Charles Péguy, un lettré anti-intellectuel

(contribution à l’étude de l’antisémitisme)

 

Hélène LÉGUENKOVA & Tatiana TAÏMANOVA

 

 

Le mot français « lettré » se traduit habituellement en russe par le terme « intelligent » - traduction imprécise à plus d’un titre. Il convient de distinguer entre ce que l’on appelle intellectualistes et lettrés. La fin du XXe siècle voit en France apparaître une nouvelle classe sinon à part, du moins quelque peu différente des autres : la classe des intellectuels. C’est Clemenceau qui la baptisa de ce nom, lorsqu’il parla de la protestation élevée par un grand nombre de savants, de journalistes, d’écrivains, de médecins, d’étudiants et de professeurs contre la violation des règles judiciaires constatée dans l’affaire de Dreyfus comme d’un « Manifeste des intellectuels ». Parmi les signataires de ce manifeste figurait Péguy. Pourtant, jamais Péguy ne se rangea au nombre des intellectuels. Bien plus : une large part de son œuvre de publiciste est consacrée à une véritable  polémique contre cette classe. Voici ce qu’il écrit à ce sujet : « Je ne suis nullement l’intellectuel qui descend et condescend au peuple. Je suis peuple. »[1] Péguy lance aux intellectuels bien des griefs, dont en particulier l’abstraction, l’ignorance et l’incompréhension, le carriérisme, et - point principal - l’autoritarisme. Accusant les universitaires d’avoir trahi les idéaux qu’ils proclament suivre par souci de véridicité, Péguy affirme ni plus ni moins que l’Université est corrompue par le pouvoir et l’argent. Constatant que dans la société règne la barbarie d’un certain primitivisme, Péguy relie dans son diagnostic ce triomphe barbare à l’avènement, en politique, de ceux qu’il nomme « le parti intellectuel ». Le monde de ces gens, il l’appelle le « monde moderne ». « Le monde qui fait le malin. Le monde des intelligents, des avancés, de ceux qui savent, de ceux à qui on n'en remontre pas [...]. C’est-à-dire : le monde de ceux qui ne croient à rien, même pas à l’athéisme, qui ne se dévouent, qui ne se sacrifient à rien. Exactement : le monde de ceux qui n’ont pas de mystique. »[2]

Le terme de « mystique » est un des mots clefs du lexique péguyen ; son emploi nécessite une explication. Citons la fameuse sentence de notre écrivain : « Tout commence en mystique et finit en politique. »[3] Péguy use du mot « mystique » en un sens très large, et non en sa stricte acception religieuse. Il entend par là l’intégrité intérieure, la vérité de la conduite, la fidélité à ses idéaux, l’esprit de dévouement et de sacrifice, l’intransigeance, le refus de toute compromission, de tout opportunisme. On pourrait prolonger cette énumération ; le fait est que Péguy a lui-même proposé de cette notion une explication à la fois vaste et très simple : « Qu’importe toute la Ligue des Droits de l’Homme ensemble et même du Citoyen, que représente-t-elle, en face d’une mystique. »[4] Le monde antique et le monde moderne, l’Église et les croyants, l’État et les politiciens, les pauvres et les riches, les partisans et les rivaux, les simples enseignants et les professeurs d’université, les antisémites et les juifs : tout semble chez notre écrivain présenté sous l’aspect du dualisme, d’antinomies. Mais tout est in fine jugé à la seule aune de la mystique, c’est-à-dire de la conscience.

C’est précisément la conscience qui a toujours caractérisé le véritable lettré russe. Si l’on revient au mot français d’ « intellectuel », il faut maintenant remarquer que l’éducation et la position sociale, de même qu’un métier intellectuel, en sont tout de même les critères sémiques déterminants. Indubitablement, l’expression russe d’ « homme lettré » embrasse un horizon plus vaste. Nous nous attarderons sur un seul aspect de la distinction ainsi faite.

