Rapport sur l’Épreuve de Composition française

établi par M. Romain Vaissermann

 

Plus qu’un autre peut-être, le sujet de dissertation proposé cette année, alors même qu’il ne semblait pas devoir susciter de difficulté particulière de compréhension, pouvait dérouter le candidat désireux de trouver au plus vite dans la courte citation à analyser les deux-trois notions lui fournissant un plan prêt à l’emploi. Aussi prévenons-nous d’emblée ce malheureux candidat que, pour sa très grande confusion, il ne trouvera pas ici cette année le rapport rédigé sous la forme d’un corrigé de la composition. Les rapports des années précédentes lui montreront la méthode à suivre, l’agencement des parties, la progression de la réflexion dont témoignerait la copie idéale.

Comme les termes qui demandaient explication et les concepts littéraires utilisés étaient nombreux dans cette phrase d’Aimé Césaire, si ambitieuse qu’elle se trouvait dénommée dans les termes du sujet définition, après que l’auteur lui-même l’eut dénommée proposition et qualifiée autant de résumé que de clarification, nous avons pensé que l’important était de montrer, cette année, les étapes difficultueuses et les tâtonnements qui doivent conduire à une bonne compréhension du sujet. Cette compréhension est un prélude à la composition française, elle donne forme notamment à son introduction et nourrit, au cours de la dissertation, chaque retour au sujet rendu possible par l’exploitation des exemples utilisés.

La compréhension du sujet est de tous exigible. Point n’était besoin, bien entendu, d’en savoir long sur celui que quelques copies désignèrent comme un théoricien de la négritude (mots de Télérama et du Monde des livres de mars 2006) ou comme un simple poète antillais ; point n’était besoin de l’identifier comme un compagnon de route du surréalisme. Mieux valait même, finalement, n’avoir pas été trop attentif, lors de l’année de préparation du concours, à la polémique qui surgit au sujet de l’article 4 de la loi de 2005 sur le rôle positif de la colonisation et qui retarda la visite du ministre de l’Intérieur en Martinique, la rencontre avec le poète de 92 ans en étant une étape obligée. En effet, la citation, en élargissant l’espace poétique aux frontières de l’univers, offrait un très large champ où les candidats pouvaient tracer d’amples perspectives critiques :

 

La poésie est cette démarche qui par le mot, l’image, le mythe, l’amour et l’humour m’installe au cœur vivant de moi-même et du monde.

 

Cette phrase d’une grande simplicité syntaxique mêlait au vocabulaire spécialisé de la littérature (poésie, mot, image, mythe, amour, humour) des éléments du lexique commun (démarche, cœur vivant, moi-même, monde) ; le premier soin de la composition française devait donc être de donner un sens, opératoire au moins, à ces mots de nature variés. Car toute considération d’emblée ontologique (glosant sur la copule être) ou étroitement définitionnelle (remarquant le tour typique du démonstratif déterminant l’antécédent du pronom relatif : cette démarche qui) était désamorcée par la conception moderniste que Césaire se fait de la poésie – démarche et même installation –, ainsi que par l’œcuménisme des procédés littéraires : cinq étant énumérés, mais si vastes ! Le sujet était large, dépassant les Caraïbes et débordant même la francophonie à laquelle se consacrait le Salon du livre en 2006.

 

Poésie nouvelle qui laisse à soi-même crever de sa belle mort la poésie de la couleur locale, la poésie créole faite de mignardises.

Pour avoir rompu avec le verbalisme romantique, la théorie de l’art pour l’art, l’impassibilité commode des parnassiens, les désirs troubles du symbolisme, elle atteste maintenant la préoccupation d’être plus près de la vie, d’approfondir davantage le sens de l’évolution des pays et des peuples opprimés, de scruter d’un regard plus ouvert et fraternel le visage de l’humanité.

(Léon-Gontran Damas, préface à l’anthologie Poètes d’expression française, 1947)

 

La première chose à faire face à un sujet de dissertation est de le comprendre, de le reformuler pour soi-même, afin d’en mieux pénétrer la signification, d’en chercher également les sous-entendus. C’est ici un effort personnel qui est demandé. Il convient de faire table rase des cours suivis pendant l’année de préparation. Trop de copies portent la marque d’un moule de pensée (trop) fraîchement assimilé.

 

c’est vrai que les mots ne sont pas du vent, les mots sont des feuilles envolées au risque de leurs racines, vers les récoltes camouflées au fond du silence et de la mer

(Daniel Maximin, L’Invention des désirades, « Quatre vérités », 2000)

 

La première chose à faire est de se reporter à la formulation de sa question, qui n’est pas toujours stéréotypée. Les termes intéressants de cette question apportent des informations sur le contexte de la citation. Il faut donc prendre le temps d’examiner cette question.

 

malgré l’angoisse de ton prochain lecteur

le rêve d’écrire une seule phrase avec deux corps

grattée tendre au couteau sur l’écorce d’arbre à pain

(D. Maximin, L’Invention des désirades, « Donation », 2000)

 

D’abord, Aimé Césaire est poète, ce qui n’est pas indifférent pour qualifier le point de vue qu’il adopte en la matière qu’il traite, point de vue d’un expert mais aussi d’un praticien, ce qui contraint le candidat de vérifier si la citation s’applique bien à d’autres poètes qu’à Césaire lui-même.

