent pour cette affirmation: les grammairiens
admettent la répétition d’un même mot (entendons-nous: pour Bréal, il s’agit de
deux mots qui semblent uniques) s’il est pris en deux sens différents; les
théoriciens du vers acceptent, de même, que deux mots, formellement identiques
mais sémantiquement différents, riment entre eux. Bien qu’il enregistre sans
grande difficulté l’évolution sémantique des mots et les changements formels
que celle-ci a pu occasionner, Bréal reste prudent vis-à-vis de cette
possibilité de distinguer formellement entre les deux sens d’un mot: “Il est
difficile d’établir à ce sujet une règle. Cependant je proposerais celle-ci:
Respecter les distinctions anciennes et faites de bonne foi; s’abstenir d’en
créer de propos délibéré” (p. 159). Prenons l’exemple particulier des noms
composés. Bréal s’oppose à toutes les études qui en ont été faites d’après
l’ordre des termes, de voyelle de liaison ou d’accentuation. Ces marques
secondaires ne décident pas du nom composé mais résultent de l’idée que le
locuteur veut transmettre. “C’est le sens, non autre chose, qui fait le composé
et qui, en dernière analyse, décide de la forme” (p. 174). Cette primauté
du sens va à l’encontre de la distinction traditionnelle entre noms juxtaposés
(“grand-père”, “aquæductus”...) et composés (“téléphone”)[26]. Cette subordination de la forme au sens explique
que deux formes se fassent concurrence malgré leur parfaite synonymie: si l’on
peut affirmer que le sens régit la forme, à un seul sens peuvent correspondre
deux formes distinctes. Le sémantiste ne peut, par définition, trancher entre
deux formes synonymiques: dans le cas “des composés dont chaque partie présente
un sens par elle-même, forme un mot par elle-même”, “il n’est pas interdit à
l’initiative individuelle d’en essayer l’assemblage à sa guise” (p. 176).
Bréal se refuse systématiquement à faire de la grammaire normative, même s’il
relève, non sans perplexité, des “spécimens” que l’on trouve en “allemand
moderne, qui fait grand usage de la composition” et qui “n’est pas courir
quelque danger” de voir sa syntaxe se désagréger (p. 181). Quelques mots
allemands cités en exemple, ou plutôt en tant que mauvais exemples:
“Präsidentschaftswahlkampf. - Postdampfersubventions-vorlage. - Vierwaldstätterseeschraubendampfschiff[-]
gesellschaft. - Das einjährigfreiwillige Berechtigungswesen.”
Vis-à-vis du grec, Bréal se montre au
contraire amateur de composés - dans une attitude qui ne laisse pas d’étonner
par sa partialité; car ces deux langues appartiennent à un même groupe, celui
des langues qui font grande consommation de mots composés. Le français se
trouve appartenir à l’autre groupe. Voici ce qu’il en est dit:
“Les langues qui
préfèrent la dérivation à la composition sont d’une matière plus docile, elles
se prêtent moins facilement à la création de
vocables nouveaux, pour lesquels il leur faut non seulement choisir un
suffixe, mais préparer la partie antérieure du mot” (p. 183).
Certes, la bipartition linguistique n’est
qu’affaire de degré et la prédominance de l’un ou l’autre des modes de
formation des mots nouveaux n’est pas de taille à mettre en péril ni la
capacité de renouvellement de la langue ni la diversité de ses moyens de
renouvellement. Ce que Bréal se hâte de préciser: “Ne croyons pas cependant
qu’un peuple soit jamais empêché de former les mots nouveaux dont il a besoin”
(p. 184). Et l’imitation du modèle latin (p. 181: “Si nous retournons
au latin, c’est que le français a grandi en quelque sorte sous les yeux du
latin, et qu’une vieille habitude, qui s’est fortifiée de siècle en siècle,
nous ramène de ce côté”) constitue une manière parmi d’autres de pallier la
timidité française en matière de composés, timidité tenue pour naturelle ou née
de l’idée de devoir conserver à la langue sa pureté, car “ce n’est sans doute
pas un hasard que l’idée de la «pureté», l’idée dont sont sorties l’Académie de
la Crusca et l’Académie française, soit éclose chez les nations qui se servent
de dérivés” (p. 184).
Le chapitre XVIII, consacré pour sa
part à la façon dont “les noms sont donnés aux choses” - c’est-à-dire à la
naissance des mots - écarte toute considération de la forme ou plutôt évacue
l’aspect formel en deux mots, sans plus de précision:
“Au
XVIIe siècle, Van Helmont, d’après un souvenir plus ou
moins présent
du néerlandais gest, “esprit”,
appelle gaz les corps qui ne sont ni solides ni liquides. [...] Dans un
sentiment de patriotisme, un chimiste français, ayant découvert un nouveau
métal, l’appelle gallium: un savant allemand, non moins patriote, riposte
par le germanicum” (p. 195).
Ce passage
commet une erreur sur l’étymologie du mot “gaz” sans même remarquer
que le savant français baptise le métal gallium,
comme s’il n’y avait aucun sens derrière la forme d’un tel mot! L’opinion selon
laquelle l’intelligence populaire “se borne, sans rien créer, à adapter pour de
nouveaux usages ce qui lui est fourni par les siècles antérieurs” (p. 227)
se voit çà et là répétée; la loi de l’analogie s’applique selon Bréal davantage
aux tours populaires et au langage enfantin qu’à la création verbale entendue
en un sens noble (p. 253: “[...] l’analogie étant la façon de raisonner
des enfants et de la foule”). Il faut attendre la “fin de la Sémantique”[27] pour voir Bréal aborder de front le problème du
néologisme. Deux essais terminent en effet le livre: “Qu’appelle-t-on pureté de
la langue?”, compte rendu écrit en 1897 de Om sprakriktighet d’Adolphe
Noreen[28], puis “L’histoire des mots”, écrit en 1887 et
extrait du compte rendu de La Vie des mots étudiés dans leur signification
d’Arsène Darmesteter[29].
Commençons par ce dernier puisque
Bréal y passe rapidement sur le problème des mots nouveaux. Lui qui dans sa Sémantique
se montre critique vis-à-vis des métaphores biologiques qui ont alors cours
chez les linguistes (p. 277: “On a appelé le langage un organisme,
mot creux, mot trompeur, mot prodigué aujourd’hui, et employé toutes les fois
qu’on veut se dispenser de chercher les vraies causes”), use pourtant, à son
tour, de l’analogie: “Tout mot nouveau introduit dans la langue y cause une
perturbation analogue à celle d’un être nouveau introduit dans le monde
physique ou social” (p. 310). Le mot de “perturbation” semble dénoter une
position personnelle guère favorable au néologisme. Bréal se justifie de ne pas
s’attarder à l’examen des “termes nouveaux” (p. 311) parce que, “à vrai
dire, l’acquisition d’un mot nouveau, soit qu’il nous vienne de quelque idiome
étranger, soit qu’il ait été formé par l’association de deux mots, ou qu’il
sorte tout à coup d’un coin ignoré de notre société, est chose relativement
rare” (p. 311-312). Cette tripartition ne peut satisfaire l’esprit: les
critères retenus en passant pour distinguer des types de néologismes sont
totalement hétérogènes. Le premier en effet définit l’emprunt à une langue (phénomène
qui se produit dans les relations entre langues); le second définit la
composition (phénomène formel qui se produit entre plusieurs éléments
structurels); et le troisième définit la divulgation du mot technique ou
populaire (phénomène social qui voit se répandre tel mot à travers les couches
sociales et les groupes socioprofessionnels)[30]. Tout cela ferait encore peu et n’aurait pas pu
influencer la néologie que Péguy pratiquera plus tard, s’il n’y avait pas
l’essai sur la pureté de la langue où d’ailleurs pour la première fois dans le
livre apparaît le mot “néologisme”. Bréal commence par examiner les modalités
de l’emprunt, qui constitue le procédé néologique qui attire le plus
l’attention à la Belle Époque (et cela vaut pour Bréal également). Le linguiste
fait preuve de modération dans son approche: toute idéologie est à bannir,
ainsi que tous les préjugés racistes ou nationalistes (p. 282: “[...] pour
parler comme Bacon, la première «idole», celle dont dérivent toutes les autres,
c’est de voir dans la pureté de la langue quelque chose de semblable à la
pureté de la race”). L’emprunt trouve sa meilleure explication dans ce fait que
les inventions viennent des peuples, tantôt de l’un tantôt de l’autre
(p. 283-284) et sans considération des familles de langue - aussi l’idée
de n’emprunter des mots qu’aux langues sœurs du français n’est-elle pas viable.
La mise en morphologie française constitue une autre atténuation de l’emprunt
que certains puristes proposent comme aménagement. Bréal oppose encore à cette
idée deux arguments: le rôle croissant de la langue écrite rend difficiles les
anciennes déformations populaires des mots étrangers; de plus, l’existence de
mots quasi-universels facilite la communication à la fois internationale et
intercommunautaire (entre travailleurs, croyants, politiques de tous les pays;
voir p. 287-288). Ces considérations peu originales sur l’emprunt laissent
place à un paragraphe intéressant la littérature en particulier (p. 292):
“Il peut sembler
puéril de vouloir borner son vocabulaire aux mots admis dans tel ou tel recueil
officiel. Cependant je me souviens d’avoir entendu dire à un maître en l’art
d’écrire que l’idée du Dictionnaire de l’Académie était une idée raisonnable et
juste, attendu qu’il nous apprend de quels mots il faut user si nous voulons
être compris de tout le monde. Comme les limites de ce vocabulaire n’ont point
paru trop étroites aux plus beaux génies, il faut déjà de sérieuses raisons
pour nous décider à chercher en dehors l’expression nécessaire à notre pensée.”
Bréal accepte la méthode de certains qui veulent
se faire une règle d’écriture de n’employer que les termes présents dans un
recueil donné. Non que cela revienne à faire de l’écrivain un éternel mineur
(un enfant de même est à l’école obligé de surveiller son vocabulaire afin de
ne pas coucher sur le papier un barbarisme); Bréal suit une autorité - anonyme
- pour s’opposer aussi bien à celui qui refuse de se justifier de ses mots qu’à
celui qui soumet son vocabulaire à l’autorité d’un dictionnaire choisi de façon
quelque peu arbitraire. Voici les réflexions qui font immédiatement suite au
paragraphe sur l’usage du dictionnaire chez les auteurs (aux pages 293-295 de
l’exemplaire a photocopiées telles quelles):
[pages non encore disponibles]
Le néologisme se voit, tour à tour et dans un beau
désordre, accusé de travestissement tragi-comique (impropre et involontaire) de
la réalité, d’exagération prétentieuse (inutile et délibérée) sans avenir, de
lourdeur, de manquer de couleur, d’être antifrançais, de détruire la langue par
consommation effrénée... Mettons de l’ordre dans cette attaque tous azimuts.
L’effet générique auquel se restreint
et se condamne le néologisme forcené sera le travestissement tragi-comique: la
chose signifiée est triviale mais le signe se veut haut. C’est-à-dire que se
conjoignent une prétention et un décalage de registre. Aussi tout néologue
sera-t-il, d’un point de vue psychologique, soupçonnable de pédantisme.
Considération liée à un autre domaine: la néologie joue socialement la carte de
la distinction, par le jeu cultivé qui consiste à se moquer des interdits
scolaires, qui remontent au primaire (aspect manifeste) et à l’apprentissage de
l’écriture (aspect occulte). L’aspect scolaire apparaît dans le terme
d’«impropriété»: elle est ce qui constitue une régression de la langue correcte
aux barbarismes - . La langue établie est mise en cause, en tant que langue et
en tant que français: le néologisme conteste le génie de la langue au profit de
la parole et le génie national au profit de mots étrangers (avec toutes les
réserves qu’imposent les réflexions antérieures concernant les emprunts). Le
français se voit peu à peu détruire en ses fondements: le passé de la langue
sombre dans l’archaïsme (au sens péjoré) puis dans l’oubli (d’où la notion
nostalgique du “trésor”, bouteille lancée à la mer). Cela, sans que les mots
nouveaux soient véritablement viables: peu importe au néologue la durée de vie
de ses mots, seul le succès de l’instant l’agrée. Que l’on se tourne vers le
passé ou l’avenir, le processus économique de consommation aboutit
manifestement à l’épuisement de la langue nationale. Le thème de la décadence
se profile à l’horizon... Décadence de la langue: rien de son charme n’en
subsisterait. La musique des mots nouveaux pêche par sa lourdeur, leur aspect
pictural manque étrangement de couleur. Une déperdition esthétique conclurait
le mouvement néologique de la langue.
Un tel cheminement dans les thèmes
avancés par Bréal après Darmesteter, procède certes de la reconstruction;
plusieurs mises en cohérence sont possibles. Qu’il nous suffise d’en avoir mise
au jour une d’entre elles. Esthétique, social, national, scolaire,
psychologique, générique, historique: le problème du néologisme est
surdéterminé, il fait l’objet d’investissements idéologiques multiples et
polémiques. À la fin du dix-neuvième siècle, il dépasse largement les enjeux
littéraires. Bréal entreprend alors de désamorcer certains conflits brûlants
sur le sujet. Le traitement spécifique de l’emprunt participait de ce souci de
précaution. La deuxième partie du passage constitue elle aussi un essai de
retour au lieu natal de la discussion: le domaine linguistique. Ou plutôt:
parti des discussions littéraires sur l’emprunt, le problème du néologisme
montre ses enjeux extralittéraires mais oblige à un retour à la linguistique
pour trouver sa solution: une définition stricte issue d’une vision
historiciste. Ce parcours ne prétend pas restreindre le champ du débat puisque
dans un deuxième temps Bréal appelle au contraire à l’élever à la dimension
nationale et à le dépassionner. La définition du mot “néologisme” relève les
deux aspects traditionnels de la création lexicale (même si le sens ancien de
“façon nouvelle de parler” réapparaîtra p. 297). La méthodologie esquissée
plus bas (p. 295-297) viendra compléter cette procédure: les doutes
provoqués par la question purement langagière de la compréhensibilité des mots
nouveaux s’introduisent dans la société (au sens le plus éclaté du terme) et
doivent, grâce à la médiation de linguistes, rentrer sur la scène publique pour
y faire l’objet d’un débat.
Bréal met en valeur l’enjeu: non
seulement la pureté de la langue, dont parle Noreen (notion valable pour toutes
les langues), mais le génie de la langue française en particulier. La référence
à Voltaire est sur ce point significative. Non certes que Voltaire ait inventé
le positionnement “moyen” qui a eu cours, a prévalu et évolué depuis le XVIIIe siècle, mais il a donné une formulation concise,
appelée à devenir fameuse et à faire autorité, de l’attitude à adopter pour
user de mots nouveaux en littérature[31].
Quels exemples sont-ils convoqués?
Tous les vocabulaires techniques sont concernés: celui des sciences, comme le
montre l’expression “termes scientifiques”, mais aussi celui de la philosophie
et des “autres études” (p. 293). Les exemples produits[32] relèvent
tous de la suffixation:
-
modi.fic.at.eur
- catégor.is.ation abstraction
“involontaire”
- sentimental.is.er
- passion.n.al.ité
-
impéri.os.ité “exagération”
volontaire
- attenti.v.ité
-
frappe.ment
- feraille.ment substantivation
“inutile”
- perle.ment
- serpente.ment
-
soleil.l.er verbalisation
“extraordinaire”
- contagion.n.er
Le grammairien refuse ici sévèrement
le libre développement du vocabulaire selon
l’axe paradigmatique et les lois morphologiques du
français. Il passe de la linguistique à des considérations esthétiques (d’où
l’apparition implicite de la notion d’harmonie, p. 293). Proposons, pour
chaque type d’expressions données comme illustrations, la tournure préférable
par simple inversion du schéma génératif transformationnel correspondant (sa
flèche change de sens pour signifier ici “doit être corrigé en”):
1. - “un dynamisme modificateur de la personnalité”
-> “un dynamisme qui modifie la personnalité”
2. - “des impériosités du désir” -> “des choses que
le désir impérieux enjoint de faire”[33]
3. - “des frappements de grosse caisse” -> “des
bruits provoqués en frappant une grosse caisse”
4. - “il soleille lourdement” -> “le soleil est
lourd”.
Cela montre que l’accusation de lourdeur se
porterait avec bien plus de raison sur l’idée exprimée (ou sur l’usage de
l’indéfini, du pluriel, d’un tour concis...) que sur le mot proprement
néologique; car l’équivalent en français correct (s’entend: avec des mots plus
courants) reste stylistiquement insatisfaisant.
La modalisation de l’assertion semble
rhétorique dans la phrase: “Si nous acceptons cette définition, nous pouvons
dire que les auteurs de ces néologismes pèchent contre le génie de la langue
française” (p. 294), car le renversement paradoxal de l’idée d’une
déficience néologique et morphologique du français exprime une opinion pour le
moins personnelle et que ne justifie qu’un rigorisme rare: non plus
grammatical, puisque ces nouveautés sont morphologiquement licites, mais
esthétique contre l’esthétisme et la grammaire stricte, alliés pour l’occasion.
Laissant de côté la dérivation
syntagmatique par préfixation, Bréal aborde ensuite la question des mots
composés. Mais il passe sous silence les composés français - impasse que nous
échouons à expliquer. La désinvolture du linguiste vis-à-vis de la formation
des mots anglo-saxons (vu que leurs composés sont éphémères) tranche sur la
sévérité envers la suffixation française durable. L’auteur serait-il sur ce
point conduit à se contredire, quand il montre que la péremption rapide des
mots (la “consommation” ne concerne que les mots anciens) doit être balancée
par une création verbale légèrement supérieure - d’où la possibilité d’un trop
plein de mots nouveaux? Bréal en réalité, à la différence de beaucoup d’autres,
ne s’attaque ni à la prolifération des néologismes ni à leur caractère
temporaire[34], mais à leur superfluité, mais au risque qu’il y aurait qu’ils
s’implantassent dans l’usage - risque apparent dans la modalisation: “[...] ces
noms abstraits, soudés au moyen de nos suffixes, ont l’air d’être forgés pour
durer” (p. 294).
Que vise cette
critique? Après les auteurs cités de façon anonyme, des genres littéraires ou
plutôt les marges de la littérature sont accusés: éloquence parlementaire ou,
plus largement, politique; “journalisme”; “drame”; “feuilleton”. La volée de
bois vert lancé au journalisme relève d’un topos (cf. Édouard Vittoz, Journalistes
et vocabulaire, La Concorde, Lausanne [Suisse], 1914). Les réprimandes à l’égard
de la sous-littérature du feuilleton sont sinon habituelles, du moins répandues
(et pourtant, combien de chefs-d’œuvre paraissaient alors sous cette forme
littéraire). Le drame se voit attaqué en tant qu’il reflète dans son
vocabulaire l’esprit de l’auteur et les jeux de mots de ce que Jean-Claude
Carrière a appelé “l’humour 1900”[35]. La tribune de la chambre des députés se voit
aussi, de façon plus surprenante, convoquée au banc des accusés. Sans doute le
mot d’esprit, forgé en tant que péjoré (et justifiant donc sa malformation par
la volonté, qu’il exprime, de déprécier ce qu’il nomme), explique-t-il la place
de l’éloquence politique et polémique dans cette énumération des paroles
néologiques typiques. On peut établir une correspondance entre les griefs et
les accusés:
ironie
tribune[36]
caricature
journalisme
guillemets
drame
polémique
feuilleton
exagération
La conclusion du passage souligne que la destruction est nettement
plus aisée que la
création. La
célébrité qui s’attache aux destructeurs de la langue, identifiés et
contemporains, s’oppose à l’obscurité des créateurs, antiques et oubliés.
Bréal, modéré dans sa position (voir “presque toujours” et “souvent”), met en
garde préventivement ceux qui seraient tentés d’illustrer leur nom en
néologisant sans vergogne.
Dans une nouvelle partie, Bréal reconsidère le néologisme comme
problème culturel: la société globale et la tradition historique entrent en jeu
puisque la nouveauté sera trouvée strictement individuelle et absolument
nouvelle. Ce sont les pages 295-297 (de l’exemplaire a photocopiées
telles quelles - les traits ne semblent pas de Péguy):
[pages non encore disponibles]
Le mot “défense” s’entendra au sens d’«interdiction» mais n’est pas
sans rappeler les débats d’époque sur la “défense” de la langue française -
nouveau stade après la constatation de sa “déformation”. L’excursus qui
a pour fin d’illustrer combien une attitude puriste extrémiste serait vaine et
nuisible à la langue apparaît de prime abord hors sujet. Cette seconde phrase
est loin de former avec la première et la troisième un syllogisme évident. En
fait, Bréal considère le développement d’une langue comme étant essentiellement
un fait social: un conservatisme linguiste extrême reviendrait à une dictature,
où le peuple comme chaque individu n’auraient pas le droit de parler librement;
et le sort de ce régime serait la décadence - sanction du purisme,
paradoxalement. La définition qui survient alors, bien qu’un peu tardivement,
mêle comme il est de tradition à l’époque[37] ce que nous appelons “néologisme formel” et
“néologisme sémantique”, et que l’on appelait parfois à la Belle Époque
“néologisme de mot” (ou “mot nouveau” simplement) et “néologisme de tour” (plus
vaste que le “sens nouveau d’un mot” en ce qu’il englobe des fantaisies
syntaxiques). Les deux notions que recouvre le mot de “néologisme” sont mises
en parallèle et comparées par Bréal dans la cinquième phrase: les évolutions
phonétiques fournissent un exemple de néologie formelle; c’est le temps qui est
le facteur commun entre les deux néologies, considérées comme faits
linguistiques à long terme relevant de ce que nous appelons “néologie de
langue”. Les acteurs du changement sont donc impersonnels[38]: en deçà de la perception humaine, il s’agit du
temps en soi (même apparemment statique dans le tissu de ses “événements”), du
temps producteur de nouveauté relative: de “découvertes” - ou absolue: de
“révolutions”. Les idées - philosophiques, morales - et les choses - faits,
conduites - dès lors qu’elles contiennent un aspect nouveau, sont susceptibles
de provoquer une innovation dans la langue. Le principal problème qui se pose
alors est celui de la compréhension intersubjective et “interlocutionnelle”[39]. L’exemple de Lamartine (1790-1869; rappelons que
l’article date de 1897) s’accorde à l’hypothèse du voyageur parti pour trente
ans: que le voyage se fasse dans le temps ou l’espace, Bréal considère que le
mouvement de la langue fait qu’un de ses états donné diffère assez de l’état
suivant (à un peu plus qu’une génération de distance) pour mettre en danger la
compréhension de l’état nouveau par un sujet qui n’aurait eu nulle connaissance
des trente dernières années (Bréal n’affirme aucunement que l’inverse soit vrai
- que l’état ancien soit lui aussi incompréhensible pour un locuteur de trente
ans plus âgé). Le néologisme menace donc moins la langue ancienne que la
compréhension: le danger vient moins de la destruction opérée par le mot
nouveau que de l’obscurité du mot inouï, absent des dictionnaires. Alors que le
lecteur aurait pu croire significative la mention du “langage de nos journaux”
comme modèle (à ne pas suivre) d’un langage incohérent et à l’affût du tout
nouveau en dépit du sens, voici que Bréal nous implique dans la fabrication et
la propagation des mots nouveaux: la sphère néologique équivaut bien à toute la
société. Les distinctions de culture et de classe sociale cèdent, de même qu’il
ne s’agit plus de savoir si l’on est de ces spécialistes de la langue que sont
les écrivains, ou de ces maîtres du goût que sont les artistes. Bréal en vient
à user d’une formule frappante en proclamant astucieusement que les enfants
“sont [du point de vue de la langue qu’ils parlent] ordinairement en avance
d’une dizaine ou d’une vingtaine d’années sur leurs parents”[40].
À défaut de
législation, le bon droit doit limiter la néologie mais ne peut s’appuyer sur
une idée, qu’elle soit celle de “pureté” ou de “génie”, d’autant que ce dernier
renvoie à l’idée de génération. Bréal renverse alors son analyse: entre en ligne
de compte le “besoin” - socioculturel et non individuel - de comprendre les
anciens, la génération passée ou les penseurs d’un français plus reculé. Là
encore le langage ne constitue pas une fin en soi: c’est avec la pensée de nos
prédécesseurs qu’il faut renouer. Un dialogue avec les voix du passé, plus
qu’une simple écoute de leurs enseignements, est possible mais mis à mal par la
novation lancée tous azimuts. Ce traditionalisme littéraire, minimal s’il
voulait seulement préserver la possibilité d’un dialogue, est ici plutôt
mitigé. Le besoin tend à se transformer en “devoir” en fonction de la grandeur
du patrimoine littéraire de la nation - et pour le français en conséquence, le
devoir de mémoire est prégnant. Le passage prend alors, comme souvent dans les
discours linguistiques de la Belle Époque, un ton politique ou du moins
patriotique. La “dignité” et la “force” dont il est question se rattachent
autant à la “nation” qu’à la langue nationale. Bréal propose alors de
substituer à la notion de pureté celle de “classicisme”, en débarrassant le mot
de certains de ses sens: ni l’Antiquité ni un siècle éloigné ne doivent
s’ériger en modèle (non idéal mais servant de but); les linguistes n’ont pas
seuls voix au chapitre: un débat public décidera de la direction à suivre. Car
si l’enjeu déborde en aval le cadre des questions linguistiques (la langue
engage la nation, parce que la première définit en partie la seconde), de même
en amont les linguistes ne sont-ils pas exclus du débat sur le but auquel
tendre: ils sont seulement remis à leur rang professionnel normal, celui d’une
des composantes socioprofessionnelles de la société globale. Par l’exemple de
Rydquist, dont le dédain de la langue littéraire suédoise moderne (en décadence
depuis six cents ans!) est assez ridiculisé, Bréal moque la valorisation
systématique du passé qui s’exprime chez des savants y trouvant une
satisfaction pour leur amour propre, contents de seuls connaître le meilleur et
le préférable en matière de langue. L’érudition et la grammaire normative -
c’est elle qui typiquement “décide” entre deux formes - manifestent, en
inclinant souvent au beau comme l’antique, un mauvais penchant: systématique et
inconscient, un tel regard vers le passé en oublie le présent. Bréal veut
préserver les deux termes du problème: le néologisme ne vaudra qu’en temps que
fidèle, au-delà des apparences, au passé de la langue[41].
Suit un éloge
amical des grammairiens français, de Ménage à d’Olivet - rappel qui n’est pas
sans préfigurer l’adresse pleine de tendresse de Péguy à l’égard des anciens
grammairiens en B 1058:
“ grammairiens case autrefois peut-être un peu méprisée
si à tort”.
Ne serait-ce que cet écho nous incline
à penser que Péguy a bien lu en entier l’Essai.
Les
considérations que développe ensuite Bréal s’éloignent de la question des
néologismes. D’autres influences de cette lecture sont-elles relevables chez
notre écrivain? Les renvois qui sont faits dans les notes de l’Essai
intrigueront tout lecteur de Péguy: ils mentionnent non seulement le livre de
Henry et celui de Darmesteter, mais aussi La Parole intérieure, essai de
psychologie descriptive de Victor Egger (Baillière, 1881), thèse bien
connue des péguystes parce qu’elle fait l’objet d’un sarcasme de Péguy en C 451[42]. Il n’est pourtant fait aucune citation de l’Essai
(ni textuelle ni travestie) dans toute l’œuvre de Péguy; de plus le nom de
Bréal n’y apparaît guère que comme désignation familière d’un livre: “(le)
Bréal (et Bailly)”, en tant qu’auteur, avec Anatole Bailly, des Leçons de
mots. Cours supérieur. Dictionnaire étymologique latin (Hachette, 1906; cf.
B 786, C 365.1295.1345). Mais un passage de la “Présentation de Paris à notre
Dame” (dans La Tapisserie de Notre Dame, mai 1913), passé jusque là
inaperçu, pourrait faire allusion à ce livre, sinon le désigner tout bonnement.
Surtout si l’on songe combien le mot “sémantique” au féminin doit justement à
son emploi dans l’Essai[43]! Voici le quatrain en question:
“Nous arrivons vers
vous du lointain Parisis.
Nous avons pour
trois jours quitté notre boutique,
Et l’archéologie
avec la sémantique,
Et la maigre
Sorbonne et ses pauvres petits.”
Dans ce contexte immédiat, tout fait
songer à l’ouvrage de Bréal: le réalisme de la “boutique” (des Cahiers)
et des journées consacrées au pèlerinage; la mention de la Sorbonne incarnant
l’intellectualisme parisien (qui éloigne tant, dans le temps, Parisis) et la
vie estudiantine. La condescendance de Péguy envers la vie universitaire,
médiocre et futile, met sur un même niveau la science du passé (qu’est
étymologiquement “l’archéologie”) et cette science qui voulait nouvelle:
l’étude de l’évolution de la signification des mots. Certes la rime est riche
et pourrait à elle seule expliquer la venue de la “sémantique” sous la plume de
Péguy; mais alors encore l’évocation directe du mot dans l’esprit ne peut
qu’être le nom de Bréal - et pour que Péguy ait osé écrire ce nom-là suivant
son inspiration, il faut qu’il ait ajouté son consentement à ce mépris de la
sémantique vue des fins dernières ou du moins dans la perspective du salut.
Aussi l’occurrence du mot est-elle également significative dans le cas où
l’usage du dictionnaire de rime expliquerait la rime à “boutique”[44]. Vingt ans après, Péguy porte donc un jugement
sévère sur la sémantique: science peu nouvelle, de peu d’importance
intellectuelle et de nul poids spirituel. Cette critique a posteriori
contredit-elle ce que nous croyions repérer d’influence de Bréal sur Péguy dans
son éloge des grammairiens à l’ancienne? Non point; car le passage des Notes
pour une thèse (écrites début 1909) donne les moyens de conjuguer le rejet
de la sémantique et avec la nostalgie, commune à Bréal et Péguy, de l’ancienne
grammaire normative française. Voici un extrait plus large (en B 1058; tout un
passage du chapitre nous intéresse en réalité: B 1054-1060):
“ grammairiens case autrefois peut-être un peu
méprisée
si à tort
aujourd’hui,
et combien raison, tout réfugiés dans l’honneur de la science
aussi
sciences de la nature et sciences de l’histoire
archéologies
épigraphies
métriques
prosodies
phonétiques
sémantiques
grammaires
histoires
des mots
vies des
mots[45]
littéraires
un peu vexés
car il
était entendu que avoir du style était déshonorant
s’efforçaient
tant qu’ils pouvaient de se faire grammairiens”.
