RAPPORT
SUR L’ÉPREUVE
DE
GRAMMAIRE ET STYLISTIQUE
DU
CAPESA 2002
établi par M. Romain VAISSERMANN
Cette année, le jury
voudrait épingler quelques erreurs trop communément commises par les candidats
mais aussi proposer une copie idéale issue des meilleures réponses rencontrées
au cours de la correction, et ce afin de ne pas s’emporter en des récriminations
aussi éloquentes que vaines.
Voici les points sans
lesquels à notre avis une copie n’a que très peu de chances de passer la barre
de l’admissibilité. La partie intitulée « vocabulaire » ne doit
souffrir aucune impasse ; il faut bel et bien expliquer les mots donnés,
et les deux. L’étymologie des mots en question n’est pas exigée si elle est
douteuse, et le candidat ne l’écrira que s’il en est sûr : les
explications fantaisistes ne servent qu’à couvrir de ridicule un manque de
savoir. La partie morphosyntaxique, si elle peut servir au commentaire
stylistique, n’en deviendra pas une annexe ; les considérations de style
n’y auront place qu’en dernier mot, si l’on veut, et n’occulteront donc pas les
analyses proprement morphologiques et syntaxiques. Insistons enfin sur
l’impératif qu’il y a pour les candidats à rédiger le commentaire final :
en cas de manque de temps, en rédiger ne serait-ce qu’une partie s’avérerait
plus judicieux que de jeter sur le papier un plan, désinvolture très peu
rentable en points. Déplorons enfin que de nombreuses copies se montrent
attentives dans le détail au premier texte et plus qu’évasives sur le second,
manque d’une bonne gestion du temps apparemment ; ce déséquilibre entre
les prestations ruine les chances de candidats dont le jury ne peut que
pressentir les qualités en les notant sévèrement ; hélas, les copies, si
elles utilisent mal le temps qui leur est imparti lors du concours – défaut de
mauvais augure pour leur futur métier d’enseignant –, sont en moyenne davantage
capables du pire (pour le texte sacrifié) que du meilleur (pour le texte élu).
Mais passons aux questions
posées cette année.
*
Le texte de Malherbe
(1555-1628), choisi dans une édition proche de notre orthographe et de notre
ponctuation de façon à ne pas dérouter le candidat, est l’une des vingt-quatre
poésies posthumes ajoutées dans les Œuvres
de François de Malherbe de 1630. S’appuyant sur la strophe IV (voyant en
« un Dieu » le Roi, et non une divinité à l’instar Raymond Baustert
dans L’Univers moral de Malherbe) et
suivant René Fromilhague et Raymond Lebègue qui estimaient la pièce de
mars-avril 1610, Antoine Adam pense que cette chanson concerne l’amour
d’Alcandre (alias Henri IV) pour
Oranthe (Charlotte de Montmorency, princesse de Condé) – cette passion forcenée
si décriée de son temps et par les moralistes – et qu’elle appartient donc au
cycle des poèmes écrites pour Henri IV (septembre 1605 - mai 1610), mais il
reste dérouté par le vers 25… que, pour notre part, nous attribuons à
« l’espérance » comme simple métaphore. Ces points d’érudition
littéraire n’étaient bien sûr pas nécessaires pour s’acquitter de l’exercice de
langue française proposé aux candidats.