 

allo allo encore une nuit pas la peine de chercher c’est moi l’homme des cavernes il y a les cigales qui étourdissent leur vie comme leur mort il y a aussi l’eau verte des lagunes même noyé je n’aurai jamais cette couleur-là

(Aimé Césaire, Les Armes miraculeuses, « Le cristal automatique », 1946)

 

Ensuite, l’article d’où la phrase est extraite s’intitule « Poésie et connaissance », ce qui pouvait plonger les candidats dans une certaine perplexité. Crainte fondée : voici en connaissance un autre mot problématique ! Mais la conjonction de coordination suggérait que l’opposition immédiatement perceptible entre démarche et connaissance positive ou scientifique pouvait laisser place à d’autres considérations soit sur les vertus cognitives de la poésie soit sur la sorte de naissance à laquelle donne lieu une poésie originelle, en symbiose avec l’univers. La parenté étonnante entre le concept de co-naissance et le cœur vivant de moi-même et du monde n’autorisait pas à plaquer sans précautions Claudel sur Césaire, même si l’Art poétique claudélien intègre notamment le Traité de la co-naissance au monde et de soi-même (1907) : attention aux prépositions…

 

Je retrouverais le secret des grandes communications et des grandes combustions. Je dirais orage. Je dirais fleuve. Je dirais tornade. Je dirais feuille. Je dirais arbre. Je serais mouillé de toutes les pluies, humecté de toutes les rosées. Je roulerais comme du sang frénétique sur le courant lent de l’œil des mots en chevaux fous en enfants frais en caillots en couvre-feu en vestiges de temple en pierres précieuses assez loin pour décourager les mineurs.

(Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, 1939)

 

Bien sûr, la datation de l’article a suscité divers commentaires de type historique, qui, sans être foncièrement erronés ni hors-sujet (tant le champ lexical de la guerre imprègne l’article contenant la phrase prise comme citation), ne nous semblent pas vraiment utiles à une discussion qu’on souhaitait non pas intemporelle (puisqu’elle est datée, mais non par rapport à une guerre, fût-elle mondiale) mais déterminée par le raisonnement suivi en ce mois de janvier 1945 par écrit[1], l’article étant d’ailleurs le fruit d’une communication prononcée à la fin de l’année 1944 en Haïti, lors d’un congrès de philosophie. Voici un extrait de cet article, pour preuve qu’il ne faut pas trop se fier à des realia historiques pourtant tristement connus :

 

La nation la plus prose, en ses membres les plus éminents, par les voies les plus escarpées, les plus roides, les plus hautaines, les plus irrespirables, les seules que j’accepte de dire sacrées et royales – avec armes et bagages – passa à l’ennemi. Je veux dire à l’armée à tête de mort de la liberté et de l’imagination.

 

D’autres termes ne font que reformuler un aspect de la citation : définition désigne l’ensemble de la citation ; œuvres poétiques reprend mais précise aussi poésie. Or même les termes de pure reformulation sont importants. Car dans quel corpus littéraire devaient être pris les exemples ? La poésie régulière (à condition de ne pas en estropier les mètres) – en acceptant bien sûr le théâtre en vers[2] –, les vers libres sans aucun doute (Césaire lui-même, mais aussi les essais de versets), les poèmes en prose (Baudelaire, Rimbaud…), voire la prose poétique (Lautréamont) pouvaient servir d’exemples, des œuvres entières donc, si ce n’est complètes, mais aussi des poèmes isolés dans la production d’un auteur. Hélas, les candidats, traduisant un peu vite poésie en versification, n’ont souvent envisagé que des poèmes aux vers réguliers, isométriques et rimés – choix restreint qui risquait d’occulter la modernité de la démarche voulue par Césaire, s’il n’allait pas, même, à contre-sens de cette modernité (et si c’était voulu, il eût fallu s’en justifier). La possibilité pour le candidat de varier ses exemples vaut l’effort supplémentaire consacré à mémoriser vers hétérométriques ou non rimés.

 

Les lampes et les tapis de la veillée font le bruit des vagues, la nuit, le long de la coque et autour du steerage.

La mer de la veillée, telle que les seins d’Amélie.

Les tapisseries, jusqu’à mi-hauteur, des taillis de dentelle, teinte d’émeraude, où se jettent les tourterelles de la veillée.

……

La plaque du foyer noir, de réels soleils des grèves : ah ! puits des magies ; seule vue d’aurore, cette fois.

