Compte rendu
Deux lectures de
Charles Péguy, l’une plutôt moderniste (si l’on nous passe l’étiquette),
l’autre classiciste, étaient données à Paris le samedi 14 décembre 2002.
Ce fut d’abord le Studio-Théâtre
de la Comédie-Française qui proposait dans la série « Un auteur, un
acteur » une lecture de textes intitulée « Les Cahiers de la
quinzaine » par le comédien-français Michel Favory, dont il y eut deux
représentations (16 h le samedi 14 et 18 h 30 le lundi 16 décembre). Michel
Favory, lecteur imprégné de Péguy depuis longtemps, a élaboré en deux-trois
mois un subtil montage de textes issu des meilleures éditions en prose, de
façon à montrer au spectateur la continuité de la vie et des convictions
politiques de Péguy jusqu’à l’éclosion de son vers libre. Puisant dans Pierre,
L’Argent, Notre jeunesse, le Porche du mystère de la
deuxième vertu enfin, des textes assortis de titres fictifs qui
permettaient de les différencier, Michel Favory est parvenu à montrer que le
leitmotiv des Confessions dessinait un Péguy au plus haut point original
parmi ses contemporains, aimés (le premier Jaurès), adulés (le dernier
Bernard-Lazare), haïs (les modernes). Ce portrait fort réussi du socialiste
philosémite était lu d’une voix aux inflexions parfois légères et ironiques,
plus souvent dures et pénétrantes. Michel Favory seul sur scène, assis sur une
petite chaise à sa table, tourne les pages au rythme de sa voix, réduit son jeu
d’acteur au visage, aux mains, parfois à la posture de l’homme assis en chemise
blanche sur fond noir. Le poing contracté comme sur la photographie de Dornac,
le doigt attirant l’attention supportent la voix des longues périodes,
particulièrement réussies. La petite salle du Studio-Théâtre (136 places),
pleine aux deux-tiers, salua enthousiaste la prestation de l’acteur.
L’interprétation est neuve, fidèle à l’auteur, forte. Rien qui pèse ou qui
pose, nul impair !
Ce fut ensuite la
Chapelle Saint-Louis de l’École militaire qui accueillit « non pas un
concert mais une soirée de poésie et de musique » organisée par les Amis
de l’Orgue de l’École militaire et conçue par le comédien Jean-Michel Dhermay,
qui lisait, dialoguant avec l’orgue de Didier Matry, titulaire du Grand-Orgue
de Saint-Augustin (représentation unique, 20 h 30 le samedi 14 décembre). Pour
ces « Orgues et Poèmes en dialogue », un choix des œuvres
traditionnel : Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (le cri de
Jésus en croix, le reniement de Pierre), Porche du mystère de la deuxième
vertu (les trois vertus), Mystère des saints Innocents (les
Français, les prières, la clef de voûte, le mot d’enfant) ! Trilogie qui
se prêta une fois de plus (le lieu voulait-il cela ?) au ton
grandiloquent, avec des échappées bonhommes et familières. Lecture
techniquement impeccable, à l’exception des liaisons oubliées au point que l’on
se demande si le comédien connaît leur existence ! L’orgue ponctuait le
tout de ses envolées partie classiques, partie improvisées. Un peu plus
d’audace eût permis, à petites doses, d’éduquer le public, habitué, à l’autre
versant de ces textes dramaturgiques à double énonciation : c’est tout de
même Péguy lui-même qui écrit que (des personnages font que) Dieu parle.
Pourquoi donc lire les Mystères toujours avec grandiloquence, sinon par
système ou, du moins, par habitude ? Si un lecteur masculin a certes
tendance à gommer l’intermédiaire du personnage féminin (Jeannette, madame
Gervaise…), peut-il faire semblant d’oublier la voix de l’écrivain ? Le
spectacle fut, quoi qu’il en soit, un beau succès : une centaine de
personnes y assistait et ne regretta pas sa soirée.
Ces deux lectures,
chacune dans leur genre, montrent que Péguy reprend de la voix dans la vie
culturelle parisienne. L’intelligentsia reconnaît enfin Péguy. Un public
d’honnêtes gens aime à l’entendre. Remercions les comédiens d’inscrire Péguy à
leur répertoire et réjouissons-nous qu’ils se gardent de l’univocité.
Romain Vaissermann