Disgrâce provient d’une préfixation française datée du XVIe siècle
par imitation de l’italien disgrazia
à partir du mot-racine grâce lui-même
issu (au XIe s.) du latin gratia,
« faveur ». Le sens du préfixe dis-,
par opposition à la simple négation de l’ingrat,
introduit le sème de discordance que révèle l’analyse sémantique. La famille du
mot s’enrichit de disgracier / disgracié
(au cours du XVIe s.) et de disgracieux
/ disgracieusement (à la fin du même siècle). Gracieuseté n’avait donc pas de pendant négatif outre ingratitude. Remarquons que l’accent
circonflexe, explicable par l’analogie avec grâce,
n’apparaît que dans disgrâce. Le sens
1 d’événement malheureux (présent dans les deux tours classiques « pour
comble de disgrâce / le comble des disgrâces ») fait de déchéance et – encore plus simplement -
de malheur des quasi-synonymes de disgrâce (rarement spécialisé dans
l’échec d’une œuvre auprès du public). À force de malheurs, la disgrâce
provoque – sens 2 – cette perte des
bonnes faveurs de qui dépend celui sur qui le sort s’acharne : la
« disgrâce du Prince » ou celle « de Dieu » (génitifs
objectifs) spécialisent encore le mot dans le domaine politique (la destitution menace le disgracié) et
religieux (la damnation fait de
même). De cette défaveur, de ce discrédit (autres quasi-synonymes) résulte –
sens 3 – un état de détresse physique
(difformité que la « disgrâce de
nature ») ou morale (dépression
psycho-politique que la « disgrâce de Fouquet », avec un génitif
subjectif). Les expressions en ce sens sont nombreuses : l’on peut
« tomber en disgrâce », même si l’on redoute d’« être en
disgrâce ». Et si quelqu’un « met » quelqu’un d’autre en
disgrâce, c’est qu’il « prononce » cette disgrâce haut et fort, libre
au disgracié de se plaindre comme dans les Fourberies
de Scapin : « Quelle disgrâce ! » C’étaient donc les
sens 2 (dans sa nuance plus politique que religieux) et 3 (avec nuance morale
et non physique) qui expliquaient, avec la préposition en attendue, l’emploi du mot par Malherbe, galant par
métaphore : un pouvoir politique – et rappelons que c’est Henri IV qui est
supposé utiliser ce poème ! – symbolisant l’emprise de l’aimée.
Résous, P1 du présent de l’indicatif de résoudre,
provient pour sa part directement du latin resolvere,
plus expressif que solvere par ce
préfixe ajoutant la précision « en arrière » au sens de
« délier » (lui-même rendu plus expressif que luo - « délier » également - par le préfixe se-, « loin de »). Pouvaient
appuyer les considérations étymologiques la riche famille dérivationnelle de soudre et de résoudre en particulier. Résolu
(de, que et contre ou bien
absolument), résolution (prise chez
Malherbe aux sens de « dissolution » et de « décision »), résolument (mais aussi résoluble, résolutif ou résolvant en
médecine et résolutoire en droit) se
joignaient naturellement à ce résous qu’il
fallait bien distinguer de l’ancien participe passé passif de résoudre, homographe (XIIe
s.). Il fallait ensuite partir de la construction réfléchie (c’est le cas de le
dire) et de l’usage de la préposition de, ici suivie d’infinitif pour dégager le
sens du mot en contexte : les
sens successifs arriver à une certitude
sur quelque chose, se décider à faire
cette chose, prendre son parti d’elle
et se consoler d’elle ne
rendaient-ils pas compte, mobilisés tour à tour, des diverses parties du
poème ? Constatation qui éloignait de fait les autres acceptions
historiques. La forme transitive, avant d’être concurrencée par le très
critiquable et laxiste solutionner, a
signifié depuis le XVIe siècle « dissoudre » au propre et
au figuré, comme chez Malherbe ; la forme réfléchie a fourni d’autres sens
dérivés les uns des autres à la même époque : « se rejoindre »,
« s’unir », « s’ébattre ».
Avec Marc Wilmet,
définissons respectivement la première personne (qu’on pouvait convenir
d’appeler P1 ou « personne présente locutive ») et la deuxième
personne (ou P2 ou « personne présente allocutive » – présupposant la
P1), comme personnes qui « parle elle-même d’elle-même » et « à
qui l’on parle d’elle-même », plutôt que comme personnes « qui
parle » et « à qui l’on parle » dans le cadre d’une
interlocution. Entendons par ce mot de personne,
ni être humain ni même être animé, mais une instance grammaticale. Comprenons enfin les ordinaux comme désignant
exclusivement les personnes 1 et 2 (le poème ne comporte d’ailleurs nul emploi
des P4 et P5) : il faut savoir au niveau du CAPESA se départir des
formules trompeuses de « première et deuxième personnes du pluriel »,
même si elles restent d’un usage courant. Voici le relevé complet des formes
dès lors concernées :
- comme pronoms,
- des pronoms personnels essentiels, quatorze
formes, à savoir « je / j’ / tu » où se remarque une élision (v.
