Avant-propos

 

Que ce numéro sur l’amitié soit dédié à Françoise Gerbod, décédée le 7 décembre 2008, le jour même du colloque annuel de l’Amitié Charles-Péguy qu’elle avait organisé et qui portait cette année sur « Péguy et la Presse » – et l’on se souvient qu’elle avait dirigé l’étude pionnière de « l’universitaire francophile »[1] Kenji Kanno : Péguy et la Presse (1894-1902).

La cérémonie religieuse a eu lieu en l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas, à Paris, le vendredi 12 décembre 2008 ; l’inhumation, au cimetière de Coltainville, près de Chartres.

Née en 1927, Françoise Ruat est fille de Jean Ruat (1888-1962) et d’Anne Radet (ca. 1900-1959), d’un père de Caderousse (Vaucluse) et d’une mère de la région de Bordeaux. Elle épousa Paul Gerbod (1925-2004), historien des pratiques culturelles, et constitua une famille nombreuse de six enfants.

Maître-assistant à l’Université de Nanterre, elle acheva en 1969 une thèse de 3e cycle sur Péguy lecteur de Corneille[2] puis une thèse de doctorat d’État sur Écriture et histoire dans l’œuvre de Péguy, qu’elle soutint le 31 mars 1977[3] et regretta ensuite de n’avoir pas publiée. C’est par Corneille justement qu’elle découvrit véritablement Péguy, au cours d’une recherche sur les interprétations et la réception de Corneille.

Elle participa d’abord au colloque Péguy dans son temps de Cerisy-la-Salle des 10-20 juillet 1971 et rendit compte pour le Monde des livres[4] du colloque d’Orléans sur Péguy écrivain des 6-8 septembre 1973.

Elle avait adhéré à l’Amitié Charles Péguy vers 1970 et devint en décembre 1975 membre de son comité de direction, qu’elle ne quittera plus : 33 ans de fidélité péguienne !

Elle avait prévu, au début des années 1970, de faire paraître chez Bordas une Jeanne d’Arc selon Péguy, qui ne vit pas le jour ; mais elle participa en 1976 au Cahier de l’Herne consacré à Péguy en étudiant « Enfer, grâce, salut chez Péguy », qui utilise abondamment la première Jeanne d’Arc.

Parmi ses nombreuses publications consacrées à Péguy, retenons quelques articles parus dans le Bulletin de l’Amitié Charles-Péguy : « La poétique de l’incarnation chez Péguy », « Peuple français, peuple chrétien ans le Porche et les Innocents », « Pamphlet et autobiographie chez Péguy »[5], ainsi que l’édition de la monumentale correspondance Péguy-Pesloüan[6].

Elle coordonna en 1986 les actes du colloque Péguy homme du dialogue qui s’était tenu à l’Université Paris-X les 27-28 mai 1983. La même année paraissait chez Bordas son excellente Introduction à la vie littéraire du XXe siècle, coécrite avec son époux Paul Gerbod. L’ouvrage fut réédité en 1992.

Françoise Gerbod prit les rênes de l’Amitié Charles Péguy en janvier 1993 après le regretté Yves Rey-Herme, assurant notamment les réponses au volumineux courrier et la responsabilité éditoriale de son Bulletin d’informations et de recherches. C’était un travail de plein temps, parfois harassant, souvent ingrat, où son entregent et sa fine connaissance du monde universitaire faisaient merveilles.

En 1998, elle coordonna avec Françoise Mélonio les actes du colloque au Centre-Sèvres des 13 et 14 octobre 1995, qui parurent chez Champion : L’Égalité au tournant du siècle : Péguy et ses contemporains.

En 1999, elle édita pour la Bibliothèque de la Pléiade la Lettre à un otage de Saint-Exupéry, dont il sortit un volume « Folio » en 2004.

Devenue à la retraite professeur émérite à l’Université de Paris-X, Françoise Gerbod donnait tout à Péguy et à ses spécialistes, qu’elle formait, conseillait, introduisait dans le monde universitaire. Elle accueillit à son domicile un grand nombre de causeries destinées à répandre la connaissance de Péguy et elle offrait à ses amis de non moins nombreux repas où Péguy n’était jamais oublié.

Sa porte était toujours ouverte, son oreille toujours attentive, en tête-à-tête ou au téléphone.

Comme ces quelques lignes ne prétendent pas donner plus qu’un aperçu de tout ce que les péguistes doivent à Françoise Gerbod, dans l’attente de l’hommage plus fourni que lui rendra le Bulletin de l’Amitié Charles-Péguy, Yves Avril, avec qui elle maintenait une correspondance suivie, la décrit à son tour :

 

Françoise était pour nous une fidèle amie. Elle fut parmi les premières à apporter son soutien, matériel et moral, à notre entreprise, invitant nos correspondants de Russie et de Pologne à partager les activités de l’Amitié Charles-Péguy, insistant pour que les relations entre nos deux associations fussent plus étroites. La conscience qu’elle avait de sa responsabilité et de ses engagements dans l’Amitié faisait qu’elle nous confiait parfois ses craintes que nos activités quelque peu parallèles divisassent les forces et les affaiblissent. Nous lui répondions que « Le Porche » s’était donné une mission différente, géographiquement plus limitée mais, sur le fond, moins spécialisée, moins exigeante aussi. Nous espérons avoir apaisé ses inquiétudes et la remercions de tout ce qu’elle nous a apporté, à nous et à nos amis de l’autre Europe.