Son attitude devant la « question juive » a toujours été le point de douleur et la pierre d’achoppement de l’intelligentsia, l’intellectualité russe. Pour autant que bafouer les droits des juifs a été élevé au rang de politique gouvernementale, agir contre l’antisémitisme permettait en quelque sorte de révéler les tendances dissidentes si typiques de l’intellectualité russe. Par ailleurs, il faut se souvenir que certains écrivains à la réputation de judéophobes, tels Saltykov et Leskov, sont devenus, après avoir été témoins des pogromes de 1881-1882, de fervents défenseurs des juifs. Au tournant des XIXe et XXe siècles, parler en mal des juifs était plus difficile, moins acceptable. Les prises de position de Korolenko en faveur des juifs sont très connues ; Gorki avouait que le seul fait de penser aux juifs le rendait tout à la fois « confus et honteux »[5]. Parmi les véritables lettrés, le principe était arrêté : des juifs, on ne saurait parler que aut bene aut nihil. Il y en avait même d’assez courageux pour tenter d’influencer la politique impériale en la matière. Rappelons ici le souvenir d’une figure méconnue de l’histoire russe, un homme à compter parmi les plus libéraux et les plus éclairés du gouvernement en place pendant la révolution de 1905, le ministre de l’Éducation nationale : le comte Ivan Ivanovitch Tolstoï. Ce lettré russe au plein sens du mot pris ne cessa de prendre fait et cause pour les droits des juifs, sans craindre d’entrer en polémique avec le Premier ministre du gouvernement russe Serge Yourévitch Witte ni même avec le tsar Nicolas II lui-même. L’Empire n’était jusqu’alors pas parvenu à entendre les déclarations que faisaient les ministres qu’il nommait et qui contredisaient la ligne de la politique menée par l’État sur la question juive. Le comte Tolstoï était un « partisan décidé et convaincu » militant pour l’égalité entre les nationalités, pour mettre tous les juifs, « cette nation pourchassée », à pied d’égalité « avec les autres citoyens de Russie dans l’exercice de tous leurs droits », pour « le remplacement immédiat des numerus clausus en usage dans les concours pédagogiques, l’ouverture aux juifs des postes d’enseignement et l’autorisation des juifs à ouvrir des établissements d’enseignement »[6].

En ce qui concerne Serge Yourévitch Witte, qui possédait la réputation d’un homme lettré, il frappa à ce point A. A. Lopoukhine, le directeur des Services de police, que ce dernier écrivit de lui : « J’ai été fort étonné de retrouver chez Witte, un homme si lettré, si rompu aux affaires et à la politique, ces clichés imaginant qu’il existe un centre politique juif, une « pétaudière » mondiale qui, à l’aide d’un réseau secret, dirige le monde entier, étend son influence sur tel ou tel pays, pouvant y développer ou y freiner les tendances révolutionnaires de la  masse. »[7] Cette remarque de Lopoukhine souligne combien il était manifestement incongru de trouver associées les idées d’un lettré et les représentations que peut véhiculer la conscience collective, craignant une possible sécession du peuple juif.

En France, la situation était tout autre. L’antisémitisme ne définissait pas la politique étatique : il fleurissait bien plutôt au niveau du quotidien. Le mot même de « juif » se trouvait associé à l’esprit d’entreprise des banquiers, à l’esprit mercantile. Le scandale lié à la banqueroute, survenue en 1882, d’Eugène Bontu, principal fondateur de l’Union générale, a notamment permis cette association d’idées. En effet, ce banquier ne tarda pas à reporter la responsabilité du krach qu’il avait subi sur les héritiers Rotschild. Beaucoup d’écrivains français doués firent plus ou moins volontairement un lit à l’expression de sentiments antisémites chez les intellectuels français. Le scandale de l’affaire Bontu trouve un écho dans Mont-Auriol de Maupassant, L’Argent de Zola, Cosmopolis de Paul Bourget. Judaïsme devint synonyme de ploutocratie, et l’antisémitisme s’harmonisa en quelque sorte aux sentiments anticapitalistes. D’où la divulgation des tendances antisémites au sein du parti socialiste français. L’idéal de solidarité socialiste se trouvait opposé à la solidarité et l’entraide juives - et cette entraide était aussi comptée au nombre des défauts juifs. On aurait pu s’attendre à ce qu’en France l’Église catholique joue un plus grand rôle dans la propagande antisémite, tout particulièrement pendant la période dite de renaissance catholique (au tournant des XIXe et XXe siècles ; l’Église fit pourtant preuve dans cette question d’une certaine retenue, à comprendre comme inscrite entre autres dans la tradition qui courait depuis l’apostolat/gouvernement de Pie IX (pape de 1846 à 1878), devenu conservateur par son souci du « peuple-témoin/prophète ». Au printemps 1886 parut un livre de Drumont qui se vendra à un très grand nombre d’exemplaires : « La France juive ». Ce journaliste, membre de l’organisation d’extrême droite l’Action française, créa par ce livre une nouvelle atmosphère sociale, caractérisée par ses relents antisémites : des publications telles que l’Antijuif commencèrent de paraître ; La Croix, dirigée dès sa fondation par ce même Drumont, se proclamait le journal le plus antisémite de France ; on créa une Ligue nationale antisémite de France. Ce fut l’affaire Dreyfus qui acheva de diviser le pays en philo- et anti-sémites : les dreyfusards et les antidreyfusards se reconnaissaient parfois à leur philo- ou anti-sémitisme. Ainsi Degas deviendra-t-il par exemple antidreyfusard à cause de son parti pris antisémite, alors qu’Octave Mirbeau se retrouva dans le camp opposé pour pouvoir satisfaire sa conscience, tenaillée par le remords de ses convictions adolescentes antisémites. Mais si un homme ne se guidait que sur son sens de la justice, s’il laissait parler sa conscience, alors, tout comme un véritable lettré, il prenait le parti des gens persécutés en raison de leur appartenance nationale - qu’ils soient juifs, français ou russes. Voilà pourquoi Clemenceau, bien que réputé nationaliste, grâce à son sens inné de la justice, ne tint pas la ligne antidreyfusarde mais passa dans le camp des dreyfusards.[8]

