Bernard VOYENNE

Proudhon et Dieu. Le combat d’un anarchiste, Cerf, « Histoire », 170 p., 19 €

 

Bien sûr, c’est d’un combat de Jacob avec l’ange dont nous entretient l’auteur – mort en décembre 2003 – dans ce livre testament écrit d’une plume particulièrement délicate, qui sait montrer, éclairant le versant spirituel de la pensée proudhonienne, qu’on ne saurait en rester à l’aphorisme constatant que « Dieu, c’est le mal ». En effet, Proudhon, catholique jusqu’à l’adolescence, d’une pratique certes sans dévotion mais « avec une piété sincère » selon ses propres mots, conservera toujours à l’égard du catholicisme une certaine nostalgie : n’est-il pas resté une trace de son amour déçu d’ancien enfant de chœur dans l’animosité du penseur rationaliste et socialiste envers tout absolutisme et notamment envers la hiérarchie ecclésiale, avec laquelle il eut maille à partir ? Proudhon dut en effet répondre dès 1842 de l’accusation d’outrage à la religion pour l’Avertissement aux propriétaires, dont il sut se laver ; il fut en revanche lourdement condamné pour De la justice dans la révolution et dans l’Église (1858) et contraint à l’exil. Mais le plus remarquable est que Proudhon n’a jamais cessé d’écrire sur Dieu. Jeune typographe, il se fit remarquer par ses sagaces corrections d’une Vie des saints (en latin !) ; étudiant, il entreprit un essai De l’utilité de la célébration du dimanche, en 1839 ; philosophe, il voit en Jésus un prédicateur annonçant le règne de la justice mais aussitôt trahi par le premier christianisme. Et quel bel aveu que cette confidence à un ami, vers 1866 : « il y a de Dieu à tout le moins une chose que nous pouvons affirmer d’expérience, c’est que son idée nous possède et nous travaille prodigieusement. Dieu est caché, mais encore une fois il est sûr qu’il nous tourmente, qu’à tous moments nous croyons le voir apparaître, qu’il nous semble l’entendre frapper à la porte et que nous ne pouvons nous empêcher de crier : Wer da ? Qui est là ? »

 

Romain Vaissermann