Si donc le discours de Bréal
respectueux de l’ancienne grammaire est louable, en revanche son attitude qui
en dépit de ce discours consiste à fonder une science nouvelle, à vouloir se
dégager de la honte d’être littéraire en créant un hybride étrange, entre
science et littérature, cette attitude attire les foudres de Péguy[46]. En 1909 donc, et peut-être quelque temps
auparavant, Péguy rejette Bréal; mais comme toujours avec Péguy, s’il l’a
rejeté, c’est bien la preuve qu’il l’avait admiré, secrètement puisque nous
n’en avons pas de témoignages directs. Ici la sémantique se voit critiquée dans
sa prétention à la scientificité par le biais d’une simple mise au pluriel:
cette science ne fait pas l’unanimité, créer un mot ne suffit pour créer la
chose[47]. Bréal se fait une idée particulière de sa
science, idée que l’on peut comparer à d’autres puisqu’il n’y a pas d’autorité
de domination et de prestige qui tienne. Non seulement la Sémantique de
Bréal disparaît comme livre fondateur (à partir de sa lecture même), non
seulement la sémantique telle que l’a créée Bréal se fond dans l’énumération
des nouvelles sciences du langage (en 1909), non seulement elle se fond dans le
petit et “maigre” sous-ensemble des “sémantiques”, mais elle devient le type de
la nouveauté frauduleuse en linguistique (en 1913). Péguy rejette donc à quatre
reprise Bréal et sa science nouvelle. Aussi la lecture de Bréal a-t-elle dans
un premier temps influencé Péguy (pour l’idée de l’honorabilité de la grammaire
traditionnelle face à la linguistique moderne, par exemple[48]) avant que le souvenir de sa lecture ne le
rebute. Il est impossible de dater précisément le revirement de Péguy. Il doit
en tous les cas se situer après 1902 à en juger par ce passage de “La Loi et
les Congrégations” (CQ III-21), article de Péguy où une lettre de Bréal
est relevée en exemple de manifestation dreyfusiste et citée comme autorité:
“Le Temps du jeudi 7 août
publiait la communication suivante:
M. Viollet,
membre de l’Institut, président du Comité catholique pour la défense du droit,
dont on sait la protestation contre la circulaire et les décrets Combes, nous
communique la lettre suivante qu’il a reçue de M. Michel Bréal, membre de
l’Académie des inscriptions:
Paris, le 4 août 1902.
Mon cher confrère,
Vous me demandez
pourquoi je ne me suis pas joint à la protestation de Gabriel Monod et à la
vôtre en faveur de la liberté de l’enseignement. Je pensais qu’ayant déjà
protester récemment, je faisais bien de ne pas trop souvent occuper le public
de ma personne.
Mais vous savez
que mes sentiments sont pareils aux vôtres. La liberté de l’enseignement étant
garantie par la Constitution, l’on ne peut que déplorer les mesures qui sont la
violation de cette liberté. J’ajoute que, politiquement, elles constituent une
erreur et une faute, car le parti qu’on veut frapper en sera certainement
fortifié.
Recevez, mon
cher confrère, l’assurance de mes sentiment sympathiques et dévoués.
MICHEL BRÉAL.”
Sans autre forme
de commentaire, voilà le seul passage où le nom de Bréal apparaît
dans les Cahiers de la quinzaine
autrement que comme l’auteur du “Bréal et Bailly”. Le revirement de Péguy a dû
se faire après 1902 et pour des raisons strictement littéraires, car à notre
connaissance il n’y a aucune lutte politique ou sociale pour laquelle Péguy et
Bréal se soient retrouvés dans des camps opposés. Il ne faut pas croire
cependant que Péguy n’a pas lu l’Essai; seulement il semble, à voir
l’influence qu’a eu cette lecture (une non-influence directe n’équivaut ni à
une indifférence ni à une méconnaissance), que l’écriture de Péguy comme ses
idées sont venues de lui-même plutôt que de ses lectures[49].
- Henry
Les Antinomies
comportent bien moins de passages relatifs à la néologie. Pour éclairer
d’emblée le titre énigmatique de l’essai de Victor Henry, nous ne croyons pas
superflu de donner in extenso la petite page d’introduction au livre
(photocopie de la page 1 de l’exemplaire B - les notes ne semblent
pas de Péguy):
La question du
néologisme surgit très tôt dans l’ouvrage: dans le premier chapitre, consacré à
la nature du langage, lorsque Henry fait un sort à l’expression répandue de
“vie du langage” sous laquelle se cache en fait une conception organiciste du
langage - mot par ailleurs purement abstrait et sans réalité extérieure. Henry
ne critique pas l’usage qu’en peuvent faire des grammairiens prudents puisque
ceux-ci savent de quoi il retourne et n’usent là que d’une métaphore
consciente; il craint plutôt que cette métaphore ne prête à confusion dans le
grand public et parmi les étudiants de lettres ou de philosophie, tentés de la
prendre au mot. Le deuxième reproche que Henry adresse à cette expression est
son impuissance: elle n’éclaire rien. La protestation du linguiste procède par
énoncés qui constituent autant de coups de buttoir: “une langue ne naît pas”
(p. 10-11), “une langue ne croît pas” (p. 11-12), “une langue ne
meurt pas” (p. 12); pour conclure vigoureusement en montrant qu’«une
langue n’a donc point d’âge» (p. 12-13). C’est, comme on pouvait s’y
attendre, la deuxième de ces thèses qui aborde la question néologique[50]. Nous en reproduisons la démonstration dans son
entier[51]:
[pages
non encore disponibles]
Remarquons
d’abord que les mots nouveaux ne sont pas analysés en tant que tels dans cet
extrait mais dans le cadre de l’évolution de la langue - d’où découle que
l’auteur analyse seulement la néologie de langue (cela évacue le problème de
l’originalité des créations), et ce dans la perspective de l’enrichissement de
l’idiome (par une sorte de valorisation). Henry ne traitera pas de la
stylistique du néologisme. Car si le créateur manifeste certes une “initiative
individuelle”, rien ne dit qu’il soit seul inventeur du mot nouveau (né “d’un
ou plusieurs”), ni qu’il s’agisse le plus souvent d’un écrivain, d’un
intellectuel - Henry ne considère que des sujets parlants anonymes et en vient
à contredire, volontairement, la primauté que l’on confère souvent aux
intellectuels en matière de néologie: la majorité des innovations relèveraient
de leur inventivité. Cette erreur d’optique est due au fait que critiques et
linguistes appartiennent au même milieu que les écrivains et ont tendance à
grossir son importance, et résulterait pour Henry d’un préjugé: de l’idée reçue
que la création d’un mot se fait toujours en connaissance de cause. Henry ne
dénie pas aux écrivains néologistes la volonté de créer des mots mais il
considère que l’invention des mots relève d’un procédé soit conscient - moins
souvent qu’on ne le croit, soit (et cela vaut aussi dans le premier cas, bien
que dans une moindre mesure) moins conscient qu’on ne le croit. Il convient
d’entendre ici l’intensif “infiniment” (p. 11) en un sens affaibli: le
lecteur, grâce au renvoi fait dans la note infrapaginale, apprend que l’acte
linguistique conscient de création s’opère bien souvent dans l’inconscience du
procédé linguistique utilisé - par où l’on voit que les deux interprétations de
la formule du comparatif valent en même temps.
Henry use alors
de quelques termes techniques (“lois”, “organique”, “germination”) pour mieux
distinguer la notion biologique de “croissance” de l’apparition en langue d’un
mot nouveau. Si le cliché semble faire du néologue un homme qui veut à tel
moment créer tel mot qu’il forme en pleine conscience par tel procédé
morphologique qu’il connaît et met à profit, Henry, quand il emploie
l’expression de “lois fatales”, ne tombe pas par réaction dans ce travers
opposé qui ferait de l’innovation verbale un procès sans sujet aux allures
déterministes. Il recourt ensuite à un exemple. Sa restriction (“que je sache”)
ne joue qu’un rôle opératoire: elle vise à accorder tout le monde à
l’argumentation. Le mot, non attesté de fait avant Henry, correspond par
définition à un possible non attesté[52]; mais Henry ne réduit pas la motivation du néologisme
aux besoins nouveaux de dénomination des realia: il institue le besoin
comme cause du mot nouveau dans le cadre de son exemple seulement. L’auteur
semble avoir récapitulé l’histoire du mot à travers ses emplois successifs:
d’abord inusité, le mot naît du besoin, puis se voit attesté et donc admis dans
un ouvrage lexicographique (ici l’ouvrage de référence littéraire par
excellence, le plus conservateur aussi) selon son prix, c’est-à-dire son
utilité. Passons au stade suivant du raisonnement (“Or...”): en présence d’un
tel mot nouveau, que celui-ci figure dans un discours oral ou dans un texte,
l’interlocuteur (le point de vue passe du créateur à son auditeur ou lecteur)
n’aurait nulle difficulté à comprendre l’idée sous-jacente, le contenu
sémantique du mot (passons sur le tour polémique de Henry dans l’expression
“grand clerc” après l’aussi noble “que je sache”). Bien sûr, le mot vient
manifestement d’une analogie dont il est la quatrième proportionnelle:
“carrosse” / “carrossable” = “bicycle” / “*bicyclable”[53].
Doit-on dire ici
que la nuance connotative n’est plus la valorisation de l’enrichissement
linguistique? Que la création en question se voit qualifiée de “peu laborieuse”
n’implique pas, selon notre interprétation, un sens péjoratif[54], car c’est le propre de la néologie technique (il
s’agit d’un “professionnel” ou “amateur” du cyclisme - sport alors en plein
développement, sinon en vogue) que d’utiliser un simple procédé de formation,
une analogie évidente. La polémique se dirige davantage contre le ridicule
qu’il y a à appliquer la métaphore romantique de la croissance de la langue à
la néologie technique - requise par les progrès de la technique, par le succès
de ce nouveau moyen récréatif de locomotion qu’est le bicycle (cet “engin”
moderne): l’incidente “je pense”, faussement restrictive, et le tour de style
élevé “à l’instar de Schlegel” contribuent à moquer le romantisme, mal placé
dans toute vision organiciste de l’histoire des langues. L’usage des métaphores
recouvre en effet une philosophie peu scientifique (elle “rêve” en
“visionnaire”), peu à peu sédimentée dans la conscience collective en une idée
philosophique spontanée. Henry admet que la linguistique moderne est issue de
cette conception spéculative de la vie des langues mais il accentue la solution
de continuité entre celle-ci et celle-là: il proclame en même temps
l’indépendance de droit des deux approches qui permettent d’aborder les
questions de langage, et l’existence d’une rupture épistémologique entre elles
- l’une restant spéculative, l’autre se voulant une discipline scientifique
(cf. la note p. 63).
Après l’analyse
de la création qui se produit à l’intérieur d’une langue donnée (le français),
Henry établit une distinction entre le phénomène de l’emprunt linguistique et
l’assimilation telle qu’un organisme l’effectue. L’être vivant possède deux
fonctions opposées qui définissent ses rapports au monde extérieur vu comme
matière étrangère: l’assimilation, positive; et l’élimination, négative. La vie
se fait de ces deux processus. Ces deux types de relations et les rapports
qu’une langue peut entretenir avec une autre ne sont pas parallèles: manque
d’abord en linguistique l’équivalent de la face négative qu’est l’élimination -
mais Henry juge que cela se passe de démonstration, alors qu’on en peut
douter... L’exemple des emprunts que le français fait l’anglais ne vient pas
infirmer sa thèse, bien que l’on dise en effet couramment que “le français
[...] s’est assimilé un certain nombre de mots” (je souligne). Car Henry
tient que les emprunts linguistiques[55] se répartissent en deux groupes complémentaires:
tantôt le mot emprunté suit l’importation de la chose en France (exemple
typique choisi: self-acting = “dans les métiers renvideurs, sorte de mule-jenny
perfectionnée, aux mouvements automatiques” d’après le NLI); tantôt il
comble seulement un manque du français (les trois exemples conservent la
graphie d’origine mais changent de prononciation: spleen = “état
affectif sans cause apparente allant de la tristesse au dégoût de l’existence
en passant par l’ennui”; humour = “forme d’esprit qui attire avec
détachement l’attention sur les aspects plaisants ou insolites de la réalité”; snob
= “qui cède à l’engouement de la mode en cours”, d’après le TLF). Henry,
quand il décrit en détail les données concrètes qui concourent à l’emprunt,
explique le phénomène et montre combien il a finalement peu de points communs
avec la “fonction organique d’assimilation”.
Si la question
des néologismes affleure dans ce passage de la “vie du langage”, de façon surprenante
le sous-chapitre suivant - la “vie des mots”[56] - ne les concerne aucunement. Le centre de
l’ouvrage - de volume plus petit que l’Essai - s’éloigne encore
davantage de notre sujet. Henry se contente de dénoncer la confusion de termes
que l’on reproduit fréquemment: “joug” serait un dérivé populaire de jugum
(alors que “joug” est en réalité le même mot jugum, après déformation
phonétique) et “subjuguer” donnerait un exemple de dérivation savante (alors
qu’il vient de subjugare). Cet abus du mot “dérivation” oblige à un
nettoyage de la situation terminologique (p. 63). Il faut attendre les
dernières pages du livre pour trouver deux allusions à la néologie de forme: au
calembour - proche de la plaisanterie - puis à la création verbale enfantine - proche
du barbarisme. Ainsi, dans une note de la page 69, lit-on:
“[...] il se pourrait
que le sujet parlant connût très bien le mot et l’altérât volontairement par
facétie ou calembour; le cas n’est pas rare dans les milieux «spirituels» où
l’on prononce à dessein sesque pour sexe ou démacrotie
pour démocratie. Mais combien y a-t-il de ces corruptions
intentionnelles qui entrent et s’implantent dans la langue réelle? Presque pas,
et la raison en est manifeste: le sel de la plaisanterie exige que la vraie
forme reste constamment présente à l’esprit du sujet parlant et de l’auditeur,
et dans ces conditions la fausse forme ne peut la supplanter.”
La déformation (ou transformation en
une “fausse forme”) semble sociologiquement le fait de la mondanité parisienne
et sémantiquement ressortit à une volonté de distanciation vis-à-vis de
l’énoncé (pudeur dépréciée ou péjoration politique). Limitée à la langue
parlée, et surtout temporaire, ce phénomène n’agit quasiment pas sur la langue
et n’y prétend d’ailleurs guère. Le calembour, parce qu’il ne joue que sur la
différence et sur une différence de forme, ne peut pas s’institutionnaliser
mais, quand même il durerait, resterait comme en marge du vocabulaire réel
(celui partagé par toutes les couches de la société, et/ou consacré par le
dictionnaire). Ce jeu sur la culture trouve sa contrepartie dans la création
involontaire, par suite de la faute de vocabulaire (de ce qui est analysé comme
tel d’un point de vue puriste et normatif) que constitue la création enfantine.
L’enfant ne réussit à maîtriser qu’un petit corpus de mots et, soit qu’il
suppose à tort que tel terme existe, soit (chose moins probable) qu’il s’amuse
à créer lui-même des mots, il lui arrive de forger des néologismes. Henry
n’envisage d’ailleurs que le premier cas, faute d’avoir - juge-t-il - une
preuve concrète du second. Un exemple vient introduire le développement de
Henry (p. 70-71):
“La petite fille (six à
sept ans) qui me disait un jour «Nous étions arrivées à l’école en retôt»
n’avait pas la moindre intention de créer un mot, ni le moindre soupçon qu’elle
en créât un en effet, qui eût pu vivre si le hasard lui avait prêté vie: elle
me disait cela naturellement, comme une chose qui allait de soi, et je l’aurais
fort étonnée en la reprenant [...]”
Ici, involontaire et inconsciente,
l’innovation est le fruit du hasard, au sens où c’est l’inexistence du mot
(comme l’on dit que tel mot “existe”) qui relevait de la contingence. Possible
non attestée, cette locution nouvelle témoigne du peu de culture du sujet
parlant (qui eût pu, aussi bien, être un illettré[57]); elle reste à l’état de “simple monstre” du
point de vue scolaire, parce que l’usage ne l’a point légitimé auparavant.
La conclusion de
l’auteur, très clairement énoncée dans une formulation schématique logique,
consacre la prégnance du hasard dans la création linguistique - c’est-à-dire
dans la créativité qui se manifeste dans l’évolution historique de la langue
(toute considération sur la parole étant étrangère au sujet que le linguiste
s’est donné). Aussi le lecteur peut-il penser qu’un tel ouvrage donne peu de
renseignements sur la pratique néologique de Péguy. Par contre, le peu de mots
que Péguy consacre au problème des néologismes correspond assez bien au peu de
cas fait de la créativité lexicale volontaire de l’écrivain dans les Antinomies.
Quels témoignages avons-nous du sentiment qu’a éprouvé Péguy à leur lecture?
Aucun témoignage
direct; mais les renvois faits au cours de ce livre ont probablement été eux
aussi suivis: Arsène Darmesteter et Victor Egger notamment s’y trouvent évoqués
en termes flatteurs. Or, si Darmesteter est oublié de Péguy, Egger en revanche
se voit - nous l’avons déjà vu - déprécié d’un mot d’un seul (“ce pauvre M.
Egger” au déictique dédaigneux, au qualificatif condescendant et à la feinte
politesse). Péguy, qui avait depuis juin achevé la rédaction de sa Jeanne
d’Arc, n’a pas goûté l’essai de réduction psychologique des voix
miraculeuses entendues par Jeanne et a gardé pour lui son mépris pendant
quatorze années avant qu’il n’éclate en 1911. On jugera sur ce ressouvenir de
la capacité qu’avait Péguy de garder ses rancœurs, loin de n’être qu’un
colérique. La vengeance accomplie à froid, qui montre ici la vigueur passée de
la rancune, est importante; car, à la différence d’un Bréal qui ne faisait que
mentionner le travail d’Egger, Henry pour sa part ne marchande pas les
compliments à ce dernier - à preuve cette note (dans son entier, p. 19):
“Je ne puis que
renvoyer le lecteur à l’étude si pénétrante de M. V. Egger sur la Parole
intérieure (Paris 1883) et m’applaudir de rencontrer un tel appui sur un
terrain [affirmer qu’un monologue ininterrompu, “de la naissance à la mort, se
déroule sans cesse dans le cerveau de chacun de nous”] où ma propre faiblesse
m’interdirait de rien édifier.”
Qu’a donc pu penser Péguy d’un tel
flagorneur, qui de plus use de redondances lourdes. Ce passage est situé dans
le premier chapitre. Nous ne pouvons pourtant que supposer que Péguy n’apprécia
guère le livre d’Henry. Car le silence que Péguy garde sur cette lecture[58] peut aussi s’interpréter comme un signe
d’indifférence - Egger recevant alors seul les foudres de Péguy sur un point
particulier de sa thèse parce qu’au-delà de la flagornerie envers un confrère
(voir p. 59: “Mon sympathique collègue, M. V. Egger [...]”), Henry aurait eu
pour lui, dans l’esprit du jeune Péguy la rigueur sèche de la dispositio
de son ouvrage[59]. Peut-être, au risque de surprendre, Péguy
trouva-t-il dans les Antinomies - suggestion qui demande à être étayée -
l’idée de baptiser Cahiers son “journal vrai” à venir. En effet,
“cahier” sert d’exemple à l’examen des évolutions sémantiques des mots
(p. 69-70):
“Le premier Français
qui abusivement a nommé «cahier» (cayérn = quatérnio) un
assemblage de feuilles de papier pliées en deux ou en huit ou en seize, n’a
nullement pensé à la nécessité de doter le langage d’une expression générale
pour désigner un assemblage quelconque de feuilles de papier, ni même à la
nécessité momentanée où il se trouvait de désigner un tel assemblage par un mot
qui risquait de n’être pas compris ou de provoquer la surprise; mais, étant
habitué à nommer «cahier» un assemblage plié en quatre, il a oublié que celui
qu’il désignait ne l’était point ou que le terme qu’il employait signifiait
«plié en quatre», et de cet oubli - quoi de moins conscient qu’un oubli? - est
sortie par imitation une signification nouvelle qui a complètement effacé
l’ancienne aux yeux de tout Français non étymologiste.”
En tous les cas, ce long passage, très
probablement lu, permet d’attribuer le choix par Péguy du nom de “cahier” pour
baptiser sa revue à une volonté différente de celle qui lui est
traditionnellement prêtée (rattachant directement les Cahiers de la
quinzaine aux cahiers de travail de l’écolier). Les deux explications nous
semblent plutôt conciliables et s’enrichir réciproquement.
Ce bref survol
des lectures de Péguy à la fin de l’été 1897 a traité d’un sujet certes
restreint et sur lequel planent encore beaucoup d’incertitudes; mais les deux
livres de Henry et Bréal constituent de fait les deux seules lectures
linguistiques de Péguy, en 1897 comme pendant le reste de sa scolarité à
l’École. Or cette année 1897 est importante parce qu’elle termine ce que l’on
peut appeler la période de formation de Péguy et parce qu’elle inaugure son
activité journalistique. 1897 peut sembler une date tardive pour que Péguy ait
modelé son écriture d’après les considérations, d’ailleurs plus théoriques et
linguistiques que concrètes et littéraires, développées par Bréal et Henry; Jeanne
d’Arc était déjà écrite pour une bonne part en août. On peut pourtant
affirmer concurremment que ces lectures fraîches étaient plus à même
d’influencer un écrivain débutant. L’on peut donc insister davantage sur l’un
ou l’autre point; c’est affaire de parti pris. Qu’il nous suffise d’avoir
attiré l’attention sur l’importance de ces deux lectures méconnues[60] - si tant est que l’ensemble du dossier de la
culture de Péguy ait jamais été étudié[61]; d’avoir montré que Péguy savait ce qu’à son
époque les recherches linguistiques disaient des néologismes. La lecture de ces
deux livres d’actualité permet même de penser que Péguy, grand amateur de
journaux dans sa jeunesse (avant qu’il ne réduisît progressivement le nombre
des titres qu’il lisait)[62], s’intéressait aux articles traitant des
questions de langage et relatifs à l’usage des néologismes en particulier. À
preuve, le développement impromptu que Péguy ajoute au corps de son De Jean
Coste en 1902 (A 1025-1026; les deux crochets extérieurs sont de Péguy
lui-même - les autres et les notes, de nous):
“[Aujourd’hui même[63] je lis dans La Revue blanche du 1er
novembre ce paragraphe de M. Michel Arnauld, critiquant le livre de M. Barrès: Scènes
et doctrines du nationalisme. [...suit tout un paragraphe...] Je lis du
même dans le même ce dernier paragraphe à la critique de: Marius-Ary Leblond, Les
Vies parallèles:
Dans
leur lettre liminaire à M. Léon Bourgeois, MM. Leblond prennent non sans fougue
la défense du néologisme. Ils n’avaient pas besoin de se justifier et je n’ai,
dans leur livre, relevé nul excès de mots nouveaux. Mais leur thèse appelle des
objections, qui ne sont pas spéciales aux seuls «puristes». Sans même rappeler
que notre langue se révèle plus riche à mesure qu’on en use davantage, il faut
avouer que le néologisme détourne de l’analyse, et ne favorise que des
synthèses un peu grosses. Donner un nom spécial à chaque sentiment dispense de
le distinguer par des nuances fines et sans cesse changeantes[64]. Il ne vit plus, le voilà classé, épinglé,
empaillé pour toujours. La science a besoin de néologismes; c’est qu’à chacun
de ses progrès elle pose une loi, un rapport fixe, que dès lors elle a le droit
de désigner, sans le définir. En art - surtout quand il s’agit de
décrire des sentiments -, la sobriété du vocabulaire et la souplesse de la
syntaxe laissent mieux voir le retour des mêmes éléments simples sous des
formes variées. C’est d’ailleurs question de mesure, qu’on ne peut trancher
d’un mot.
Tout le monde
regrettera que l’auteur de ces deux paragraphes ne forme pas le ferme propos
d’œuvrer lui-même; ces deux paragraphes ont une importance capitale, chacun
pour ce qu’il veut être; [...] la lecture du deuxième serait d’une grande
utilité pour M. François Daveillans, et pour un assez grand nombre de
sociologues; il y a dans ce bref paragraphe, indiquées seulement, les
distinctions le plus utiles, et aussi les plus fondées, entre la science et
l’art social. Quand un homme jeune en vient à mettre sur pied, presque en
passant, deux paragraphes aussi fermes, quand il est aussi maître de sa forme
et de sa pensée, il ne suffit plus qu’il parle à propos des livres qui
paraissent, et qui souvent ne valent pas la critique. Il est temps qu’il fasse
œuvre, et nous donne un cahier.]”
La position de Péguy face à la
question néologique, de 1896 à 1902, se complète sans perdre de sa cohérence.
Dès 1896, Péguy se montre en effet puriste face aux emprunts lexicaux et aux
néologismes de sens, mais non jusqu’à l’intransigeance: seuls les écrivains ont
le devoir de veiller à leur vocabulaire sans autres considérations; les
politiques bénéficient eux, en cas de barbarisme, de circonstances atténuantes.
Péguy lit ensuite, en 1897, les deux ouvrages que nous savons et qui vont tout
en fait dans son sens: la mise en perspective historique de la question
néologique fait perdre au débat de sa virulence, et les changements de sens qui
ne cessent de se produire dans les langues constituent une néologie larvée dont
les partisans du conservatisme en matière de langue oublient de se soucier, alors
qu’elle menace autrement la cohésion diachronique de la langue. Aussi Péguy, en
1902, s’accorde-t-il avec la modération du propos d’un Michel Arnauld: les mots
nouveaux sont plus ou moins acceptables selon les types de discours. La parole
politique peut s’en accommoder - Péguy n’y revient pas; la littérature quant à
elle doit éviter de faire du néologisme un tic artificiel. Enfin, le discours
scientifique est naturellement amené à donner des noms nouveaux à ses
découvertes progressives. Nous pouvons même entrevoir ici qu’en 1904, dans sa
conférence De l’anarchisme politique[65], Péguy rattachera, par un durcissement de sa
position et par mesure de prudence, toutes les sciences humaines (dont le
statut pouvait prêter à hésitation: se rattachaient-elles, dans l’esprit de
Péguy, à la littérature ou aux sciences pures?) à la condition de la bonne
littérature. Voici deux notes à implications linguistiques; on y verra comment
Péguy réfléchit à la question des néologismes comme préalable à son discours
même (alors que le sujet pouvait en paraître étranger à la néologie):
“[...] quelques-uns,
pour échapper à la difficulté, ont multiplié les mots nouveaux d’aspect
scientifique
sociologues vaine
imitation des sciences qualifiées
procédés enseignement vocabulaire mots en isme
d’autres au contraire
affirmé la totale vanité de ces études, leur indifférence;
entre ces deux excès
nous nous placerons
comment nous devons imiter les sciences qualifiées;
comment nous devons utiliser le langage commun
parler proprement [...]”;
encore dans les
premières notes mais plus loin:
“[...]
liberté contre l’autorité de commandement en politique
liberté contre
l’autorité de gouvernement
liberté contre
l’autorité de compétence en économie
liberté contre
l’autorité d’administration
devons nommer la
première acratie
et le système de cette
liberté acratisme
devons nommer la
deuxième seulement anarchie
et le système de cette
liberté anarchisme
non pas pour le vain
plaisir de former un mot nouveau;
mais parce qu’il est
indispensable de former un mot nouveau toutes les fois qu’un même mot recouvre
deux réalités distinctes [...]”
Le dernier mot
de Péguy sur les néologismes semble alors prononcé; et sa théorie, énoncée ne
varietur, de façon fragmentaire mais cohérente. L’idée de Péguy n’évoluera
pas, de fait, avant quelques années. Qu’il suffise de consulter notre liste des
néologismes péguyens pour s’apercevoir combien pourtant ces proclamations
théoriques entrent en contradiction avec la pratique péguyenne du style et
qu’elles se complètent, de 1896 à 1904, dans le même temps où les néologismes
chez Péguy prennent une allure toujours plus novatrice dans des quantités
toujours plus grandes. Parmi les écrivains français, Péguy se trouve doublement
exceptionnel: son style se place comme exception au cadre théorique que
dessinent ses propres déclarations sur la néologie; de plus, ce hiatus entre le
style (nettement néologiste) et la théorisation (modérément puriste) constitue
une exception chez les écrivains français - inverse du cas de Hugo qui se
voulait révolutionnaire du langage mais dont la pratique néologique n’était pas
à la hauteur des professions de foi.
Pourquoi
l’aspect néologique est-il sous-estimé comme composante du style de Péguy?
Invoquer le manque d’études sur le sujet n’est pas satisfaisant: le cercle
vicieux ne convainc pas. La diversité de l’art de Péguy se trouve sans doute
responsable du relatif oubli de la création verbale péguyenne: par la quantité
et la qualité de ses néologismes Péguy est au niveau des noms traditionnellement
cités quand il s’agit de donner des exemples de grands néologues (Rabelais et
Ronsard, Hugo et les Goncourt, Céline, Michaux, Queneau...) Mais la position de
Péguy face aux néologismes (rarement exprimée et plutôt négative), conjuguée
avec le caractère inclassable de son art (c’est-à-dire sa difficile position
dans l’histoire des courants littéraires), a atténué la lucidité de son
lecteur, tantôt aveuglé par l’évidence d’une création verbale donnée (qui en
passe inaperçue), tantôt dupé par des déclarations antinéologiques, tantôt
enfin pris dans le cours de la phrase péguyenne (et n’en remarquant plus les
différents éléments, dont des néologismes ici et là cachés).
L’originalité
des néologismes péguyens vient-elle du caractère personnel de sa réflexion sur
la néologie? La démonstration reste à faire; mais par rapport à quelle norme
Péguy a-t-il forgé ses mots nouveaux: cette norme nous permettrait de connaître
concrètement hors de quel lexique Péguy créait. Déterminer quels étaient les
dictionnaires dont se servait Péguy constitue un biais commode pour établir un
pont entre la théorie et la pratique néologiques de Péguy.
III. - La consultation du
dictionnaire chez Péguy
a) Bibliothèque linguistique de
Péguy
établie d'après La Bibliothèque
Baudouin-Péguy,
essai de
reconstitution d'un inventaire en 1914
de Charles-Pierre Péguy
(32 pages dactylographiées, 1996)
Nous avons
extrait de la Bibliothèque de Péguy, attendue depuis longtemps et qui
fournit au chercheur une mine très riche d’informations sur les lectures
possibles de Péguy, les ouvrages ayant trait à la linguistique et aux langues.
Les renseignements - date d’édition, nom de l’auteur et titre - donnés par
Charles-Pierre Péguy, qui a établi son catalogue en amateur (certes éclairé),
se sont avérés parfois peu sûrs. Nous avons relevé quelques erreurs de
datation; de plus, beaucoup d’ouvrages ont été classés comme “anonymes” alors
que leurs auteurs sont identifiables; enfin les titres donnés étaient parfois
incomplets. Notre sélection linguistique constitue donc le premier véritable
travail d’exploitation de la bibliothèque de Péguy[66]. Restent parfois des doutes - que nous espérons
pouvoir lever à l’avenir - sur l’édition exacte que Péguy avait à sa
disposition. Nous avons préféré à l’ordre chronologique général qu’avait choisi
Charles-Pierre Péguy un classement thématique, quitte à procéder dans chaque
sous-partie par ordre chronologique d’édition.
1.