9,18,19,32 ; 10,26 ; 31) et « me / m’ / t’ »
(4,27,28,31 ; 3,14 ; 29), formes atones au régime direct ou indirect
opposées aux toniques « moi / toi » en usage prépositionnel (9 ;
28),
- un seul
pronom quantifiant-caractérisant personnel[1],
« la mienne » (22), significativement placé entre le substantif qu’il
reprend (21) et le pronom personnel qui va le reprendre à son tour (23) ;
- comme déterminants,
- des
déterminants quantifiants-caractérisants personnels[2],
quatre formes, à savoir « tes » (2), « ma » (7,11) et
« mon » (16, utilisé devant l’initiale vocalique du mot
« amour » féminin et où il aurait pu y avoir élision en m’amour), qui renseignent beaucoup sur
le « possédé » mais peu sur le possesseur,
- aucun
déterminant caractérisant personnel[3].
Il ne fallait pas oublier
comme susceptible d’exprimer la notion de « personne » la désinence
verbale, en quoi l’on peut même voir la deuxième partie d’un élément
« personnel » discontinu contenant déjà le sujet grammatical du
verbe : /je…e/ (9,18,19,32), /j’ai/ (10,26), /tu…es/ (31), par différence
avec les formes synthétiques de l’impératif /sor-s/ avec un morphème personnel
et /va/ sans un tel morphème (29). Aux confins de notre sujet, la forme au
masculin « trompé » (17), les apostrophes « folle
espérance » (1) et « importune peste » (25) renseignaient bien
sûr sur l’identité des deux personnes.
Pour se départir de quelques affirmations péremptoires injustes comme
celles de Ménage (Malherbe « n’estoit ni tendre ni passionné ») ou de
Joseph Viney (« Comme poète amoureux, il ne compte guère »), donnons
quelques analyses de la versification du texte. La strophe du quatrain, unité
typographique, se laissait le plus souvent diviser en deux distiques séparés
par une ponctuation forte ou une coordination (sauf aux quatrains 1, 3 et 6 qui
unissent un vers singleton à un tercet). Les rimes croisées a’ba’b, c’dc’d… étaient :
riche-suffisante (Q 1 et 6), riche-pauvre avec assonances supplémentaires (Q 2
et 7), suffisantes (Q 3 et 4), riche-dissyllabique (Q 5), riches avec assonance
supplémentaire en [i] (Q 8). L’octosyllabe, que Malherbe aime autant que
l’heptasyllabe, se prêtait à des analyses métriques. Car des discordances
expressives contestaient le rythme 4/4, majoritaire : les dissymétries 3/5
(v. 10,25) et 5/3 (v. 2,31-32), 2/6 (v. 20) et 6/2 (v. 28). Double cette
construction versificatoire une construction argumentative. Celle-ci mène de la
situation initiale d’impatience et de doute (Q 1) sans nul secours
d’objectivité (Q 2), d’une interrogation première vivace, à un impératif non
moins vif, à une résolution finale signifiant un congé (Q 7) redoublé (Q 8) et
réalisé dans le blanc qui clôt le texte. Les quatrains centraux, charnières du
texte, se comprennent dès lors comme un énoncé faussement conclusif (Q 3)
donnant lieu à une recherche de la cause (Q 4) déterminant elle-même une
conséquence personnelle à la fois intime (Q 5) et imagée (Q 6). Le mouvement de
notre poème, de l’espérance au suicide (cf.
« Il plaint la captivité de sa maîtresse »), est donc l’inverse de
celui de « Pour Alcandre », où toute idée funèbre disparaît in fine (v. 67-78).
L’époque, italianisante et surtout pétrarquisante, expliquait les
images et le vocabulaire amoureux que notre texte utilise, loin de la veine
gauloise : la maladie et la santé (1,11,18-19,25,30), la blessure et le
feu (15-16), la vie et la mort (4,6,7,21,31-32) servent à redire la passion à
cette espérance qui court le texte, de plus en plus mise à mal (pour son champ
lexical, voir les vers 1-2,12,17,20,26). Malherbe enfin joue avec les mots pour
leur donner ce lustre poétique dont il se vantait (« Ce que Malherbe écrit
dure éternellement. ») et grâce auquel notre texte parvient à échapper aux
allures nobles et compassées de la poésie d’apparat : la variation
proportionnelle dans les comparaisons quantitatives des quatrains 6 et 8 tantôt
saura ciseler une image paradoxale tantôt invitera à une lecture verticale des
strophes ; le poème se prête à la lecture moderne suivant laquelle un
poème parle de sa propre écriture (relire en ce sens figuré « les
règles » du mètre, le « plaindre » lyrique, le « soupirer »
des pauses rythmiques…). Et puis savons-nous comment cette
« chanson » désespérée peut s’entendre interpréter ? Les
oppositions « délivrance » vs
« trépas », « remède » vs
« ne point espérer » constituent autant de discordances
mélodramatiques qui, pour refuser, se terminant en fin c’est-à-dire en mort, de dédier leur envoi à Dieu, n’en retombent pas moins entre
nos mains. Il est donc faux de prétendre avec Théophile de Viau :
« Imite qui voudra les merveilles d’autrui,
Malherbe a très bien fait, mais il a fait pour lui ».