(Arthur Rimbaud, Les Illuminations, « Veillées. III », 1886)

 

Les vertus qui s’applique selon Césaire au genre poétique et à cette part de la prose nommée faute de mieux prose poétique ne s’appliquaient-elles qu’à la poésie ? Définissaient-elles le propre de la poésie ? Il importait au plus haut point de soulever cette question, à preuve l’opposition systématique voire schématique que dresse Césaire entre la France prose d’avant 1850 et la revanche de Dionysos. La méthode consistant à comprendre une citation non seulement par l’examen des quasi-synonymes considérés comme autant de significations rejetées mais aussi par l’examen des contraires, trouvait ici sa pleine application : oui, c’est non seulement la connaissance scientifique mais la prose, et moins la prose du monde que la prose littéraire, qui constitue la cible indirecte d’un Césaire qui se fait ici nomenclateur pour la plus grande gloire de la poésie, qui n’a pas eu toujours de si hautes visées.

 

Comme un galant et brave chevalier,
Vous m’appellez en combat singulier
D’amour, de vers et de prose polie :
Mais à si peu mon cœur ne s’humilie,
Je ne vous tiens que pour un escolier.
Et fussiez-vous brave, docte et guerrier,
En cas d’amour n’aspirez au laurier,
Rien ne déplaist à la belle Julie,
                Comme un galant.

(Vincent Voiture, Rondeaux, « Response à un deffy », 1650)

 

On pouvait attendre de spécialistes de lettres classiques à la fois la déconstruction de cette modernité poétique qui prend elle-même allure de mythe et la critique du fond de méconnaissance sur lequel prétend s’édifier ce terminus a quo de 1850. Si les grands ancêtres revendiqués par Césaire sont tous poètes – Baudelaire le Connaisseur, Rimbaud le Voyant, Mallarmé l’Ingénieur, Lautréamont l’Humoriste –, si même les continuateurs se nomment Apollinaire, cet Aventurier, et Breton, l’Ambitieux, Césaire tait, sciemment mais facilement, la poésie d’avant, se fondant peut-être sur le manque d’inspiration du XVIIIe siècle. La poésie dont parle Césaire englobe-t-elle toute la poésie ? C’est douteux. Qui plus est, certaines copies ont à juste titre remarqué que la citation proposée au commentaire n’était pas valide en tant que définition, parce que, selon l’opération syntaxique bien connue de substitution, son thème pouvait à certains égards permuter avec art, littérature, voire prose, n’en déplaise au poète noir. Mallarmé eût même écrit : le Livre.

 

Quoi ? c’est difficile à dire : un livre, tout bonnement, en maints tomes, un livre qui soit un livre, architectural et prémédité, et non un recueil des inspirations de hazard, fussent-elles merveilleuses... J’irai plus loin, je dirai : le Livre persuadé qu’au fond il n’y en a qu’un, tenté à son insu par quiconque a écrit, même les Génies. L’explication orphique de la Terre, qui est le seul devoir du poëte et le jeu littéraire par excellence : car le rythme même du livre alors impersonnel et vivant, jusque dans sa pagination, se juxtapose aux équations de ce rêve, ou Ode.

(Stéphane Mallarmé, Lettre à Paul Verlaine, 16 novembre 1885)

 

Le mot-tête du syntagme prédicat, démarche, n’a pas étonné beaucoup de candidats, obnubilés par l’imposant groupe des cinq qui suivait. Pourtant, les dictionnaires, ces maîtres de la définition, n’évoquent jamais que l’art (Nicot, Académie française, Féraud, Littré, Petit Robert) ou le genre (T.L.F.) poétique. Tous font la part de la versification et celle du sentiment poétique, distinguent le genre et les œuvres qui tiennent de ce genre. Mais Césaire balaie tous ces termes traditionnels : non, la poésie n’est pas une occupation plus ou moins sérieuse, pas un jeu spirituel ni formel. Face à la double réification de l’art en genre et du genre en poème, Césaire emprunte une autre voie : sa poésie est moyen de connaissance à part entière et dépasse le versificateur avec ses vers, le poète pratiquant un genre littéraire, l’artiste s’essayant à la littérature. La démarche est plus encore que le style, qui venait de l’homme même. Elle met en branle l’inconscient de chacun, et le monde même : univers, cosmos. Mouvement du corps et de l’âme, elle dépasse à la fois la conscience et l’humanisme. Rien ne reste fixe au cours d’une démarche : la poésie se place entre l’homme – ce versificateur à qui traditionnellement l’on prêtait les ruses de la technique poétique – et le monde – d’où un mythe tenace faisait venir l’inspiration sacrée, cette voix de la Muse. Est-ce au milieu, au centre ? C’est le penchant de toute définition que de risquer ces endurcissements et ces retombées géométriques.

 

Derrière les ennuis et les vastes chagrins

Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,

Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse

S’élancer vers les champs lumineux et sereins ;

 

Celui dont les pensers, comme des alouettes,

Vers les cieux le matin prennent un libre essor,

– Qui plane sur la vie, et comprend sans effort

Le langage des fleurs et des choses muettes !

(Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, « Élévation », 1857)

 

Les candidats qui ont noté en passant la trace du lyrisme césairien, le caractère étonnamment poétique de ce qui se présentait comme une définition, ont vu que Césaire dépassait là le cadre logique d’une définition ratiocinante pour lancer une pensée fulgurante qui reste en ce qu’elle fait penser, pour lancer une pensée instable peut-être mais qui oblige son lecteur à risquer une interprétation. Des candidats ont su ne pas s’offusquer des grands thèmes : le mot, l’image, le mythe, l’amour et l’humour pour prendre parti à leur manière pour ou contre le programme poétique de Césaire en étayant par des exemples précis leur prise de position : la citation permettait, l’importance des conclusions qu’elle impliquait, sa volubilité même, volontiers provocatrice, exigeait cette liberté de jugement.