- Ouvrages ayant trait à des langues vivantes
A)
Manuels:
P. Bernardino Pianzola
o.f.m., Dizionario grammatiche et dialoghi per apprendere le lingue
italiana, latina, greca-volgare, e turca, dalli Conzatti, Padoue (Italie),
2 tomes en un volume in 8°, 1781
Docteur Émile
Poussié, Manuel de conversation en trente langues, Le Soudier, in 16°,
1891 (première & deuxième édition: 1890)
B)
Essais théoriques:
Antoine Court de
Gébelin, Monde primitif considéré dans l’histoire naturelle de la parole, ou
Grammaire universelle et comparative, in 4°, édité par l’auteur,
1774. Constitue le volume II du Monde primitif analysé et comparé avec le
monde moderne, 9 volumes in 4°, 1773-1782
Honoré-Joseph
Chavée, La Part des femmes dans l’enseignement de la langue maternelle, in
18°, Truchy, 1859
Georges Valois
(pseudonyme de Alfred-Georges Gressent) et François Renié, avec pour
collaborateurs Jean Herluison et Marius Riquier, Les Manuels scolaires.
Études sur la religion des Primaires. Manuels d'histoire: falsification
historique. Manuels de morale: falsification scientifique. Manuels de lecture:
falsification littéraire, in 12°, Nouvelle Librairie Nationale, 1911
2.
- Dictionnaires et encyclopédies
spécialisés
dans un domaine...
A)
de l’Antiquité:
Pierre Chompré, Dictionnaire
abrégé de la Fable, in 12°, Schweighauser, Bâle (Suisse), 1810
(première édition: 1770; nouvelle édition avec supplément par Étienne-Maurice
Chompré; onzième édition en 1774, augmentée par É.-J. de Monchablon)
Louis-Dionys
Ordinaire, Dictionnaire de mythologie, in 12°, Hetzel, 1866.
D’après les indications fournies par Charles-Pierre Péguy: Dictionnaire de
la mythologie, 1865, on doit écarter les deux: Dictionnaire de la
mythologie des peuples du Nord, des Scandinaves, des Germains, des Prussiens,
des Vendes... (du Docteur Louis Noirot, in 32°, Douillier, Dijon,
1832) et Dictionnaire de la mythologie d’Homère (d’Élie Leroux, in
18°, P. Dupont, 1884)
Dictionnaire
des jeux du cirque, 1876 (erreur
de titre? Mis pour un Dictionnaire des jeux, du cirque... tout aussi
introuvable, absent notamment de la bibliographie donnée aux articles “Circus”
et “Ludi” in Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines de
Charles Daremberg & Edmond Saglio,
Hachette, 1887?)
B)
de la France moderne:
Pierre Brunet de
Granmaison, Dictionnaire des Aydes ou Les Dispositions tant des ordonnances
de 1680 et 1681 que des règlements rendus en interprétation jusqu’à présent
avec la nouvelle instruction ou Style général des employés aux exercices et à
la perception des droits d’aydes, in 12°, de Prault, possédé en deux
exemplaires de 1701 et 1750 (à la Bibliothèque Nationale édition de 1726
seulement)
Dom Antoine
Joseph Pernety o.s.b., Dictionnaire portatif de peinture, sculpture
et gravure, in 8°, Bauche, 1756 (à la Bibliothèque Nationale édition
de 1757 seulement)
Vice-Amiral
Comte Jean-Baptiste-Philibert Willaumez, Dictionnaire de marine, 1820
(1825: nouvelle édition in 8° chez Gaultier-Laguionie)
Adolphe Chéruel,
Dictionnaire historique des institutions, moeurs et coutumes de la France,
deux volumes in 16°, Hachette, 1884. Sixième édition (première édition:
deux volumes in 18°, en 1855)
Marie-Nicolas
Bouillet, Dictionnaire universel d’histoire et de géographie, in 4°,
Hachette, 1901. Trente-deuxième édition (première édition: 1872; refondue en
1893 par Louis-Gontran Gourraigne)
3.
- Grammaire et dictionnaires de langues anciennes...
A)
non classiques:
Johannes Gravius
(alias John Greaves), Elementa linguæ persicæ, deux parties en un
volume in 4°, Bee, Londres (Angleterre), 1649
P. Jean-Baptiste
Renou, Nouvelle méthode pour apprendre facilement les langues hébraïque et
chaldaïque avec le dictionnaire des racines hébraïques et chaldaïques, in
8°, Collombat, 1708
B)
classiques:
William
Robertson (le lexicographe du XVIIe
siècle), Thesaurus græcæ linguæ in epitomen sive Compendium, in 4°,
Hayes, Cambridge (Angleterre), 1676 (à la Bibliothèque Nationale éditions de
1678 et 1686 seulement)
P. Bonaventure
Giraudeau s.j., Praxis linguæ sacræ secundum litteras spectatæ, in
4°, Bordelet, 1757
Louis-Marie Quicherat,
Thesaurus poëticus linguæ latinæ, in 8°, Hachette, 1867. Douzième
tirage de la quatrième édition de 1846 (deuxième édition: 1840; première
édition: ?)
Anatole Bailly, Dictionnaire
grec-français, in 8°, Hachette, 1895. Première édition
4.
- Dictionnaires de langue française:
Pierre Richelet,
Dictionnaire portatif de la langue françoise extrait du grand dictionnaire
de Pierre Richelet, deux volumes in 8°, Bruyset, Lyon, 1775.
Quatrième édition revue par M. de Wailly (première édition, par l'abbé Claude-Pierre
Goujet: un volume in 8° en 1756 chez Duplain à Lyon; première édition du
"grand dictionnaire": deux parties en un volume in 4° en 1680
chez Widerhold à Genève, Suisse)
Académie
Française, Dictionnaire de l’Académie Françoise, deux volumes in folio
(ou in 4°), Smith, an VI = 1798. Cinquième édition (première édition:
deux volumes in folio, Coignard, 1694)
Jean-François-Marie
Bertet Dupiney de Vorepierre, Dictionnaire français illustré et Encyclopédie
universelle, deux volumes in 4°, 203 rue Saint-Honoré, 1867
(première édition: 1860; deuxième édition: 1875 chez Lévy selon la Bibliothèque
Nationale)
Philippe
Martinon, Dictionnaire méthodique et pratique des rimes françaises, in
12°, Larousse, s. d. (première édition: XV et 287 pages, 1905; deuxième
édition en 1906, troisième en 1909, quatrième en 1911, cinquième en 1915).
Péguy en possédait deux exemplaires
Annexe:
classement par fonds
Les livres sont
désignés par le nom de leur auteur; à défaut, par leur thème.
LIVRE FONDS ORIGINE REMARQUES DIVERSES
Pianzola Baudouin sûre -
Poussié ? ? -
Gébelin Baudouin sûre -
Chavée Baudouin sûre acheté
à Paris
Valois Péguy sûre don dédicacé, consultable au CPO
Chompré Péguy sûre signé A[ntoine] A[lbert]
Baudouin & ex libris Pictor
Ordinaire Baudouin probable -
jeux
du cirque Baudouin probable -
Granmaison Baudouin sûre -
Pernety Baudouin sûre -
Willaumez Baudouin sûre -
Chéruel Péguy sûre don
dédicacé
Bouillet ? ? -
Gravius Baudouin sûre -
Renou Baudouin sûre -
Robertson Baudouin sûre -
Giraudeau Baudouin probable -
Quicherat Péguy sûre signé
Péguy, consultable au CPO
Bailly Péguy sûre acheté la première année d’École
Richelet Baudouin sûre ex
libris Gameau cadet
Académie française Baudouin sûre -
Vorepierre Baudouin probable -
Martinon Péguy sûre -
En résumé, ces
vingt-trois livres ont vingt-trois auteurs différents. Le fonds Baudouin est
majoritaire (quinze livres contre les six du fonds Péguy), même compte tenu des
doutes subsistants puisqu’ils concernent seulement quatre livres attribués au
fonds Baudouin.
b) Les dictionnaires de Péguy
Simone
Fraisse est la seule péguyste qui ait étudié, de façon certes succincte, le
rôle de la consultation du dictionnaire chez Péguy. Elle s’est intéressée à
l’usage du recueil de rimes[67]. Autrement, un grand silence continue de régner
sur la question de l’usage que faisait Péguy du dictionnaire. Pourtant, savoir
quel(s) dictionnaire(s) consulte un auteur et la méthode qu’il suit pour ce
faire donne des indications très précieuses sur le travail de l’écriture, voire
de la rédaction. Le silence des études critiques s’explique-t-il par le propre
silence de Péguy sur son usage des dictionnaires? Non pas, puisque çà et là
surgissent quelques allusions à l’«interrogation d’un dictionnaire»[68]. Avouons cependant que l’environnement familial
modeste de Péguy ne le prédisposait pas à fréquenter les dictionnaires;
rappelons que Pierre Baudouin voulut rester fidèle à ses origines illettrées,
ou plutôt “inalphabétiques”: “à la mémoire de ma grand mère[69],/ paysanne,/ qui ne savait pas lire,/ et qui
première m’enseigna/ le langage français” - déclare-t-il dans la dédicace de la
Chanson du roi Dagobert. Aucune chance pour que le petit Charles ait
jamais pu consulter un dictionnaire chez lui, dans la petite maison du 48, faubourg
Bourgogne[70]. Les dernières pages de Pierre, Commencement
d’une vie bourgeoise sont de ce point de vue éloquentes (A 182-186):
“Ce
que l’on nommait le tas d’ordures était un agréable petit amoncellement, une
agréable petite montagne de boue très propre ou de poussière très fine et de
terre, confectionnée soigneusement devant chaque maison par le vieux cantonnier
diligent; [...] ce n’est que bien plus tard que j’appris que le mot tas
d’ordures[71] servait à désigner un tas de n’importe quoi de ce
qui était sale; une ou deux fois la semaine les âniers passaient: on nommait
ainsi les hommes qui passaient lentement et lourdement conduisant des
tombereaux robustes traînés par une forte bête de cheval; [...] dès que j’eus
commencé mes études[72], je m’aperçus fort bien que l’on n’avait pas le
droit de nommer ainsi âniers des hommes qui menaient un aussi fort cheval, et
je fus choqué de cette inexactitude; plus tard, continuant mes études[73], j’essayai de leur trouver un nom, mais celui de
chevalier ne convenait aucunement; celui de cavalier ne convint pas davantage[74]; et l’adjectif équestre, qui est un mot savant,
était d’un autre monde et ne servait qu’aux statues; ce ne fut que tout à fait
plus tard, quand je fus à Paris[75], que j’appris qu’on les nommait les boueux; mais,
à vrai dire, il ne s’agissait plus des mêmes hommes, car il ne s’agissait plus
de la même boue. [Les “eaux de la ville”] sortent par des bouches d’eau, comme
on les nomme, [et] le vieux cantonnier, puisqu’il était un fonctionnaire
municipal, avait le droit de les ouvrir; il avait pour cela une clef, comme on
la nommait [...]; je me suis longtemps demandé[76] pourquoi on nommait cet objet une clef, car,
ayant eu l’honneur de le voir de près plusieurs fois que le cantonnier s’en
servait et que je m’étais respectueusement approché, je constatai que cela
n’avait pas comme en ont toutes les clefs une poignée ronde en forme d’anneau,
une tige, et une panne; plus tard je compris qu’on nommait clefs non seulement
les clefs familières qui servent à ouvrir les portes, mais aussi toutes les
instruments et tous les outils qui servent à ouvrir tout ce qui est fermé;
cette généralisation ne me fut d’ailleurs jamais bien familière, parce qu’il y
a vraiment trop de différence entre l’opération qui consiste à ouvrir une porte
pour laisser passer le monde et celle qui consiste à ouvrir un passage pour
laisser couler l’eau. [Le cantonnier] descendait le faubourg d’un pas
inconsciemment perpétuel, roulant devant lui sa vieille brouette familière où
voyageaient de compagnie, inclinés ensemble et dansant un peu, sa pelle, son
râteau, son racloir, dont je n’ai jamais su le vrai nom, et son long balai de
bruyères bien choisies; [...] il emportait avec lui ses outils pour arroser: sa
pelle et ce que je suis bien forcé de nommer sa guenille. [L’instrument] que je
nomme le racloir était un outil régulièrement constitué, comme les jardiniers
seraient forcés d’en avoir un s’ils avaient à ramasser la boue du sol; [...]
mais un scrupule me venait pour ce que suis bien forcé de nommer la guenille du
cantonnier [...]; je me demandais comment il se pouvait faire que la ville
d’Orléans, qui est une grande ville, fournît ainsi à son cantonnier une
guenille; je n’ai jamais bien admis en mon entendement cette guenille
municipale.”
Les
confidences de Pierre, quand la biographie aborde la description de
l’apprentissage du langage écrit (acte d’écriture calligraphique) et oral
(lecture et parole justes), manifestent l’omniprésence de la question
linguistique chez Péguy enfant[77]. La récurrence du verbe “nommer” est une
répétition certes due au style péguyen déjà formé en 1902, au fait que
l’acquisition du langage montre l’importance des substantifs, mais elle
ressemble ici à une précaution d’emploi de la part de l’écrivain et à une
obsession de l’in-fans face au ça du langage commun. Le verbe a presque
toujours pour sujet en effet le pronom indéfini “on” - les hommes - ou bien il
s’inscrit dans la tournure passive: “je suis forcé de”. Une telle distance
vis-à-vis du langage, ressentie comme un manque, ne s’est que tardivement
résolue - par la scolarité - mais elle s’est aussi, pour une part, changée en
déception: la langue populaire fut trouvée inexacte (le mot désignant
inadéquatement la chose; la constatation vient-elle d’une leçon de choses distinguant
l’âne du cheval?) et la langue, en tant que fédération des registres
techniques, fut trouvée trop généralisante (le mot désignant plusieurs choses).
De quand date
donc le premier dictionnaire personnel de Péguy? La chose nous est inconnue:
peut-être d’un prix scolaire (hypothèse assez peu probable si l’on en juge par
la composition des prix à l’époque), d’un achat personnel (premier achat avéré:
à vingt-deux ans, le Dictionnaire grec-français de Bailly). Péguy connut
en tous les cas tardivement l’objet qu’est le dictionnaire et le plaisir de sa
consultation, pour sa part ressenti d’emblée.
Péguy s’est sans doute familiarisé
avec le dictionnaire durant sa scolarité et principalement après son
baccalauréat (au cours de sa longue préparation au concours d’entrée à l’École)[78]. Car pour apprendre l’allemand par exemple, il ne
posséda aucun dictionnaire bilingue[79]. Restait encore à connaître le libre accès aux
rayons de la bibliothèque des lettres de l’École et à jouir de la bibliothèque
de sa belle-famille: une importante collection constituée au milieu du XIXe siècle par les achats de Charles Baudouin
(1804-1878) et d’Antoine Albert Baudouin (1836-1879), respectivement grand-père
et père de l’épouse de Péguy.
Mais Péguy connut-il même dans toute
son étendue cette bibliothèque qu’il avait chez lui et qui ne lui appartenait
que par alliance? Si le Vorepierre vient réellement du fonds Baudouin, alors
nous avons dans Entre deux trains (A 498-499) la preuve précise d’au
moins une consultation de la bibliothèque des Baudouin:
«“- [...] Il y a [à l’Exposition universelle internationale de 1900] le
congrès du Matériel théâtral, sans date ni durée, non plus que le
congrès pour l’Unification du numérotage des fils des textiles. Celui des
Associations de presse n’a ni date, ni durée, ni président, ni secrétaire
général, ainsi que celui de la Ramie. Qu’est-ce que la ramie?”
Je sautai sur
mon petit Larousse. Le mot n’y était pas.
“La ramie est
une espèce d’ortie, urtica utilis, qui pousse en abondance à Java, et
dont on fait des fils, des câbles et même des tissus.
- Tu sais tout?
- La culture
générale, aidée d’un vieux dictionnaire que j’ai à la maison.”»
L’identification du dictionnaire en
question demandait une recherche systématique et patiente opérant d’après trois
critères:
- l’existence
d’un article consacré à la ramie (non forcément un article “Ramie”)
- la définition
donnée presque telle quelle et que l’on pouvait reconstituer ainsi: “Ramie =
espèce d’ortie, urtica utilis, qui pousse en abondance à Java, et dont
on fait des fils, des câbles et des tissus”[80]
- l’ancienneté dudit livre[81] (pour qu’un dictionnaire puisse être dit “vieux”
en mai 1900, il doit dater d’avant 1880, vraisemblablement et avec précaution).
Or les dictionnaires qui définissent
le mot “ramie” (a fortiori dans cette orthographe) sont assez rares; il
n’y en a qu’un qui inclue une définition approchante du mot: le Vorepierre,
notre recherche ayant porté sur les principaux dictionnaires d’avant 1880 et
d’après 1858 (date où le mot apparaît en français, sous la graphie “ramieh”,
avant que l’on ne trouve “ramie” - en 1866). Voici un extrait de la partie
encyclopédique de l’article “Urticées” (p. 1289) où la note est de nous et où
nos gras notent les reprises exactes de termes qu’en fit Péguy (indépendamment
de l’ordre des mots et des variations en genre et nombre; les synonymes sont
par ailleurs nombreux):
“Mais
une espèce surtout paraît destinée à rendre de grands services à l’in
dustrie, c’est l’O.[82] utile (U. utilis), qui appartient
aujourd’hui au genre Bœhmeria, et qui croît en abondance à
Java, où on la désigne sous le nom de Ramie. Les habitants font
avec ses fibres des cordages, des filets, et même des étoffes d’une
grande finesse et d’une longue durée. Des expériences faites avec le Ramie ont
donné des résultats fort intéressants.”
Une conclusion s’imposait donc: la
scène évoquée par les interlocuteurs du dialogue
(le “je” est indéterminé; l’autre est René
Lardenois - personnage fictif) est bien réaliste, et le dictionnaire en
question est le Vorepierre. Deux renseignements précieux pour nous en ce qu’ils
nous permettent une telle schématisation:
ordre de consultation dictionnaire concerné lieu de
dépôt[83] geste
1 Larousse bureau tendre la main
2 Vorepierre bibliothèque se lever
Précisons que Péguy n’en a effectué qu’une rapide
lecture, sans remarquer l’emploi ancien de “ramie” au masculin. Péguy a
peut-être arrêté sa consultation à la fin de l’avant-dernière phrase que nous
citons: jusque là, les signifiants de la plante étaient tous du genre féminin
(“une espèce”, “ortie utile”, “urtica utilis”, le pronom “la”). Péguy
reprend au texte qu’il cite explicitement (une “Liste des congrès
internationaux de 1900”) et à sa “culture générale” le genre du mot, qu’il
prive de la majuscule que le Vorepierre comme le texte cité lui accordent (le
congrès par noblesse et le dictionnaire parce que sa note encyclopédique vaut
comme article).
Une expérience similaire, où le texte[84] passe sous silence la procédure de consultation
(mais il est implicitement évident qu’elle a eu lieu), vérifie ce schéma à
plusieurs années de distance. Mais la première expérience nous montre déjà que
Péguy ne recopie pas l’article en tout ou partie, mais le consulte seulement, à
propos du mot qui l’intrigue, avant de reprendre l’écriture et de citer de
mémoire le dictionnaire. Ce témoignage, lié à une exposition universelle comme
l’était la lettre inaugurant la réflexion de Péguy sur les néologismes (est-ce
coïncidence?), permet aussi de préciser que la seconde étape n’est que
facultative dans le tableau:
ordre de consultation dictionnaire concerné lieu de
dépôt geste
1 Larousse bureau tendre la main
(2) (Vorepierre) (bibliothèque) (se lever)
De plus, un troisième témoignage, si bref qu’il en
paraît anodin à première lecture, nous invite à ne pas restreindre le champ de
notre enquête aux consultations personnelles faites chez soi. Il arrivait en
effet à Péguy de demander dans sa correspondance des renseignements techniques
à ses amis; ou plus encore, lors d’entretiens, leur donnait-il quelques
recherches à mener pour son propre compte - service auxquels ils se pliaient
volontiers. Ainsi pouvait-il mobiliser tantôt Charles Lucas de Pesloüan, qui
avait fait l’École polytechnique, pour des renseignements de type scientifique;
tantôt Edmond-Maurice Lévy, bibliothécaire à la Sorbonne, pour des
renseignements de type bio-bibliographique; tantôt Jacques Maritain pour des
renseignements philosophiques[85]; tantôt encore Albert Lévy pour des précisions
encyclopédiques - dont il s’agit ici, quand “le citoyen docteur” s’adresse à un
narrateur appelé seulement “citoyen” (A 391-392):
“- [...] Les
renseignements que vous donnez tout au commencement[86] ne sont pas moins utiles.
- Un ami à moi
les a copiés pour nous dans la Grande encyclopédie.
- Votre ami a
bien fait. [...] Je sais gré à cette Grande encyclopédie de nous avoir
communiqué ces renseignements.”
Nous aboutissons finalement au tableau
théorique suivant[87]:
ordre de consultation ouvrage concerné lieu de dépôt geste/procédure
1 Larousse bureau tendre la main
(2) (Vorepierre) (bibliothèque) (se lever)
((3)) ((Grande encyclopédie[88])) ((au-dehors)) ((demander & copier))
Ces procédures n’apparaissent dans le
texte qu’en de rares endroits, elles restent génériquement cantonnées à l’écriture
des textes de prose. Poète, Péguy fait aussi quelque usage du dictionnaire.
Desquels? Du Martinon principalement[89]. Le fait était connu grâce aux témoignages de
Marcel et Germaine Péguy; il a été confirmé par l’édition de la bibliothèque de
Péguy - qui révèle sur ce point une petite surprise: Péguy avait deux
exemplaires du Martinon. Est-ce dû à deux usages concomitants du dictionnaire
(un exemplaire sédentaire restant au domicile familial, l’autre voyageant avec
Péguy[90] ou restant fidèlement au lieu de travail de
Péguy: la “boutique des Cahiers” au 8, rue de la Sorbonne[91])? ou bien à un même usage, à la maison des Pins
de Lozère puis au 7, rue André-Theuriet à Bourg-la-Reine: l’un des exemplaires
(ou le deuxième s’il y a eu achat séparé) ayant été acheté en prévision (ou au
vu) de l’usure du premier? Nous pencherions plutôt vers cette seconde solution
et vers l’hypothèse de deux usages successifs: comment Péguy aurait-il pu avant
un certain temps de fréquentation avoir l’assurance que ce dictionnaire de
rimes était si bien fait pour satisfaire le poète, et que l’usage du
dictionnaire de rimes allait tant lui plaire? Ces deux achats rendent possible
que Péguy ait possédé deux éditions légèrement différentes du dictionnaire[92]. Cette hypothèse de l’usure matérielle du premier
exemplaire reste à vérifier; seule la consultation des deux exemplaires
possédés par Péguy permettra de trancher en sa faveur ou de la rejeter. Mais il
est encore possible d’imaginer plusieurs cas: Péguy a pu se servir
immédiatement de son deuxième exemplaire (non que le premier ait forcément été
rendu inutilisable mais parce que l’édition nouvelle avait été “revue et
corrigée” ou parce que consulter un exemplaire neuf est plus agréable) ou après
un certain temps[93], ou même ne pas s’en servir du tout - puisque
Péguy est mort peu d’années après la période pendant laquelle on estime qu’il a
acheté le Martinon[94].
Quels témoignages avons-nous de
l’usage du Martinon chez Péguy? Pour répondre à cette question, il faut
rappeler que l’opinio communis d’alors blâmait ou du moins dépréciait
largement l’usage par les poètes du dictionnaire de rimes - remède à
l’impuissance en somme. Ce peut être la raison pour laquelle dans l’œuvre de
Péguy ne se trouve nul aveu de l’usage de ce type de dictionnaire[95]. Voici un des rares passages où cet aveu eût pu
prendre place et où il n’a pas apparu (C 173 in Victor-Marie, comte
Hugo):
“[...] v(oi)là
le général qui passe; tout cassé, tout bancal, tout bossu, tout mal-fichu.
Je serai un vieux cassé, un vieux courbé, un vieux noueux. Je serai un vieux
retors. Je serai peut-être un vieux battu (des événements de cette gueuse
d’existence). Je serai un vieux rompu, un vieux tordu, un vieux moulu, un vieux
tortu, toutes les rimes (populaires) en u, sauf deux ou trois dont l’une
est que je ne serai certainement pas un vieux cossu. [...] Je serai un vieux
tassé, un vieux chenu. [...] Je serai un vieux rabougri, ma peau sera ridée, ma
peau sera une écorce, je serai un vieux fourbu, un raccourci de vieux pésan.”
Le Martinon contribua-t-il
à ces assonances? À en juger par les pages 275 à 277
de ses rimes en “-u”, non. Mais Péguy resta
discret sur cet aspect de sa création poétique. Et cette attitude fut efficace.
De son vivant, on ne savait pas que les rimes de Péguy procédait d’une fidélité
poussée aux listes du dictionnaire de rimes, comme en témoigne ce passage d’une
recension d’un Cahier de la quinzaine (p. 744 in “Les
Poèmes”, chronique d’Auguste Bailly, p. 737-745 de la Revue du mois,
décembre 1913) qui montre aussi quelles réflexions inspirait à la critique
l’intempérance répétitive de l’assonance dans l’œuvre poétique de Péguy:
“Rimer 36 fois
de suite sur une rime en ique[96], ce n’est pas une opération spontanée de
l’esprit, ni même du Saint-Esprit. Il doit y falloir un dictionnaire de rimes.
Et ce soupçon, peut-être injuste, me gêne.”
Ici affleure une conception morale de l’écriture.
Car s’il y a soupçon du critique, c’est qu’il y avait préalablement faute de
l’écrivain - ou l’idée d’une faute. La critique littéraire peinait à repérer
non une systématisation en cours de la poésie de Péguy mais sa poussée à la
limite du langage. À vrai dire, les vers de Péguy inédits alors ne sont guère
compréhensibles qu’en les comparant incessamment avec les listes
d’homéotéleutes du Martinon; mais, du vivant de Péguy, la face apparente de sa
création poétique montrait déjà un usage constant du dictionnaire de rimes, qui
non seulement allait à l’encontre de préjugés esthétiques dévalorisant la
mécanisation de l’inspiration mais qui pratiquait en outre une poésie
renchérissant sur l’arbitraire du dictionnaire (cf. le titre complet du
Martinon: Dictionnaire méthodique et pratique des rimes françaises) par
un arbitraire de l’ordonnancement homophonique. Ce sont trois témoignages
principalement qui permettent de se faire une idée de la façon dont Péguy usait
du dictionnaire de rimes. Péguy confia seulement à Désiré Roustan[97] - ancien camarade de l’École - qu’il avait réussi
à épuiser toute la liste de mots d’une rime de son dictionnaire (les alexandrins
inédits viennent effectivement à bout de la rime en -al; voir Les
Alexandrins inédits et les poèmes posthumes de Charles Péguy (1903-1913),
projet d’édition critique, par Julie Sabiani, s. d. n. l.) Le fils aîné de
Péguy, Marcel, apporte de plus précieuses précisions. Citons ses souvenirs -
qui font référence aux années 1911-1912 où Marcel pouvait avoir de 12 à 14 ans
(p. 149 in Lettres et entretiens, in CQ XVIII-1, 1927[98]):
“Il [Péguy]
avait acheté un dictionnaire des rimes, et enlevé la préface de Martinon, «cet
imbécile qui prétendait apprendre aux gens à faire des vers». Il glissait dans
ce dictionnaire quelques longues bandes de papier d’emballage sur lesquels il
notait, au fur et à mesure, ses strophes.”
Son père a beau se moquer de la prétention de
Martinon[99], le dictionnaire lui sert beaucoup. On peut même
penser que Péguy s’est moqué de Martinon pendant que Marcel collaborait avec
son père - et à l’aide du dictionnaire - à l’écriture des dernières strophes de
la Ballade - puisque l’on croit savoir[100] que Péguy associa son fils aîné à sa
versification (cf. p. 31 in Lettres et entretiens, op. cit.)
Des deux questions que pose ce témoignage, une seule nous intéresse[101]: qu’est-ce que Péguy a arraché au Martinon?
Avant d’y répondre, faisons un petit excursus
dans l’édition de la bibliothèque de Péguy par son fils posthume. Le titre
donné au Martinon est Dictionnaire complet, méthodique et pratique des rimes
françaises alors que partout ailleurs il est connu sous le simple nom de Dictionnaire
méthodique et pratique des rimes françaises. La lectio difficilior
proposée par Charles-Pierre Péguy vient en réalité du titre donné non en
couverture ni même sur la page de titre, mais au début de la deuxième partie du
livre, constituée par le recueil de rimes proprement dit. Le Martinon comprend
en effet une brève préface (XV pages dans les quatre premières éditions, qui
seules nous intéressent; la page ‹XVI› est blanche), un traité de versification
française (61 pages), la liste des abréviations utilisées dans le dictionnaire
(p. 62-63; la page 64 est blanche) et enfin le corps du livre appelé à la
page 65 seulement: Dictionnaire complet, méthodique et pratique des rimes
françaises (p. 65-287; la page ‹288› est blanche). Marcel se contredit
sans le savoir: la “Préface” de Martinon ne fait que présenter l’ouvrage de
façon anodine; seul le “Traité de versification”, qui la suit, enseigne
effectivement à “faire des vers” - hésitant d’ailleurs entre un point de vue
descriptif et une visée normative. La raison de l’acte ayant plus d’importance
que l’objet de l’acte (d’autant plus qu’il se voit désigné comme “préface”, et
non “Préface”), il est certain, grâce à la recension fournie par Charles-Pierre
Péguy, que Péguy a arraché le “Traité” avec peut-être la “Préface”, du même
geste de rage. Charles-Pierre Péguy a donné le titre intérieur - parce qu’il
est le premier à se présenter dans le volume expurgé - comme étant le titre du
livre. Impossible pourtant de savoir si les deux exemplaires ont été
semblablement maltraité[102]. La soumission à l’ordre des rimes signifiera
donc elle aussi, malgré les apparences, une rébellion face à Martinon -
figurant les règles de l’art poétique: l’auteur du recueil n’avait pas prévu un
usage si littéral de ses listes (en fait de texte). Les règles strophiques sont
arrachées au propre, et la recherche de la rime est niée radicalement puisque
les rimes constituent parfois les premiers mots du texte péguyen[103]. Romain Rolland (p. 111, op. cit.)
rapproche audacieusement Péguy de Mallarmé - comme on le fait à propos de la Jeanne
d’Arc et du “Coup de dés” - mais hélas il n’insiste pas sur la méthode
dictionnairique propre à Péguy, alors qu’il semble pourtant la connaître[104]:
“Il s’y
entretient [Péguy dans la Ballade] avec lui seul; ou plutôt, il s’y
livre à l’inattendu fiévreux du subconscient, qui fend l’écorce, par petites
éruptions de geyser hoquetant, qu’éveillent les secousses du wagon, et,
bizarrement qu’aiguille le caprice d’un petit dictionnaire des rimes de
Martinon... «Laisser l’initiative aux mots», disait Mallarmé, dont, sans
le savoir, Péguy reprenait les méthodes, - comme il annonçait, sans le vouloir,
«l’écriture automatique» des surréalistes.”
