Compte rendu

 

 

Lucien-René Delsalle, Rouen et les Rouennais au temps de Jeanne d’Arc. 1400-1470, Rouen, Éditions PTC, 2006, 318 p., 18 (édition revue ; 1re édition : Éditions du P’tit Normand, 1982).

 

 

Lucien-René Delsalle, qui habite Rouen depuis 1964, enseigna toute sa vie l’histoire et la géographie. Arrivé à l’âge de la retraite, il continue à transmettre son savoir grâce à ses livres.

Bien sûr, l’ouvrage dont nous rendons ici compte, utilise Jeanne d’Arc comme un élément de datation mais son introduction et deux chapitres entiers : « I. Rouen, Jeanne : une certaine connivence… » et « XIII. Jeanne à Rouen » font mieux qu’évoquer et Jeanne et l’image que s’en font d’elle les Rouennais ses contemporains. L’auteur nous peint la ville comme s’il l’avait devant les yeux ; nous pénétrons dans ses rues, guidé par un érudit non seulement régionaliste – membre de la commission départementale des Antiquités de la Seine-Maritime – mais tour à tour architecte (urbaniste, décorateur…), économiste (« Le drap de Rouen », « Cuirs et métaux », « Le port, poumon de la cité »…), sociologue (« Les Rouennais dans la rue », « Fêtes et saisons », « Pauvres et marginaux »…), toujours historien bien sûr et pédagogue. Seule la qualité des illustrations, en noir et blanc mais assez nombreuses, laisse parfois à désirer.

Les Rouennais sont partagés face à Jeanne d’Arc quand elle parvient dans leur ville. Guillaume Manchon, notaire de l’Officialité, semble mal informé : « Je n’ai eu connaissance de Jeanne, que quand elle fut amenée à la ville de Rouen. » Pourtant, les États de Normandie ont voté en août 1430 une rançon de « 10 000 livres pour l’achat de Jehanne la Pucelle, que l’on disait être sorcière, personne de guerre conduisant les osts du Dauphin », c’est-à-dire ses armées.

Mieux vaut donc se fier à Pierre Cochon, l’auteur de la Chronique normande hélas interrompue en 1430, pour avoir des détails sur la Pucelle, et ce dès la délivrance d’Orléans :

 

Et y furent [les Anglais] jusques au mois de juing l’an CCCCXXIX, euquel mois yssirent ceulz de dens la dicte ville [Orléans], avec autres grant quantite de gens d’armes et une jeune fille que l’en apeloit la Pucele. Et disoient plusieurs qu’elle estoit envoie, de par Dieu, pour aidier a Charles, daulphin filz de Charles, roy de France, trespasse, à reconquester son royaume que avoit conquis ledit Henry, roy d’Engleterre, dont devant est fait mencion. Et iceulx gens d’armes et Pucelle, ainsi yssus, assaillerent a force les bolleverts des dits Anglois, et y boterent le feu, et tuerent une grant quantite d’Anglois, tent qu’i fallu que les dits Anglois levassent le dit siege, et s’enfouissent. Et ainsi furent tous esbahis.

Lucien-René Delsalle, s’appuyant notamment sur les ouvrages de Régine Pernoud, précise ensuite les conditions de détention, le déroulement du procès, et l’attitude des Rouennais. L’avocat Laurent Guesdon déclarera ainsi : « Beaucoup avaient envie de la voir, je suis allé moi aussi au château de Rouen, et c’est là que je l’ai vue. » Le simple maçon Pierre Cusquel lui parle même à deux reprises : « Et je l’ai avisée de parler prudemment, car c’était de sa mort qu’il s’agissait. » Par la ville se répandent en effet des bruits inquiétants : « J’ai entendu dire, témoigne Nicolas de Houppeville, que l’on empêchait les notaires d’écrire certaines de ses paroles. Cet article est vrai : c’est ce que l’on disait dans la cité de Rouen. »

De telles paroles nous restent, heureusement. Car certains monuments de Rouen furent plus éphémères. « De la place du Vieux-Marché, dernière vision qu’elle emporte de ce Rouen que Jeanne prend à témoin de sa mort, il ne reste rien qu’elle ait pu voir sinon, au sol, les fondements de cette église Saint-Sauveur qui vit s’élever le bûcher. C’est le souvenir de ce dernier qui, suggéré par l’architecture moderne, remplit désormais l’espace comme dut le faire la fumée qui, ce jour-là, suffoqua Jeanne. » (p. 126).

Qu’à cela ne tienne : Rouen peut changer encore, le livre de Lucien-René Delsalle vient d’être réédité, et l’on nous annonce comme à paraître aux éditions de l’Armitière un ouvrage sur Rouen à l’époque de la Renaissance, suite du présent volume.

Romain Vaissermann

 

 

La rédaction vient de recevoir pour compte rendu trois ouvrages récents, dont deux sont bien la preuve de l’intérêt soutenu que continue de susciter la Pucelle :

Ø       Jean Cluzel, Jeanne d’Arc : la politique par d’autres moyens, Economica, « Campagnes et Stratégies », 2006, 304 pages, 28 (ISBN 2-7178-5300-6).

Ø       Claire Daudin, Dieu a-t-il besoin de l’écrivain ? Péguy, Bernanos, Mauriac, Cerf, « Littérature », 2006, 224 pages, 28 (ISBN 2-204-08135-3).

Ø       Patrick Dreyer, Jeanne d’Arc, Thélès, 2006, 386 pages, 19,90 (ISBN 2-84776-372-4).

Ø       Anne-Marie Salichon, Jeanne d’Arc, Alan Sutton, « Mémoire en images », 2006, 144 pages, 21 € (ISBN 2-84910-526-9).

Le Porche en rendra compte ultérieurement.

 

Notre président d’honneur Yves Avril vient pour sa part de publier une méthode de langue pour grands débutants qui est aussi une grande première dans le paysage éditorial français : Parlons Komi, L’Harmattan, « Parlons… », 2006, 184 pages, 24,50 € (ISBN 2-296-01064-4).