Vraiment, les paroles les plus pénétrantes sur l’affaire Dreyfus, sur la conception de la justice dont il était question, sur l’attitude du monde juif d’alors ont été celles de l’œuvre de publiciste de Péguy. De Péguy, ce lettré (dans l’acception russe du terme) anti-intellectuel. Nous pensons spécialement à Notre jeunesse - une œuvre parue en 1910 et considérée par Péguy à la fois comme le bilan de ses recherches spirituelles et comme une sorte de mise au point faite pour la postérité et destinée à ouvrir à l’histoire de toute la génération des dreyfusards.

L’affaire Dreyfus ne constitua fondamentalement qu’un épisode de la grande histoire de France ; mais elle fut pour Péguy ce « réactif » qui sépare les idées de l’esprit en « mystique » et en « politique » : elle permit à Péguy de trouver une réponse à plusieurs questions très importantes que lui posaient ses contradicteurs comme ses compagnons, ses lecteurs et enfin lui-même.

Nous savons tous que c’est Zola qui souleva une vraie vague de protestations publiques au cours de l’affaire Dreyfus, lorsqu’il fit paraître J’accuse, sa lettre ouverte au président de la République, dans l’Aurore. Mais l’on sait moins que c’est un journaliste, un certain Bernard-Lazare, qui fournit à Zola les documents sur lesquels asseoir sa prise de position en faveur de Dreyfus. Or Péguy tenait Bernard-Lazare était non seulement pour son meilleur ami, mais aussi pour son confesseur spirituel, pour un vrai prophète. Dans le cinquième cahier de la première série, Péguy se range derrière Fernand Bernard, le frère de (Bernard-)Lazare, qui protestait contre cette affirmation couramment répandue et selon laquelle ce serait Zola l’initiateur du combat pour la réhabilitation de Dreyfus. De fait, Bernard-Lazare publia dès 1896 sa brochure intitulée « Une erreur judiciaire : la vérité sur l’affaire Dreyfus ».

Bernard-Lazare (Lazare-Marius Bernard) fut journaliste et critique littéraire ; de tendance anarchiste, à l’image d’un Tolstoï ou d’un Kropotkine, il refusait tout « entraînement ». Les manifestations alarmantes de l’antisémitisme, qu’il s’exprime en France ou bien à l’étranger, le contraignirent à analyser plus en profondeur ce phénomène social dans son article sur « l’antisémitisme et ses causes », publié en 1894. C’était un homme fin, sensible, très bon, mais ne se départant jamais de son intransigeance. Péguy l’appelait son  « aîné » et prenait souvent conseil auprès de lui, auquel il faisait parfaitement confiance. Péguy appréciait son honnêteté scrupuleuse et son sens de la justice, qui mettait immanquablement Bernard-Lazare du côté des humiliés et des opprimés, fussent-ils militaires ou civils, juifs ou catholiques. Bernard-Lazare incarnait pour Péguy le dreyfusisme dans sa pureté initiale, non encore marquée par la récupération politicienne.

