Centenaire de la mort de Bernard-Lazare

 

Exposition à la Mairie du 3e arrondissement (17-30 septembre). Trois jours d’un colloque international : 16 et 17 septembre à la Sorbonne, 18 septembre au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, pour un total d’une trentaine de communications. Journée du Cercle « Bernard-Lazare » consacrée à Lazare « de l’affaire Dreyfus aux Procès de Moscou » le 23 novembre. Apposition d’une plaque au 7, rue de Florence où décéda « à l’âge de 38 ans / Bernard Lazare / journaliste et écrivain français / qui a combattu pour la liberté / et la dignité / de tous les hommes opprimés » en novembre. Journée d’étude à l’Université hébraïque de Jérusalem en décembre.

La fin de l’année 2003 est toute dédiée au souvenir de celui en qui Péguy vit un père. Lors des exposés du 17 septembre, il fut beaucoup question de Péguy, même en dehors de ce que Nelly Wilson évoqua – « Polémique, poésie et vérité : Bernard-Lazare vu et écouté par Péguy ». Rappelant que ne parurent ni les Confidences ni le grand Portrait qui devaient permettre à Péguy de rapporter les propos familiers à lui tenus par Lazare, N. Wilson analysa dans Notre jeunesse les discours directs et indirects qui donnent voix au maître. D’une authenticité difficilement vérifiable, ces propos ont une fonction polémique et introduisent à une manière de mystère : celui de Lazare juif athée.

Mais la part faite à Péguy dans ce colloque sembla hypercritique. Raymond Sadoun, du public, s’étonna que la figure de Péguy fût critiquée : Notre jeunesse n’était-elle pas en son temps une des plus honnêtes attitudes d’un catholique romain au sujet de l’Affaire, même si Péguy se disait athée à l’époque même de l’Affaire ? Michel Drouin abonda dans ce sens, rappelant le vibrant philosémitisme de Péguy, contre le scepticisme de Simon Epstein, regrettant que l’on fasse de Péguy une source pour Lazare, alors qu’il est évident que ce ne serait pas une source pour Jaurès (c’est S. Epstein qui le dit). Que fut-il reproché à Péguy, souvent en passant et sans l’air d’y toucher ? De détourner la pensée de Lazare (ah, l’article sur « La Loi et les Congrégations » !) voire de rapporter des propos inventés (Lazare disant des Dreyfus : « Ils sont si contents de faire quelque chose sans moi » ; Pl. III, p. 83), de prétendre capter l’héritage spirituel de Lazare en s’autoproclamant « seul ami » du défunt (Pl. III, p. 60 ; mensonge ou impudeur ?). Le mot qui revint fut : « instrumentalisation » – de Lazare par Péguy s’entend (Jean-Pierre Gourcerol, Philippe Oriol – l’organisateur du colloque).

Cela fait beaucoup pour un seul homme. N. Wilson osa réaffirmer l’évidence : non, Péguy, même s’il évolua parfois, comme au sujet de la grâce du capitaine – décision qui le satisfait d’abord puis qu’il vilipende –, n’avait pas méconnu le sens de la « consultation » de Lazare sur la loi des congrégations (Pl. III, p. 69).

À notre tour de prendre la parole. Oui, Péguy eut raison de se proclamer (sans oublier le complément circonstanciel de temps, non accessoire mais essentiel comme nous l’apprend la nouvelle grammaire) « pendant cette dernière période de sa vie je fus son seul ami ». Oui, sous le coup d’une humeur plus amère que de coutume, Lazare put prononcer des mots durs – voire injustes – sur le compte de la famille Dreyfus ; veut-on que Péguy, qui ne fait que les répéter, en porte la responsabilité ? Que l’on nous explique donc à quelle fin Péguy aurait « instrumentalisé » Lazare ! Contre Jaurès ? Ce dossier Péguy-Jaurès, l’Amitié Charles Péguy le réouvrira justement dans un colloque en 2005.

Notre association n’a pas été associée aux commémorations en l’honneur de Lazare prévues à la fin 2003[1]. Elle regrette les insinuations malveillantes concernant Péguy. Elle regrette que l’exposition « Bernard-Lazare, la nécessité » donne la parole à Péguy pour 6 petites lignes de texte sur 30 panneaux – autant qu’à Léon Daudet. Nul doute que notre « âme collective » n’eût, avec un plaisir sincère, aidé à ces célébrations, pour que les Puissances sachent enfin qui fut « le prophète, le juif, le chef » (Pl. III, p. 65).

 

Romain Vaissermann

 



[1] Le colloque « Bernard-Lazare et son époque » de Nîmes et Montpellier (6-8 avril 2003) fut autrement plus accueillant, donnant la parole à Patrick Cabanel (« Bernard Lazare, Péguy et la figure de l’intellectuel prophétique »), Michel Fourcade (sur le parcours de Jacques Maritain « à la découverte du judaïsme »), Jacques Viard (sur Le Fumier de Job) sans oublier Nelly Wilson.

Mentionnons, tant que nous y sommes, le colloque international « Émile Masson prophète et rebelle » (Pontivy, 26-27 septembre 2003) auquel participèrent entre autres J. Didier Giraud (« La Grande Guerre d’Yves Madec »), Gilles Heuré (« Gustave Hervé et Émile Masson : une amitié trahie ? »), Marie-Brunette Spire (« André Spire et Émile Masson : une amitié sans faille ») et Roger Dadoun (« À la croisée libertaire : Émile Masson, Charles Péguy, Romain Rolland »). Les amis de Péguy sont à l’honneur !