Patrick Dreyer, Jeanne d’Arc, Thélès, 2006, 386 pages, 19,90 euros

 

Fruit de quatre années de travail, cette biographie est aussi l’œuvre unique d’un homme peu familier des bibliothèques. C’est en amateur qu’il écrit ce livre, où son propos s’efface souvent devant ses sources : usuels, livres et journaux, notamment le Journal de Gien, qui fit paraître dans les années 1950 une série d’instructifs articles d’érudition locale dus à Albert Pillard – ils constituent 107 pages du présent livre ! Parmi les historiens de valeur, il s’agit, principalement, de Régine Pernoud. On ne trouvera donc aucune erreur factuelle dans l’ouvrage, d’une excellente présentation.

La biographie elle-même tient en 217 pages, quand les annexes font 157 pages ; une telle disproportion n’est pas en soi gênante, mais se retrouve dans la biographie, qui fourmille de citations : correspondance entre Anglais et Bourguignons, journal du siège d’Orléans, témoignages aux procès de Jeanne d’Arc… Il n’est pas jusqu’à Péguy qui ne soit cité, ce dont nous ne saurions nous plaindre, pour un extrait des « Adieux à la Meuse » de la première Jeanne d’Arc (pp. 267-268 ; P 80-82). Patrick Dreyer entend donc s’effacer entièrement devant ses sources et, surtout, devant son sujet : soit, l’intention est louable et le résultat en est une vie détaillée, suivant l’ordre chronologique, qui se lit très bien. Réécoutons donc, dans les dernières pages, l’effrayant Cauchon qui, en des termes annonçant les imprécations de Guillaume Évrard qu’on trouve chez Péguy (P 301-302), lit à Jeanne sa sentence le 30 mai 1431 :

 

Au nom du Seigneur, amen. Toutes les fois que le venin pestilentiel de l’hérésie s’attache obstinément à un des membres de l’Église, et le transfigure en un membre de Satan, il faut veiller avec un soin diligent afin que la contamination néfaste de cette pernicieuse souillure ne s’insinue à travers les autres parties du corps mystique du Christ. Aussi les décrets des Saints Pères ont-ils prescrit qu’il fallait que les hérétiques endurcis fussent séparés du milieu des justes, plutôt que de laisser réchauffer dans le sein de notre pieuse mère Église ces vipères pernicieuses, pour le grand péril des autres fidèles.

C’est pourquoi nous, Pierre, par la miséricorde divine évêque de Beauvais, et frère Jean Le Maître, vicaire de l’insigne docteur Jean Graverent, inquisiteur de la perversité hérétique, et spécialement député par lui en cette cause, juges compétents en cette partie, nous avons déclaré par juste jugement que toi, Jeanne, vulgairement dite la Pucelle, tu es tombée en des erreurs variées et crimes divers de schisme, d’idolâtrie, d’invocation de démons, et plusieurs autres nombreux méfaits. Cependant, comme l’Église ne ferme pas son giron à qui revient en elle, estimant qu’avec une pensée pure et une foi non feinte tu t’étais détachée de ces erreurs et crimes, puisque, certain jour, tu as renoncé à eux, tu as fait serment en public, tu as fait vœu et promesse de ne retourner jamais auxdites erreurs ou à quelque hérésie, sous aucune influence ou d’une manière quelconque ; mais, plutôt, de demeurer indissolublement dans l’unité de l’Église catholique et la communion du pontife romain, ainsi qu’il est plus amplement contenu dans la cédule souscrite de ta propre main ; attendue que par la suite, après cette abjuration de tes erreurs, l’auteur du schisme et de l’hérésie a fait irruption dans ton cœur qu’il a séduit, et que tu es retombée, ô douleur ! dans ces erreurs et dans ces crimes, tel le chien qui retourne à ses vomissements, ainsi qu’il résulte suffisamment et manifestement de tes aveux spontanés et de tes assertions, nous avons reconnu, par des jugements très fameux, que, d’un cœur feint plutôt que d’un esprit sincère et fidèle, tu as renié de bouche seulement tes précédentes inventions et erreurs.

Par ces motifs, nous te déclarons retombée dans tes anciennes erreurs, et, sous le coup de la sentence d’excommunication que tu as primitivement encourue, nous jugeons que tu es relapse et hérétique ; et par cette sentence que, siégeant en ce tribunal, nous portons en cet écrit et prononçons, nous estimons que, tel un membre pourri, pour que tu n’infectes pas les autres membres du Christ, tu es à rejeter de l’unité de ladite Église, à retrancher de son corps, et que tu dois être livrée à la puissance séculière ; et nous te rejetons, te retranchons, t’abandonnons, priant que cette même puissance séculière modère envers toi sa sentence, en deçà de la mort et mutilation des membres ; et, si de vrais signes de repentir apparaissent en toi, que le sacrement de la pénitence te soit administré.

 

 Romain Vaissermann