 

À qui pouvions-nous dédier ce numéro traitant d’un tel sujet sinon à Françoise Gerbod ? À sa famille éprouvée, à ses six enfants, à ses petits-enfants, nous présentons nos vives condoléances.

 

Les deux premiers articles ne sont pas sans annoncer les textes poétiques qui suivront : le premier dresse un parallèle entre notre Jeanne d’Arc française et une héroïne slave qu’on découvrira peut-être ; le second est une étude d’un sujet pointu mais qui s’ouvre à la poésie et, plus précisément encore, à la science de la traduction.

Ce Porche s’ouvre donc sur un exposé d’Alexandra Evguéniéva Pérévalova, Biélorusse, professeur d’université, spécialiste de français et d’anglais. Elle a soutenu en 2002 un mémoire de maîtrise en lexicologie : un Dictionnaire français des termes militaires écrit directement dans notre langue, puis en 2003 l’équivalent de notre D.É.A. sur Le Rôle et la place des prépositions dans la formation des mots composés en français. Elle a participé au XXXVIe congres de philologie organisé par nos amis de l’Université d’État de Saint-Pétersbourg du 12 au 15 mars 2007 en y présentant l’exposé que vous allez lire…

Si Jeanne d’Arc a été première servie, Charles Péguy fait l’objet de nombreuses études dans le présent numéro du Porche. Ainsi, Laurent Gamel, péguiste, ancien khâgneux du lycée Lakanal (Sceaux) et professeur agrégé d’anglais, et moi avons voulu revenir sur l’image étriquée que l’on se fait parfois de Péguy, en montrant que le monde anglophone et la littérature anglaise n’étaient point absents de certains Cahiers de la quinzaine.

Ce numéro contient ensuite les communications faites lors de la session consacrée au thème de « l’Amitié » que Katarzyna Pereira et la fondation « Europe de l’Espérance » organisèrent à Białystok et à Varsovie en juin 2007. Y participaient, outre les auteurs qui figurent ici, nombre de nos amis : Alain Finkielkraut, Anna Djoussoïéva entre autres, dont nous espérons pouvoir publier plus tard les contributions. Le compte rendu de cette session, signé par Claire Daudin, a été publié dans le numéro 24 du Porche ; on voudra bien s’y reporter.

Cette fois encore, le Porche ne s’achève pas sans poésie. C’est un écrivain du XVIIIe siècle, quelque peu oublié, qui fournit le premier poème, consacré à Jeanne d’Arc ; c’est un nouvel adhérent qui nous fournit les deux autres pièces, traduites ici pour la première fois, en polonais et en russe.

Pour finir et après un extrait de thème grec retrouvé par la Rédaction et qui étonnera, amusera et instruira – nous l’espérons –, Hélène Daillet nous offre deux comptes rendus de livres récents.


Que Jérôme Grondeux, historien, maître de conférences à la Sorbonne et nouveau président de l’Amitié Charles Péguy, trouve ici une première forme de remerciement pour l’aide généreuse octroyé par le Conseil de direction de l’Amitié Charles Péguy à l’organisation du colloque dont l’annonce suit cet avant-propos.

Ce colloque, à l’entrée libre et gratuite, est le prochain temps fort de notre Association : venez-y nombreux ! Le précédera notre Assemblée générale pour l’année 2009, le mercredi 6 mai 2009 à 11 heures, à l’auditorium de la Médiathèque d’Orléans. Il n’y aura pas cette année de conférence spécifique associée à l’Assemblée générale, les journées de colloque qui suivent faisant plus qu’en tenir lieu. Vous trouverez la convocation à cette Assemblée générale et votre bon pour pouvoir, découpable, à la page 79 du présent numéro.

Bonne lecture à tous et joyeuses Pâques !

 

Romain Vaissermann

 



[1] Libération, 13 mars 1997. Kenji Kanno est aujourd’hui maître de conférences à l’Université Municipale de Tokyo.

[2] Jacques Viard en donna un favorable écho : FACP, n° 173, décembre 1971, p. 9.

[3] FACP 214, janvier-mars 1977, pp. 16-22.

[4] 13 septembre 1973.

[5] Respectivement : BACP 6, avril-juin 1979, pp. 93-114 ; 23, juillet-septembre 1983, pp. 158-169 ; 26, avril-juin 1984, pp. 80-91.

[6] BACP 45, 46, 49 et 50 en 1989-1990.