*
Le texte de Péguy
(1873-1914) appartient à une œuvre posthume mais de jeunesse, restée inachevée
en 1899 et probablement commencée en 1898 : Pierre, sous-titré Commencement
d’une vie bourgeoise selon un vocabulaire socialiste qu’affectionnait
l’auteur, ce dernier signant l’œuvre « Pierre Baudouin » parce que
Charles Pierre Péguy aimait à user de
son second prénom et à prendre le nom de son épouse Charlotte Baudouin. Le titre faisait de
l’autobiographie en question non seulement un roman des commencements mais
aussi une critique ironique de l’éducation reçue par l’auteur. Dans cette
œuvre, redécouverte grâce à la récente édition par Robert Burac des Œuvres en prose complètes de Péguy,
l’épisode de la mort du père suit immédiatement le récit des histoires contées
par la grand-mère et de la propre vie de cette dernière.
Atteintes, déverbal féminin, et non plus participe passé, d’atteindre (du latin populaire attangere,
non du composé classique de tangere,
« toucher », à savoir attingere)
est de formation française et ancienne (XIIIe s.). Au singulier, le
mot a successivement exprimé la
possibilité de toucher – ainsi dans l’expression « hors de toute
atteinte » (comme l’on dit « hors de portée ») –, puis l’action
de toucher quelqu’un ou quelque chose (au figuré, « l’atteinte de
l’ennui » est bien son contact),
puis un coup qui fait souffrir. Le
pluriel se rapporte plutôt en ce sens au domaine matériel comme dans les
« atteintes du froid » (avec spécialisation en hippisme et dans la
vénerie, « recevoir des atteintes » signifiant pour le cheval se
donner des coups en avançant, et les « atteintes » désignant les
parties du gibier touchées par un projectile) ; et le singulier, au
domaine moral : on ne doit ni « porter atteinte à (la réputation de)
quelqu’un » dans nos rapports interpersonnels ni – pire encore – se voir
« condamner pour atteinte à la sûreté de l’État » en droit. Enfin, et
logiquement, l’atteinte a jusqu’à désigner le dommage, le préjudice qui découle du coup reçu. Les troisième et quatrième
sens étaient mobilisés dans notre texte, avec une collocation notable :
« les premières atteintes de sa maladie » (cf. chez Daudet : « les premières atteintes de son
mal », et chez Bossuet : « Le sage chevalier […] avait déjà
ressenti l’atteinte de la maladie dont il est mort »).
Octroi
est, lui, un déverbal masculin formé au XIIe siècle à partir d’octroyer (du latin populaire auctorizare, lui-même dérivé du
classique auctorare, de auctor, « garant »). Sa
famille morphologique, en dehors du verbe octroyer,
n’est pas d’un grand usage : restent rares octroiement depuis le XIIe et octroyeur depuis le XIXe siècle. L’octroi est d’abord l’action d’accorder quelque chose à titre de
faveur : les « lettres d’octroi » permettent l’octroi de quelque chose à quelqu’un. Par extension métonymique, le mot a pu désigner ce qui est attribué. D’où deux
spécialisations parallèles dans le sens deux : en droit politique, la
Charte de 1814 est un octroi, mode d’établissement d’une Constitution par
décision unilatérale ; en finances, on doit « payer l’octroi »,
c’est-à-dire « les droits (ou deniers) d’octroi » à l’abord de
certaines municipalités, c’est-à-dire une
taxe sur les denrées de consommation locale à leur entrée en ville. Le
troisième sens, par transfert métonymique au XIXe siècle, désigne l’administration chargée de
percevoir ladite taxe. Il y a une « barrière de l’octroi », des
« employés (ou préposés) de l’octroi »… Enfin, par restriction
métonymique en ce même siècle, « aller à l’octroi » ou, mieux,
« aux octrois » (le pluriel concrétisant) équivaut à se rendre au
lieu, dans les bureaux où travaille cette
administration. Les deux derniers sens expliquaient l’emploi du mot que
Péguy, selon que l’on privilégie le côté abstrait de l’administration ou celui
concret de ses locaux.