 

il n’est parole que de sursaut.

Briser la boue.

Briser.

 

Dire d’un délire alliant toujours l’univers tout entier

à la surrection d’un rocher !

(A. Césaire, « Configurations. 3 », 1989)

 

Il est temps d’en venir à ces grands thèmes, dont il est d’ailleurs notable que Césaire les a, apparemment, relégués au rang, au rôle de moyens. Mais l’abondance de ces cinq termes n’exprimait pas de désinvolture irrévérencieuse : Césaire relevait par eux la richesse foisonnante des procédés littéraires fondamentaux, bien plus essentiels que les questions de technique poétique. La poésie, conquérant des domaines nouveaux, hors de la conscience et hors de l’homme, doit faire feu de tout bois et les cinq termes proposés ici les uns après les autres ont une cohérence qu’il fallait éprouver. Le chiffre 5[3], la coordination fréquente de mot et image, les sons de deux homéotéleutes eux aussi souvent rapprochés (amour, humour) autorisait des regroupements (2+3 ou 3+2 ?) auquel il importait de donner sens. Rappelons le bon mot faussement trivial de Jean-Luc Godard :

 

Mot et image, c’est comme chaise et table : si vous voulez vous mettre à table, vous avez besoin des deux.

 

Les cinq termes n’étaient-ils pas tout à fait hétérogènes ? Quoi de commun entre une certaine unité minimale du langage, une figure de style, un type de récit, un thème de la littérature, un sentiment à la base du registre comique ? Mieux : entre cette unité de langue entre toutes choyée des poètes, cette figure stylistique censée caractériser le langage poétique, ce récit fondateur aux origines des premières attextations poétiques, le plus grand thème de la poésie lyrique – si ce n’est là une redondance – et enfin ce sentiment jouant du détachement et sous l’égide duquel nous pouvons placer tous les jeux formels de la poésie ? Savoir s’il suffisait qu’une œuvre poétique illustre une seul de ces termes, si le cumul était possible ou exigé, n’avait rien de prioritaire ni, en fin de compte, d’intéressant.

 

Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas, cessent d’être perçus contradictoirement. Or c’est en vain qu’on chercherait à l’activité surréaliste un autre mobile que l’espoir de détermination de ce point.

(André Breton, Second manifeste du surréalisme, 1930)

 

Le mot représentait le langage à l’état pur, naturel pourrait-on dire, débarrassé des scories dues aux habitudes de parole et de pensée, mais muni de toutes les associations d’idées qu’il suscite chez qui l’utilise. Le mot emporte avec lui et les choses signifiées et les choses cachées. La simplicité de ce monosyllabe montre sa communion avec le monde : le mot est une clef de lecture du monde parce qu’il en est une émanation. La première place attribuée au mot dans la citation n’était pas fortuite et montrait l’homme seul au monde doué de parole, la parole poétique étant cette parole en même temps la plus large de rayonnement et la plus profonde d’extraction. La citation donnée, manière d’aphorisme à la Lautréamont, illustrait d’ailleurs cette double qualité.

 

Des mots ! quand nous manions des quartiers de ce monde, quand nous épousons des continents en délire, quand nous forçons de fumantes portes, des mots ! ah oui, des mots, mais des mots de sang frais, des mots qui sont des raz-de-marée et des érésipèles et des paludismes, et des laves, et des feux de brousse, et des flambées de chair, et des flambées de villes...

(A. Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, 1939)

 

Quand un poète parle du mot, il met en jeu toutes les assonances et allitérations, la question du choix des mots. Le nègre fondamental illustrera ces jeux : et le sillage sali sonore de l’idée (Ferrements, « Séisme », 1960) ou encore le temps n’était pas un gringo gringalet (Moi, laminaire, « Rabordaille », 1982) ; amour variés et occurrences fréquentes d’atoll, canéfices, lasso, pouacre, silex, torpeur… Le nègre inconsolé exhume plus souvent qu’à son tour mots rares, précieux ou anciens en un abécédaire ébouriffant : allèle, baliste, caïeu, davier, élytre, facule, gerce, hispite, involucre, lambruche, macle, nixe, ordalie, parfiler, rhombe, saburre, touaou, vitelline… Césaire, en qui on a vu aussi un homme à la recherche d’une patrie, a puisé dans le créole macouba, poteau mitan et autres gagaires ; il a trouvé aussi la ressource du néologisme : plakata onomatopéique, l’improbable verbe flébiler, et bien sûr verrition, dernier mot du Cahier.