Un deuxième témoignage intéresse notre
propos. Germaine Péguy se souvient (p. 227-228 in “Mes deux frères
Marcel et Pierre”, op. cit.):
“ [...] notre
aîné passait de longues heures enfermé dans la grande et sombre pièce où notre
père lui-même écrivait, préparant version ou thème, immédiatement corrigés
[...]. Cela permettait à Marcel d’observer beaucoup de détails [...]. Marcel
notait [...] la chaise d’enfant, où trônait le petit Larousse; le dictionnaire
des rimes, sur la table; les deux grandes bibliothèques en acajou où se
retrouvaient surtout des livres ayant appartenu à notre grand-père, A. A. Baudouin.”
Les critères de datation de ces souvenirs sont: 1)
le lieu de Lozère (janvier 1908 - août 1913) qui est certain d’après la
description; 2) le fait que Marcel a “commencé le latin” avec son père vers
neuf ans (1907)[105]; 3) la proximité de l’écriture de la Ballade
dans le contexte. C’est donc une photographie du lieu d’écriture de Péguy (du
lieu où il écrivit durant quatre années) que nous offrent ces souvenirs. Péguy
écrivait entouré de dictionnaires; et le Larousse trônait.
c)
Le ou les (et quels) Larousse?
Mettre un
dictionnaire sur une chaise, c’est presque le personnifier. Il est vrai
que le Larousse appelle d’abord dans les esprits
le nom de Pierre Larousse. En A 448-449, une parole du dénommé “citoyen docteur
socialiste révolutionnaire moraliste internationaliste” au “citoyen malade” (de
la grippe; cf. A 416) constitue le seul passage où Péguy écrive le nom de
Larousse sans en désigner ses dictionnaires:
“Le citoyen
Lafargue est un savant homme et je ne suis pas surpris que tous les
internationalistes ensemble aient conjuré de lui envier son érudition
universelle, ne pouvant la lui ravir. [Et] ce que les regards les mieux avertis
ne sauraient voir au Manifeste, qu’il rédigea pour un tiers, les regards
les moins intellectuels sont forcés de le constater dans les Recherches,
que sans doute il rédigea pour les trois tiers. [...] Ne croyez pas, mon ami,
que jamais M. Alfred Picard, le commissaire général, fera tenir l’univers en
aussi peu de place. Et ne croyez pas non plus que jamais M. Pierre Larousse, d’heureuse
mémoire, distribuant la science humaine au hasard des alphabets, ait aussi
rapidement passé des pôles à l’équateur.”
Le nom de Larousse, introduit avec une politesse
dont Péguy est coutumier quand son humeur le pousse à l’ironie, figure ici aux côtés
d’Alfred Picard, dont nous avons déjà parlé et qui se trouve pris comme type du
bavard. Cette mention est ambiguë: comment faire le partage entre tendresse et
admiration d’une part et d’autre part la moquerie et la dépréciation? Le
syntagme incident “d’heureuse mémoire” nous incline à penser que l’ironie prime
sur les qualités du lexicographe; la critique se durcit même avec l’idée que la
méthode de l’exposé fait perdre de sa valeur au travail encyclopédique de
Larousse: le “hasard des alphabets” condamne Larousse à ne donner qu’une
exposition possible du savoir - choisie arbitrairement (non nécessaire, or la
science est du nécessaire). Larousse ne fit d’ailleurs que redistribuer les
cartes du savoir, sans œuvrer par soi-même. Pourtant un certain plaisir, venue
de la fantaisie de ces passages “des pôles à l’équateur”, peut naître à la
libre lecture d’un des dictionnaires de Larousse. Péguy pense-t-il à ce versant
quelque peu insolite du dictionnaire et de son ordre alphabétique absurde? La
constatation de la rapidité des transitions de Larousse semble aller dans le
sens d’une indulgence de Péguy, car il n’y a certes rien d’aussi rapide, comme
transition, que l’absence de transition d’un sujet à l’autre! L’euphémisme de
Péguy ressortit davantage à une pique anodine qu’à une critique en règle. Le
portrait de Lafargue en savant généraliste et si généraliste qu’il n’est savant
de plus rien n’égratigne qu’en passant la personne de Larousse tel qu’il conçut
son dictionnaire: ce n’est pas Larousse en personne qui pourrait être accusé à
juste titre d’avoir inventé l’ordre encyclopédique alphabétique (seulement
multiplie-t-il les sauts de coq à l’âne en multipliant le nombre de ses
entrées) ni même d’avoir synthétisé son grand dictionnaire en un petit Larousse
(au moins le grand Larousse passait-il plus de temps aux pôles, et plus de
temps ensuite à l’équateur). D’ailleurs, le mépris affiché pour un lexicographe
et l’usage immodéré de son dictionnaire cohabitaient déjà dans l’exemple du
Martinon; nous les retrouvons en réalité ici, avec un mépris moindre (Péguy
montre à l’endroit de Larousse davantage de respect qu’à l’endroit de Martinon:
nul déchirement des pages roses du petit Larousse!)
Savoir si Péguy pense plus à l’auteur
qu’au dictionnaire est souvent indiscernable. Ainsi ce passage (B 1016) où
Péguy s’adresse à Halévy et évoque les nobles régions qu’ils connaissent tous
deux:
“[...] la vallée
de l’Yvette, et la vallée de la Seine, qui est là-dedans comme la grande
maîtresse d’école, dans ce pensionnat de jeunes demoiselles, dans ce Saint-Cyr
de tous les régimes, et la vallée de la Bièvre, et votre vallée de l’Yerres, ou
plutôt, plus exactement, de l’Yères (si j’en crois les auteurs, les autorités,
Vidal et Larousse, car il faut aussi une orthographe en géographie même [...])”
Le voisinage de Paul Vidal de la Blache et le
sémantisme même des mots apposés “auteur” et “autorité” contribuent à une toute
autre image de Larousse (ou du Larousse). Le voir de plus aux côtés de “Vidal”
pour une question de géographie montre combien Péguy se plaît à mettre
paradoxalement sur un plan d’égalité un petit ouvrage de vulgarisation et un
ouvrage de référence - irrévérence dont profite Larousse. C’est par ailleurs à
une double consultation que Péguy fait allusion sans y insister. Où l’on voit
que le dictionnaire ne règne pas en maître sur l’écriture de Péguy quand elle
affronte une question d’ordre encyclopédique, lexicographique ou (ici)
orthographique. Peut-être l’Atlas général historique et géographique que
possédait Péguy[106] trouvait-il place en dehors des armoires de sa
bibliothèque; sa consultation n’est attestée qu’exceptionnellement (cf. C 183)
mais il a constitutivement un statut d’usuel. Que penser de la familiarité de
la désignation des “auteurs” (renforcée par le fait que Péguy désigne du même
coup un livre par le nom de son auteur[107])? Certes, le contexte dans son entier est
empreint de l’intimité et de la familiarité (non vulgaire) des relations qui
existent entre les deux amis Péguy et Halévy. Péguy change ses habitudes de
civilité (cf. A 827) pour créer un effet plaisant: la question orthographique
n’a aucune espèce d’intérêt mais il feint d’y attacher une importance capitale
(d’où les hautes considérations qui suivent sur l’orthographe en géographie -
“l’orthogéographie”, à distinguer du paronyme “orographie” avec lequel le
néologisme fait un jeu de mot; voir aussi A 827); à moins que Péguy, plus
subtilement, mime sa propre maniaquerie à l’intention de faire sourire son
lecteur et surtout Halévy, qui le connaît bien. Là encore, le sérieux fictif de
Péguy attribue au Larousse une autorité que le sens ironique du texte lui
retire: faut-il que reste l’ambiguïté, que l’on préférerait à une lecture
univoque? Péguy lui-même nous empêche toute hésitation en insistant sur la
parodie de l’appel aux autorités, sur la coutume scientifique de la référence
(en B 1016, dans un passage entre parenthèses très éloignées):
“[...] voici
maintenant que maintenant mes sources, (les plus) scientifiques, les plus
savantes même, Larousse et même la carte de l’almanach des postes et
télégraphes (et aujourd’hui téléphones) de Seine-et-Oise (du département de)
(qui englobe naturellement (le département de) la Seine et déborde sur (le
département de) Seine-et-Marne, le département frère et conjoint) nomme Yerres
un village qui est sur l’Yères. Il est vrai que le Petit Larousse nomme
aussi et parallèlement Essonnes un village qui est sur l’Essonne, à
l’embouchure de l’Essonne, au confluent de l’Essonne et de la Seine dans ce
même (département de) Seine-et-Oise.”
Nous savons par ailleurs quelle tendresse éprouve
Péguy envers l’almanach[108]; la mention du Larousse s’attaque donc moins à
l’esprit primaire de ce dictionnaire qu’à la fausse science de ceux qui
pourraient mépriser le Larousse. De plus, la mention du Larousse s’explique par
la description d’une consultation réelle, faite au cours même de l’écriture si
l’on en juge d’après l’expression qui dramatise l’extrait: “voici maintenant
que maintenant” - où l’on voit que Péguy n’écrivait pas toujours au fil de sa
plume. À moins peut-être que le texte mime le parcours de Péguy dans ses
dictionnaires, de découverte en trouvaille. Car la dernière phrase suit le
mouvement du regard qui voit sur la carte le nom «Essonnes», sa taille (c’est
un village), la rivière (première localisation), son embouchure (précision), le
confluent de la rivière et du fleuve (deuxième précision), le département
(deuxième localisation générale) - avec un progrès onomastique qui associe deux
à deux les noms d’«Essonnes», de «Seine» et d’«Oise». Le chercheur est
désemparé face à l’énigme géographique; en réalité l’écriture en “Yerres”
(aujourd’hui officielle) commence, à la Belle Époque, de remplacer la graphie
ancienne en “Yères” alors que les seconds noms contradictoires sont stables
(cf. aujourd’hui “Corbeil-Essonnes” & “l’Essonne”). Un défaut du Larousse
est-il responsable de ces orthographes incohérentes; ou bien la toponymie se
joue-t-elle de toute cohérence? Péguy ne le sait probablement pas, même s’il
habita longtemps Orsay, en Essonne. Péguy prête-t-il confiance au dictionnaire
ou soupçonne-t-il une coquille? Le texte et son contexte ne permettent pas d’en
décider; toujours est-il que le Larousse ne fait ici qu’enregistrer les
fantaisies de la géographie.
Nous avons porté
notre attention sur toutes les occurrences du nom “Larousse” lorsqu’il désigne
un dictionnaire portant ce même nom. L’emploi des italiques ou du mot
“dictionnaire” sert de critère pour discriminer l’auteur et son livre.
Embrasser toute l’œuvre et la correspondance de Péguy était nécessaire: entre
1897 et 1914, Péguy ne cite pas moins de douze fois un Larousse. Les dates
limites de 1900 et 1913 montre que toute la période d’écriture de Péguy est
concernée. Mais que désigne exactement ce nom? Nous écrivions: “un Larousse”
parce qu’il n’était point certain qu’il s’agît du même. Après enquête nous
pouvons même affirmer que Péguy désigne sous le nom de “(petit) Larousse”
deux dictionnaires différents et sous celui de “Petit Larousse” un seul
dictionnaire. Donnons maintenant les résultats de ce recensement:
localisation date de publication contexte immédiat
et/ou
d’écriture
A 499 mai 1900 "[...] mon
petit Larousse [...]"
CQ IV-6 août-décembre
1902 "[...] un petit
dictionnaire Larousse [...]"
B 22 22 octobre 1905 "[...] dit[109] le Petit Larousse [...]"
B 310 été-fin 1905 "[...] dit le Petit
Larousse [...]"
B 399 décembre 1905 "[...] nous nommons le Petit
Larousse [...]"
B 1016 septembre 1908 "[...] le Petit
Larousse nomme aussi [...]"
BACP
n°49 p. 22 10 mai 1912 "Ainsi parle Larousse."
FACP
n°174 p. 22 12 juillet 1912 "[...] un bon article dans
le petit Larousse [...]"
CACP
n°27 p. 122 12 juillet 1912 "[...] un bon article dans
le petit Larousse [...]"
BACP
n°49 p. 35 12 juillet 1912 "[...]
un bon article du Petit Larousse [...]"
C 1066 juillet 1913 "[...] un bon
article du Petit Larousse [...]"
C 1143 juillet 1913 "[...] dans le Petit
Larousse [...]"
À cela nous joignons le témoignage
biographique de Germaine Péguy, le seul hélas à s’intéresser au dictionnaire.
Remarquons
d’abord les deux lieux du dictionnaire Larousse, auxquels correspondent
probablement deux places distinctes. Selon la fille de Péguy, un exemplaire du
Larousse reste au domicile de la maison des Pins où une place fixe lui est
attribuée: une chaise, d’enfant - le Larousse (et ce très petit Larousse)
constitue bien pour Péguy une clef du monde extérieur en tant qu’elle est faite
pour un esprit d’enfant, sans grandes exigences mais dont un petit volume
suffit à asseoir les connaissances. Or, un inventaire des Cahiers, que
Péguy publie le 18 décembre 1902 mais qu’il effectue à la date du 31 août 1902,
nous présente comme un instantané des objets à disposition dans la boutique des
Cahiers; car au titre du matériel et des frais généraux, Péguy énumère, non
sans plaisir du détail, tout ce que peut contenir sa boutique, du bougeoir au
marteau, dans un bric-à-brac cocasse qui n’a d’autre ordre que celui des objets
aperçus: Péguy dresse en maître céans sa liste comme un lexicographe établit
ses listes de mots. Et au beau milieu de l’inventaire défilent...
“[...] six chaises
cannées et une en bois; un tabouret bois; six patères; boîtes à fiches;
registres; un Bottin étranger; un petit dictionnaire Larousse; un annuaire des
communes; papier d’emballage, lisse et ondulé [...]”
Il faut donc que Péguy ait possédé
personnellement un exemplaire du Larousse chez lui et joui d’un second
exemplaire dans sa librairie (il ne possédait pas cet exemplaire en son nom
propre comme le montre justement l’inventaire, mais qui d’autre que lui et
Bourgeois s’en servait?) Or aucun de ces deux dictionnaires ne fait partie de
l’inventaire de la bibliothèque telle que dénombrée par Charles-Pierre Péguy.
Pourquoi cet oubli? Sans doute le Larousse de la librairie n’est-il pas, après
la mort de Péguy, revenu à sa famille; le Larousse personnel de Péguy a dû
continuer de servir à sa famille puis à l’aîné Marcel qui ne le considérait pas
autrement que comme un usuel. Nous n’examinerons donc probablement jamais les
Larousse qu’a consultés Péguy. Mais pourquoi dire “les Larousse”?
C’est que, de
même qu’il y a deux lieux (la maison et la librairie) et deux places (la chaise
d’enfant et le bureau de gérant[110]), il y a également deux éditions du Larousse dans
l’univers de Péguy. Car il ne faut pas se fier à la désignation quasiment
unifiée des Larousse chez Péguy. En mai 1900, Péguy appelle son “petit Larousse”
un dictionnaire qui ne porte pas le nom de Petit Larousse; mais,
inversement, le “petit Larousse” de juillet 1912 correspond probablement
au Petit Larousse illustré. Il convient donc de rappeler l’histoire
éditoriale des dictionnaires Larousse.
Pierre Larousse avait écrit dès avant le GL un dictionnaire de
format très réduit: un volume in 16°. Ce premier dictionnaire datait de
1856 et s’appelait Nouveau Dictionnaire de la langue française.
L’édition du GL constituant cependant un événement éditorial, il fallait
sortir un nouveau petit dictionnaire Larousse, en refondant le premier
dictionnaire manuel sans concentrer ni réduire les informations du GL.
Ainsi naquit le Dictionnaire complet de la langue française en 1870; son
succès, dû à une abondante illustration qui le distingue de son prédécesseur,
le fit vivre très longtemps puisqu’il parvenait en 1882 à sa vingtième et en
1890 à sa quarante-septième édition, pour paraître jusqu’en 1911. Gardant le
nom prestigieux de “Larousse”, c’est Claude Augé qui dirigea la modernisation
du dictionnaire sous le nom de Dictionnaire complet illustré (1889). Ce
nouvel ouvrage bénéficia d’une bonne publicité, qui le vantait et recommandait
sous le nom, entre autres, de “Petit Larousse de voyage” - “petit Larousse”, un
syntagme promis à une longue fortune et qui promettait aux chercheurs un
imbroglio d’appellations. Ce Larousse, toujours in 16°, compte 1500 pages
environ. Mais Claude Augé pense à composer un ouvrage qui ne soit ni tout à
fait le GL ni tout à fait ces dictionnaires manuels - bref, un
entre-deux. De là vient au tournant du XIXe
et du XXe siècles le Nouveau Larousse illustré, fort
de ses huit volumes (1897-1901). Contrairement donc à ce que pourrait laisser
entendre son nom, le “Petit Larousse” n’est pas sorti d’une synthèse
draconienne du GL, ni même d’un juste milieu entre le premier
dictionnaire (manuel) de Larousse et son grand œuvre le GL. Il est sorti
en réalité d’un nouvel entre-deux pratiqué entre le Dictionnaire complet
illustré et ce NLI! Et le nom de “Petit Larousse” préexiste à
l’édition de 1905[111]. Voici la description détaillée de cette édition
remarquable: Petit Larousse illustré, un grand in 16° à deux
colonnes (12,5 x 19 cm au lieu de 10 sur 15,5 auparavant), 1672 pages[112], 120 cartes (contre 24), 130 tableaux
encyclopédiques (contre 35), 5800 gravures (contre 2000), 5 F au 29 juillet
1905[113], titre rouge et noir, sous-titre: “Nouveau dictionnaire
encyclopédique”. Tout de suite un succès foudroyant auquel a contribué le
ménage Baudouin-Péguy: sixième réimpression au 14 octobre! L’ouvrage, publié
sous la direction de Claude Augé, fera des petits que Péguy n’utilisera
apparemment pas: le Larousse classique illustré (1910) et le Larousse
de poche (1912).
Quel ouvrage désigne donc Péguy en 1900 et 1902 en parlant d’un petit
Larousse? Tout simplement le Dictionnaire complet illustré, qui
ne possède pas d’entrée au mot “ramie” (A 499). Péguy a ensuite acquis le Petit
Larousse illustré (en 1905, l’année de sa sortie) en fidèle de la maison
Larousse - preuve que sa critique du dictionnaire vulgarisateur et fourre-tout
n’était pas réellement pensée. Pour nous, le changement d’écriture de “petit
Larousse” à “Petit Larousse”, même s’il n’est pas sans retour en arrière,
suffit à démontrer l’achat non d’un nouvel exemplaire du même dictionnaire mais
celui du nouveau dictionnaire. Pourtant, dans un passage de Clio datable
de juillet 1913 (en C 1066), c’est à l’édition de 1912 du Petit Larousse
illustré[114] que Péguy ferait référence dans la plaisanterie
qu’il affectionne et reprend à sa propre correspondance, en la plaçant
maintenant dans la bouche de Clio, après en avoir fait part, en juillet 1912, à
Charles Lucas de Pesloüan, à Pierre Marcel ainsi qu’à Alain-Fournier:
“(Un
bon article du Petit Larousse, (dit l’histoire), ou d’un autre:
Bonaparte. - Voir Napoléon.)”
Notons une
hésitation suivie d’une imprécision dans l’attribution de la formule drôle:
est-ce dû au fait que les Larousse sont alors écrits par les Augé (Claude et
Paul)? Mais Péguy désigne le dictionnaire et non Pierre Larousse. Est-ce une
hésitation non justifiée de la part de Péguy? Les lettres datent d’il y a un
an, mais quelle année de labeur que l’année scolaire 1912-1913, amplement
suffisante pour oublier un point de détail si peu important... Est-ce plutôt un
avatar précoce de l’allusion à une plaisanterie de Paul Reboux et Charles
Muller - dans Clio également, en C 1185: “[...] comme dit l’autre
[...]. (Et encore, dit-elle, je ne suis pas bien sûre si c’est l’autre)”...
Est-ce enfin une allusion à tous les dictionnaires Larousse qui paraissent
concurremment? Toujours est-il que cette hésitation peut étonner celui qui
pense que Péguy a sous la main son Petit Larousse illustré de 1912. Pour
nous, s’il hésite en 1913 sur l’attribution d’une phrase à un dictionnaire,
c’est qu’il ne l’a tout bonnement pas[115]. Il ne peut vérifier sa source. S’il ne l’a pas
en 1913, c’est qu’en 1912 non plus il ne l’avait pas. S’il propage tant cette
bonne blague du dictionnaire, c’est qu’elle se propageait alors; que Péguy ne
s’en fait que le vecteur; qu’il n’en est point le découvreur. Nous savons par
ailleurs que Péguy se plaisait à recueillir par l’entremise de ses amis des
bons mots, des indications sur les erreurs de ses adversaires; ici aussi son
réseau de connaissances a dû jouer. Voilà pourquoi rien dans ses lettres sur le
sujet ne laisse présager que Péguy a fait lui-même cette trouvaille. Nous avons
donc tout lieu de supposer que Péguy n’eut jamais en sa possession que deux
dictionnaires Larousse: un avant 1905 et un Petit Larousse illustré
après; il pouvait de plus consulter l’exemplaire qui restait à la librairie et
qui était, comme son premier Larousse, un Dictionnaire complet illustré.
Une chance subsidiaire de notre enquête est qu’elle permet de
contribuer à la datation précise d’une œuvre de Péguy à la chronologie
particulièrement complexe: Notre patrie (CQ VII-3; bon à tirer du
22 octobre 1905). En effet, le premier texte dans lequel apparaît la mention du
“Petit Larousse” est difficilement datable. Robert Burac avait déjà
réussi à établir que les pages B 3.44.61 ont été respectivement écrites le 16
juillet, après le 11 octobre et au jour du 22 octobre 1905. Or le Petit
Larousse illustré, dont il est fait mention en B 22, n’est paru que le 29
juillet 1905! Lisons le passage:
“[...]
l’Arc de triomphe - un peu plus familièrement l’Étoile pour les conducteurs des
Thomson, compagnie française -, le monument le plus considérable qu’on ait
construit en ce genre dit le Petit Larousse, l’arc de triomphe de
l’Étoile, ce monument parfait de la gloire impériale française [...]”
Nous surprenons ici Péguy en train de lire son
Larousse tout neuf pour le tester et pour le plaisir: nul besoin de
caractériser avec précision l’Arc de triomphe (surtout pour en dire ce peu dont
Péguy se contente apparemment) sinon parce que l’achat est récent et vaut qu’on
en profite. Péguy se montre également au fait de l’actualité éditoriale. La page
22 a donc été écrite après le 29 juillet et pas nécessairement longtemps après,
vu que le dictionnaire a fait immédiatement parler de lui en termes louangeurs
et que Péguy était de son état à la fois gérant d’une revue et d’une librairie!
Les citations du Larousse se font avec
divers degrés d’exactitude sans que jamais Péguy n’aille jusqu’à reproduire
typographiquement l’apparence d’un article. Toujours la fonction de cette
citation est comique, d’un rire qui parfois tourne à l’aigre. Ainsi en B 310: “Imbécile,
dit le Petit Larousse, dépourvu d’esprit” s’applique à Romain Rolland et
se veut non une injure mais une vue objective - ce qui montre la complicité
entre l’écrivain ici puriste et le dictionnaire, qui sépare les diverses
acceptions d’un mot. Utile pour les sens des mots, le Larousse l’est également
pour leur forme. Un passage (en B 399) consacre la primauté, non seulement
temporelle dans l’ordre des consultations - ainsi que nous l’avons vu - mais
aussi qualitative, de ce dictionnaire (toujours le nouveau Larousse, dont nous
avons à trois reprises en 1905 le témoignage d’une consultation: Péguy se
réjouit de l’avoir acheté et de pouvoir le tester):
“Nous auteurs
nous commençons par faire dans la copie un certain nombre de fautes. Peu ou
beaucoup, et tous les degrés intercalaires, selon ce que nous savons, et
surtout selon ce que nous sommes. Pour la consolation des hérétiques, je dois
dire ici qu’il résulte d’une expérience de sept années, commencée même avant[116], qu’il n’y a pas un seul des auteurs qui veulent
bien collaborer avec nous qui sache l’orthographe, j’entends qui la sache
exactement et pleinement. Mais que les hérétiques ne se hâtent point de
triompher: nul homme ne la sait. Et il n’y a pas de raison pour que les auteurs
et généralement les hommes soient plus fort ailleurs qu’ils ne le sont dans
cette maison[117]. Je ne connais pas un homme qui ne soit contraint
de temps en temps, fût-ce de loin en loin, d’aller demander une consultation
quasi gratuite à ce vieil ami le seul inépuisable que nous nommons le Petit
Larousse. En vente à la Librairie des Cahiers.”
Péguy constate ici - et ce constat sonne
concurremment comme le défi de tout contradicteur éventuel à la loi générale
selon laquelle errare humanum est - la faillibilité humaine en matière
orthographique: non que le zéro faute soit chimérique mais parce que la
finitude de notre savoir lexical nécessite des vérifications ponctuelles.
Celles-ci, même rares[118], sont décrites d’une manière originale. Péguy en
effet personnifie le dictionnaire de multiples façons: le groupe verbal “aller
demander” induit l’interprétation en un sens concret de “consultation” comme si
le dictionnaire était un savant, un médecin[119] voire un avocat (il l’est quand il explique ou
admet à la rigueur les fautes les plus courantes) à qui l’on s’adresse de vive
voix; le dictionnaire est même un ami (et si le Larousse est dit “petit”, cela
semble presque un hypocoristique). Seule la dernière phrase clôt la
personnification. Le jeu sur les sens du mot “consultation” se poursuit par la
polysémie de son groupe adjectival: l’utilisation du Larousse est-elle gratuite
en ce sens qu’elle ne coûte que le prix forfaitaire de l’achat, modique (et
Péguy souligne sans fausse honte cet aspect bon marché puisqu’il se fait une
règle de ne pas céder à la pudeur bourgeoise concernant les questions
d’argent); ou bien au sens où l’utilisateur finit par ouvrir son dictionnaire
davantage pour le plaisir et par curiosité que par véritable hésitation?
L’expression “ce vieil ami” (où le démonstratif renvoie comme déictique au
dictionnaire personnel de Péguy dans la pièce d’écriture, autant qu’il est à
rattacher à la proposition relative) apporte-t-elle une contradiction
biographique à notre thèse selon laquelle il s’agirait ici du Petit Larousse
illustré? La qualification surprend en effet: Péguy appelle “vieil ami”[120] et “vieil abonné”[121] ceux qui sont à ses côtés depuis toujours, soit
respectivement depuis Orléans ou la fondation des Cahiers (au 5 juin
1900, ce qui date tout de même de cinq ans au 31 décembre 1905). Or le Petit
Larousse illustré n’a que cinq mois. Péguy, volontairement ou non, confond
manifestement le dictionnaire appelé “petit Larousse” et le nouveau Larousse.
Si Péguy est un fidèle de la maison Larousse, c’est parce qu’il considère que
les dictionnaires Larousse, de la famille Larousse aux Augé, par-delà formes et
moutures nouvelles, sont fidèles à eux-mêmes. Malgré l’importance de l’éditeur
en Péguy, ici l’événement éditorial de la parution du nouveau Larousse est
gommé: il ne s’agit pas de vendre du nouveau, mais un dictionnaire qui reprend
le nom dont le peuple avait baptisé son prédécesseur (nom n’est pas titre:
“nommer” contribue à la personnification et renverse les rôles d’en
B 1016). On considérera donc que la date d’achat du Dictionnaire
complet illustré remonte aux années 1897-1900 et que notre passage indique
seulement l’ancienneté de la familiarité de Péguy avec les Larousse. Que penser
désormais de l’insistance sur un trait unique dans “le seul inépuisable”? Concerne-t-elle
le Dictionnaire complet illustré comme le Petit Larousse illustré
puisque les réunisse une appellation commune? ou seulement l’un des deux, et
lequel? Car, si l’expression “vieil ami” désigne apparemment le premier et “le Petit
Larousse” le second (comme la dernière phrase où l’on imaginerait mal un
éditeur sérieux tenter d’écouler les anciens Larousse de son stock[122]), ce groupe peut concerner aussi bien un vieux
dictionnaire dont Péguy a eu le temps de tester l’étendue des connaissances (et
dont il conclut à l’inépuisabilité de fait) qu’un nouveau non encore pris en
faute (l’adjectif acquérant une nuance conative: “inépuisable” = “que je ne
parviens pas à épuiser”). Il convient de ne pas trancher: les deux
dictionnaires ne sont pas si différents aux yeux de Péguy qu’il faille les
compter pour deux; le second est plutôt une nouvelle édition du premier.
Parfois, le lecteur hésite pour une
autre raison. Dans la phrase: “Vous n ‘avez qu’à chercher dans le dictionnaire”
(en B 822), doit-on identifier “le dictionnaire” comme étant le Larousse de
Péguy (cf. C 1143) ou l’interpréter comme un terme générique? Vu le reproche
adressé: celui de ne constituer qu’un cimetière d’idées mortes, Péguy dirige sa
critique contre l’ordre des dictionnaires (ainsi qu’en A 449 où Larousse,
même nommé en toutes lettres, ne peut être tenu pour responsable de
l’arbitraire de la disposition des lexiques selon l’ordre alphabétique). Ce qui
pourtant n’est pas sans compliquer l’attachement de Péguy au Larousse,
attachement qui se fortifie en fonction même de l’opposition aux autres
dictionnaires. Ici ressurgit la “discoïncidence” entre les pôles théoriques et
pratiques chez Péguy écrivain. Le contexte immédiatement antérieur: “Les idées
sont répertoriées. Nous avons des instituts. Vous n’avez qu’à chercher dans le
dictionnaire” permet-il de préciser de quel type de dictionnaires parle Péguy?
Une réponse affirmative exclurait définitivement que Péguy ait songé au
Larousse: Péguy aurait visé le dictionnaire d’idées, celui qui expose des
théories (voir e. g. les parties encyclopédiques du GL). Rien à
voir avec les dictionnaires de langue ni avec la maigre partie historique et
géographique des deux Larousse que possédait Péguy. Mais ne restreignons pas la
portée de cette phrase: Péguy s’intéresse à la manière du discours, non à son
objet; que les médiocres sans style qui veulent discourir trouvent dans le
dictionnaire un remède à leur impuissance (leurs idées mais aussi leurs mots;
voir l’ambiguïté du complément d’objet direct du verbe “dire” dans les pages
précédentes: on “dit” quelque chose mais on “dit” également un mot).
Le rôle d’indicateur orthographique
est cependant essentiel au dictionnaire et prime sur son utilisation comme
répertoire d’idées. Une adresse de Péguy à Daniel Halévy (C 183) qui
s’apprêtait à aller aux “pays du Centre” vient confirmer ce point:
“Vous
direz bonjour en passant pour moi à ce petit pays de Gennetine(s),
que je n’ai jamais vu, d’où je viens,
que je ne sais pas même écrire, et à Dornes, qui lui au moins est dans le
dictionnaire.”