Définissant la mise en relation de deux ou plusieurs
éléments similaires par leur fonction dans l’ensemble de la phrase ou du texte
comme juxtaposition si elle se fait sans
mot coordonnant (avec ou sans ponctuation) et comme coordination si elle se
fait avec un coordonnant (assorti ou
non d’une ponctuation), l’on s’aperçoit que la question ressortissait à
l’enchaînement parataxique par différence avec l’emboîtement hypotaxique. Mais
une différence implique une ressemblance : les juxtaposition et coordination
expriment des liaisons logiques proches des sens que peut prendre la
subordination. Second problème : la coordination (et dire que l’asyndète
n’est qu’une coordination sans coordonnant ne ferait que compliquer la
question) peine à énumérer exhaustivement ce qui coordonne, en dehors des
conjonctions bien connues « mais ou et donc or ni car ». Le relevé
des occurrences des coordonnants du texte permettait d’aborder ces points.
Servaient à coordonner des
conjonctions certes (« mais », l. 5,11,23 ; « ou »
hapax, l. 30 ; « et », passim)
mais aussi des adverbes (« alors » mi-temporel mi-consécutif, l.
8 ; « bientôt » spécialisé dans une succession rapide, l.
12 ; « même » introduisant une graduation, l. 20,25) et la
ponctuation en renfort des deux premiers types de coordonnants :
- les virgules dans les groupes respectivement à
deux et quatre termes « , mais » (23) ou « W, X, Y et
Z » (3) ;
- les points virgules dans « ; alors » (8), « ; mais » (11), « ; bientôt » (12), « ; même » (20) ou, plus subtil, « ; […] même » (19-20).
Où l’on voyait que les
liaisons syntaxiques s’opéraient entre adjectifs (3) ou substantifs (30) ou
relatives (27) aussi bien qu’entre adjectif et relative (15, proche de
l’attelage) ; entre propositions simples (11) autant qu’entre complexes
(5), d’où des enchaînements compliqués (21-27) du type {(A et B) mais [C} même D] avec
concurrence d’interprétation à propos du terme C entre [ et }. Les
juxtapositions, marquées par une ponctuation dans notre texte et donc par une
pause à sa lecture, usaient quant à elles d’un matériel réduit : deux
virgules (12-13), de nombreux points virgules (passim), un deux-points (18) ; mais exprimaient des rapports
variés, souvent difficiles à décrire : la cause par le deux-points, la
conséquence (31,32), la succession temporelle (27) par des points virgules...
Notons comme remarquables la manière d’a
parte introduit par des points virgules (2-3), ou la tournure mixte
diversement interprétable, commençant comme une juxtaposition et finissant en
coordination (3).
Ce texte est un récit
prenant parfois des allures de portrait (2,14), un récit autobiographique (même
si la situation énonciative est complexe, comme le montre le titre de l’œuvre).
Encore fallait-il préciser : récit rétrospectif marqué à l’imparfait. L’analyse
des temps des verbes montrait que l’imparfait de toile de fond, majoritaire
avec 24 formes (plus un plus-que-parfait et un futur du passé), laisse au passé
simple la charge d’annoncer des ruptures (3,4,8,13,28,29,30). Quant au présent,
outre celui de vérité générale (9,19,20 deux fois, 24,26 deux fois,32), il est
très minoritaire (32 avec deux passés composés).
Ce texte est aussi, en
rhétorique, une période : la phrase complexe, longue d’un paragraphe, se
devise de façon visible en séquences (puisque les points virgules
« ponctuent » ce récit) et de façon tacite en trois temps : la protase (jusqu’à « jamais »,
14) narre les avancées de maladie, l’acmé
(jusqu’à « pas mieux », 27) décrit les vicissitudes du malade aux
prises avec sa pathologie et ses médecins à la fois, l’apodose (jusqu’à la fin) expédie le patient à la catastrophe
finale. Comme la subordination est en minorité ou bien primaire (voir ces
« parce que » d’enfant, ces oppositions binaires simplistes, la
succession temporelle majoritaire dans l’hypotaxe), c’est une vague qui emporte
le père. Le souffle de la phrase s’exténue comme lui ; le fils tue le
père.