 

parmi moi

de moi-même à moi-même

hors toute constellation

en mes mains serré seulement

le rare hoquet d’un ultime spasme délirant

vibre mot

(A. Césaire, Corps perdu, « Mot », 1949)

 

L’image, trace d’un surréalisme bien assimilé, ne vient qu’en deuxième lieu. Que nous apprend en effet l’image qui nous fasse comprendre qu’elle vienne après le mot ? L’image nous apprend qu’un mot lambda n’est pas, peut n’être pas le mot lambda s’il est pris poétiquement. Le mot échappe ainsi, dans son usage imagé, aux puissances logiques de la raison raisonnante – que Césaire appelle jugement : il relève de l’imagination et dit le monde. L’image, c’est la façon dont chaque mot pris en un sens précis va germiner avec d’autres signes par parenté ou affinité. Elle indique, comme fait le signe, l’objet qu’elle dépeint et elle le représente, à l’instar du symbole. L’image dépasse le stérile principe d’identité ; elle dépasse même les oppositions statiques. L’image est dialectique et novatrice. Le mot comparé n’est pas exactement le mot comparant, n’est même plus le comparé, les mots prennent des sens variés, et ces sens varient. La poésie peut réactiver les métonymies utilisées couramment en discours et comme inscrites dans la langue. Car il existe une vérité de l’ancien : Césaire rend hommage au vieux fond de sagesse ancestrale déposé dans les mythes – main tendue du poète humaniste aux préclassiques. L’image aurait pu représenter, à la différence de la copie, une fin en soi puisque le lecteur peut la défricher, la déchiffrer. Mais la lecture qu’elle impose plonge ses racines dans le passé mythique.

 

Soyez indulgents quand vous nous comparez

À ceux qui furent la perfection de l’ordre

Nous qui quêtons partout l’aventure

 

Nous ne sommes pas vos ennemis

Nous voulons nous donner de vastes et d’étranges domaines

Où le mystère en fleurs s’offre à qui veut le cueillir

Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues

Mille phantasmes impondérables

Auxquels il faut donner de la réalité

(Guillaume Apollinaire, Calligrammes, « La jolie rousse », 1918)

 

Le mythe a part à la vérité parce que, traduisant les origines en un récit, il met finalement le récit avant toute connaissance scientifique. Quel est ce moyen d’expression, exactement ? Peut-on y voir une marque de poésie, ce dont quelques copies ont su douter. Peut-être Césaire ne désigne-t-il là qu’un réservoir d’inspiration vieux comme le monde, ayant fait ses preuves. Une telle mention des origines perçues de façon floue et émotionnelle, le fait de nommer même un type de récit particulier peut étonner ; c’est en tous les cas la principale concession de Césaire aux partisans du passé. En comblant de ses images et de ses mots les zones d’ombre du savoir humain, le mythe se montrait grand amateur d’images, en son temps originales. Le mythe, irréductible à ses interprétations convenues, ne saurait vieillir parce que ses réinterprétations déformées, même si elles ne disent plus rien du monde, expriment les sentiments des hommes dans la mesure même où elles décrivent moins l’ordre du monde.

 

Des siècles viendront où l’Océan fera sauter les liens grâce auxquels il nous entoure. Un pays infini s’ouvrira. Le pilote découvrira de nouveaux pays et Thulé ne sera plus la dernière terre.[4]

(Sénèque, Médée, v. 375-379)

 

Pouvait-on aller jusqu’à voir dans les mythes des vecteurs d’un inconscient collectif, pourtant lourd d’idéologie ? Les moins nuancés des partisans de la créolité y verraient un fantasme de l’Europe ethnocentrique raciste, une vision fixiste de l’univers : ces terres étaient minées… Il ne fait aucun doute, en tous les cas, que, à refuser le mythe, le fondement même de la négritude se trouve mis en doute : l’Antillais peut-il se plonger dans un inconscient africain préservé ? Cette plongée fait-elle bien toute leur part aux blessures de l’esclavage et du viol colonial ? Revient-elle donc à une rêverie de poète qui occulte la violence du monde ?

 

De noble il n’est plus noble, et en un seul moment

L’homme des hommes roy n’est homme seulement ;

Son palais est le souil d’une puante boue,

La fange est l’oreiller parfumé pour sa joue ;

Ses chantres, les crapaux, compagnons de son lict,

Qui de cris enrouez le tourmentent la nuict ;

Ses vaisseaux d’or ouvrez furent les ordes fentes

Des rochers serpenteux, son vin les eaux puantes…

(Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques, « VI. Vengeances », 1616)

 

Aussi ce troisième terme après le mot et l’image servait-il de charnière entre une forme poétique, fût-elle celle d’un récit, et un sentiment. Tout dans la citation invitait à entendre amour en un sens large : amour de la vie, de la nature et de tout l’univers, amour du pays natal. Amour des êtres aussi, et de l’être aimé, à condition de ne pas réduire la poésie à la veine amoureuse ou, pis, érotique ; Césaire, ailleurs dans « Poésie et connaissance », n’évoque-t-il pas toutes les femmes aimées ? Jacques Roubaud n’a eu de cesse de réhabiliter le lien entre amour et poésie passablement déprécié par un certain modernisme abstrait. Ce sentiment ne fait d’ailleurs qu’exprimer l’être au monde de l’homme tourné vers la contemplation du présent, passé le temps du mythe explicatif. L’amour constitue ce mouvement qui pousse l’homme aux choses, aux autres, singulièrement au poème.