Le Larousse - le dictionnaire en
question sans aucun doute - sert à vérifier la graphie
des noms propres parce que Péguy connaît à la
perfection son français, mais il donne la norme orthographique dans les deux
ordres des noms propres et des noms communs. Pour résoudre le problème, qui se
pose souvent, de savoir si tel toponyme prend ou non un “s” muet final (il faut
effectivement écrire Gennetines). Péguy a-t-il consulté - en vain - Vidal et
son almanach familial, ou bien l’échec du Larousse laissait-il pressentir les
autres? Quoi qu’il en soit, jamais Vidal et l’almanach ne sont consultés sans
le Larousse alors que l’inverse est faux. Où l’on aperçoit l’importance du
Larousse: sans son aide, Péguy avoue qu’il “ne sai[t] pas même écrire” le pays
de ses aïeux[123]. La seconde partie du Petit Larousse illustré
ne propose à son lecteur occasionnel ni plus ni moins que la connaissance de
l’histoire (de son histoire personnelle) et de la géographie (de sa géographie,
presque de sa généalogie). Loin de se cacher, Péguy montre les limites de ses
connaissances et livre un résultat mitigé de sa consultation du Larousse: ici
cinquante pour cent de réussite. Un bilan plus général constaterait que le
Larousse: ne contient pas tous les mots (ni le nom commun “ramie” dans
l’ancien, ni le toponyme “Gennetines” dans le nouveau) mais qu’il est déjà pour
son lecteur “inépuisable” (en B 399); n’est pas toujours très cohérent (voir
“Yerres” et “Yères” en B 1016) mais infaillible en matière d’orthographe (pour
“Dornes”); est simple (dans ses définitions; voir celles d’«imbécile» en B 310
et de l’Arc de Triomphe en B 22) jusqu’à des raccourcis parfois drôles
(voir A 499 et la plaisanterie tirée du NLI).
La dernière apparition du Larousse
sous la plume de Péguy est empreinte d’une grande tristesse. Clio dialogue avec
le narrateur en ces termes:
“- [...] Dans
l’histoire où tu luis[124], ça me donne un peu l’air d’un appareil
d’éclairage. Mais enfin, cela, dit-elle, passerait encore. J’y suis
malheureusement faite. Le respect s’en va tellement depuis Périclès. Mais ce
qui m’arrête, dit-elle, c’est que je vois bien que cette histoire [les
événements de 1793 ou l’Histoire?] va finir comme toutes les histoires.
- Comment cela,
lui repartis-je ingénument, elle ne fait que commencer.
Ce mot ne
m’était point échappé que je le regrettai amèrement. Commencer, le pli de son
front se creusa plus amer. Ce mot la plongea dans un abîme de tristesse.
- Commencer,
dit-elle enfin, vous l’avez dit, malheureux enfant. (Je vis que je l’avais
touchée en son point exactement le plus douloureux, mais comment lui manifester
que je le regrettais sans la blesser encore davantage. Elle était à ce point où
la compassion, où l’intérêt même est ce qui blesse le plus. Je ne savais quelle
contenance garder.
- Vous l’avez
dit, mon pauvre ami, dit-elle, avec ce système des fiches [de tous les passages
où Hugo nommément “fait intervenir l’histoire”; cf. C 1138] mes
histoires ne font jamais que commencer.
Vous pouvez les
chercher dans le dictionnaire, dit-elle. N’ayez pas honte. Oui, oui, dans le Petit
Larousse. Elles y sont. Euterpe a pu achever un nombre incalculable de
chansons. Thalie achève une comédie quand elle veut; et Melpomène une tragédie.
Qui empêche Terpsichore d’achever un menuet, Érato une élégie. Polymnie, une
ode. Calliope, (vous savez, Calliope étoilée), un discours ou une épopée. Nous
ne sommes que deux, dit-elle, qui n’aboutissons jamais. Et c’est Uranie parce
qu’elle fait l’histoire du ciel, et c’est moi Clio parce que je fais l’histoire
de la terre.”
Ce long extrait (C 1143) est d’une
interprétation ardue. Pour ce qui
intéresse la place du Larousse chez Péguy, comment comprendre le renvoi fait
par Clio aux pages du Petit Larousse illustré consacrées à l’histoire
(et à la géographie)? Impossible de savoir avec assurance si Péguy a réellement
jeté un regard à l’article “Muses” de son dictionnaire pour pouvoir vérifier
les noms des neuf muses et leurs attributions respectives selon la mythologie
grecque. Mais la solide culture classique de Péguy ne le préservait-elle pas de
ce recours? Nous serions, en conséquence, plutôt disposés à penser que se crée
ici une distance entre le je narrateur et la personne de l’auteur, au profit de
la fiction du dialogue. Quoi qu’il en soit, le texte est au moins clair en ce
qu’il déculpabilise le fait de se reporter au dictionnaire: la possibilité de
ce recours ne doit pas s’envisager sous l’aspect de la tentation (au sens où le
doctus cum libro serait le parangon du fainéant tricheur). L’invite de
Clio, venue de celle dont on fait justement des fiches aussi bien que des
articles, concerne - semble-t-il d’abord - tous les dictionnaires. Dans
l’impératif “n’ayez pas honte”, ce serait alors la honte de voir sa culture
prise en défaut qui prévaudrait sur toute autre considération: l’on se
rabaisserait à aller voir dans le dictionnaire. Mais la confirmation de Clio se
porte bien plutôt vers le signifié de l’expression définie “le dictionnaire”;
ce qui incite à revoir le sens de la mise en garde contre toute vergogne. Pour
Clio, il n’y a pas de honte à rechercher un renseignement; mais qui ne
considérera pas comme humiliant de le rechercher dans ce Petit Larousse
au qualificatif diminutif, bien que ce Larousse soit devenu synonyme de
“dictionnaire” dans beaucoup de familles, et - mieux - que l’on désigne
implicitement quand l’on parle du dictionnaire? Pourquoi ne pas se
cacher de consulter ce Larousse?
La première
justification qui vient à la bouche de Clio est que le renseignement voulu y
est[125]. Il convient de ne pas s’attacher au titre de ce
dictionnaire, sans quoi l’on se ferait scrupule de le consulter: ce petit
Larousse contient en réalité déjà plus que ce que nous-mêmes savons. Les
éléments d’un éloge sont réunis: le Petit Larousse se voit ici appelé
“le dictionnaire”; le consulter est une marque d’humilité et non une
humiliation; enfin, il répond souvent (comme ici en l’occurrence) aux attentes
de son lecteur. Derrière ce discours de Clio favorable au Petit Larousse
se profile le visage de l’auteur[126], notamment par la médiation du narrateur,
personnage timoré prêt à “sauter sur” son Larousse (comme en A 499) pour
résoudre toute question de langue ou encyclopédique, craignant à la fois de ne
pas trouver de solution à son doute et d’être découvert en flagrant délit d’inconnaissance
(puisque dans le dialogue disparaît la barrière entre auteur et lecteur - qui
consultent parfois leur dictionnaire, mais séparément et dans un non-dit le
plus souvent).
Si l’on
considère que ce narrateur est un double de l’auteur, lui permettant de
manifester ses réactions instinctives - en 1900 le recours immédiat au
Larousse, en 1913 la honte envers le même réflexe - tout en les attribuant à un
autre, alors pour la première fois s’exprime un complexe d’infériorité de
l’écrivain. L’aveu indirect d’une certaine hésitation à interroger le
dictionnaire ne doit pas occulter cependant que Péguy se reprend, c’est-à-dire
que ses idées reprennent rapidement le dessus: l’écrivain apprend l’humilité
aux côtés du Petit Larousse. Le naturel de la scène de 1900, où
l’écrivain se plaisait à mentionner son dictionnaire Larousse personnel quand
bien même celui-ci devait le décevoir, a disparu en 1913: les paroles de Clio
permettent de supposer que le narrateur (double de Péguy), après s’être porté
vers le dictionnaire, se ravise sous l’effet d’un scrupule subit avant de
revenir, encouragé par Clio, à son premier mouvement. La relative raréfaction
des références au Larousse chez Péguy[127] se trouve désormais expliquée; Péguy conserve ses
catégories de pensée: il considère que le recours au Larousse est humble et non
dégradant; mais il avoue connaître également un scrupule d’honnête homme à
utiliser le Petit Larousse, scrupule jusqu’alors passé sous silence et
même volontairement ignoré en 1900.
CONCLUSION
Revenons, en guise d’autocritique, sur
les déficiences de notre étude. Le néologier que nous présentons n’est pas
totalement fiable puisque: nous avons égaré la référence de l’occurrence de
“résonateur” sans pouvoir la retrouver; des textes de Péguy inédits ainsi que
l’intégralité de ses textes de gérance restent à prendre en compte; indiquer le
schéma transformationnel dont nous estimons qu’il est producteur de la forme
néologique lèvera l’arbitraire dont nous semblons entourer l’attribution de tel
procédé de formation à tel néologisme; des progrès restent à accomplir pour
préciser la vaste catégorie de la prose p que l’on peut subdiviser en “br(ouillons)”,
“var(iantes)” et “in(édits)”. Toutes ces améliorations du
néologier présent ne doivent pas occulter non plus que de grandes rubriques
manquent encore: une définition de chaque néologisme, des citations en contexte
qui permettent de juger du sens sur pièces, les renseignements que fournissent
les dictionnaires (datation, estimation, exemples attestés), une indication du
mot ou des mots qui expliquent par analogie le néologisme...
La position théorique de Péguy devant
la question néologique ne semble guère ni avoir été infléchie par ses lectures
sur le sujet ni avoir infléchi sa pratique néologique qui, pour être encore en
gestation, n’en préfigure pas moins fidèlement sa grande néologie d’après 1900.
Mais le positionnement théorique de Péguy tel que nous l’avons défini vient
largement d’une reconstruction érudite, en partie spéculative - les racines de
l’attitude de Péguy seront à chercher plus sûrement dans son éducation. Nous
espérons avoir montré que Péguy a très probablement lu les deux livres de Bréal
et Henry empruntés à l’École mais la recherche d’influences possibles a tourné
court, tant les idées de Péguy proviennent de sa vie propre et de sa réflexion
personnelle.
Aussi rouvrir le dossier de la culture
de Péguy apportera-t-il du fruit: on a cru, pour conclure au peu de curiosité
intellectuelle de Péguy et au caractère scolaire de ses connaissances (sauf sur
Jeanne d’Arc), que la recherche d’influences suffisait, comme elle peut le
faire pour d’autres auteurs. Or Péguy nous a largement dérouté sur ce point.
C’est que ce raisonnement oubliait de disséquer les fines allusions de Péguy
disséminées dans ses textes et la capacité qu’avait Péguy d’ignorer en
connaissance de cause ses lectures, ses adversaires. Notre petite bibliothèque
linguistique est encore imparfaite: y manquent assurément des titres, certains
livres n’y sont point identifiés, restent à traquer les lectures possibles à
l’intérieur de cette bibliothèque; mais par cette imperfection même, elle
convaincra les péguystes qu’il est temps d’estimer à sa juste mesure l’étendue
des lectures de Péguy.
Enfin, si le néologisme peut se
définir comme un enrichissement du lexique établi (plus justement que comme la
transgression des lois de formation des mots) et étant donné que le
dictionnaire est particulièrement préposé à l’enregistrement de ce vocabulaire
communément partagé, les modalités de la consultation du dictionnaire chez
Péguy permettent d’éclairer la néologie péguyenne du point de vue opposé -
celui de la norme.
Une vérification s’impose: avons-nous
bien traité des “contemporains” de Péguy que notre titre mentionne? Cette
appellation unique cache en réalité une multitude d’enjeux: Péguy s’est formé
sa propre idée des néologismes assez tôt - ce dont témoigne sa correspondance
avec son ami Bourgeois; il l’a enrichie de ses lectures - ce don témoignent les
emprunts du temps de l’E.N.S. Un doute continue de peser sur l’utilisation de
l’imposante bibliothèque qui lui échut à son mariage: Péguy a-t-il de façon
significative consulté les ouvrages relatifs aux langues? Péguy n’eut guère le
loisir de fureter dans ses vieux livres. Il leur préféra, à l’exception notable
du Vorepierre élu pour la qualité de sa partie encyclopédique, la consultation
des dictionnaires ses contemporains: le prosateur montre sa prédilection pour
les Larousse - que Péguy parfois critique mais légèrement et avec tant
d’indulgence, alors que le poète n’avoue qu’à sa famille et à un ami faire
grand usage du Martinon dans l’écriture de ses vers.
Pour déterminer l’influence possible
de Bréal et Henry sur la conception péguyenne de l’écriture et du néologisme en
particulier, nous avons dû faire un détour par les lectures linguistiques de
Péguy et aborder la question des lectures de Péguy. De même, afin de savoir à
quoi s’oppose la liberté de l’écriture néologique, avons-nous dû examiner les
modalités de la consultation du dictionnaire chez Péguy. Enfin, les ouvrages
linguistiques et lexicographiques de Péguy nous permettent de savoir où Péguy
pouvait contrôler le caractère néologique - que ce soit au sens strict ou large
- de ses mots nouveaux. Dans l’optique d’une thèse, ces recherches auraient de
même une utilité pour étudier les archaïsmes péguyens. Car un point faible de
notre étude est qu’elle isole constitutivement les néologismes de forme des
néologismes de sens; et les néologismes en général, des autres transgressions
diachroniques de la langue contemporaine. Voici un projet de plan pour un
projet de thèse qui voudrait remédier à ce parti pris:
Archaïsmes et néologismes chez
Péguy
I. - Corpus de mots et exploitation
statistique
A. - Le problème des définitions:
-
les différentes approches (les implicites des relevés non théorisés, les théories structuraliste et générativiste, les
nuances de la datation)
-
les questions posées par le présent corpus (la notion de variante, les pluripossibilités transformationnelles,
l’orthotypographie)
-
notre choix opératoire (le mot comme unité graphique, l’ancienneté comme passé oublié, la nouveauté stricto
sensu)
B. - L’établissement de notre lexique:
-
pourquoi les deux procédés se trouvent liés (brouillage des temps, contestation des repères lexicaux, une
philosophie diachronique)
-
les critères significatifs (l’entour phrastique, les procédés généalogiques, le contenu sémantique)
-
la liste des archaïsmes et néologismes (relevée à partir de tous les écrits de Péguy, donnée avec une
première interprétation)
C. - Recherches statistiques:
-
quelques tableaux, graphiques et pourcentages (les auteurs servant de comparaison, nos résultats, le facteur erreur)
-
les choix formels de Péguy (préférences et rejets, le jeu diachronique dans le vocabulaire global, sens de ces
choix)
-
comment expliquer les évolutions diachroniques (la notion de variation, périodes stylistiques, sens ou
insignifiance)
II.
- Originalité de Péguy à la Belle Époque
A. - Ce que Péguy savait de ce qui se disait sur
les archaïsmes et les néologismes:
-
la culture reçue (le milieu familial, l’école primaire, le lycée)
-
l’influence des lectures (les journaux, la bibliothèque, les Cahiers)
-
l’entourage personnel (amitiés, entretiens, correspondances)
B. - La Belle Époque a-t-elle eu la furie
néologique et/ou la manie archaïsante?
-
la Presse comme reflet de la société (les salons, les revues et journaux, la critique du journalisme)
-
la critique comme reflet de la littérature (une polémique nationale, l’histoire de la langue littéraire selon
Brunot, questions de style: de Gourmont,
Bally et alii)
-
la recherche linguistique et ses concepts (Darmesteter, approches nouvelles de la néologie de la langue,
échos dans l’enseignement)
C. - Spécificité de Péguy:
-
l’air d’époque de certains mots (anonymat des mots, cacher ses audaces, dénomination)
-
le choc des contemporains (l’accueil critique stylistique, l’oubli néologique, examen des avis les plus lucides)
-
une postérité archaïque et néologique (la citation de Péguy, le pastiche de Péguy, le langage péguyste)
III.
- Les archaïsmes et néologismes péguyens: fonctions stylistiques
A. - Position théorique de Péguy:
-
les mots pour le dire (un champ lexical complexe, un discours indirect, un propos sévère)
-
éviter tout “bibelot” archaïque (le passé faussé, l’art et l’artifice, l’écrivain et son public)
-
ne pas “faire des mots” (le calembour comme parangon du néologisme, les dessous théologiques du refus, le hiatus
théorie/pratique)
B. - Étude d’œuvres particulières:
-
sous l’aspect néologique - De la grippe, Encore de la grippe, Toujours de la grippe (1901); Heureux
les systématiques (1907); Note conjointe
sur M. Descartes et la philosophie cartésienne (1914)
-
sous l’aspect archaïque - Jeanne d’Arc (1897), le Porche du mystère
de la deuxième vertu (1911), Ève
(1913)
-
étude annuelle conjointe - 1900; 1905; 1910
C. - Effets dans le mot et la phrase:
-
typologie stylistique (un comique de mot, le mot charge, le concept philosophique)
-
le rôle phrastique de la diachronie (générativisme, mouvement de la phrase au mot et vice versa, briser
la linéarité)
-
engager l’intertextualité (traduction des langues étrangères, “l’opération commune du lisant et du
lu”, cohérence de l’idiolecte péguyen)
BIBLIOGRAPHIE RAISONNÉE
Le lieu et le pays d’édition sont Paris et la
France sauf indications contraires.
Abréviations
utilisées dans les références:
BACP L'Amitié
Charles Péguy. Bulletin d'informations et de recherches
CACP Cahiers
de l'Amitié Charles Péguy
(CPO) Centre Charles Péguy d'Orléans
(11 rue du Tabour, 45000 Orléans)
FACP Feuillets
de l’Amitié Charles Péguy
CAIEF Cahier
de l'Association internationale des études françaises
CL Cahiers
de lexicologie
CQ Cahiers
de la quinzaine (de Charles Péguy)
LF Langue
française
LFM Le
Français Moderne
LPL Le
Progrès du Loiret, Orléans
LRB La
Revue blanche
LRS La
Revue socialiste
RHLF Revue
de l'histoire littéraire de la France
RLM Revue
des Lettres modernes
VL Vie
et Langage
A) - Bibliographie péguyenne
1. - Œuvre de Charles Péguy
L’œuvre
de Charles Péguy est immense; la somme de ses écrits encore davantage. Nous ne
pouvions indiquer par exemple l’ensemble des correspondances par nous
dépouillées: toutes celles qui sont éditées sont concernées. Que l’on se
reporte pour avoir le détail de cette œuvre épistolaire (ainsi que pour les travaux
péguystes dont nous n’avons relevé que les éléments les utiles dans la
perspective de notre étude) aux deux volumes du précieux ouvrage de Pia Italia
Vergine (Studi su Charles Péguy. Bibliografia critica ed analitica:
1893-1978 & Supplemento alla Bibliografia di Charles Péguy:
1979-1983, Milella, Lecce [Italie], 1982 et 1985. En italien), à la partie
bibliographique du Cahier de l’Herne n°32 (1977, par Jean Bastaire)
ainsi qu’aux “Aperçus bibliographiques” annuels de Simone Fraisse et
Marie-Clotilde Hubert (dans les BACP, depuis 1978). Pourquoi n’avoir pas
consulté les œuvres de Péguy dans leurs éditions originales? D’abord parce que
le travail éditorial des péguystes est bon; ensuite afin de simplifier - à
défaut d’unifier - les références aux textes publiés comme aux inédits. Mais
les éditions de référence n’ont pas empêché de consulter ponctuellement
éditions originales et manuscrits.
a) Éditions originales
(par ordre chronologique d'édition ou, pour les
inédits, de rédaction)...
- des textes en prose[128]
(avec table des textes reproduits dans les notes
des Œuvres en prose complètes, édition de Robert Burac, la Pléiade,
Gallimard, 1987-1992; C 1831-1836):
“Un
économiste socialiste, M. Léon Walras”, p. 174-186 in LRS
n°146, 1897
“À
propos des affaires d’Orient”, p. 258-261 in LRS n°147, 1897
Ébauche
d’une étude sur Alfred de Vigny,
Gallimard, 1934
“Revue
des livres”, p. 121 in LRS n°151, 1897
De
la cité socialiste,
p. 186-190 in LRS n°152, 1897
“Revue
des livres”, p. 635-636 in LRS n°155, 1897
“Revue
des revues. Littérature et philosophie”, p. 95-98 in LRS
n°157, 1898
“Lettre
à Émile Zola”, p. 3 in L’Aurore n°97, 1898
“De
la récente action socialiste”, p. 12-14 in L’Essor n°7, 1898
“Revue
des livres”, p. 252-25” in LRS n°158, 1898
L’Épreuve, in Cahiers de la quinzaine, Les
Éditions Saint-Michel, 1931?
Marcel,
De la cité harmonieuse, Librairie
Georges Bellais, 1898
“Tribune
libre”, in LPL n°74, 1898
“Tribune
libre”, in LPL n°78, 1898
“Tribune
libre”, in LPL n°89, 1898
“Lettre
à Franklin-Bouillon”, Labergerie, 1948
“La
rentrée”, p. 464-466 in LRB n°131, 1898
“Défaites
en échelons”, p. 539-541 in LRB n°132, 1898
“Règlement
de juges”, p. 627-628 in LRB n°133, 1898
“Flétrissures”,
p. 61-63 in LRB n°134, 1899
“La
Ligue de la patrie française”, p. 129-131 in LRB n°135, 1899
Pierre,
Commencement d’une vie bourgeoise,
in Cahiers de la quinzaine, Desclée de Brouwer et Cie, 1931
“Service
militaire”, p. 217-219 in LRB n°136, 1899
“Quelques
égarés”, p. 382-384 in LRB n°138, 1899
“Dessaisissement”,
p. 449-450 in LRB n°139, 1899
“L’Opinion
publique”, p. 539-540 in LRB n°140, 1899
”L’Enquête
publiée”, p. 623 in LRB n°141, 1899
“Associations”,
p. 142-143 in LRB n°143, 1899
“Enseignements”,
p. 211-213 in LRB n°144, 1899
“Action
socialiste, par Jean Jaurès”, in La Petite République socialiste
n°8484, 1899
“La
Crise et le Parti socialiste”, p. 462-468 in LRB n°147, 1899
“La
Crise du parti socialiste et l’Affaire Dreyfus”, p. 626-632 in LRB
n°149, 1899
“L’Affaire
Dreyfus et la Crise du parti socialiste”, p. 127-139 in LRB
n°151, 1899
“Les
Récentes Œuvres de Zola”, p. 537-552 & 600-606 in Le
Mouvement socialiste n°20 & 21, 1899
“Le
Ravage et la Réparation”, p. 417-432 in LRB n°155, 1899
“Lettre
du Provincial”, in CQ I-1, 1900
“Réponse”, in CQ
I-1, 1900
“Le
«Triomphe de la République»”, in CQ I-1, 1900
L’Affaire Liebknecht, in CQ
I-1, 1900
“Réponse
provisoire”, in CQ I-2, 1900
La
Préparation du congrès socialiste national, in CQ I-2, 1900
La
Préparation du congrès socialiste national, in CQ I-3, 1900
De
la grippe, in CQ
I-4, 1900
Encore
de la grippe, in CQ
I-6, 1900
Toujours
de la grippe, in CQ
I-7, 1900
“Première
annonce”, in CQ I-8, 1900
“Deuxième
annonce”, in CQ I-8, 1900
Entre
deux trains, in CQ
I-9, 1900
“Communications”, in
CQ I-10, 1900
Réponse
brève à Jaurès, in CQ
I-11, 1900
“Deuxième
série au Provincial”, in CQ I-12, 1900
“Nouvelles
communications”, in CQ I-12, 1900
Demi-réponse
à M. Cyprien Lantier, in CQ
I-12, 1900
“Ajournement”,
in CQ II-1, 1900
“Nouvelles
communications”, in CQ II-1, 1900
“À
nos anciens et à nos nouveaux abonnés...”, in CQ II-3, 1900
“Pour
ma maison”, in CQ II-3, 1900
“Rectifications”,
in CQ II-3, 1900
“Pour
prendre date”, in L’Aurore n°1170, 1901
Pour
moi, in CQ II-5,
1901
Casse-cou, in CQ II-7, 1901
“La
révolution sociale sera morale, ou elle ne sera pas”, in CQ
II-10, 1901
Compte
rendu de mandat, in CQ
II-11, 1901
“L’Intellectualité
française”, in CACP n°23, 1969
“Préface
de l’éditeur”, in CQ II-12, 1901
“Immense
victoire socialiste”, in CQ II-13, 1901
“Émouvant
débat socialiste”, in CQ II-14, 1901
“Sanglante
bataille socialiste”, in CQ II-15, 1901
“Nouvelle
arme socialiste”, in CQ II-16, 1901
Compte
rendu de congrès, in CQ
III-1, 1901
Compte
rendu des congrès, in CACP
n°23, 1969
“Vraiment
vrai”, in CQ III-2, 1901
De
la raison, in CQ
III-4, 1901
“Juifs”,
in CQ III-5, 1901
“L’Affaire
Hervé”, in CQ III-5, 1901
“Lettre
à M. Charles Guieysse”, in CQ III-5, 1901
“La
Grève”, in CQ III-6, 1901
“Racine”, in CQ
III-6, 1901
“L’Affaire Téry”, in
CQ III-6, 1901
“Témoignage:
Le Cas Hervé”, in CACP n°23, 1969
Réponses
particulières, in CQ
III-7, 1902
“Jean
Coste”, in CQ III-8, 1902
“Avertissement”,
in CQ III-9, 1902
Personnalités, in CQ III-12, 1902
“Nous
devons nous préparer aux élections”, in CQ III-14, 1902
“Une
citation”, in CQ III-14, 1902
Les
Élections, in CQ
III-16, 1902
“Le
Livre pour tous”, in CQ III-21, 1902
“La
Loi et les Congrégations”, in CQ III-21, 1902
De
Jean Coste, in CQ
IV-3, 1902
“Subventionné”,
in CQ IV-4, 1902
“Une
«rectification» de M. Émile Terquem”, in CQ IV-4, 1902
“M. Georges Colomb”, in
CQ IV-4, 1902
“Désabonnements”,
in CQ IV-4, 1902
“Cahiers
de la quinzaine”, in CQ IV-12, 1903
Débats
parlementaires, in CQ
IV-18, 1903
Reprise
politique parlementaire, in
CQ IV-20, 1903
“Sous
la domination”, in CACP n°23, 1969
Bernard-Lazare, Gallimard,
1988
“Bernard-Lazare
et Trarieux”, in CQ V-5, 1903
“Cahiers
de la quinzaine”, in CQ V-7, 1904
“Suite
posthume”, in CACP n°23, 1969
Avertissement,
in CQ V-11, 1904
“La
France vue de Laval”, in CQ V-12, 1904
“Orléans
vu de Montargis”, in CQ V-12, 1904
“Cahiers
de la quinzaine”, in CQ V-12, 1904
“Le
Mouvement socialiste”, in CACP n°23, 1969
“Avant-propos”,
in CQ V-16, 1904
“Quelques
mots”, in CQ VI-1, 1904
“Pour
la rentrée”, in CQ VI-2, 1904
Zangwill, in CQ VI-3, 1904
“Un
essai de monopole”, in CQ VI-4, 1904
“Cahiers
de la quinzaine”, in CQ VI-6, 1904
“Cahiers
de la quinzaine”, in CQ VI-8, 1905
“Textes
formant dossier”, in CQ VI-9, 1905
“Un
nouveau Jean Coste”, in CQ VI-10, 1905
“Pour
la rentrée”, in CQ VII-1, 1905
“Cahiers
de la quinzaine”, in CQ VII-1, 1905
Notre
patrie, in CQ
VII-3, 1905
“Cahiers
de la quinzaine”, in CQ VII-4, 1905
“Courrier
de Russie”, in CQ VII-5, 1905
Par
ce demi-clair matin, Gallimard,
1988
Heureux
les systématiques, Gallimard,
1953
Les
Suppliants parallèles, in CQ
VII-7, 1905
Louis
de Gonzague, in CQ
VII-8, 1905
“Cahiers
de la quinzaine”, in CQ VII-8, 1905
“Cahiers
de la quinzaine”, in CQ VII-10, 1906
“Hervé
traître”, Gallimard, 1952
“Cahiers
de la quinzaine”, Gallimard, 1988
“Tout
ce qu’il faut”, in CQ VII-13, 1906
De
la situation faite à l’histoire et à la sociologie dans les temps modernes, in CQ VIII-3, 1906
De
la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne, in CQ VIII-5, 1906
“Il
ne faut pas dire”, in CACP n°23, 1969
Brunetière, Gallimard, 1988
“Cahiers
de la quinzaine”, in CQ VIII-11, 1907
“Du
cas éminent de M. Théodore Reinach”, Gallimard, 1952
De
la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne devant les
accidents de la gloire temporelle,
in CQ IX-1, 1907
Un
poète l’a dit, Gallimard, 1953
Deuxième
élégie XXX contre les bûcherons de la même forêt, Gallimard, 1988
De
la situation faite à l’histoire dans la philosophie générale du monde moderne, Gallimard, 1988
À
nos amis, à nos abonnés, in
CQ X-13, 1909
Nous
sommes des vaincus, Gallimard,
1953
Notre
jeunesse, in CQ
XI-12, 1910
Victor-Marie, comte Hugo, in CQ
XII-1, 1910
“Les
Amis des Cahiers”, in CQ XII-2, 1910
“Cahiers
de la quinzaine”, in CQ XII-10, 1911
Restait
M. Lavisse, Gallimard, 1961
Un
nouveau théologien, M. Fernand Laudet,
in CQ XIII-2, 1911
Dialogue
de l’histoire et de l’âme charnelle,
Gallimard, 1988
L’Argent, in CQ XIV-6, 1913
L’Argent
suite, in CQ XIV-9,
1913
Clio,
dialogue de l’histoire et de l’âme païenne, in La Nouvelle Revue Française, 1917
“L’Ève
de Péguy”, in Bulletin des professeurs catholiques de l’Université
n°31, 20 janvier 1914
Victor
Hugo classique, Gallimard, 1988
Note
sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne, in CQ XV-8, 1914
Note
conjointe surt M. Descartes et la philosophie cartésienne, Gallimard, 1924
- des pièces et poésies:
Jeanne
d’Arc, Librairie de la Revue
socialiste, 1897
La
Chanson du roi Dagobert, in
CQ IV-15, 1903
Jeanne
et Hauviette, Gallimard, 1957
Le
Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc,
in CQ XI-6, 1910
Le
Mystère de la vocation de Jeanne d’Arc,
Gallimard, 1957
Le
Porche du mystère de la deuxième vertu,
in CQ XIII-4, 1911
Le
Mystère des saints Innocents, in
CQ XIII-12, 1912
Sonnets, in Le Correspondant, 10 novembre
1910
Les
Sept contre Thèbes, ibidem
Châteaux
de Loire, in L’Opinion,
25 novembre 1912
La
Tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc, in CQ XIV-5, 1912
La
Ballade du cœur, poème inédit de Charles Péguy, Klincksieck, 1973
Les
Sept contre Paris, in La
Grande Revue, 10 mars 1913
La
Tapisserie de Notre Dame, in
CQ XIV-10, 1913
Sainte
Geneviève patronne de Paris, in
Le Figaro, 16 août 1913
Ève, in CQ XV-14, 1913
Suite
d’Ève, Gallimard, 1939
b) Éditions de référence:
Les
Alexandrins inédits et les poèmes posthumes de Charles Péguy (1903-1913),
projet d’édition critique, par
Julie Sabiani, s. d. n. l. (édition de quantité de vers introuvables ailleurs;
précieux en attendant la réédition des Œuvres poétiques complètes en la Pléiade)
La
Ballade du cœur, poème inédit de Charles Péguy, par Julie Sabiani, Klincksieck, 1973
(intéressant classement thématique de nombreuses strophes ébauchées seulement)
La
Chanson du roi Dagobert, édition critique commentée, par Robert Burac, thèse de doctorat, Université
de Paris III, 1993 (donne les listes de rimes prévues par Péguy; mine pour
étudier le détail du travail technique du poète)
Les
Manuscrits de Charles Péguy, par
Julie Sabiani, Imprimerie municipale, Orléans, 1987 (abondante illustration
reproduisant des manuscrits de Péguy, avec quelques inédits)
Œuvres
en prose complètes, édition de
Robert Burac, la Pléiade, Gallimard, 1987 pour le volume I, 1988 pour le II et
1992 pour le III (l’édition complète attendue depuis longtemps; notes d’une
érudition sans faille; très peu de coquilles)
Œuvres
poétiques complètes, édition de
Marcel Péguy pour l’ensemble (1957) et Julie Sabiani pour la Ballade du cœur
qui a tant battu (1975), la Pléiade, Gallimard, 1975 (édition très
défectueuse - mais dont à défaut de mieux l’on doit se contenter - pour la
partie due à Marcel Péguy; complément de La Ballade du cœur pour la
partie due à Julie Sabiani)
Œuvres
posthumes de Charles Péguy, par
Jacques Viard in CACP n°23, 1969 (encore utile pour des
brouillons non reproduits ailleurs malgré leur intérêt)
2. -
Ouvrages et articles sur le style de Péguy
Les publications
de l’Amitié Charles Péguy fournissent une somme considérable d’études sur Péguy
et son œuvre. Nous avons systématiquement dépouillé les 216 Feuillets
mensuels (1948-1977) et les Bulletins d’informations et de recherches
qui en ont pris la suite (78 numéros sont parus depuis 1978). La collection des
Cahiers comprend pour sa part des volumes plus gros consacrés à des
aspects particuliers de l’œuvre péguyenne. Mais il faut prendre garde que la
richesse de ces parutions ne dissimule au chercheur d’autres livres. Les
nombreux comptes rendus bibliographiques dispersés dans les publications
péguystes doivent être lus d’abord; ils ne sauraient suffire pourtant à couvrir
l’ensemble des études relatives à Péguy. Aussi convient-il de se rendre au
centre Charles Péguy d’Orléans. Ses fichiers, très clairement conçus, y
permettent de découvrir non seulement un très grand nombre d’ouvrages sur
Péguy, mais aussi des travaux universitaires venus des quatre coins de France
et de l’étranger. Mieux: l’argus de la Presse, classé chronologiquement,
constitue une mine de précieux renseignements sur la réception de l’œuvre de
Péguy.
