Charles Péguy, Marcel.
Premier dialogue de la cité harmonieuse, précédé de « L’utopie blanche »
par Roger Dadoun et suivi de « De la cité socialiste » par Pierre Deloire, éd.
Roger Dadoun, Houilles, Éditions Manucius, « Lieux d’utopies », 2005,
96 p., 16 €
Les péguistes ne peuvent que se féliciter de voir
rééditer séparément « une œuvre rare, exceptionnelle à maints égards, et sur la
lisse étrangeté de laquelle critiques et exégètes ont préféré glisser sans s’y
attarder, les éditeurs eux-mêmes restant à la traîne » : Marcel.
Premier dialogue de la cité harmonieuse. De la cité harmonieuse comme le
précise son titre complet, commençant de pratiquer les anaphores qu’analyse si
judicieusement Roger Dadoun, dans son essai-préface, comme une façon de remplir
un blanc sans perdre l’harmonie entre le plein et le vide, entre deux entités
en dialogue, en répondance, en amitié. Si la mort de Marcel Baudouin pose
cruellement à Péguy la question de la liste des habitants auxquels cette Cité
idéale est promise, si par ailleurs Péguy ne saurait être le disciple de son
ami philosophe, puisque « les philosophes n’ont pas d’élèves », la seule
ressource est d’associer cet ami à l’autorité du livre et de le faire
cosignataire de l’œuvre – première certes et dernière mais si l’on ne mentionne
pas les suites envisagées un temps par Péguy et révélées par Marcel Péguy[1], hospitalière et pour autant adressée à tous sans
mention de Dieu, atemporelle et pour autant jour de shabbat, manuscrit sans
rature et pour autant sans haut style non plus.
Ce sera une joie que de joindre dans sa
bibliothèque cette belle édition, généreusement munie d’indications
bibliographiques et de l’essai De la cité socialiste (qui éclaire la
genèse de Marcel), réédition soignée[2] et pourtant bon marché, à la Jeanne d’Arc
récemment réimprimée par Philippe Grosos. On savait Roger Dadoun lecteur
perspicace de Péguy, nous le découvrons avec plaisir éditeur de Péguy.
Romain Vaissermann
[1] Repris récemment par Robert Burac : Pl. I, p. 1561.
[2] Aux pages 67 et 72, il est visible que l’éditeur, sans se reporter au manuscrit, a suivi l’édition originale et c’est tant mieux : La Pléiade commettait deux oublis de ligne blanche (A 96 entre « […] par la cité. » et « Ainsi l’art […] » et 101 entre « […] à la vie continue. » et « Les œuvres des artistes leur sont continues. »). – Mais les quantités de blancs et la pagination voulues par Péguy ont été autrement malmenées, ou plutôt : n’ont pu être que malmenées.