 

Enfin, ô bonheur, ô raison, j’écartai du ciel l’azur, qui est du noir, et je vécus, étincelle d’or de la lumière nature.

(A. Rimbaud, Une saison en enfer, « Délires. II », 1873)

 

L’homme qui aime veut tout ressentir ; mieux : en vivant, il ressent tout. Et son appétit est tel qu’il ne peut qu’aimer ce tout qu’il ressent. La folie guette, dira-t-on, celui qui se prend à écouter tous ses désirs, y compris les plus refoulés ? Quand cet amour se porte avec compassion vers les morts, alors, oui, la folie pourrait venir :

 

les combinaisons les plus variées nous ramènent toujours

à la version d’un venin de feu ou même

à la vermine des métaux

l’avenir étant toujours scellé aux armes de la rouille

et du cachet des cendres

le décompte des décombres n’est jamais terminé.

(A. Césaire, Moi, laminaire, « version venin », 1982)

 

Heureusement, le corollaire de cet amour universel, c’est l’humour et pas seulement pour le plaisir de la paronymie. Non, Césaire n’est pas un essayiste plat ni trop sérieux. Et la surprise de ce cinquième terme est voulue, qui finit sans clore l’énumération énorme qui tournait à la mauvaise dissertation. Voici que le lecteur ne sait plus à quoi s’en tenir. Pourtant, l’humour est là qui finit ce que l’amour commence.

 

Les gémissements poétiques de ce siècle ne sont que des sophismes.

Si vous êtes malheureux, il ne faut pas le dire au lecteur. Gardez cela pour vous.

(Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, Poésies. I, 1870)

Dans le malheur, les amis augmentent.

Si la morale de Cléopâtre eût été moins courte, la face de la terre aurait changé. Son nez n’en serait pas devenu plus long.

(Lautréamont, Poésies. II, 1870)

 

L’humour, c’est le jeu verbal – encore le mot – qui permet d’aimer ce qui ne se laisse pas aimer, c’est la conjuration des peurs de l’inconnu et la synthèse qui se sait hâtive mais légère. C’est la possibilité de l’image, contre la mathématique. C’est l’esprit content de ne pas savoir encore ou de savoir déjà, jamais content en tous les cas du savoir pur et dur. L’humour, c’est se déprendre de soi pour briller en sincérité aveugle. Était la bienvenue toute allusion à l’Anthologie de l’humour noir réunie et préfacée par Breton (1939), à condition de n’y pas voir de l’humour nègre mais – mixture de Léon Pierre-Quint et de Freud – la révolte supérieure de l’esprit contre la dépense nécessitée par la douleur.

 


Que l’on est heureux quand on rêve !…

Sans dormir, rêver c’est charmant.

En moins d’une heure, ainsi j’achève

Le plus agréable roman.

Je me crée un monde à ma guise,

Tous les meilleurs lots sont pour moi,

Aussi jamais je ne m’avise

De me choisir celui de roi.

 

Dans ma retraite solitaire,

Peu soucieux de l’avenir,

Je me repais de ma chimère

En y mêlant un souvenir ;

Rêves si frais d’une jeunesse

Que le malheur n’a pu flétrir,

Venez égayer ma vieillesse :

On est vieux quand on va mourir.


(Pierre-François Lacenaire, « Rêves d’un condamné à mort », 1836

 

Peu de copies se sont efforcées, et c’est dommage, de distinguer humour et comique. Ces deux forces libératrices n’ont pas même part au sublime : le comique reste avec l’esprit à un niveau somme toute trivial ; l’humour s’élève au-dessus du simple plaisir intellectuel. Son origine anglaise aurait dû permettre de le distinguer fermement de la gauloiserie.

 

Lors y perdit râbles et cropions

Maistre levrault, quand chascun si efforce.

Sel et vinaigre, ainsi que scorpions,

Le poursuivoyent, dont en eurent l’estorce ;

Car l’inventoire

D’un defensoire

En la chaleur,

Ce n’est que à boire

Droict et net, voire

Et du meilleur.

(François Rabelais, Pantagruel, chap. XXVII, 1532)

 

Au terme de ce parcours des cinq termes, faut-il préciser que, quelle que soit la cohérence, la cohésion donnée par le candidat à ces termes, pourvu qu’elle procède d’une réflexion claire et féconde, les correcteurs l’ont considérée comme la base possible d’une bonne composition. Il fallait discerner ce qui réunissait, voire unifiait, tous les compléments circonstanciels de moyen mis au service de la démarche poétique. Ce discernement exigeait prudence et sagacité, réflexion et imagination. Breton a le mot qu’il faut pour lever toute crainte d’écrire :

 

Ce n’est pas la crainte de la folie qui nous forcera à laisser en berne le drapeau de l’imagination.

