Pauline Bruley, Rhétorique et style dans la prose de Charles Péguy, Champion, « Littérature de notre siècle », 2010. 109 .

 

Ce livre, cher hélas, est d’un beau format, agréable au toucher, doté d’une bibliographie imposante (l’auteur est allé jusqu’à retrouver à la bibliothèque du lycée Lakanal les livres possédés par Péguy en classe de de rhétorique) et d’un index fort utile, recensant les noms propres et même les principales notions analysées.

Issu d’une thèse unanimement saluée, il permet en 400 pages d’embrasser toute l’écriture en prose de Péguy, lu pour une fois non avec des œillères thématiques mais en étant attentif au style de l’auteur, ce qui n’est pas ignorer sa pensée. Ce style, né de la prose latine et des exercices scolaires de rhétorique, a tout de suite visé au simple : Péguy ne pouvait, ne voulait viser qu’au simple, mais cela se fit sans contrainte idéologique. Aussi voit-on Péguy se classer comme classique tout en admirant Michelet, et lutter contre la sèche rhétorique tout en prenant le parti des Anciens contre les Modernes.

Pauline Bruley montre notamment que Péguy par le genre organique de l’essai a fait des Cahiers de la quinzaine une œuvre ouverte sur un auditoire universel, ce qui ne peut que conforter l’existence d’une association comme le « Porche » ; que l’amour de la liberté a seul guidé le prosateur, jusqu’à faire de lui un maître de l’amplification, à preuves ses phrases incroyablement longues et ses œuvres qui désarçonnent rapidement un lecteur trop soucieux de voir l’auteur traiter avant toute chose le titre annoncé en couverture. Cet auditoire élargi et cette liberté chérie expliquent que Péguy, pourtant engagé dans les questions sociales de son temps, échappe aux étiquettes politiques et parfois même, pourtant auteur d’une œuvre vaste, mette à mal les tentatives de définition de son style.

Avec une grande finesse, Pauline Bruley se garde donc de présenter à son lecteur l’équation infaillible du style péguien. Elle montre même comment le style devient une sorte de preuve supplémentaire dans l’arsenal argumentatif de l’auteur.

Peut-être néanmoins ce livre ouvre-t-il la voie à des analyses plus serrées des figures stylistiques, ainsi qu’à la description des choix esthétiques opérés par Péguy au fil du temps, puisqu’il n’est à tout prendre pas certain que la prose de Péguy et l’ensemble de son écriture n’aient pas évolué.

 

Romain Vaissermann