Tout de suite après la mort de Bernard-Lazare survenue le 1er septembre 1903, Péguy se met à composer un portrait de son vieil ami ; mais cette esquisse restera inachevé. De nombreuses autres fois par la suite, Péguy reviendra, dans des contextes fort variés, sur cette figure de Bernard-Lazare et sur la dette que gardent les Cahiers à son égard. Un de ces cahiers, narrant les événement de Kichinev, est dédié « à la mémoire de Bernard-Lazare ». En 1907, Péguy écrit : « […] nous fûmes l’œuvre où il apporta tout ce qui lui restait d’amitié, de foi, de prophétie [...] ; il nous apportait aussi cette force unique de désillusion… »[9] Ce n’est qu’en 1910, dans Notre jeunesse, que Péguy a enfin compris son intention toute première : il a en fait élevé un monument de fidélité spirituelle à sonami décédé. Et, tout en mettant en relief chez son ami les qualités que lui-même Péguy admirait le plus, Péguy donne parfois de ces qualités des définitions inattendues comme celle-ci : « […] un prophète, pour qui tout l’appareil des puissances, la raison d’État, les puissances temporelles […] ne pesaient pas une once devant une révolte, devant un mouvement de la conscience propre. »[10] ou encore cette autre : «  […] cet athée ruisselant de la parole de Dieu. »[11] Il était aussi un véritable internationaliste, car « il voyait vraiment la chrétienté comme l’Islam […]. Parce qu’il était bien réellement en dehors des deux. »[12]

Il est évident que la figure de Bernard-Lazare, ce véritable dreyfusard, a permis à Péguy d’écrire ces paragraphes si inspirés sur le destin du peuple juif et de ses prophètes. L’art de l’essai historique chez Péguy dans Notre jeunesse réside en partie dans la liaison unique de poéticité, de pathétique républicain, d’analyse philosophique « dure » et d’exactitude journalistique. Péguy dénoue un à un, avec esprit de logique, tous ces mythes antisémites répandus partout sans souci de cohérence – mythes que, hélas, de nombreux intellectuels firent leurs. S’appuyant sur des exemples concrets et comparant ce qu’aurait fait dans des conditions similaires un Français catholique ou un Français juif, il démontre que tout vient en fait du degré de culture et de moralité de celui qui juge, comme du statut financier et social dont bénéficie celui qui juge. Péguy note : « Le seul de mes créanciers qui se soit conduit avec moi non pas seulement comme un usurier, mais […] comme un usurier de Balzac […] qui m’ait traité avec une dureté balzacienne, avec la dureté, la cruauté d’un usurier de Balzac n’était point Juif. C’était un Français, j’ai honte à la dire, on a honte à le dire, c’était hélas un « chrétien », trente fois millionnaire. Que n’aurait-on pas dit s’il avait été juif ? »[13] Peu après, il note encore : « C’est pas facile d’être juif. Vous leur faites toujours des reproches contradictoires. Quand leurs riches ne les soutiennent pas […], vous dites : C’est pas étonnant, ils sont Juifs. Quand leurs riches les soutiennent, vous dites : C’est pas étonnant, ils sont Juifs. Ils se soutiennent entre eux. – Mais […] les riches chrétiens n’ont qu’à en faire autant. Nous n’empêchons pas les chrétiens riches de nous soutenir entre nous. »[14] Nous pourrions trouver de nombreuses autres citations allant dans le même sens. Mais Péguy ne se contente pas de donner, avec l’esprit de finesse, avec la beauté d’écriture, avec la force d’expression et avec la profondeur d’analyse qui caractérisent ces passages, une manière de psychanalyse de la conscience collective du peuple juif, telle que formée depuis cinquante siècles. Le style de la citation que nous venons de faire de Péguy, adopte le mouvement d’un ressort qui se détortillerait : il analyse d’abord des intonations populaires pouvant parodier le discours tenu par des juifs, avant de « hausser » le ton et de s’achever sur une note si poétique que tout le passage peut se lire en fin de compte comme un mémorial dressé par le poète-prophète en mémoire de toutes les victimes de l’antisémitisme.