(A. Breton, Premier manifeste du surréalisme, 1920)

 

Sur quoi débouchent ces moyens poétiques variés ? Sur la fonction attribuée à la poésie par Césaire : installer l’homme au cœur vivant de soi-même et du monde. C’est ici que Césaire, qui emploie aussi bien comme synonymes de monde les termes de cosmos et d’univers, laisse présager la géopoétique de la Caraïbe de son disciple Daniel Maximin (sous-titre des Fruits du cyclone, 2006) ou la géopoétique tout court, mot dont on sait qu’il fut inventé par Kenneth White vers 1978. La poétique la plus intime provient d’un contact personnel avec la terre, d’une tentative pour lire – et préserver – les lignes du monde.

 


la beauté est partout

                              même

           sur le sol le plus dur

                   le plus rebelle

        la beauté est partout

               au détour d’une rue

                              dans les yeux

                       sur les lèvres

                          d’un inconnu

           dans les lieux les plus vides

                       où l’espoir n’a pas de place

               où seule la mort

                              invite le cœur


 

(Kenneth White, Le Grand rivage, 1980)

 

Car l’installation dont il s’agit ne revient à placer l’homme dans une confortable situation de sédentaire arrivé. L’installation la plus accomplie sera au contraire le voyage, ce métissage des cultures et cette façon de remonter le temps pour mieux comprendre le vivant :

 

je suis d’une tribu aux archives conservées par le vent

et aux mythologies incrustées de lichens

 

tapis roulant

traversé de frontières

qui jamais ne lui ont appartenu

sous le flot des arrêtés-en-conseil

je suis d’un peuple ayant vu sa géographie

se dérober sous ses mocassins

pour le soulager de sa propre errance

je suis d’un peuple dont on a arraché

tous les muguets sauvages

pour le soulager de sa liberté

(Jean Morisset, « géographies géographies », 1990)[5]

 

Césaire dans son usage d’installer n’était-il pas d’ailleurs dépassé par l’interprétation post-moderne qu’on pouvait donner de ce verbe ? Le je de la citation désigne certes l’auteur, poète de profession, mais peut placer le lecteur-auditeur, s’il en vient à désigner ce dernier, au centre de la démarche poétique, ce qui nécessite non seulement de mobiliser les cinq ressources artistiques évoquées mais aussi de repenser le rapport du public à l’œuvre et de l’œuvre au monde. En poésie collaborent de l’aveu de Césaire sens et intellect, corps et âme, ce qui, prenant à rebours toute une tradition intellectualiste de la littérature, permet à l’être de vivre à l’unisson du monde, n’en déplaise à Bélise.

 

Le corps avec l’esprit fait figure, mon frère ;

Mais si vous en croyez tout le monde savant,

L’esprit doit sur le corps prendre le pas devant ;

Et notre plus grand soin, notre première instance,

Doit être à le nourrir du suc de la science.

(Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, Les Femmes savantes, acte II, sc. 7, 1672)

 

Rien n’interdisait de critiquer pourtant, dans la première personne de la citation, l’égocentrisme – souvent dénoncé[6] – de Césaire, qui prend parfois des accents médéens :

 

C’est moi, oh ! rien que moi

qui m’assure au chalumeau

les premières gouttes de lait virginal !

[…]

vous

ô vous qui vous bouchez les oreilles

c’est à vous, c’est pour vous que je parle, pour vous qui écartèlerez demain jusqu’aux larmes la paix paissante de vos sourires

(A. Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, 1939)

 

Sur la base de cette analyse serrée des termes du sujet, la discussion de la citation avait tout loisir de développer tel ou tel point. Qui se demandera en quoi cette phrase définit en propre la poésie et en quoi cette phrase plutôt qu’une autre – tant Césaire s’est plu à redéfinir au long de sa vie la poésie (titre de son anthologie de 2000). Qui examinera si les premières places réservées au mot et à l’image ne sont pas des gages donnés à l’aspect formel que revendiquent nombre d’écritures poétiques (des rhétoriqueurs à l’Oulipo) et que Césaire fait servir à d’autres fins dans une phrase dont la concision laisse peu de place à la discussion. Qui prendra au mot Césaire et sa démarche en lui demandant à quoi juger ses fruits si ce ne sont donc de vulgaires œuvres du genre poétique, et comment juger de leur réussite si la poésie n’est plus un art. Ce n’était pas faire outrage à la phrase de Césaire que d’en relever les courants d’air et les failles ; c’était au contraire rendre compte d’une de ses dimensions fondamentales : sa portée polémique.

Mystérieuse poésie, qui est par définition :

 

cette force qui au tout-fait, au tout-trouvé de l’existence et de l’individu, oppose le tout à faire de la vie et de la personne ; ou bien encore […]

(A. Césaire, Tropiques, n° 8-9, octobre 1943)

une manière de tout dire en ayant l’air de ne rien dire

(A. Césaire, R.F.O. Martinique, 1985)

la plongée dans la vérité de l’être

(A. Césaire, Courrier de l’Unesco, « Le poète, le mot, la poésie, les valeurs », mai 1997)

 

Notons, en dernier lieu pour que cela reste dans les esprits, que le jury salue avec une particulière satisfaction le relèvement du niveau orthographique des copies et des efforts en matière d’accentuation ainsi que de ponctuation. Connaître parfaitement la graphie des mots qu’il emploie semble le premier devoir du candidat au CAPES. Le deuxième point fondamental jugé est la connaissance de la forme qu’il convient de donner à sa copie ; se rencontrent encore de prétendues dissertations informes sans introduction, développement ni conclusion apparents. Si le raisonnement et notamment sa progression logique ont permis à bon nombre de copies de pallier les défauts d’un plan inattentif à quelque élément du sujet, en revanche ce sont les exemples qui ont péché cette année.