La part des études
stylistiques dans ces publications péguystes peut sembler maigre. Sur ce point
précis, Péguy n’attire pas autant que d’autres auteurs; sans doute, au
contraire, se contente-t-on souvent d’idées reçues[129]. Les critiques, non l’écrivain, sont ici pris en
défaut. De plus, s’il est un domaine de l’analyse stylistique où les recherches
péguystes soient timides, il s’agit bien de la lexicologie; non que son
importance ne soit pas soulignée aujourd’hui[130], mais les études de vocabulaire sont entachées de
graves imprécisions et de conclusions hâtives, superficielles. Les travaux de
valeur peuvent donc paraître relativement rares; les voici.
a)
Études publiées de son vivant (1896-1914):
Jean
Bastaire, “Les premiers lecteurs de Péguy (1896-1914)”, p. 33-45 in
Actes du colloque du centenaire (Orléans, 1973), Klincksieck, 1977
idem, “Péguy vu par
Proust”, p. 183-186 in BACP, n°35, 1986
René
Doumic, “Charles Péguy”, p. 480-481 in Revue des deux mondes,
le 15 octobre 1914
André
Gide, “Journal sans dates” in La Nouvelle Revue Française, 1er
mars 1910
Daniel
Halévy, “Les Cahiers de Charles Péguy”, p. 3 in Le Temps,
12 décembre 1909
Gustave
Lanson, Histoire illustrée de la littérature française, p. 410
& 411 du volume II, Hachette, 1923
Maurice
Reclus, “La philosophie et l’art de Charles Péguy” in Le Foyer,
15 juin 1911
Francis
Vincent, “Charles Péguy. Essai sur sa pensée religieuse”, p. 296-315 in
Revue pratique d’apologétique, 15 mai 1912
b)
Premières études posthumes (1914-1945)[131]:
Henri
Bachelin, "Des mots et des phrases", in La Gerbe, 5
septembre 1940
Max
Brunher, “Charles Péguy II. - L’homme et l’œuvre” in l’Atelier
n°151, 1943
Daniel
Halévy, “Péguy vivant”, in Le Figaro, 29 août 1924
Claude
Jamet, "Le style de Péguy", in France-Europe, 10
décembre 1943
Roger
Secrétain, Péguy soldat de la liberté, éditions du Sagittaire, 1941
idem, “Encore Péguy”,
écrit en 1942, p. 38-55 in Cahiers du Sud n°259, 1943
Leo Spitzer, "Zu Charles Péguy's
Stil", p. 162-184 in Mélanges à Oskar Walzel,
Akademische Verlagsgesellschaft Athenaion, Munich (Allemagne), 1924. En allemand
Albert
Thibaudet, "Le style de Péguy", in Nouvelles littéraires,
28 février 1931
c)
Approches critiques récentes (de 1945 à nos jours):
Les
études spécifiquement lexicologiques sont en gras
anonyme,
“Néologismes” in La Croix, 15 janvier 1950
Gérald
Antoine, “Jalons pour une étude stylistique de Péguy”, p. 327-335 in
Actes du colloque international d’Orléans (1964), CACP n°19, 1966
idem, "La
technique poétique dans le Mystère des saints Innocents", p. 79-96
in BACP n°22, 1983
idem, “La joie
des mots chez Péguy”, p. 520-527 in RHLF n°2-3, 1973
Renée
Balibar, “Charles Péguy: deux mots rayés nuls”, p. 8-33 in La
Nouvelle Critique n°175, 1966
eadem, “Péguy et
l’école: un grand problème mal posé”, p. 43-59 in Actes du
colloque de Montréal (1973), Presses de l’Université Laval, Montréal
(Canada), 1976
abbé Joseph Barbier, Le Vocabulaire, la syntaxe et le style des
poèmes réguliers de Péguy, Berger-Levrault, 1957
Jean
Bastaire & Jean-François Durand, “Charles Péguy et Léopold-Sédar Senghor”,
p. 119-124 in BACP n°58, 1992
Joseph
Bonenfant, “Le Discours de l’essai dans la Note conjointe”,
p. 175-194 in Actes du colloque de Montréal (1973), Presses
de l’Université Laval, Montréal (Canada), 1976
Danielle
Bonnaud-Lamotte, Péguy devant «la révolution sociale», CNRS, 1991
Robert
Burac, “Un nouveau regard sur la biographie de Péguy”, p. 44-49 in BACP
n°65, 1994
idem, Charles Péguy,
la révolution et la grâce, Laffont, 1994
Maurice
Caillard, Le Comique, l’ironie et l’humour chez Péguy, diplôme d’études
supérieures de Lettres, 1955 (CPO)
Albert
Chabanon, La Poétique de Charles Péguy, Laffont, 1947
Roland
Charmant, Aspects de la réflexion sur le langage chez Charles Péguy et
Frédéric Nietzsche dans “Par ce demi-clair matin” et “Considération inactuelle
I”, mémoire de maîtrise, Faculté des Lettres modernes de Strasbourg, 1975
(CPO)
Henri
Clouard, Histoire de la littérature française, p. 357-384 du tome
premier, Albin Michel, 1947
Danielle
Cussonneau, Étude stylistique du “Porche du mystère de la deuxième vertu” de
Charles Péguy, mémoire de maîtrise, Faculté des Lettres de Nantes, 1975
(CPO)
Roger
Dadoun, “D’une insituation de Péguy socialiste”, p. 28-35 in Cahiers
de l’Herne n°32, éditions de l’Herne, 1977
André-A.
Devaux, “Réalité et vérité chez Péguy”, p. 81-118 in Actes du
colloque de Nice (1973), Desclée de Brouwer, 1975
idem, "La vocation
d'écrivain de Péguy ou le tremblement d'écrire", p. 13-32 in Actes
du colloque du centenaire (Orléans, 1973), Klincksieck, 1977
Anne Ducas, Les Néologismes dans la prose de Charles Péguy:
1909-1914, mémoire de licence, Université catholique de Louvain (Belgique),
1966 (CPO)
Hervé
Dulongcourtil, "Une écriture de l'épuisement", p. 111-117 in
BACP n°58, 1992
Simone
Fraisse, Péguy et le monde antique, Colin, 1973
eadem, "Péguy et
le dictionnaire des rimes", p. 244-250 in BACP n°36,
1986
eadem,
"Avant-propos", p. 7-8 in RLM, série Charles
Péguy, n°5, 1990
Gérard
Fritz, L'Usage de la langue populaire dans l'œuvre de Péguy, thèse de
doctorat, Université des Sciences humaines de Strasbourg, 1971 (CPO)
Françoise
Gerbod, Écriture et histoire dans l'œuvre de Péguy, thèse de doctorat,
Université de Paris VIII, 1977
eadem, "La
constitution d'une écriture", p. 11-29 in RLM, série
Charles Péguy, n°5, 1990
André Goosse, "Péguy dans l'histoire du vocabulaire
français", p. 153-163 in Mélanges de littérature en hommage
à Albert Kies, Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles (Belgique),
1985
Paul Goris, La Dérivation suffixale dans la prose de Charles Péguy
de 1897 à 1908, mémoire de licence, Université catholique de Louvain
(Belgique), 1965. Consultable à Louvain uniquement
Henri
Guillemin, Charles Péguy, Seuil, 1981
Bernard
Guyon, L'Art de Péguy, CACP n°2, 1948
Charly
Guyot, Péguy pamphlétaire, La Baconnière, Neuchâtel (Suisse), 1950
Joseph
Hélou, Manière de Charles Péguy dans "Le Mystère de la charité de
Jeanne d'Arc", thèse de doctorat, Faculté des Lettres et Sciences
humaines de Nice, 1972 (CPO)
André
Henry, Bergson maître de Péguy, Elzévir, 1948
Kenji
Kanno, La Question du journalisme chez Charles Péguy dans les années 1890,
mémoire de D.E.A., Université de Paris X, 1991 (CPO)
idem, Péguy et la
presse (1894-1902), deux volumes, thèse de doctorat, Université de Paris X,
1994 (CPO)
Géraldi Leroy, “L’utopie socialiste selon Péguy. Étude lexicologique
de cité et citoyen”, p. 23-33 in Mots n°3, 1981
Félicien Mars, "Ressource et ressourcement", in La
Croix, 23 mars 1958
idem, “Le
ressourcement est-il péguéen?”, p. 361-363 in VL n°76, 1958
idem, "Aux
sources du «ressourcement»", in La Croix, 9 août 1959
Robert
Marteau, "Pourquoi y revenir?", p. 374-378 in Esprit
n°8-9, 1960
Charly
Gabriel Mbock, L’Enfance et le mythe des origines dans l’œuvre de Charles
Péguy, thèse de doctorat, Université de Paris III, 1978 (CPO)
Christian
Mouze, "L'écriture de Péguy" in BACP n°72, 1995
idem, "Notes sur
une lecture de Ève", p. 58-70 in BACP n°74, 1996
Yves
Rey-Herme, "Le mot chez Péguy", p. 62-69 in L'Âge
Nouveau n°1, 1987
Aldo Rossellini, “Quattro mots-symboles nell’opera poetica di
Péguy”, p. 447-452 in Actes du colloque international de Lecce
(1977), Milella, Lecce (Italie), 1978. En italien
Joseph
Samson, "Péguy écrivain parleur", p. 10-25 in BACP
n°9, 1980
Jean-Pierre
Schleck, "Victor-Marie, comte Hugo" de Charles Péguy: étude de
style, mémoire de licence, Université de Liège (Belgique), 1957 (CPO)
Roger
Secrétain, "Péguy, génie poétique de la pensée", p. 29-34 in
Actes du colloque international de Lecce (1977), Milella, Lecce
(Italie), 1978
Jean-Pierre
Sueur, "Les rythmes d'Ève", p. 97-108 in BACP
n°22, 1983
Jacques
Viard, Philosophie de l'art littéraire et Socialisme selon Péguy,
Klincksieck, 1969
B) - Bibliographie linguistique
Comme notre
définition du néologisme de forme se place délibérément du point de vue de
l’histoire de langue et non du point de vue subjectif de l’auteur, il nous
fallait disposer d’un vaste corpus dictionnairique, n’englobant pas seulement
les ouvrages qu’a pu consultés Péguy mais aussi des recueils lexicographiques
plus récents, bénéficiant des avancées considérables de la lexicographie après
la Seconde guerre mondiale et déjà dans l’entre-deux-guerres. Nous avons dû
sélectionner ces ouvrages: les dictionnaires qui se copient l’un l’autre sans
apport original ne nous intéressaient pas, ni les lexiques trop anciens. Mais
les dictionnaires possédés par Péguy, ceux qu’il consultait et ceux qui
parurent de son vivant ont bénéficié de toute notre attention. Ce sont pourtant
les ouvrages lexicographiques parus après sa mort qui nous ont donné les
renseignements les plus instructifs, en matière de datation notamment. Bien
entendu, nous garantissons que tous les mots de notre liste néologique sont,
avant leur emploi par Péguy, absents de tous ces dictionnaires[132]. Il existe pourtant des mots qui ne figurent dans
aucun de ces dictionnaires ni dans notre liste. Nos propres lectures ont en ce
cas permis de trouver une occurrence antérieure à l’emploi par Péguy.
1. - Lexicologie
a) Corpus d’exclusion:
- dictionnaires que pouvait consulter Péguy
(n’y sont point inclus les livres de sa
bibliothèque):
Claude
Augé (sous la direction de), Nouveau Larousse illustré, huit volumes et
un supplément, Larousse, 1898-1901 (NLI)
Théodore
Bachelet, Dictionnaire général des lettres, des beaux-arts et des sciences
morales et politiques, deux volumes, Dezobry, 1862 (Bachelet)
Jean-François
Bastien & Pierre-Claude-Victor Boiste, Dictionnaire universel de la
langue françoise, extrait comparé des dictionnaires anciens et modernes,
imprimé par l'auteur, an IX = 1800 (Pan-Lexique)
Marcelin
Berthelot et alii (sous la direction de), La Grande Encyclopédie,
31 volumes, Lamirault puis Société anonyme de la Grande Encyclopédie,
1885-1902 (GE)
Louis-Nicolas
Bescherelle, Dictionnaire national ou Grand dictionnaire critique de la
langue française, Simon 1843. Deuxième édition augmentée: Grand
Dictionnaire ou Dictionnaire universel de la langue française, Simon,
1845-1846 (Bescherelle)
Arsène
Darmesteter & Adolphe Hatzfeld (avec le concours d’Antoine Thomas), Dictionnaire
général de la langue française du commencement du XVIIe jusqu’à nos jours, deux volumes, Delagrave, 1890-1900 (DG)
Georges
Delesalle, Argot-français et français-argot, Ollendorf, 1896 (Delesalle)
Fleury
& Larive, Dictionnaire français illustré des mots et des choses,
trois volumes, Chamerot, 1887-1889 (Larive & Fleury)
Frédéric
Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous les
dialectes du IXe au XVIe,
dix volumes, Vieweg-Bouillon, 1881-1902 (Godefroy)
Mgr
Paul Guérin, Dictionnaire des dictionnaires, six volumes, Motteroz, 1877
(Guérin)
Maurice
Lachâtre, Nouveau dictionnaire universel, Librairie du Progrès, 1868
(Lachâtre)
Napoléon
Landais, Dictionnaire général et grammatical des dictionnaires français
extrait et complément de tous les dictionnaires anciens et modernes les plus
célèbres, deux volumes, Bureau central, 1834. Neuvième édition plus
complète: Didier, 1847 (Landais)
Lorédan
Larchey, Dictionnaire historique, étymologique et anecdotique de l’argot
parisien, F. Polo, 1872 (Larchey)
Pierre
Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle,
15 volumes, 1865-1876 et 1878-1880 pour les deux suppléments (GL)
Benjamin
Legoarant l’aîné, Nouveau dictionnaire critique de la langue française,
Magen & Corron, 1841. Deuxième édition plus complète: Berger-Levrault, 1858
(Legoarant)
Émile
Littré, Dictionnaire de la langue française, deux tomes en un volume,
Hachette, 1863-1869 et 1877 pour le supplément (Littré)
Philippe
Martinon, Dictionnaire méthodique et pratique des rimes françaises,
Larousse, 1905 (Martinon)
Louis-Sébastien
Mercier, Néologie ou Vocabulaire de mots nouveaux à renouveler ou pris dans
des acceptions nouvelles, deux volumes, Mousard, an XI = 1801 (Mercier)
Jean-Baptiste
Richard de Radonvilliers, Enrichissement de la langue française.
Dictionnaire des mots nouveaux, Pilout, 1842 (Radonvilliers)
Jean-Baptiste
de La Curne de Sainte-Palaye, Dictionnaire historique de l'ancien langage
français, dix volumes, Favre (Niort) - Champion, 1875-1882 (Sainte-Palaye)
Docteur
Césaire Villatte, Parisismen, Langenscheidtsche Verlagsbuchhandlung,
Berlin (Allemagne), 1912 (Villatte)
- dictionnaires du vingtième siècle:
Frantz
Brunet, Dictionnaire du parler bourbonnais et des régions voisines,
Klincksieck, 1964 (Brunet)
Nina
Catach (sous la direction de), Dictionnaire historique de l’orthographe
française, Larousse, 1995 (Catach)
Jean
Dubois, Le Vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872,
Larousse, 1962 (Dubois)
Edmond
Huguet, Dictionnaire de la langue du XVIe siècle,
sept volumes, Didier, 1925-1967 (Huguet)
Paul
Imbs puis Bernard Quémada (sous la direction de), Trésor de la langue
française: dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe
siècles (1789-1976), 16 volumes,
éditions du CNRS puis Gallimard, 1971-1994 (TLF)
René
Lagane, Georges Niobey et Louis Guilbert (sous la direction de), Grand
Larousse de la langue française, sept volumes, Larousse, 1971-1976.
Réédition utilisée: 1986 (GLLF)
Erhard
Lommatzsch & Adolf Tobler, Altfranzösisches Wörterbuch, dix volumes
jusqu'à la lettre T, Weidmannsche Buchhandlung, Berlin (Allemagne) puis Frantz
Steiner Verlag, Wiesbaden (Allemagne), 1925-1976 (Tobler & Lommatzsch)
Bernard
Quémada (sous la direction de), Datations et documents lexicographiques:
matériaux pour l’histoire du vocabulaire français, 45 volumes, Didier puis
Klincksieck, 1970-1996 (DDL)
Alain
Rey (sous la direction de), Dictionnaire historique de la langue française,
Le Robert, 1992 (DHLF)
Maurice
Rheims, Dictionnaire des mots sauvages (écrivains des XIXe et XXe siècles), Larousse, 1969 (Rheims)
Paul
Robert (sous la direction de), Le Grand Robert de la langue française:
dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, neuf
volumes, Le Robert, 1951-1966. Réédition utilisée: Alain Rey (sous la direction
de), 1988 (GR)
Walther von Warburg, Französisches
etymologisches Wörterbuch, 25 volumes, Mohr (Tübingen, Allemagne) puis
Zbinden & Co (Bâle, Suisse), 1948-1983. Deux suppléments: Mohr, 1950 et Zbinden, 1957. Refonte poursuivie
sous fascicules: n°145-152, Zbinden, 1985-1992 (FEW)
b) Ouvrages théoriques...
Notre sujet
comporte deux parties dont le rapprochement peut paraître hasardeux:
l’expression de “néologisme de forme” n’étant apparue qu’entre-deux-guerres,
l’étude (exclusive) des néologismes de forme “chez Péguy et ses contemporains”
est-elle pertinente? En réalité, à la Belle Époque (puisque l’œuvre de Péguy
s’étend de 1897 à 1914, elle se confond presque avec cette période) et même
pendant les années immédiatement antérieures (pendant la “période de formation”
de Péguy, de 1881 à 1897), les textes qui traitent des mots nouveaux
distinguent comme aujourd’hui l’apparition d’un mot (notre “néologisme de
forme” ou “formel”) et l’apparition d’un sens nouveau d’un mot déjà existant
(le “néologisme de sens” ou “sémantique”). Ils désignent la chose sans en avoir
trouvé encore une appellation spéciale. L’absence de terme consacré ne doit pas
préjuger que la distinction conceptuelle n’est pas communément faite et
reproduite, en bref: admise.
Pour savoir sur
quel fond théorique s’inscrivaient la réflexion de Péguy sur les néologismes et
son inventivité verbale, il faut lire des ouvrages d’époque qui concernent de
près ou de loin le problème des néologismes[133], que l’auteur écrive en linguiste ou en tant que
poète, comme pamphlétaire ou sur le ton d’un essayiste objectif. Ces analyses
ne satisfont pourtant pas: d’autres classifications plus exhaustives, d’autres
critères d’études plus efficaces, d’autres théories plus fines ont fait
progresser la lexicologie. En particulier, les études sur la néologie
terminologique (sur les vocabulaires techniques, la morphologie, les emprunts à
l’anglais), foisonnantes aujourd’hui, sont parfois utiles à l’étude de l’aspect
stylistique des néologismes.
- de la Belle Époque:
Anatole
Baju, L’Anarchie littéraire, Vanier, 1904
Charles
Bally, Précis de stylistique française. Esquisse d’une méthode fondée sur
l’étude du français moderne, Eggimann, Genève (Suisse), 1905
idem, Traité de
stylistique française, Klincksieck, 1909
idem, Le Langage et
la vie, Atar, Genève (Suisse), 1913
Ferdinand
Brunot, Précis de grammaire historique de la langue française, Masson,
1887
idem, "La langue
française au XIXe siècle; première partie: La Révolution et
l'Empire" (1899), p. 795-864 in tome VII de Histoire de la
langue et de la littérature françaises des origines à 1900 sous la
direction de Louis Petit de Julleville, 8 volumes, Colin, 1896-1899
idem, "La langue
française de 1815 à nos jours" (1899), p. 704-884 in tome VIII
du même ouvrage
idem, L’Enseignement
de la langue française, Colin, 1909
Anatole
Claveau, La Langue nouvelle. Essai de critique conservatrice, Motteroz
& Martinon, 1907
Léon
Clédat, Grammaire raisonnée de la langue française, Le Soudier, 1894
Arsène
Darmesteter, Traité de la formation des mots composés de la langue française, Vieweg, 1874 (revu en 1894
chez Bouillon)
idem, La Vie des
mots étudiés dans leur signification, Delagrave, 1886
idem, Grammaire
historique de la langue française, Delagrave, 1895
Albert
Dauzat, La Langue française d’aujourd’hui, Colin, 1908
idem, Philosophie du
langage, Flammarion, 1912
Ferdinand
Gohin, Les Transformations de la langue française pendant la deuxième moitié
du XVIIIe siècle (1740-1789), Belin, 1903
Remy
de Gourmont, Esthétique de la langue française, Mercure de France, 1899
idem, La Culture des
idées, du style ou de l’écriture, Mercure de France, 1900
idem, Le Problème du
style, Mercure de France, 1902
Kristoffer
Nyrop, Grammaire historique de la langue française, tome III: Formation
des mots, 1908; tome IV: Sémantique, 1913 (six tomes de 1899 à
1930), Gyldendal, Copenhague (Danemark)
Paul
Stapfer, Récréations grammaticales et littéraires, Colin, 1909
Édouard
Vittoz, Journalistes et vocabulaire, La Concorde, Lausanne (Suisse),
1914
- du vingtième siècle:
Gérald
Antoine & Robert Martin (sous la direction de), Histoire de la langue
française (1880-1914), éditions du CNRS, 1985
Jacques
Boulenger & André Thérive, Les Soirées du Grammaire-Club, Plon, 1924
Nina
Catach, "Un point d'histoire de la langue: la bataille de l'orthographe
aux alentours de 1900", p. 114-120 (avril 1963), p. 295-300
(octobre 1965), p. 137-144 (avril 1966), p. 298-306 (octobre 1967),
p. 229-235 (juillet 1971) in LFM
Jacques
Damourette, "Archaïsmes et pastiches", p. 181-206 in LFM,
juin 1941
Jean
Datain, “Audaces verbales de l’humour”, p. 542-551 in VL
n°271, 1974
Albert
Dauzat, Précis d’histoire de la langue et du vocabulaire français,
Larousse, 1949
Philippe
Drescot, “Le hors-lexique et la compétence lexicale”, p. 92-103 in Néologie
et lexicologie. Hommage à Louis Guilbert, Larousse, 1979
Jean
Dubois & Louis Guilbert, "Formation du système préfixal intensif en
français moderne et contemporain", p. 87-111 in LFM,
avril 1961
Roland
Éluerd, “Maître de forges ou comment le mot composé «prend»”,
p. 32-34 in Langages n°42, 1989
Michel
Francart & Danièle Latin, Le Régionalisme lexical, Duculot, 1995
Alexis
François, Histoire de la langue française cultivée des origines à nos jours,
deux volumes, Jullien, Genève (Suisse), 1959
Max
Frey, Les Transformations du vocabulaire français à l’époque de la
Révolution (1789-1800), Presses universitaires de France, 1925
Maurice
Gaudin, “Le mot le plus long”, p. 251-252 in VL n°218, 1970
René
Georgin, La Prose d’aujourd’hui, Bonne, 1956
Abel
Hermant, Xavier ou les Entretiens sur la grammaire française, Le Livre,
1923
idem, Les Samedis de
monsieur Lancelot, Flammarion, 1931
idem, Chroniques de
Lancelot, Larousse, 1936
Jean-Paul
Honoré, Le Discours politique et l’affaire Dreyfus. Étude des vocabulaires
(1897-1900), thèse de doctorat, Université de Paris III, 1982 (CPO)
Théodore
Joran, Les Manquements à la langue française, Beauchesne, 1928
Étienne
Le Gal, Écrivez...? N'écrivez pas...?, Delagrave, 1928
Michel
Mathieu-Colas, “Orthographe et informatique: établissement d’un dictionnaire
électronique des variantes graphiques”, p. 104-111 in LF
n°87, 1990
Eugène
Montfort (sous la direction de), “L’évolution de la langue et du style”,
p. 353-373 in Vingt-cinq ans de littérature française: tableau
de la vie parisienne de 1895 à 1920, tome I (4 tomes en 2 volumes),
s.d.n.l.
Édouard
Pichon, "Attache d'un suffixe à un complexe", p. 27-35 in
LFM, janvier 1940
Lazare
Prajs, La Fallacité de l'œuvre romanesque des frères Goncourt, Nizet,
1974
M.
Prigniel, "Le suffixe populaire -o", p. 47-63 in LFM,
janvier 1966
Julien
Teppe, “Que de «craties»!”, p. 253-260 in VL n°218, 1970
idem, “Écrivailleurs,
philosophâtres, poétaillons”, p. 159-165 in VL n°228, 1971
André
Thérive, Querelles de langage, deuxième série, Stock, 1933
idem, Querelles de
langage, troisième série, Stock, 1940
Anne
Viguier, "Études lexicologiques et études littéraires: refus, errances et
tensions ou les cheminements d'une rencontre", p. 7-22 in La
Revue des Sciences humaines n°141, 1971
Paul
Zumthor, "Introduction aux problèmes de l'archaïsme", p. 11-27 in
CAIEF n°19, 1967
2. - Néologie...
Les travaux
monographiques s’attachant à décrire “la langue et le style” de tel écrivain
fournissent d’estimables apports, tant sur le plan du vocabulaire des
contemporains de Péguy que sur l’évolution de l’analyse néologique. Parfois
même, telle monographie permet à la théorie néologique et à la lexicographie
dans son ensemble de progresser. Car la théorie du néologisme risque toujours
d’oublier la diversité des mots réellement créés; de même qu’avoir étudié les
seuls “néologismes de langue” ne suffit pas pour pouvoir analyser des
néologismes d’auteur (parfois dits “stylistiques”). Confronter les classements
abstraits à un corpus de mots réellement créés par un auteur permet de vérifier
l’efficacité de ces classements par une sorte d’épreuve du feu.