« Israël a fourni des prophètes innombrables ; plus que cela elle est elle-même prophète, elle est elle-même la race prophétique. Toute entière, en un seul corps, un seul prophète. Mais enfin elle ne demande que ceci : c’est de ne pas donner matière aux prophètes à s’exercer. Elle sait ce que cela coûte… Toute sa mémoire en est pleine. Vingt, quarante, cinquante siècles d’épreuves le lui disent… cinquante siècles de blessures et de cicatrices, des points toujours douloureux, les Pyramides et les Champs-Élysées, les rois d’Égypte et les rois d’Orient, le fouet des eunuques et la lance Romaine, le Temple détruit et non rebâti, une inexpiable dispersion leur ont en dit le prix de leur éternité […]. Ils savent ce que ça coûte que de porter Dieu et ses agents les prophètes […]. Alors, obscurément ils aimeraient mieux qu’on ne recommence pas. Ils ont peur des coups. Ils en ont tant reçu. Ils aimeraient mieux qu’on n’en parle pas. Si on ne parlait de rien du tout. Si on faisait des affaires, de(s) bonnes affaires […]. Ils ont tant fui, tant et de telles fuites, qu’ils savent le prix de ne pas fuir. Campés, entrés dans les peuples modernes, ils voudraient tant s’y trouver bien. Toute la politique d’Israël est de ne pas faire de bruit, dans le monde […], d’acheter la paix par un silence prudent […]. Mais toute la mystique d’Israël est qu’Israël poursuive dans le monde sa retentissante et douloureuse mission […]. Peuple de marchands. Le même peuple de prophètes. Les uns savent pour les autres ce que c’est que des calamités […]. Je connais bien ce peuple. Il n’a pas sur la peau un point qui ne soit pas douloureux, où il n’y ait un ancien bleu, une ancienne contusion, une douleur sourde […]. Ils en ont les leurs, et toutes celles des autres […]. La sagesse est aussi une vertu d’Israël […]. Beaucoup disaient à quoi bon. Les sages voyaient surtout qu’on allait soulever un tumulte […], une fois de plus la folie devait l’emporter, dans cette race élue de l’inquiétude […]. Quand un prophète a parlé en Israël, tous le haïssent, tous l’admirent, tous le suivent. Cinquante siècles d’épée dans les reins les forcent à marcher. Ils reconnaissent l’épreuve avec un instinct de cinquante siècles. Ils reconnaissent, ils saluent le coup. C’est encore un coup de Dieu. La ville encore sera prise, le Temple détruit, les femmes emmenées. Une captivité vient après tant de captivités […]. Ils ceignent leurs reins pour ce nouveau départ. Puis qu’il faut y passer ils y passeront encore. Dieu est dur, mais il est Dieu. Il punit et il soutient. Il mène. Eux qui ont obéi, impunément, à tant de maîtres, extérieurs, temporels, ils saluent enfin le maître de la plus rigoureuse servitude, le Prophète, le maître intérieur.»[15]

 

 

Trad. R. V.



[1] Œuvres en prose complètes (1898-1908), Gallimard, 1959, p. 1286.

[2] Notre jeunesse, Gallimard, 1967, pp. 14-15.

[3] Op. cit., p.30.

[4] Op. cit., p. 69.

[5] Voir Léon Poliakov, Histoire de l’antisémitisme. L’époque des savoirs, Guérachim, Jérusalem, 1998, p. 270.

[6] Sous la direction de L. Ivanovna Tolstoï, Mémoires d’un ministre de l’Éducation nationale, le comte Tolstoï, Moscou, 1997, pp. 22-23.

[7] A. A. Lopoukhine, Fragments de souvenirs (à propos des Mémoires de Serge Witte), Moscou-Saint-Pétersourg, 1923, p. 85.

[8] Voir « Comment sont-ils devenus dreyfusards ou anti-dreyfusards » in Mil neuf cent (revue d’histoire intellectuelle), 1993, n°11, p. 7.

[9] Charles Péguy, Un poète l’a dit, Gallimard, 1953, p. 152.

[10] Charles Péguy, Notre jeunesse, p. 106.

[11] Op. cit., p. 118.

[12] Op. cit., p. 144.

[13] Op. cit., p. 209.

[14] Ibidem.

[15] Op. cit., p. 77-82.