Charles DU BOS, Journal. 1926-1929, Buchet-Chastel, 1000 p., 38 €

 

Aucun inconvénient à ce que cette édition intégrale du Journal de Charles du Bos ne soit muni d’aucune annotation : il éclaire lui-même toute l’œuvre de Du Bos, dont 1929 est une grande année, celle du Dialogue avec André Gide et de la fondation de Vigile ; il témoigne de la conversion de juillet 1927, permettant même d’en voir les signes annonciateurs et les premières conséquences. Ce volume est sans doute le plus intéressant de tout le Journal et Charles Du Bos revit véritablement – c’est un paradoxe – dans toutes ces pages dictées souvent tard à sa secrétaire entre crise de foi et maladie soulagée par de grandes tasses de thé ou la pipe, dans toutes ces réflexions de critique scrupuleux contraint de vivre dans la gêne parce qu’il faisait de la littérature son métier. Du Bos disait qu’il n’était ni poète ni auteur mais de cette autre race d’écrivain, plus rare dans la littérature française : les introspectifs. Il savait qu’il resterait par son Journal, soleil autour duquel gravitent ses Approximations ; il savait que ses études littéraires laissaient finalement une part trop belle aux auteurs critiqués et réservaient trop le jugement aux soins du lecteur. De fait, ce Journal explique la fracassante rupture avec Gide et entame un véritable combat avec l’ange : bataille d’idées, bataille de sentiments, au-dessus des événements contingents mais en communion avec amis et connaissances. Jamais peut-être journal ne fut aussi loin de la note de blanchisserie ; et c’est tant mieux : les dîners, les promenades, les entrevues professionnelles ne sont guère que des prolongements d’un immense dialogue avec soi dont certaines répliques frappent Du Bos en plein spectacle ou en tramway pour ne les retranscrire qu’après-coup, l’événement examiné non sous la lampe froide d’un rationalisme exacerbé mais au jour d’une lucidité psychologique dont l’écueil ne pourrait être qu’un excès de prudence. Il est parfois difficile de reconstituer le puzzle de cette vie cérébrale dialoguant avec ses illustres contemporains (Bergson, Gide, Maritain, Rivière, Valéry) : l’homme ne se confie pas au jour le jour mais lorsqu’il rencontre un obstacle de pensée que l’écriture lui permet de lever ou de dépasser ; il parle à la postérité, sachant pertinemment que de ce Journal il ne publiera guère, de son vivant, que des Extraits. Il fallait ce monde clôs et l’Île Saint-Louis afin que ce critique pour qui la littérature était avant tout communication spirituelle, puisse élever par le dialogue intime un monument pérenne à ce « quelqu’un qui soit en moi plus moi-même que moi », comme le veut le vers de Claudel que du Bos préférait.

 

Romain Vaissermann