Le ton du texte reste d’une
ironie triste, celle du « bon malade »,
« facile » à soigner en un sens seulement, qui « a peur de…
déranger » et que condamne à mort un médecin « meilleur » que
les autres parce qu’il s’apitoie, non qu’il soit compétent. Les vérités
générales tournent souvent à la caricature : médecins et pharmaciens
rappellent ceux de Molière et s’inscrivent dans une veine de la littérature
très suspicieuse envers la médecine. Mais c’est l’absence de tout pathos qui se fait remarquer :
nulle ponctuation émotive, de la première ligne à la dernière ligne rien n’a
changé. La boucle est bouclée sur un constat sans appel. Absence de lyrisme, summum du pathétique. C’est dans un
vocabulaire rarement noble (les « atteintes » justement, 1-2 ;
le rythme ternaire, 13-14), peu technique (« établi »,
« octrois », « guérite » : tous realia professionnels respectivement aux lignes 8,9,13), souvent
enfantin (« maman » revient ; « son manger », l.
11 ; la simplicité générale du passage), que Péguy nous parle des qualités
morales, de médecine, d’argent – de façon toute naïve et d’autant plus
émouvante. Ces réflexions pouvaient amener à préciser le statut d’un texte
marqué par de nombreux faits d’oralité (« quand même », l. 5 ;
absence de ponctuation pausale, 5-8 ; « tout ce temps-là », 17).
Deux paroles insérées au style indirect (les médecins, l. 6,30) n’empêchent pas
que ce récit maternel, souvent raconté
à l’enfant Charles (commencement) et écrit plus tard par l’adulte Péguy (avec
une distance critique, anti-bourgeoise),
cherche à ressusciter la voix d’un mort, tout en couvrant le silence d’où elle
pourrait surgir (32-33).
*
En définitive, une fois
évités les écueils relevés dans notre introduction, les candidats auront la
possibilité d’être jugés à leur valeur, sinon grâce à une copie aussi bonne que
celle que nous avons reconstituée pour l’exemple et seulement par exemple, du
moins sans tomber dans des défauts inadmissibles pour de futurs enseignants.
C’est en songeant à ce métier dont ils veulent embrasser la carrière, que les
candidats se départiront aussi de ces ahurissantes fautes d’orthographe dont
certains, que n’effraient pourtant ni l’antanaclase ni l’épanadiplose,
émaillent leur copie. Les majuscules et les accents sont souvent oubliés là où
ils sont de rigueur, ou bien ils sont fantaisistes ; horresco referens, le mot d’« hoctosyllabes », ,
impossible à « grassier » « syncroniquement » ou
diachroniquement, est certes « disgrâcieux » au possible (puisse être
entendue cette dernière phrase, malgré la forme barbare de ces mots extraits de
quelques copies !). Avant de jargonner, il faut savoir l’orthographe.
Après avoir maîtrisé l’orthographe, il faut savoir éviter tout jargon. Les
candidats doivent donc être avant tout irréprochables dans leur orthographe,
dussent-ils regretter d’être trop simples dans leur lexique ; les futurs
enseignants seront ceux qui, restant irréprochables dans leur orthographe,
sauront user à bon escient de mots choisis.
[1] Ou : « pronom possessif », « pronom personnel accessoire ». Rappelons qu’un quantifiant indique l’extensité et un caractérisant, l’extension. L’extensité est la quantité des objets auxquels un mot est appliqué ; l’extension est l’ensemble des objets auxquels un mot est applicable. « Mon livre » (déterminant), c’est « le (quantification par le déterminant) livre de moi (caractérisation par le pronom) » ou encore « un livre mien », soit « le mien » (pronom).
[2] Ou : « adjectif déterminatif possessif atone », « déterminant possessif », « adjectif possessif », « possessif 1 ».
[3] Mien, tien etc… Ou : « adjectif déterminatif possessif tonique », « adjectif possessif », « possessif 2 ».