 

Messieurs, quand je regarde avec exactitude

L’inconstance du monde et sa vicissitude ;

Lorsque je vois, parmi tant d’hommes différents,

Pas une étoile fixe, et tant d’astres errants ;

Quand je vois les Césars, quand je vois leur fortune ;

Quand je vois le Soleil, et quand je vois la Lune ;

Quand je vois les États des Babiboniens

Transférés des Serpans aux Nacédoniens ;

Quand je vois les Lorrains, de l’état dépotique,

Passer au démocrite, et puis au monarchique ;

Quand je vois le Japon...

(Jean Racine, Les Plaideurs, acte III, sc. 3, 1668)

 

La longueur des énumérations ne fait pas la véritable culture, c’est un fait. Or tout candidat au CAPES doit mobiliser lors du concours sa propre culture et sa culture littéraire, exemples étant pris notamment dans la littérature française, en variant les siècles et, le cas échéant, les genres (ici, c’était diverses formes poétiques auxquelles il s’agissait de recourir). Utiliser l’exemple d’un ouvrage littéraire vraiment lu et présent à l’esprit, même si ce n’est pas un classique de la littérature, vaudra toujours mieux que de répéter de savantes banalités sur un chef-d’œuvre manifestement non maîtrisé. L’année de préparation au concours laisse encore au candidat, nous l’espérons, quelque temps pour accroître sa culture littéraire ou pour la ramener bien toute à son esprit. Il est inadmissible que deux copies mentionnent dans le même ordre les mêmes exemples. Or, cette année, les copies furent nombreuses à faire défiler exactement les mêmes auteurs, mentionnant les mêmes œuvres et citant les mêmes poèmes. Citer est une bonne chose, d’autant plus méritoire s’il s’agit de retranscrire sans erreur le sonnet en -yx de Mallarmé[7]. Le crédit que l’on accorde à un préparateur particulièrement brillant, l’admiration même qu’on peut lui vouer ne sauraient justifier que le candidat se satisfasse de répéter un de ses cours dans une composition française.

Mais finissons plutôt par le grand rire sarcastique de Césaire bien au-dessus de nos commentaires et de notre dissertation si peu modèle, finissons par une vision prophétique de ce poète, qui a de quoi rassurer tous les candidats à tous les concours du monde :

 

Dans ce climat de feu et de fureur qu’est le climat poétique, les monnaies cessent de valoir, les tribunaux cessent de juger, les juges de condamner, les jurys d’acquitter.

(Aimé Césaire, « Poésie et connaissance », art. cité)

 



[1] L’article « Poésie et connaissance » étant difficile d’accès, on pourra consulter la réédition du numéro 12 de Tropiques (janvier 1945) dans le recueil en fac-similé de la collection complète de cette revue (Aimé Césaire, Tropiques. 1941-1945, éditions Jean-Michel Place, 1978 puis 1994).

[2] La question de l’acceptabilité d’exemples pris au théâtre non versifié ne s’est heureusement pas posée. Césaire a pratiqué le théâtre, en vers libres dans son oratorio Et les chiens se taisaient (dont la version scénique date de 1956) qui parut dès 1946 dans Les Armes miraculeuses puis mêlant prose et vers libres dans La Tragédie du roi Christophe (1963), Une saison au Congo (1966) , Une tempête (1969)... N’est-il à véritablement parler prosateur que dans ces essais ? Il faut savoir lors d’un concours ne pas susciter davantage de questions que nécessaire.

[3] Peut-être n’est-il pas superflu de rappeler ici que les plans en deux, trois voire quatre parties sont admis, non point ceux en cinq points… La citation de cette année, pour être courte, n’en ressemblait pas moins à ces longues citations qui exigent du commentateur qu’il déploie toutes les qualités de son esprit de synthèse. Il fallait constamment garder un regard d’ensemble sur la citation, le risque étant d’insister plus que de raison sur un élément particulier de la phrase.

[4] Venient annis sæcula seris, / quibus Oceanus vincula rerum /laxet et ingens pateat tellus / Tethysque novos detegat orbes / nec sit terris ultima Thule – soit le chœur dans la traduction de Césaire en personne.

[5] Le mot peuple sera écrit peupole dans L’Homme de glace en 1995.

[6] Raphaël Confiant parle ainsi d’« hypertrophie de l’ego » dans son réquisitoire Aimé Césaire. Une traversée paradoxale du siècle (1993).

[7] D’ailleurs improprement désigné au singulier : le « sonnet allégorique de lui-même » de 1868 resta inédit et Mallarmé le modifia pour l’édition de ses poésies de 1887.