Mais le grave
problème de toutes ces monographies consiste en la diversité des définitions
adoptées, tant en ce qui concerne la néologie que l’archaïsme. Le mot nouveau
sera tantôt un terme technique, tantôt un terme d’ancien français tombé dans
l’oubli, tantôt un terme limité dans son emploi à une école littéraire... Une
des causes de cette confusion des langues: parmi les travaux que nous
mentionnons, certains ont plus d’un siècle; nous avons noté en caractères gras
ceux qui furent publiés du vivant de Péguy. Pire: les études ne donnent pas
toujours les moyens de procéder à une harmonisation des notions linguistiques
qu’elles utilisent. En ce cas, elles sont à reprendre.
a) chez les auteurs:
Anna Ahlström, Étude sur la langue de Flaubert, Protat, Mâcon,
1899
Christian
Angelet, "La néologie d'André Gide", p. 77-90 in CAIEF,
n°25, 1973
Gérald
Antoine, "Aspects du lexique claudélien", p. 5-17 in CL
n°51, 1987
Max Bonnet, Le Latin de Grégoire de Tours, Hachette, 1890
Pierre
Bourdat, “Archaïsmes et néologismes dans le vocabulaire et la syntaxe de Marcel
Jouhandeau”, p. 35-46 in VL n°250, 1973
Étienne
Brunet, Le Vocabulaire de Proust, trois tomes, Champion, 1983
idem, Le Vocabulaire
de Zola, trois tomes, Champion, 1985
idem, "Le
dictionnaire de Hugo a-t-il un bonnet rouge?", p. 35-53 in CL
n°50, 1987
idem, Le Vocabulaire
de Hugo, trois tomes, Champion, 1988
Mary
Burns, La Langue d'Alphonse Daudet, Jouve, 1916
Marcel
Cressot, La Phrase et le vocabulaire de J.-K. Huysmans, Droz, 1938
Claude
Cuénot, Lexique Teilhard de Chardin, Seuil, 1963
Michel
Dansel, “Tristan Corbière et le lexique”, p. 602-611 in VL
n°260, 1973
Benoît
Decourville, “Le mot chez Jules Renard”, p. 387-394 in VL
n°268, 1974
Albert
Doppagne, "Le néologisme chez Raymond Queneau", p. 91-107 in
CAIEF n°25, 1973
Thelma
Fogelberg, La Langue et le style de Paul Adam, Droz, 1939
Jean-Marie
Gautier, "Notes sur le vocabulaire d'André Gide", p. 31-40 in
LFM, janvier 1942
Jean-Maurice
Gautier, Le Style des Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand,
Minard, 1959
Calogero
Giardina, “La création lexicale dans L’Écume des jours de Boris Vian”,
p. 63-83 in La Banque des mots n°43, 1992
Nicolas
Gueunier, "La création lexicale chez Henri Michaux", p. 75-87 in
CL n°11, 1967
Albert
Henry, Langage et poésie chez Paul Valéry, Mercure de France, 1952
Édouard Huguet, “Notes sur le vocabulaire chez Hugo”, p. 186-229
& 241-274 in Revue de philologie française, tome 12, 1898
Alphonse
Juilland, "L'autre français ou doublets, triplets et quadruplets
dans le lexique verbal de Céline", p. 38-69 in LFM,
juin 1980
Xavier
Laurie, “Sur quelques néologismes de Proust”, p. 620-624 in VL
n°248, 1972
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Michelet”, p. 62-67 in VL n°263, 1974
Yves
Le Hir, Lamennais écrivain, Colin, 1948
Pierre
Nardin, La Langue et le style de Jules Renard, 1942
Pierre
Pamart, "Écriture artiste et créations verbales. Quelques glanes à travers
le Journal des Goncourt" p. 302-310 in VL,
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idem, “Laforgue et les
mots”, p. 182-188 in VL n°229, 1971
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langagières d’André Gide”, p. 576-580 in VL n°259, 1973
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1957
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néologismes de Vélimir Khlebnikov, Gesellschaft zur Förderung slawistischer
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russe
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Refort, Essai d'introduction à une étude lexicologique de Michelet,
Champion, 1923
André
Rétif, “André Gide et les mots”, p. 602-611 in VL n°236,
1971
idem,
“Le vocabulaire de Théophile Gautier”, p. 425-432 in VL
n°245, 1972
idem, “Anatole France
et les mots”, p. 586-591 in VL n°271, 1974
idem, “Le vocabulaire
de Stendhal”, p. 662-667 in VL n°273, 1974
Fred
Robida, "Le vocabulaire de Chateaubriand", p. 291-292 in VL
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François
Ruchon, Jules Laforgue: sa vie, son œuvre, Ciana, Genève (Suisse), 1924
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Sabatier, L'Esthétique des Goncourt, Hachette, 1920
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Schöne, "La langue et le style de Maupassant", p. 207-222 in
LFM, juin 1941
Pierre
Souyris, “Quelques néologismes de Laforgue”, p. 163-167 in VL
n°49, 1956
Marie-Louise
Vincent, La Langue et le style rustiques de George Sand dans les romans
champêtres, Champion, 1916
John-Harold Whiteley, Étude sur la langue et la style de Leconte
de Lisle, Hart, Oxford (Angleterre), 1910
b) en général:
Hélène
Béciri, "Néologismes spécialisés dans les média et la vie
quotidienne: aspects morphologiques et sémantiques", p. 300-354 in
Néologie lexicale n°6, 1994
Henri
Bonnard, “Transfert et coalescence”, p. 28-35 in Néologie et lexicologie.
Hommage à Louis Guilbert, Larousse, 1979
Jean-Claude
Boulanger, “Problématique d’une méthodologie d’identification des néologismes
en terminologie”, p. 34-46 in Néologie et lexicologie. Hommage à
Louis Guilbert, Larousse, 1979
Alla
Alexeievna Braguina, Les Néologismes en russe: manuel pour étudiants et
enseignants, Prosvéchénié, Moscou (URSS), 1973. En russe
Nina
Catach, “L’intégration graphique des mots nouveaux”, p. 67-72 in Néologie
et lexicologie. Hommage à Louis Guilbert, Larousse, 1979
François
Cheriguen, "Typologie des procédés de formation du lexique",
p. 53-59 in CL n°55, 1989
Danielle
Corbin, “Contraintes et créations lexicales en français”, p. 5-43 in
Langages n°42, 1989
Marcel
Cressot, "Un aspect du néologisme", p. 271-275 in LFM,
octobre 1942
Arsène Darmesteter, De la création actuelle de mots nouveaux dans
la langue française et des lois qui la régissent, Vieweg, 1877
Albert
Dauzat, "Les créations conscientes: la formation et l'assimilation des
néologismes", p. 49-93 in La Langue française d'aujourd'hui,
Colin, 1923
Louis
Deroy, "Néologie et néologismes: essai de typologie générale",
p. 5-12 in La Banque des mots n°1, 1971
André
Dugas, “La création lexicale et les dictionnaires électroniques”, p. 23-29 in
LF n°96, 1992
Jean
Giraud, "Petite histoire du néologisme", p. 200-207 in VL
n°265, 1974
idem, "Le coup
d'envoi de la lexicographie moderne", p. 242-249 in VL
n°266, 1974. Suite de l'article précédent
Louis
Guilbert, "La néologie", p. 114-133 in Cahiers
rationalistes n°255, 1968
idem, "Théorie du
néologisme", p. 9-29 in CAIEF n°25, 1973
idem, La Créativité
lexicale, Larousse, 1975
Pierre
Guiraud, "Le lexique dans l'œuvre littéraire", p. 41-47 in
Problèmes de l'analyse textuelle, Didier, 1971
idem, "Néologismes
littéraires", p. 23-28 in La Banque des mots n°1, 1971
Jean-Pierre
Leduc-Adine, “Rhétorique et néologie à propos d’un adjectif de couleur”, p.
148-166 in Néologie et lexicologie. Hommage à Louis Guilbert,
Larousse, 1979
Vladimir
Vladimirovitch Lopatine, La Naissance du mot. Néologismes et formations
occasionnelles, Collection de vulgarisation, Naouka, Moscou (URSS), 1973.
En russe
Georges
Matoré, "Le néologisme: naissance et diffusion", p. 87-92 in
LFM, janvier 1942
la rédaction de Néologie lexicale (Hélène Béciri, Claudie Juilliard, Gabriel Merle,
Robert Perret et Jennifer Vince), Néologie lexicale n°2, 1987
Édouard
Pichon, "L'enrichissement lexical dans le français d'aujourd'hui",
p. 209-222 in LFM, juin 1935
Jacques
Pohl, “Néologie à rebrousse-temps”, p. 99-112 in CL, n°63, 1993
Alain
Rey, "Néologismes, un pseudo-concept", p. 3-17 in CL,
n°28, 1976
Michael
Riffaterre, "La durée de la valeur esthétique du néologisme",
p. 282-289 in The Romanic review n°44, 1953
Gilbert
Salmon, "Qu'est-ce qui fait néologiser l'écrivain?", p. 73-88 in
Bulletin de la Faculté des Lettres de Mulhouse n°11, 1980
Guy
Serbat, “La création lexicale”, p. 3-6 in Langages n°42,
1989
idem, “Suggestions sur
l’analyse des verbes préfixés «parasynthétiques»”, p. 13-14 ibidem
Julien
Teppe, “Néologie et néologisme”, p. 357-364 in VL n°147, 1964
Anne
Zribi, "La créativité lexicale: traitement de quelques préfixes dans une
grammaire générative du français", p. 58-67 in LFM,
janvier 1973
3. - Dictionnairique
Le plus souvent,
les écrivains font leurs délices des dictionnaires, qu’ils considèrent comme
une aide à l’inspiration, un ouvrage à consulter pour son loisir ou même une
œuvre déjà littéraire. Mais cette estime répandue laisse place à des choix
variés dans le détail, de la part de chaque auteur: la préférence des écrivains
ne se porte pas sur le même dictionnaire, la consultation de ces dictionnaires
ne procède pas de la même démarche ni ne s’accomplit de la même façon. Le goût
lexicographique que les auteurs avouent ou proclament sont d’ailleurs souvent
en décalage par rapport à leur pratique dictionnairique réelle. L’originalité
de Péguy se situe également à ce niveau. Nous avons enfin joint à ces études
monographiques quelques articles sur le travail lexicographique en lui-même,
grâce auxquels nous espérons avoir pu garder une distance critique vis-à-vis
des dictionnaires consultés, sans compter que la consultation assidue des
lexiques fournit elle-même matière à une critique des recueils
lexicographiques.
Jacques
Body, “Giraudoux et la lexicographie”, p. 299-306 in Lexique
n°12-13, Villeneuve d’Ascq, 1995
Jean-Claude
Boulanger, “Le paysage lexicographique français entre 1878 et 1932. Portrait
d’une culture d’époque”, p. 29-45 in CL n°65, 1992
Nicole
Celeyrettte-Pietri, Les Dictionnaires des poètes: de rimes et d’analogies,
Presses de l’université de Lille, Lille, 1985
Olivier
Chantraine, “Lexique et événement linguistique dans l’écriture romanesque de
Marcel Proust”, p. 291-297 in Lexique n°12-13, Villeneuve
d’Ascq, 1995
Anne-Marie
Christin, “Les mots, l’écrit: l’usage du dictionnaire chez Francis Ponge”,
p. 319-330 in Lexique n°12-13, Villeneuve d’Ascq, 1995
Gérard
Dessons, “L’usage du dictionnaire dans la poésie de Saint-John Perse: un mode
paradoxal de l’écriture”, p. 307-317 in Lexique n°12-13,
Villeneuve d’Ascq, 1995
Silvia
Disegni, “Le dictionnaire d’un réfractaire (Vallès)”, p. 415-427 ibidem
Jean
Dubois & Françoise Dubois-Charlier, “Incomparabilité des dictionnaires”,
p. 5-10 in LF n°96, 1992
André
Goosse & Jean-René Klein, “De la lexicophilie à la lexicomanie”,
p. 279-289 in Lexique n°12-13, Villeneuve d’Ascq, 1995
Françoise
Henry, “Les écrivains et le dictionnaire, d’après le corpus du Trésor de la
langue française”, p. 389-402 ibidem
Bernard
Magné, “Georges Pérec: faire concurrence au dictionnaire”, p. 331-341 in
Lexique n°12-13, Villeneuve d’Ascq, 1995
Georges
Matoré, Histoire des dictionnaires français, Larousse, 1968
Henri
Meschonnic, Des mots et des mondes. Dictionnaires, encyclopédies, grammaires,
nomenclatures, Hatier, 1991
André
Rétif, “Petite histoire du Petit Larousse”, p. 655-660 (n°212, 1969), p.
716-720 (n°213, 1969), p. 340-346 (n°219, 1970) in VL
idem, “Baudelaire et le
dictionnaire”, p. 122-131 in VL n°228, 1971
idem, “Sartre et le
dictionnaire”, p. 375-384 in VL n°232, 1971
idem, “Anatole France
et le dictionnaire”, p. 260-268 in VL n°254, 1973
Alain
Rey, “La lexicographie française: rétrospective et perspectives”, p. 11-24 in
Lexique n°2, Villeneuve d’Ascq, 1983
idem, “Le monde étrange
des dictionnaires”, p. 43-68 ibidem
Jacques-Philippe
Saint-Gérand, “Littérature et dictionnaires, de Boiste (1800) à Poitevin
(1851): une question d’adresse”, p. 197-215 ibidem
TABLE DES MATIÈRES
épigraphes & dédicaces .............................................................................................page
2
note terminologique
.........................................................................................................
3
introduction
........................................................................................................................
4
I. - Quels sont les néologismes
de forme de Péguy?
a) Les
critères de leur classement dans le néologier .............................................. 7
b) La
liste totale ou néologier ...................................................................................
10
II. - La période de formation de
Péguy
a) La
lettre de 1896 .......................................................................................................
55
b) Les
deux lectures de 1897:
-
Bréal
....................................................................................................................
63
-
Henry
..................................................................................................................
81
III. - La consultation du
dictionnaire chez Péguy
a)
Bibliothèque linguistique de Péguy
.................................................................... 92
b) Les
dictionnaires de Péguy
....................................................................................
95
c) Le ou
les (et quels) Larousse?
..............................................................................
106
conclusion
.......................................................................................................................
117
Bibliographie raisonnée
abréviations utilisées ....................................................................................................
120
A) -
Bibliographie péguyenne .................................................................................
121
1.
- Œuvre de Charles Péguy
a)
Éditions originales...
-
des textes en prose
......................................................................
121
-
des pièces et poésies
.................................................................... 128
b)
Éditions de référence
.........................................................................
129
2.
- Ouvrages et articles sur le style de
Péguy
a)
Études publiées de son vivant (1896-1914)
.................................... 130
b)
Premières études posthumes (1914-1945)
...................................... 130
c)
Lectures critiques récentes (de 1945 à nos jours) .......................... 131
B) -
Bibliographie linguistique ...............................................................................
133
1.
- Lexicologie
a)
Corpus d’exclusion:
-
dictionnaires que pouvait consulter Péguy
........................... 134
-
dictionnaires du vingtième siècle ...........................................
135
b)
Ouvrages théoriques...
-
de la belle Époque
.......................................................................
137
-
du vingtième siècle
.................................................................... 138
2.
- Néologie...
a)
chez les auteurs
..................................................................................
140
b)
en général ............................................................................................
141
3.
- Dictionnairique
..........................................................................................
143
[1] Étude des néologismes de forme chez Péguy (prose & poésie) dirigé par Madame le Professeur Millet-Gérard, Université de Paris IV-Sorbonne, octobre 1996.
[2] À l’exception des plus tardifs des cahiers scolaires du lycéen (inédits), des correspondances et dédicaces inédites, ainsi que de certains des textes de gérance des Cahiers de la quinzaine non repris dans l’édition de la Pléiade ni dans les Manuscrits de Péguy.
[3] Nous remercions Gérald Antoine et Gilbert Léoutre de ce renseignement.
[4] Respectivement: p. 41 du compte rendu bibliographique du livre de Jacques Viard: Philosophie de l’art littéraire et socialisme selon Péguy paru in FACP n°185, 1973; et p. 31-32 de "Péguy, génie poétique de la pensée", paru in Actes du colloque international de Lecce (1977), Milella, Lecce (Italie), 1978.
[5] Selon ce principe, “lève-tôt” et “lève-tard”, trouvés pour la première fois chez Péguy, ne lui seraient pas imputables - à quoi nous répondons: “Et pourquoi pas?”
[6] Les fantaisies typographiques de Péguy offreraient matière à une monographie (cf. A XXVII).
[7] Certains mots trouvent place dans notre liste malgré leur majuscule, parce que cette dernière n’a qu’une valeur de dignité (“Église-État”) ou parce qu’ils ne désignent une personne que secondairement (“surPlaton”). Inversement, d’autres mots sans majuscule, comme “boulevardsaintmichelstrasse”, n’y figurent point, parce que les noms de rues, même orthographiés sans majuscule, constituent des noms propres toponymiques. La frontière reste certes ténue dans d’autres exemples.
[8] L’espace dans le mot n’a un caractère néologique que s’il serait absurde, d’un point de vue sémantique, de considérer que nous sommes en présence de deux mots.
[9] Par convention, nous emploierons désormais le mot de “néologisme” comme signifiant “néologisme de forme”, sauf précision contraire.
[10] Outre cette vérification orthographique, un autre effet indirect de notre relevé des formes néologiques a été de corriger un petit nombre de coquille dans les éditions sur lesquelles nous travaillions!
[11] Un seul néologisme coupé à la rime en poésie a été indiqué par le mot “coupure”.
[12] Malgré les apparences qui veulent que l’autre ponctuation possible: “le mot anglais, que je n’ose remettre ici” (= “le mot [dont tu parles], ton mot”) désignerait avec plus de de vraisemblance un mot employé par Bourgeois.
[13] La pensée implicite de Péguy correspond tout à fait à plusieurs affirmations postérieures, dirigées contre le brouillage des langues par les mauvaises traductions (cf. B 287 & C 898).
[14] Les couples formels “néologie/néologue” et “néologisme/néologiste” sont trompeurs en ce que leurs termes n’ont pas été connotés semblablement deux à deux (le “néologue” pratiquait le “néologisme” en abusant des mots nouveaux) et parce que la péjoration a gagné “néologie” et “néologiste” en perdant de son acuité dans l’emploi de l’ensemble des mots. Voir par exemple dans le GL: “NÉOLOGISME s. m. (né-o-lo-ji-sme - rad. néologie). Habitude, abus de la néologie [...]”. Le syntagme "la manie du néologisme" se trouve un peu moins fréquemment, rapprochant la néologie d'un tic littéraire ou d'une véritable pathologie.
[15] Reconnaissons que, quand même l'exposition de 1889 eût introduit le mot dans la langue parlée par l'intermédiaire de la publicité, les dictionnaires eussent sans doute eu des difficultés à trouver des attestations écrites de l'emploi du mot avant 1895.
[16] À notre connaissance, Péguy n'emploie pas une seule fois dans toute son œuvre "réaliser" en ce sens.
[17] Selon les définitions de Louis Guilbert (p. 92-93, op. cit.)
[18] Péguy a pu croire aussi que le mot avait transité par l’Angleterre avant d’arriver en France. L’hypothèse semble farfelue; mais considérons l’exemple voisin de tombolo, qui signifie “tertre” en italien et qui passa en anglais en 1899 avant de passer d’Angleterre (et non directement d’Italie) en France en 1909. Précisons que le parallèle avec Christianus et caritas (empruntés au grec et non plus à l’italien ni à l’anglais) s’explique malgré la dissemblance des deux registres (abstrait et religieux pour ces deux mots alors que le “mot anglais” semble concret et trivial).
[19] Imprimerie nationale, 1891-1892. Comment ne pas survoler six gros tomes in quarto? Voir surtout le chapitre XIII (“Tombola de l’exposition”) de la cinquième partie (“Exploitations et services divers”), aux pages 400-407 du tome III.
[20] Cette imprécision était répandue à l’époque. Elle est due au garçon de bibliothèque, non à Péguy ni à Lucien Herr, bibliothécaire en chef.
[21] Le livre étant tout neuf en 1897, Péguy, d’un point de vue psychologique, pouvait difficilement y écrire, outre que les annotations marginales ne caractérisent pas son mode de lecture (cf. les livres de sa bibliothèque).
[22] Nommé “Sémantique” par le même employé, pour faire bref.
[23] À la page 5. Nous désignerons les deux livres en abrégé par ces termes d’«Essai» et d’«Antinomies».
[24] Sur la forme des mots, voir l’article de Bréal qu’a pu lire Péguy: “De la forme et de la fonction des mots”, p. 243-266 in Mélanges de mythologie et de linguistique, Hachette, 1897.
[25] Bréal utilise une large palette de mots pour
traiter de la création langagière; voici un aperçu de cette terminologie:
- substantifs désignant un néologisme:
“innovation”, “création originale”, “nouveau mot” (ou “mot nouveau”), “création
(originale)”
- adjectifs qualifiant un néologisme: “nouvelle acception”,
“usage nouveau” (ou “nouvel usage”), “terme nouveau”, “vocable nouveau”
- substantif désignant un néologue: “créateur de
mots”
- verbes décrivant l’action de créer un mot:
“inventer”, “créer”, “former”, “introduire” un mot ou des mots.
Notons que Bréal critique (p. 170) une opinion commune qui valorise le poète par des appellations pseudo-grecques, belles comme l’antique mais fausses en l’occurrence: «On croit communément que le poète, aux yeux des Grecs, était “le créateur”, et le poème, “une création”.»
[26] Notons l’idée curieuse énoncée à la page 185: “Quelle que soit la longueur d’un composé, il ne comprend jamais que deux termes”. Rien ne permet d’étayer cette affirmation; certains néologismes de Péguy viennent au contraire l’infirmer.
[27] Cet explicit (p. 280), la page de titre où le terme d’«essai» figure en caractère plus petit que “sémantique”, le fait que le dernier terme de l’introduction soit justement (en italiques à la page 9) “sémantique”, la façon dont l’auteur désigne lui-même son ouvrage (par le nom de “Sémantique” à la page 305); tout cela explique sans doute que le livre n’ait plus guère été désigné que par le nom de Sémantique; en témoigne ne serait-ce que le raccourci “sémantique” employé sur la feuille d’emprunt. D’ailleurs le terme d’«essai» tient de la modestie et convient mal à un livre de cette importance.
[28] Dans sa deuxième édition, Schulz, Upsal (Suède), 1888.
[29] Paru chez Delagrave en 1886.
[30] L’expression de “coin de la société” désigne-t-elle une corporation ou une classe sociale? Cette imprécision peut être voulue, que les deux interprétations soient liées ou non entre elles.
[31] Voir l’article “Esprit” de son Dictionnaire philosophique: “Pourquoi éviter une expression qui est d’usage, pour en introduire une qui dit précisément la même chose? Un mot nouveau n’est pardonnable que quand il est absolument nécessaire, intelligible et sonore” (p. 152 au tome 51 des Œuvres complètes de Voltaire en 92 tomes, Société littéraire et typographique, 1785). Cet avis réapparaît en filigrane dans la pique antinéologique que décoche (Marcel Drouin dit) Michel Arnauld dans son compte rendu des Vies parallèles de Marius-Ary Leblond (pseudonyme de Georges Athénas et Aimé Marlo) - article paru dans la Revue blanche (p. 395-396, 1er novembre 1902) et auquel Péguy applaudira solennellement en A 1025-1026.
[32] Sont-ce des citations textuelles (d’auteurs ou tirées de la Presse)? L’expression “les auteurs de ces néologismes” (avec article défini, p. 294) irait dans ce sens, n’était qu’il est difficile de traiter des néologismes de façon abstraite, sans renvoyer à leurs auteurs - cf. les tours artificiels: “[...] on voit les autres études alimenter de néologismes ce parler prétentieux [...] les verbes donnent naissance aux substantifs [...] on voit d’autre part les substantifs produire des verbes [...]” (p. 293). Nous n’avons pu localiser les expressions dont il est question: “modificateur” date comme nom de 1797 et réapparaît fréquemment au cours du XIXe siècle comme nom ou adjectif; “catégorisation” date de 1866 et connaît une divulgation rapide en psychologie; “sentimentaliser” s’emploie transitivement estime le Bescherelle en 1845 (l’emploi intransitif date de 1801); “passionnalité” apparaît en 1889 chez Gabriel Mourey (p. 376 in Revue indépendante n°32); “impériosité” appartient au moyen français puis réapparaît au XIXe siècle (in Pan-Lexique puis chez Barrès qui l’affectionne; est-ce lui l’auteur visé?); “attentivité” de même que “perlement” nous sont inconnus; “frappement” apparaît dès le XIVe siècle et Hugo parle des “frappements convulsifs du canon” in Quatre-vingt treize; Bréal en fait-il donc une citation déformée?); “ferraillement” date de 1872 au sens figuré (dans le Journal des Goncourt) et de 1885 au propre; “serpentement” désigne “l’action de ce qui serpente” depuis Diderot en 1765; “soleiller” est un vieux verbe (1558) conservé en provençal et employé par une Pléiade d’excellents écrivains du XIXe siècle (Balzac, Corbière, Nouveau...); “contagionner” est forgé dans le Radonvilliers en 1845. Toutes indications recueillies principalement dans le TLF.
[33] On peut insister davantage sur le passage du singulier au pluriel: “des impériosités du désir” -> “des choses que le désir pousse à faire, par son impériosité” -> “des choses que le désir pousse à faire, par son empire”.
[34] Qui pourtant découlerait logiquement de l’application aux termes nouveaux de la loi énoncée pour les termes anciens: “Toute chose dont on se sert est exposée à s’user [...]” La phrase: “L’important est que la consommation ne soit pas plus rapide que la production” s’applique exclusivement aux mots anciens, les termes nouveaux ne pouvant avoir subi l’usure d’«un long espace de temps» (p. 294).
[35] Lire sa présentation à Humour 1900, J’ai lu, 1963.
[36] Sauf à considérer l’expression: “entre guillemets”, la tribune ne fait aucun usage du signe typographique qu’est le guillemet.
[37] Attitude qui réapparaît de nos jours où la proclamation de l’insécabilité de l’unité morphosémantique du mot sert à justifier que l’on puisse subsumer sous un même terme deux procédés distincts.
[38] Cf. p. 7, où Bréal tient que jusqu’à présent “on s’est contenté, en se rejetant à l’extrême opposé [de l’idée que le langage évoluerait par le hasard], d’une psychologie véritablement trop simple.”
[39] Cf. p 8: “Le but, en matière de langage, c’est d’être compris.” Suit aussi l’exemple d’un enfant exprimant sa pensée avec ses propres mots et sa propre syntaxe, incorrects selon la grammaire normative.
[40] Le calcul de Bréal semble le suivant: en considérant que l’âge des parents à la naissance de leurs enfants soit d’une vingtaine d’années, la langue de ces enfants se formera approximativement au même âge que leurs parents mais vingt ans plus tard. La possibilité qu’une “dizaine” d’années seulement sépare les deux états de la langue parlés par enfants et parents, s’explique probablement par la faculté d’évolution des parents après la naissance de leurs enfants, adaptation qui rattrape une partie du retard linguistique.
[41] Pour être avant tout verbal, le néologisme n’en agit pas moins sur la syntaxe - sans que l’on sache très bien si Bréal considère qu’il faille appeler aussi “néologisme” un tour nouveau.
[42] “Quand
on parle des voix de Jeanne d’Arc on ne parle point vaguement, on ne veut point
dire des extériôrisâtions de sensâtions, on ne parle point le langage de
l’école, on fuit non seulement le langage mais la pensée de l’école, on est à
cent lieues de la parole intérieure et de ce pauvre M. Egger. Il ne
s’agit point d’objectivâtion et de projection au-dehors et de tout le
tremblement. Il ne s’agit point de sortir tous les appareils de laboratoire. On
veut dire, il s’agit de saint Michel, de sainte Catherine, et de sainte
Marguerite.”
Jusqu’à présent l’on ne savait ni où ni quand exactement Péguy avait lu cette thèse; c’est en 1897 à la Bibliothèque de l’École (parmi les thèses, à la cote n°637), après lecture du livre de Bréal; cette thèse n’a pu que l’intéresser quand il parvint aux paragraphes 7 et 8 du chapitre III, qui traitent des voix de Jeanne d’Arc. Lucien Herr a pu intervenir et confirmer à Péguy que cette lecture l’intéresserait.
[43] On trouve en 1561 mention des “paraphrasmes symentiques” (références in TLF), avant l’emploi en anglais de semantick philosophy en 1665 chez John Spencer (devançant de beaucoup le nom semantics - 1893 - et l’adjectif semantic - 1894) et la réapparition en français de l’adjectif (1875 in GL et 1895 dans le Guérin) au sens militaire: “art - : art de mouvoir les troupes à l’aide de signaux”. C’est à Bréal que l’on doit le sens linguistique du mot, comme nom d’abord, en 1879 dans une lettre à Angelo de Gubernatis (“c’est ce qu’on peut appeler la sémantique”; voir par la suite “Les lois intellectuelles du langage: fragment de sémantique” in Annuaire de l’Association pour l’encouragement des études grecques en France, 1883; et l’Essai), puis comme adjectif en 1897 (cf. André-Antoine Thomas, p. 172 in Essais de philologie française, Bouillon, 1897). Le nom “sémantiste” est lui un néologisme formel dû à Bréal en 1897 (cf. “sémanticien” chez Gaston Esnault, p. 186 in Revue de philologie française n°27, 1913). La fortune du mot reste attachée à son inventeur.
[44] Le dictionnaire de rimes de Péguy (p; 221,
troisième colonne du Dictionnaire méthodique et pratique des rimes
françaises, Larousse, s. d.) donne parmi les rimes en “-tique”:
“ boutique, arrière-, sf.
antique, a., sm.
cantique, sm.
identique
atlantique, a., np.
romantique, a., sm.
authentique, a., v.
anacréontique”;
puis dans les notes de la page 222: “transatlan-, séman-, achéron-”.
[45] Peut-être ici une allusion à La Vie des mots étudiés dans leur signification (Delagrave, 1886) d’Arsène Darmesteter - qui à la différence de son frère James (cf. les projets de rimes de La Chanson du roi Dagobert ou C 55) n’apparaît jamais sous la plume de Péguy. Celui-ci ne le connaissait que comme l’éditeur, en collaboration avec Adolphe Hatzfeld, des Morceaux choisis des principaux écrivains du XVIe siècle (in 18°, Delagrave, 1876) dont il put trouver dans sa bibliothèque la troisième réimpression, de 1887 (Marcel Baudouin l’avait gagnée en seconde comme “prix de conférences”). Bréal fait référence à Arsène Darmesteter dès la page 3. Ailleurs le lecteur trouve des renvois: à la “Préface” de son Dictionnaire étymologique à paraître (p. 138); à son “Traité de la formation des noms composés (2e édition, 1894)” à la page 173.
[46] Cf. C 315:
À la Sorbonne, des hommes “qui n’ont jamais fait de sciences [...] veulent nous faire prendre, à ce prix, les vessies pour des lanternes, et les lettres pour des sciences. [...] Ils n’aboutissent qu’à faire un échafaudage, extérieur, non un monument, de simili-science, de semble-science, de fausse science, de prétendue, de soi-disant science, de feinte science, d’imitation de science, plus belle que nature, qui est la risée des (véritables) savants. Ainsi ils perdent les lettres et ils ne gagnent point la science.”
[47]
Cf. B 904 où Péguy s’imagine interrogé à
l’oral du baccalauréat par Émile Durckheim:
“J’eusse ajouté discrètement et d’un air de connivence, avec l’examinateur, que le premier il avait fondé, ou, pour parler tout à fait bien, introduit, peut-être même instauré la sociologie. Sans insister trop toutefois, car je ne me rappelle pas bien même si c’est lui qui a inventé ou introduit le mot. Quant à introduire la chose, on l’attend encore, celui qui l’introduira.”
[48] Notons encore que le rôle attribué à la volonté qui est à l’œuvre dans le langage et la conception de la littérature comme production apparaissent nettement chez Bréal et se retrouvent dans Marcel, De la cité harmonieuse qui date de 1898.
[49] La remarque vaut aussi pour les grands noms de la lexicographie et de la linguistique en général, absents de l’index des noms propres venus sous la plume de Péguy dans les trois volumes des Œuvres en prose complètes ou présents de façon tout à fait fortuite, comme c’est le cas de Littré, apparu dans une citation du recueil de Jaurès L’Action socialiste (première série, p. 275, cité en A 385) et critiqué comme incarnant le “positivisme étriqué”. L’exception serait le cas de Ferdinand Brunot, “le patron de la grammaire” (C 872), vilipendé dès 1911 (en C 497): “[...] j’ai pour les travaux de M. Brunot, moi écrivain, tout le respect qu’un soldat qui a fait la guerre a pour un historien des poutres et salpêtres, qui ne l’a pas faite, tout le respect qu’un peintre, qui a fait des tableaux, a pour un historien de la boîte à couleurs, qui n’en a point fait.”
