Jules MICHELET, Histoire romaine, Les Belles Lettres, « Eux & eux », 636 p., 29 €

 

Possédez-vous l’Histoire romaine de Michelet ? La chose est peu probable : ce qui fut « à peu près » le premier livre de Jules Michelet, paru en 1831, reçut pourtant bon accueil (2e édition en 1833, 3e en 1843, 4e en 1866 puis plusieurs retirages ; tome XXVIII de l’œuvre complète en 1898 ; extraits parus en 1945 ; numérisation par Frantext en 1961). Michelet n’avait pas encore franchi les Alpes ni les siècles pour étudier la France. Il avait enseigné, à l'École normale supérieure, la philosophie et enseignait encore l’histoire. Issue de la préparation de ses cours, son Histoire romaine part de l’Italie pré-étrusque et aboutit à la République, la victoire d'Octave sur Antoine étant celle « de l'Occident sur l'Orient ». Peut-être ne doit-on pas regretter que cette première partie n’ait jamais eu de suite : sa méthode flottant encore, Michelet ne souhaitait pas entrer dans des périodes obscures : « la primitive époque des légendes grossières, et l’époque bâtarde des légendes voulues, calculées, qui arrangèrent le césarisme » lui fournissaient deux termes. Vico et Niebuhr furent ses deux maîtres.

Bien sûr, Michelet ne produit pas de découvertes personnelles, mais il fait mieux que compiler : il s’informe aux meilleures sources de son temps, il n’hésite pas à trancher les questions litigieuses et enlève avec style combats et ambassades. Histoire militaire ? Oui, mais il est sur le marché peu d'histoires romaines proposant à l'honnête homme un exposé d'ensemble. Il fallait notamment que Carthage fût décrite ; c’est la partie que Michelet aimait le mieux. Trouverait-on à redire à tel passage où il s’agit de « savoir à laquelle des deux races, indo-germanique ou sémitique, appartiendrait la domination du monde », que Michelet se serait encore prémuni : « on réimprimera toujours les primitives éditions. Telle est l’imprimerie, redoutable puissance qui nous fait durer malgré nous, qui, très soigneusement, éternise ce qui méritait de périr. » L’éditeur aurait tout de même pu corriger quelques coquilles et traduire de longs alinéas latins pour que les « éclaircissements » portent bien leur nom.

Quant à la plume, elle perçait déjà sous l’académisme, comme dans l’envolée qui suit la narration de la mort de César par Plutarque, que Michelet ne fait que condenser : « Les conjurés avaient cru qu’il suffisait de vingt coups de poignard pour tuer César. Et jamais César ne fut plus vivant, plus puissant, plus terrible qu’après que sa vieille dépouille, ce corps flétri et usé, eut été percé de coups. Il apparut alors, épuré et expié, ce qu’il avait été, malgré tant de souillures, l’homme de l’humanité. » Le césarisme du jeune Michelet n’est pas la seule surprise qui attend le lecteur de cette Histoire volumineuse, assortie de l’avant-propos de 1831, de la préface de 1866, d’une introduction par Paule Petitier, sans oublier les éclaircissements de la première édition ni une table des matières très détaillée et où figurent les années correspondant aux faits.

 

Romain Vaissermann