[50] Henry adopte une terminologie d’étendue
étonnamment restreinte:
- “mot nouveau” (p. 11), “acquisition”
(p. 11), “création” (p. 11)
- “naissance” (p. 19), “invention”
(p. 21)
- “créer” (p. 21).
[51] La note 1 renvoie au paragraphe (au sens où l’entend Henry) “Conscience de l’acte, inconscience du procédé”, aux pages 64-77. Nous donnons les pages 11-12 de l’exemplaire B photocopiées telles quelles.
[52] Notion expliquée p. 179-180 in Guilbert, op. cit.
[53] Sans doute l’imprimeur est-il responsable de l’usage peu rationnel de l’étoile à cinq branches puis de l’astérisque pour signaler un mot non attesté - noté par l’astérisque habituellement (cf. la note p. 20).
[54] Un sens qui rejoindrait le topos sur la trop grande facilité de la néologie, face au travail du style qui rend les mêmes impressions ou idées avec peu de moyens: le vocabulaire (pré)existant... Voir ainsi l’article “Néologisme” dans le Vorepierre - dictionnaire possédé par Péguy.
[55] Sans que le terme soit employé ici. À la page 61 pourtant, il s’applique aux mots venus soit de langues vivantes soit de langues mortes. On y lit aussi l’expression “terme d’emprunt” dont “emprunt” est la forme contractée.
[56] Expression prise au sens d’histoire et presque d’étymologie des mots - sens que lui donne Arsène Darmesteter dans La Vie des mots étudiés dans leur signification dont Henry a fait un compte rendu louangeur; cf. la référence à Darmesteter (p. 18), le renvoi à son propre article (p. 19 note 2), et la page 64 où Darmesteter est qualifié de philosophe et linguiste.
[57] Voir sur ce point p. 20-21:
“Sans doute, courez n’est pas tout à fait le même mot que cúrritis, mais il est le même que *currátis, et *currátis, - déduit comme quatrième proportionnelle rigoureuse de la formule mentale sálto : saltátis = cúrro : x, - bien qu’il n’ait pas été créé par les Latins, n’aurait eu rien d’impossible dans leur langue. Que dis-je? Ils l’ont créé, car il répugne au bon sens qu’une forme d’invention aussi aisée n’ait pas été, au moins une fois dans le cours de la longue vie du latin, risquée par un enfant ou un illettré qu’on s’est empressé de reprendre.”
[58] Aussi bien sur Victor Henry (le socialiste Charles Henry et le lieutenant-colonel Joseph Henry - l’auteur du “faux Henry” - ont seuls droit à paraître sous la plume de Péguy) que sur les Antinomies, d’après l’index des noms propres en C 1856 & 1950. Aucune allusion n’est même repérable, sauf oubli.
[59] Rappelons la tendance au formalisme du jeune kantien qu’était Péguy à l’École normale, et combien il apprécia de présenter un de ses exposés sur “Kant et le devoir social” (prononcé en classe) de la façon la plus sèche qui soit - au déplaisir de son professeur. Le titre d’Antinomies n’a pu que l’attirer; il se justifie dans tout le plan de l’ouvrage où, au début de chaque chapitre, figure l’énoncé de la thèse et de l’antithèse, avant la synthèse finale.
[60] Que Péguy ait lu dès sa parution le magistral Essai de Bréal n’a rencontré que l’indifférence générale des péguystes; quant au livre de Henry, la mauvaise orthographe en “Henri” sur la feuille d’emprunt a suffi à dérouter Eugène Van Itterbeek, qui ne l’a “pas pu retrouver dans les catalogues de la bibliothèque de l’École” (p. 11 de “Les emprunts de Péguy à la Bibliothèque de l’École Normale” in FACP n°86, 1961) et qui se demande “ce que Péguy est allé chercher dans l’Essai de Michel Bréal” avant d’affirmer péremptoirement qu’«il l’a cité trois fois dans toute son œuvre à propos de l’étymologie de certains mots» (p. 12, ibidem) - ce qui est erroné.
[61] Seule Simone Fraisse a établi fermement ce que Péguy avait lu de la littérature de l’Antiquité classique et, à un degré moindre, sur le Moyen-Âge; respectivement in Péguy et le monde antique, Colin, 1973 et Péguy et le Moyen Âge, Champion, 1978.
[62] Voir Kenji Kanno, Péguy et la presse (1894-1902), deux volumes, thèse de doctorat, Université de Paris X, 1994.
[63] C’est-à-dire après le 1er novembre, date de parution de l’article, et avant le 4 novembre 1902 (ou ce jour-là), date du bon à tirer du cahier.
[64] Dans cette phrase se trouve la seule distorsion par Péguy du texte original; encore ne concerne-t-elle que la ponctuation. Il fallait lire: “Donner un nom spécial à chaque sentiment, dispense de le distinguer par des nuances fines et sans cesse changeantes” - où la virgule se justifie par la longueur du syntagme sujet.
[65] Rappelons qu’elle s’est déroulée à l’École des hautes études sociales, en trois séances (19 et 26 janvier puis 2 février 1904) et qu’il nous en reste les notes (éditées par Auguste Martin p. 7-21 in FACP n°139, 1968) et le texte dactylographié (d’après la sténographie des frères Corcos; l’édition la plus sûre est de Robert Burac en A 1795-1827). Nous citons la page 8 puis les pages 11-12 des notes; voir en A 1798 pour le développement de ces lignes.
[66] Sans oublier les deux articles de Charles-Pierre Péguy parus in BACP n°76 (1996): “La bibliothèque Baudouin-Péguy” (p. 170-171) et “Soixante-treize dédicaces à Péguy” (p. 177-184) qui constituent comme une introduction à l’étude de la bibliothèque.
[67] In "Péguy et le dictionnaire des rimes", p. 244-250 du BACP n°36, 1986.
[68] Expression par laquelle il arrive à Péguy de désigner
ce que nous appelons plus largement “consultation d’un dictionnaire” - mais il
est vrai que celle-ci naît très souvent d’une interrogation première. Voir en
B 399: “aller demander une consultation” & p. 10 in FACP
n°139, 1968: “simple interrogation d’un dictionnaire”; ce qui devint lors de la
conférence, en A 1803:
“Il
n’est pas beoin de faire beaucoup d’érudition, il suffit de se reporter au plus
simple des dictionnaires grecs [en l’occurrence le Bailly et probablement le
propre exemplaire de Péguy], pour s’apercevoir immédiatement qu’en effet, dans
l’étymologie originelle de ces mots il y a des différences profondes. Je vous
demande la permission de lire devant vous presque tout un article de
dictionnaire [...]”
Cet arrêt dictionnairique (“se reporter au dictionnaire”, “lire un article de dictionnaire”) au cours de la conférence de Péguy, de par son caractère insolite et primaire (“scolaire” dirions-nous aujourd’hui), désappointa fort et mécontenta l’auditoire.
[69] Sic. La mère de Péguy, au contraire, avait été placée à l’école des sœurs, à Moulins; mais à l’âge de douze ans, elle dut se mettre à travailler. Elle aidait Péguy à apprendre à lire puis lui faisait repasser ses leçons; voir en A 155 et p. 31 in Charles Péguy, la révolution et la grâce de Robert Burac, Laffont, 1994.
[70] Voir en A 155:
“J’appris
assez vite à lire: je sus bientôt mon alphabet par cœur, j’épelai, je connus
les syllabes, les mots, je sus bientôt lire couramment et j’en étais tout fier
et heureux, heureux d’apprendre, heureux de savoir; je sus bientôt lire mon
journal comme un homme, seulement je ne le lisais pas, parce que les enfants ne
lisent pas les journaux.”
D’où il découle que Péguy n’avait rien à lire outre l’abécédaire et le journal pour adulte. Il faut se souvenir que le dictionnaire était beaucoup moins répandu qu’aujourd’hui: il constituait un livre rare, cher, pour adulte et pour érudit. En fait de bibliothèque familiale, rien ou très peu: des livres du type des almanachs.
[71] Cf. la notion de syntagme lexicalisé, aujourd’hui à la mode.
[72] À l’école primaire (1879-1884).
[73] À l’école primaire supérieure (1884-1885)?
[74] À l’époque du lycée d’Orléans (1885-1891)?
[75] À l’époque du lycée Lakanal de Sceaux (1891-1893), du collège Sainte-Barbe et du lycée Louis-le-Grand (1893-1894).
[76] Péguy n’est pas Proust...
[77] Tous les enfants passent par cet apprentissage mais cette expérience se trouve ici “littérarisée”; son questionnement fondamental est formulable de la sorte: “Comment nomme-t-on cela?”
[78] Les dictionnaires de langue faisaient-ils partie des prix attribués aux bons élèves, ou Péguy en a-t-il exceptionnellement reçu un? Nous n’en avons nul témoignage. Mais d’où proviennent ces deux dictionnaires: le Quicherat (unilingue latin, signé par Péguy; gratification scolaire ou achat de la même époque que le Bailly, mais pour préparer l’École plutôt qu’en première année d’École?) et le Vorepierre (unilingue français attribué sans certitude au fonds Baudouin par Charles-Pierre Péguy mais utilisé par Péguy qui le désigne en passant comme “un vieux dictionnaire que j’ai à la maison” en A 499)?
[79] Le prouve une lettre à Bourgeois du 14 août 1911 (p. 20 in FACP n°143, 1968). Péguy demande pour une connaissance “un bon dictionnaire allemand-français”. Les dictionnaires bilingues ne faisaient pas alors partie de la fourniture des élèves.
[80] Le “même” adverbial relevait déjà, semblait-il, d’une réécriture stylisée, avec un plaisant effet qui ressort de la distanciation induite par ce commentaire indirect. Cela, même si nous n’oubliions pas de quel style et de quel fin humour font preuve certains dictionnaires du dix-neuvième siècle. Nous devions ici nous tromper: le degré zéro de l’écriture n’est décidément pas l’habitude des anciens lexicographes.
[81] C’est d’ailleurs l’ancienneté qui explique probablement que les deux dictionnaires de langue française du XVIIIe siècle présents dans la bibliothèque du couple Baudouin-Péguy n’aient pas servi à l’usage quotidien de Péguy: ils étaient davantage des objets de collection que des ouvrages de consultation. Le Vorepierre seul avait de par son caractère relativement récent le double statut de livre de bibliothèque et d’usuel. On peut de même estimer que les livres du XVIIIe siècle et ceux antérieurs qui figurent dans la bibliothèque des Baudouin n’ont jamais été consultés ni même feuilletés par Péguy, ou bien ils l’ont été, mais rarement.
[82] Abréviation déjà usitée au cours de l’article (pour “ortie”; de même on trouve “U.” pour “urtica”).
[83] Indications hypothétiques mais vraisemblables, élaborées à partir des témoignages biographiques et du fait même que le dictionnaire Larousse de Péguy n’ait pas été, après sa mort, considéré par sa famille comme partie de la bibliothèque, à préserver de l’usage personnel des descendants: le Larousse était pour tous un usuel, non une relique ayant appartenu à Charles Péguy en propre. Lire plus bas les précisions sur la place du Larousse dans la pièce d’écriture de Péguy.
[84] En C 1035-1036, Clio s’adresse à l’âme païenne:
“Pensez
que le nénuphar ou nénufar appartient à la grande famille des nymphéacées
(aquatiques). Le nénufar blanc est le lotus sacré des Égyptiens. Il est ainsi
apparenté [au] nélombo ou nelumbo, qui sert de marque de fabrique
à de jolies petites éditions, et même belles, dont une espèce est le lotus
sacré des Hindous.”
Voici un extrait de la partie encyclopédique de
l’article “NÉLUMBIACÉES” du Vorepierre:
“Les
Nélumbiacées sont surtout remarquables par la beauté de leurs fleurs. Celles du
Nelumbo brillant (Nelumbium speciosum), qui abonde dans les
Indes, dans la Chine et dans la Cochinchine, sont blanches ou roses, exhalent
une odeur d’Anis et atteignent jusqu’à 30 centim. de diamètre. Elles sont
portées par de longs pédoncules qui les élèvent au-dessus de la surface de
l’eau. Cette espèce était autrefois cultivée en Égypte; mais aujourd’hui elle a
complètement disparu de ce pays. Sa fleur est le Lotus sacré si
souvent représenté sur les monuments de l’Égypte et de l’Inde.”
Voici enfin le renvoi fait à l’article “Nénufar”
(où l’astérisque signale les mots qui “n’ont pas reçu la sanction de cette
autorité suprême” qu’est l’Académie Française):
“NÉNUFAR ou *NÉNUPHAR.
s. m. T. Botan. Voy. NYMPHÉACÉES.”
Cela ne suffit à expliquer ni les deux orthographes “nelumbo” et sa francisation “nélombo”, ni la précision de l’adjectif “aquatiques” - détails qui viennent du Petit Larousse.
[85] Remarquons aussi le prêt de Maritain à Péguy d’un “dictionnaire grec” - soit vraisemblablement “grec-français”, alors que Péguy avait encore son Bailly, un excellent dictionnaire. Ce prêt (p. 187-188 in Péguy au porche de l’Église, par René Mougel & Robert Burac, Cerf, 1997), dont en 1910 Maritain dit qu’il date, pouvait remonter à dix ans. Impossible hélas d’identifier l’ouvrage d’après les maigres indications du Journal de Maritain: “1er juin. - Je passe chez Péguy chercher mon dictionnaire grec [...] “ et d’une lettre de Maritain à Dom Louis Baillet (5 juin 1910): “[...] mercredi dernier, j’avais besoin (justement pour la kainh; ktivsiı des Éphésiens![)] d’un dictionnaire grec que j’avais prêté depuis longtemps à Péguy. Entrant pour le chercher dans la «boutique» des Cahiers, j’y trouvais Péguy.”
[86] Au commencement de cet essai, intitulé “Jean Jaurès” (A 353-354) et où la biographie de Jaurès serre de très près l’article “JAURÈS (Jean)” de la GE, dû à François-Marie-Henri Marion. L’article du dictionnaire n’est plus ici abrégé, mais tantôt développé tantôt abrégé.
[87] D’après l’arbre dont l’usage est attesté: 1) Larousse, 2a) Vorepierre / 2b) Grande encyclopédie.
[88] Outre la “grande Encyclopédie” (voir A 712-713 & 719) et la “Grande encyclopédie”, Péguy ne consulte aucune œuvre dictionnairique ni encyclopédique de volume. Sans doute est-ce dû à l’incommodité et à la lenteur du mode de consultation par ami interposé! À la Belle Époque, les grandes collections de volumes sont achetées par les bibliothèques et très peu (moins qu’aujourd’hui) par les particuliers. Le plus volumineux dictionnaire de Péguy est encore le Vorepierre: deux gros volumes in quarto. Péguy ne connaît ni le Littré (l’œuvre lexicographique du XIXe siècle), ni le GL (l’œuvre encyclopédique du XIXe siècle). Méconnaissance qui peut se justifier par un mépris affiché de Péguy pour le savoir livresque et intellectuel.
[89] Ce livre fut de suite un franc succès d’édition, grâce à son prix, son format et sa commodité. Pour juger de la spécificité de cet ouvrage dans l’histoire des dictionnaires de rimes, cf. la bonne monographie générique de Nicole Celeyrette-Pietri, Les Dictionnaires des poètes: de rimes et d’analogies, Presses universitaires de Lille, Lille, 1985.
[90] Rappelons que le livre a un format de poche: environ 300 pages in 12°. Cf. les témoignages sur la Ballade, composée pour une part au moins dans les tramways ou en train. Romain Rolland (p. 20 in Péguy, tome II, Albin Michel, 1944) rapproche tout en les laissant distinctes l’inspiration du rythme du train et celle des listes du Martinon qui en prend le relais.
[91] Cf. l’inventaire des Cahiers (in CQ IV-6) où en 1902 figure un dictionnaire - un petit Larousse; le Martinon n’avait pas encore paru.
[92] Les éditions possédées par Péguy étaient selon toute probabilité celles de 1909 & 1911 (soit les troisième et quatrième éditions). Rien ne permet d’affirmer que le dictionnaire ait été, comme le veut une tradition tenace, acheté pour la Ballade, même si la Ballade témoigne effectivement de l’usage constant du Martinon (voir ainsi les rimes “Sphynx/lynx”, “Caton/Platon” et “Ariel/Uriel” en Q 241.242 et P 1285).
[93] Péguy aurait acquis le deuxième exemplaire en prévision de l’épuisement du dictionnaire qui se vendait bien, et prévoyant d’écrire beaucoup de vers...
[94] Traditionnellement: 1911-1912 - au moment supposé de la rédaction de la Ballade; nous étendons cette période à 1909-1911 pour le premier exemplaire et 1911-1914 pour le second. L’existence d’un deuxième exemplaire était en effet inconnue de la critique quand elle proposait sa datation restreinte.
[95] Il faut avouer que la description immédiate (dans le texte) de la consultation du dictionnaire avait plus de facilité à s’exprimer au détour d’un discours en prose qu’en poésie - mais la chose est encore possible en poésie.
[96] En réalité, cette rime revient trente-neuf fois (dans treize tercets qui se suivent) dans le “Huitième jour” de la Tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc (in CQ XIV-5). Peut-être le nombre 36 désigne-t-il seulement un grand nombre indéterminé - comme tendrait à le faire penser son écriture en chiffres.
[97] Ce dont témoigne Daniel Halévy (p. 311 in
Péguy et les Cahiers de la quinzaine, Grasset, 1979):
“Il
[Péguy] se vantera un jour, à son camarade de l’École normale Roustan, d’avoir
épuisé, sur un même thème, toutes les finales que lui fournissait son
dictionnaire de rimes. Ainsi le délire verbal est proche. Mais, au-dessus du
délirant, il y a le maître qui, chaque fois qu’il le faut, prend les rênes en
main.”
Conformément à la vulgate, comme dans tous les autres témoignages, ce passage sur le Martinon appartient à un contexte qui fait référence à l’année 1912. On suivra l’avis de Halévy sur la maîtrise de Péguy plutôt que cette malencontreuse phrase de Simone Fraisse: “On pourrait dire qu’il y a eu pression du dictionnaire” (p. 246 in “Péguy et le dictionnaire des rimes", op. cit.) D’ailleurs, Péguy a suffisamment exprimé son admiration du “maître rimeur” qu’est Hugo.
[98] Les autres témoignages sont de deuxième main: Jean Onimus (p. 23-24 in “Introduction aux Quatrains de Péguy”, CACP n°9, 1954) cite à quelques erreurs près le propos de Péguy; René Johannet (p. 323 in Vie et mort de Péguy, Flammarion, 1950) abrège l’anecdote.
[99] Ce dernier écrit pourtant avec autorité de compétence. Voir sa thèse: Les Strophes, étude historique et critique sur les formes de la poésie lyrique en France depuis la Renaissance, Champion, 1911; et la thèse complémentaire: Répertoire général de la strophe française depuis la Renaissance, Champion, 1911.
[100] Là encore, nous voudrions en être sûr; mais Germaine Péguy propose une version plus convaincante et qui serait à l’origine de l’anecdote, répandue après déformations. Voir p. 228 in “Mes deux frères Marcel et Pierre”, p. 227-231, BACP n°16, 1981: “Pour ses quatrains, il [Charles Péguy] s’était préparé de petits rectangles de papier blanc, et notre frère, assez taquin, en subtilisa un où il inscrivit lui-même des vers en l’honneur des théologales!”
[101] L’autre concerne les bandes de papier: Onimus (p. 24, op. cit.) nie que Péguy ait procédé ainsi; mais il est hardi de contredire Marcel, qui a vu de très près le travail de son père sur la Ballade. Marcel et sa sœur ont été les seuls témoins oculaires à en parler.
[102] Autant l’arrachage de la “Préface” n’aurait posé nul problème (c’est concrètement un cahier autonome), autant celui du “Traité” était-il difficile: partie plus volumineuse et qui finit avant la fin du troisième cahier. Mais la fin du traité a irrité le plus Péguy: “La Ballade” et “Le Sonnet” en sont les deux derniers paragraphes!
[103] C’est pourquoi le pastiche génétique de l’Ève de Péguy par Henri Bellaunay (p. 166-167 in Nouvelle anthologie imaginaire de la poésie française, De Fallois, 1996) tombe à plat: il se voulait caricatural mais il correspond à un aspect réel de la poétique de Péguy.
[104] Du moins la devine-t-il; nous ne
lisons pas cette page 111 (117 est une coquille dans "Péguy et le dictionnaire
des rimes", op. cit.) univoquement, comme le fait Simone Fraisse (ibidem):
Romain Rolland ne fait pas allusion au seul dictionnaire alphabétique mais à
l’usage de dictionnaires - celui de Martinon et les autres. Nous interprétons
le “on ne sait pourquoi” comme doutant de la raison de l’utilisation par Péguy
de ces entrées, et non de la raison de leur occurrence et succession. Voici le
texte:
“Trois
cent quatre-vingt-neuf quatrains [...]. Bonne occasion pour nous faire le tour
de tous ceux-là qu’il abomine, et les affubler de tous les noms grotesques du
dictionnaire!... Oh! il n’est pas difficile! Tout lui est bon contre ces
intellectuels [...]. Mais il est vrai que toutes les corporations ont aussi
leur tour: pisciculteurs, aviculteurs, apiculteurs, viticulteurs,
agriculteurs, horticulteurs, et aussi bien tous les casiers du
dictionnaire (pour la géographie, on ne sait pourquoi, Papouasie, Caucasie,
Austrasie, Malaisie, Silésie, Mélanésie, Micronésie...)
[...]”
On ne peut
véritablement séparer Martinon des autres dictionnaires parce qu’il y a un
usage global de ces ouvrages chez Péguy, schématisable à partir de ces parcours
dictionnairiques avérés:
en
poésie en
prose
1
Martinon 1
Larousse
(2 Larousse) (2 Vorepierre)
((3
Grande encyclopédie))
L’exemple de consultation du Larousse en poésie est attesté par la
présence du mot rare “dogre” - dont le
Martinon
précise seulement que c’est un “bateau” et dont Péguy montre en P 1134 qu’il le
sait être un bateau des mers du Nord (Simone Fraisse pensait que Péguy était
allé chercher ce renseignement dans “un dictionnaire encyclopédique”; le
renseignement a théoriquement pu lui venir de son Dictionnaire de l’Académie
Françoise, de son Vorepierre et de son Larousse - Péguy n’a en réalité eu
besoin que de ce dernier):
“Et ce ne sera pas tous ces petits poucets
Qui nous arracherons de la maison
de l’ogre.
Ce n’est pas leur boussole et ce
n’est pas leur dogre
Qui nous enseignera le seul nord
que je sais.”
Une formule est donc valable conjointement pour la prose et la
poésie:
1 Martinon puis/ou Larousse
(2 Vorepierre)
((3 Grande encyclopédie))
[105] Pour cette question, voir l’intégralité du témoignage de Germaine Péguy (à lire parfois entre les lignes) et p. 285 in Robert Burac, op. cit.
[106] Dans sa première édition de 1894 chez Colin.
[107] Le livre désigné implicitement le sera explicitement quelques lignes plus bas (ibidem): “le Petit Larousse”.
[108] Qui a de grandes chances d’avoir été son premier livre domestique. Péguy y songe donc avec nostalgie - d’où la parenthèse indiquant le changement de leur intitulé: les almanachs sont du temps d’avant l’école primaire, d’avant l’âge du Larousse qui symbolise le stade primaire.
[109] Ici comme en B 310 il s’agit du présent de l’indicatif.
[110] L’ordre de succession des éléments de l’inventaire du matériel ne semble pas strictement cohérent: la disposition de la boutique nous est connue: tantôt le regard de Péguy s’attache à un endroit de la boutique où s’entasent divers objets, tantôt Péguy reprend une vue générale de la boutique. Ainsi, après avoir commencé de décrire les objets qui traînent à côté de son bureau, note-t-il les chaises, avant de reprendre la description d’un endroit où sont posés des livres - dont un Larousse. Si l’on examine très attentivement la photographie de Péguy prise presque à son corps défendant, en 1913, par Dornac (pour l’album Nos contemporains chez eux), on peut apercevoir à gauche (sur l’image) du bras droit de Péguy, au-dessus du rayon inférieur où sont rangés les Cahiers de la quinzaine, tout contre un autre meuble situé plus à gauche (sur l’image), près de deux volumes plus petits, posé à plat, un livre épais ayant les dimensions du petit dictionnaire Larousse de 1902 (1500 pages de 10 x 15,5 cm). Pour nous, il peut s’agir du Larousse inscrit dans l’inventaire. Sa place dans la liste se comprendrait dès lors aisément - à considérer que Péguy n’ait pas trop rangé son bureau et ses alentours dans le champ de l’objectif; les volumes voisins correspondraient au Bottin étranger et/ou aux registres.
[111] Attention à l’habitude de la librairie Larousse de postdater d’un an ses dictionnaires: l’édition de 1905 paraît avec l’indication: “1906”!
[112] Dont 1066 de langue, 564 consacrées à l’histoire et la géographie, 33 pages roses.
[113] Inchangé jusqu’en 1918; pour le ménage Péguy, qui ne roulait pas sur l’or, ce petit prix était important et explique que les petits dictionnaires Larousse soient les seuls que Péguy ait pu se permettre d’acheter alors: Péguy se réfère aux dictionnaires Larousse suivant à la fois son goût et ses possibilités.
[114] À la page 898 de ce dictionnaire, dans les notices des principaux membres de la famille Bonaparte, à “Napoléon Ier” on peut lire: “(voir ce nom)”!
[115] On pourrait imaginer que Péguy ne se donne pas la peine de vérifier de lui-même parce que cela n’a aucune espèce d’importance; mais ce point de vue n’est certes pas péguyste: la manie de la précision, de l’exactitude caractérise Péguy, ainsi qu’elle caractérise le personnage de Clio.
[116] Sept ans depuis le premier livre publié par la librairie Georges Bellais (juin 1898) et un peu plus quand Péguy compte sa Jeanne d’Arc (décembre 1897). La note est de nous.
[117] I. e. la boutique des Cahiers (la note est de nous).
[118] L’expression “de loin en loin” fonctionne-t-elle en l’occurrence comme une locution adverbiale temporelle (ainsi que le voisinage avec “de temps en temps” et la gradation du “fût-ce” tendraient à le faire penser) ou spatiale (conformément à son origine et au sens où l’écrivain hésite sur l’orthographe de passages éloignés les uns des autres dans son texte)?
[119] La faute équivaudrait à un symptôme de la maladie que serait l’ignorance de l’orthographe.
[120] Voir en C 184.
[121] Voir en A 1866.
[122] Entendons-nous: le Dictionnaire complet illustré n’a pas été dépassé du jour au lendemain le 29 juillet 1905; seulement Péguy ne ferait pas montre, pour un dictionnaire dont la première édition remonte à 1889, d’un tel art publicitaire. Péguy fait croître l’attention de celui qui lit (“[...] ce vieil ami le seul inépuisable [...]”) et l’intrigue dès le démonstratif; le suspens est maintenu au début de la relative imprévisible (“[...] que nous nommons [...]” où la première personne désigne soit l’auteur seul prenant la majesté d’un démonstrateur, soit en compagnie du lecteur qui doit deviner de quoi il s’agit). Enfin Péguy met en relief l’ajout elliptique de la formule publicitaire: “En vente à [...]” Cette formule nous prouve incidemment qu’outre l’exemplaire personnel du libraire (un Dictionnaire complet illustré), le Petit Larousse illustré était vendu à la boutique des Cahiers (peut-être en plusieurs exemplaires). Péguy a-t-il renouvelé l’exemplaire de service à l’occasion de sa parution? La photographie dont nous disposons ne permet guère d’en juger.
[123] Sa grand-mère - dont la mère était née à Dornes dans la Nièvre - est née à Gennetines dans l’Allier.
[124] Hémistiche de Victor Hugo, in Les Châtiments, “Nox”, partie VIII, vers 53.
[125] Cf. en A 499 un exemple de déception et en C 183 une expérience où se mêlent satisfaction (pour “Dornes”) et frustration (pour “Gennetines” absent du dictionnaire).
[126] Cf. la phrase similaire: “Vous n’avez qu’à chercher dans le dictionnaire” en B 822 (1907), dans un contexte polémique où Péguy s’en prend à ceux qui croient suffisant d’avoir des idées pour avoir du style. Péguy invite le bon à rien à trouver facilement des idées dans le dictionnaire, pour montrer par différence que le style ne se trouve nulle part ailleurs qu’en soi-même - et le génie est ce privilégié qui possède un grand style.
[127] Une référence en 1900, une en 1902, trois en 1905 (mais dont deux sont inédites), une en 1908 et deux en 1913 (mais inédites) dans l’œuvre, sans compter la correspondance de Péguy.
[128] Notre bipartition des textes en prose de Péguy en articles (dont les titres sont entre guillemets) et en œuvres (aux titres soulignés) paraît quelquefois arbitraire; les textes parus dans les CQ tout comme les inédits rendent quasiment caduque cette question générique. Personne encore n’a résolument tranché par une analyse de détail ce qui revient plutôt au publiciste, ce qui revient davantage à l’essayiste. Nous avons porté au crédit de ce dernier les textes longs qui échappent le plus à leur contexte et où la fantaisie de l’auteur se donne libre cours.
[129] Quant au style péguyen, rien de plus agaçant que les poncifs sur la répétition comparée au flux de la mer, ou sur la lenteur de la phrase évoquant le rythme d’une marche... Il ne s’agit pas d’erreurs, mais ici encore, de répétitions; la critique est lente à se renouveler.
[130] Les années 1960 et 1970 ont vu débattre les péguystes sur la légitimité de procéder à une analyse des mots de Péguy par les moyens statistiques - cette véritable dispute a contribué à faire prendre du retard aux recherches sur le style de Péguy (cf. André-A. Devaux, “Les Actes du colloque Péguy 1964”, p. 2-24 in FACP n°134, 1967). Ces temps sont révolus; personne ne veut plus s’opposer aux nouvelles méthodes de l’analyse lexicologique.
[131] La coupure de 1945 se justifie de plusieurs façons: la guerre est finie et avec elle la récupération politique de Péguy par le pétainisme; les activités de l'Amitié Charles Péguy (fondée en 1942 et déclarée en 1946) se développent et permettent une étude enfin littéraire du texte péguyen; la voix des contemporains de Péguy se tait peu à peu, relayée par une génération qui n'a pas connu Péguy mais l'aime autant; enfin, un saut quantitatif se remarque dans notre bibliographie. Pourtant le nom de Roger Secrétain apparaît dans nos deux périodes alors que son interprétation de Péguy n'a guère changé; Leo Spitzer appartient à la première période, même s'il est à bien des égards en avance sur certains des travaux postérieurs.
[132] Du moins, à l’entrée qui leur correspond dans chaque dictionnaire. Il est notoire que les dictionnaires utilisent bien souvent dans les définitions ou dans telle partie encyclopédique des mots qui ne sont pas définis dans une entrée spécifique.
[133] Ce problème se formule très simplement sous la forme de cette question: “Faut-il admettre les néologismes?”